XVII
Je m'étais faufilé entre les rondes de gardes. Je n'avais plus Johannes pour me couvrir de sa présence. Mieux valait éviter les questions. Pas besoin de mentir à ceux qui ne demandent rien. Quand même ! Je les trouvais bien méfiants, ces Cracheurs de Feu. Qu'est-ce qui les menaçait, ici ? Ils ne voulaient pas qu'un curieux puisse découvrir la source du pétrole ? Évidemment, pour des opposants éventuels, ce serait une connaissance utile. Gamal allait sûrement frétiller. En investissant le complexe au jour J, il paralyserait l'approvisionnement. Alex et Pépère lui fourniraient tous les renseignements voulus.
J'arrivais sur une succession de petites baraques proprettes bordées de jardinets. Bougainvillées et jasmins s'accrochaient aux façades.
La maison habitée par Annie était la première côté nord. Petit jardin, débordant de plantes fleuries. Deux gros palmiers, qui devaient donner leur ombre à une terrasse dallée. Une porte-fenêtre, ouverte sur une pièce éclairée...
Merde ! A cette heure-ci ? Gênant ça ! Est-ce que le cher Brice traînait dans les parages ?
J'ai fait un prudent détour pour éviter la flaque de lumière. D'autres portes-fenêtres, elles aussi béantes, mais sur des pièces noires. Le fin grillage des moustiquaires les protégeait des insectes envahisseurs.
Aplati contre le mur, et plus ou moins dissimulé par une bougainvillée qui dégringolait en cascade de branches, j'ai allongé le cou pour jeter un coup d'œil dans la pièce éclairée.
Décidément, ce soir, le petit Jésus me voulait du bien ! Annie ! Annie toute seule, qui s'était endormie en lisant. Le bouquin abandonné retroussait ses pages près de sa main. Elle était couchée sur le flanc, une épaule émergeant du drap, le visage dans l'oreiller. Je ne voyais qu'un morceau de profil. Une pommette dorée, le coin de la bouche, un œil clos, souligné d'un cerne mauve. La natte blonde s'étalait, sinueuse, gonflée de frisons qui échappaient à la géométrie des mèches entrelacées.
Je lutte contre un flot traître et paralysant de tendresse.
Annie a gémi dans son sommeil. Une petite plainte de chaton, à peine perceptible. Elle a bougé, en rejetant le drap qui la coudrait. Et j'ai senti monter une formidable colère. Des striures de cravache, boursouflées et violettes, marquaient son dos.
Le Brice, il était déjà archimort ! Que je mette seulement la patte dessus. J'allais lui apprendre, à celui-là, et très définitivement, les bonnes règles de la galanterie : pas taper sur une nana, même pas avec une fleur !
Maintenant, réveiller Annie. En douceur, pour qu'elle ne crie pas de surprise. Est-ce que l'Affreux dormait dans une pièce proche ? Probable. Donc, pas question de lui offrir une chance de me piéger. C'était moi qui le piégerais...
La moustiquaire, tendue sur un cadre de bois, s'ouvrait comme une porte. J'ai relevé le loquet qui la bloquait de l'intérieur avec la lame de mon couteau. En activant, parce que j'étais en pleine lumière et que je me méfiais des foutus gardes vadrouilleurs.
Premier truc, j'ai éteint la lampe de chevet. Aux clandestins, l'ombre est propice. Puis j'ai empoigné Annie en la bâillonnant d'une main ferme.
Elle a sursauté comme un poisson fou. Et commencé à se débattre, frénétiquement. Elle a cherché à mordre ma paume et j'ai reçu une grêle de coups furieux.
J'ai chuchoté dans son oreille :
- Doucement, mon bébé, c'est Gérald.
Elle ne luttait plus. Elle était devenue toute molle, d'un seul coup. Mais je sentais, contre mon torse, son cœur battre la charge. Le mien cognait aussi. Beaucoup trop fort. En plus, une poussée de désir intense, exigeante, féroce...
Je l'ai combattue de mon mieux. Il y a un temps pour toute chose, dit la sagesse biblique. Vraiment pas l'heure pour batifoler.
Annie pleurait sur mon épaule, comme elle le fait toujours. Son petit côté fontaine. Elle le ressort pour toutes les grandes occasions. Et moi je la berçais, enfermée dons mes bras, la tête vide de tout, envahi d'un bonheur délirant d'homme ivre. Mon sang charriait des bulles...
Je continue à croire qu'on n'avait vraiment pas fait beaucoup de bruit. Quelques chocs, peut-être, au moment où Annie s'était débattue. Des hoquets étranglés ensuite. Trois fois rien.
Le salaud qui logeait dans la pièce voisine devait souffrir d'insomnies. Ou avoir le sommeil aussi léger que celui d'un solitaire. Plus des oreilles en radar. Et un maximum de méfiance innée en prime...
La porte qui s'ouvrait dans mon dos m'a arraché à Annie comme si elle était devenue métal ardent. Je me suis retourné, ma lame entre les doigts, en même temps qu'explorait la lumière.
Je n'ai pas lancé le couteau. Le type était dans l'embrasure, à poil, mais pétard en main. Le museau d'acier me braquait. De très près. En pénétrant dans son cou, ma lame déclencherait le réflexe. Que je réussisse à plonger sous le tir, et ça ferait tout de même un gros boum dans cette nuit paisible. Ca ameuterait la terre entière. De plus, Annie était aussi dans la mauvaise trajectoire...
Elle a soufflé entre ses dents :
- Brice !
J'avais déjà pigé,
On se regardait. Il n'était pas idiot. Il comprenait très bien que s'il tirait, il prendrait quelque part cette lame que je tenais au bon endroit, prête à partir. Égalité partout.
Un grand type blond, bien bâti, très bronzé. Mais bon Dieu ! Quelle sale gueule ! De quoi faire hurler les petits enfants. Il ne portait pas son bandeau. Une vieille blessure, fripée et rouge comme un trou de cul, lui ravageait la face côté gauche. Ca partait en étoile, de l'orbite vide. Dans le creux, un débris de paupière bourgeonnait, piqué de poils rigides. Des sillons pourpres labouraient la chair du front à la pommette, de l'arête du nez à l'oreille.
L'œil unique me guettait, sans défaillance. Il attendait la bonne occase. Moi aussi. Ca pouvait durer longtemps comme ça...
Quelques secondes, qui s'égrènent, longues comme des heures.
Je craignais qu'il ne décide de brailler "à la garde !" auquel cas, il faudrait bien, risque de balle ou pas, que j'essaye de l'en empêcher...
Sourire torve, qui retrousse des lèvres très minces. Toute l'affabilité du loup-garou. S'il avait ouvert la bouche en grand, présageant les gueulantes, je plongeais en lâchant ma lame. Mais non. Il a parlé très doucement, à lèvres presque closes.
Il s'est adressé à Annie, dans un français sans accent.
- Qui est cet homme, ma chérie ? Un de tes amis ? Un ami très cher, sans doute ? Il y a longtemps que vous vous rencontrez derrière mon dos ?
Marrant, ça. A cause de mon uniforme, il me prenait pour un bidasse du complexe. Ébats clandestins, romantisme, et cocufiage. Très 1900, l'atmosphère. Ne manquait que le Ciel mon mari ! proféré d'une voix expirante par la coupable.
La coupable relevait le menton. Les yeux gris-bleu débordaient de défi. Moi, je lisais la peur au fond, mais ma gosse, je la connais bien. Et je sais qu'en cas de pépin, elle s'arrange pour tenir remarquablement le coup. Quand elle s'effondre, c'est après.
Elle a répondu d'une voix contenue qui détachait les syllabes :
- Oui, c'est un ami ! Est-ce que je te dois la fidélité ? En échange de tes coups, peut-être ?
Annie entretenait délibérément la fiction, et l'idée était valable. Tant que 1e bonhomme ne verrait en moi qu'un séducteur de passage, il se garderait bien d'appeler à l'aide. Mon couteau l'intriguait un peu, et il m'exécrait, mais pour ce super galonné, je n'étais jamais qu'un minable troufion qui avait l'infernal toupet de le faire cocu ! Il ne pensait plus tellement à son revolver. Il me réglerait facilement mon compte plus tard, mais, pour le moment, il en avait surtout après Annie.
Elle a continué dans la bonne voie. Et totalement détourné l'attention du bonhomme en commençant à l'insulter sans crier, d'une voix basse qui donnait plus d'intensité aux mots. Elle frappait dur, et aux points sensibles. En lui reprochant de n'être pas à la hauteur comme mâle et de ne savoir faire l'amour qu'avec une cravache.
Ce qui m'a laissé la possibilité d'envoyer valdinguer le sacré revolver qu'il avait complètement oublié.
J'ai rentré ma lame. Je n'en avais plus besoin. Et j'allais satisfaire mon envie de le tuer à mains nues. Je n'avais pas digéré les balafres sur le dos d'Annie.
Il ne m'a pas donné trop de mal, ce cravacheur de filles. Il s'est défendu. Un peu. La technique, il connaissait plus ou moins. Dans l'abstrait. Il n'avait jamais eu à défendre vraiment sa peau. Il était vicieux, mais pas tout à fait assez. Je l'ai eu en mettant hors jeu son œil unique. Ensuite j'ai pu très facilement le coincer dans une bonne prise et lui faire craquer les vertèbres. En y prenant un grand plaisir.
Mort il était encore plus moche que vivant. Un afflux de sang injectait son œil de cyclope et gonflait ses cicatrices.
Bienvenue en enfer, mon salaud !
Annie était livide, vernie de sueur. Elle s'est ruée sur moi. Intermède de bouche à bouche, ultra-passionné. Je l'ai interrompu en m'arrachant l'âme. Un désir nettement plus sauvage qu'au premier tour me rendait à peu près cinglé. Éros et Thanatos, ça se touche de très très près.
Une pendule tictaquante toute proche me rappelait la proximité de l'aube. Ca urgeait drôlement. Pour le papattes mêlées, on verrait plus tard.
J'ai demandé où je pouvais planquer l'Affreux. On l'a fourré dans un placard commode. Quand n'A-qu'un-œil commencerait à puer, on serait loin. Ou morts...
Annie s'est habillée vivement. Pantalon et chemise de toile bleue. La couleur exaltait son regard de fumée.
J'ai pensé à Alex. Et j'ai piqué pour lui une tenue appartenant à n'A-qu'un-œil. Question taille, ça gazerait plus ou moins. J'ai pensé aussi à amputer le truc de ses super-galons. Le bidasse, ça se fond mieux dans le décor.
On a filé, après avoir tout éteint.
On s'est mis en route pour rejoindre l'antre de Pépère. Il a fallu se planquer deux fois pour éviter des gardes baladeurs.
En chemin, j'ai donné à Annie des renseignements sur la situation. Elle les a avalés sans questions inutiles, et si elle était inquiète à propos de la sortie, elle n'en a pas parlé. Elle a du caractère, ma gosse. Je ne l'ai jamais vue flancher devant le danger. Un bon compagnon de combat, qui ne se permet jamais de craquer avant que tout soit bien fini. Chapeau ! Parce que le vrai courage, ce n'est pas ignorer la peur, c'est savoir la dompter, tout juste. Mâles ou femelles, ceux qui le possèdent réellement sont rares...
Elle a voulu des nouvelles de l'île et j'ai donné rapidement celles que je possédais. Quelques noms de vivants, bien davantage de morts, et les disparus, dont on ne savait encore rien. Elle a digéré ces informations-là avec calme aussi. J'ai senti à sa voix qu'elle avait envie de pleurer, mais elle se contenait.
On arrivait sur le hangar à gelée quand elle a chuchoté :
- Tu sais, Gérald, je n'ai jamais douté que tu viendrais. Jamais...
Absolue conviction et absolue sincérité.
Et voilà comment la fille qui vous tient aux tripes vous envoie planer. Dans, les hauteurs sublimes. En compagnie de Superman ! "Redescends sur terre, Gérald, tu vas te casser la gueule."
Alex était libéré de ses chaînes. Lui et Pépère sirotaient toujours le sacré cognac !
Il y a eu une bousculade d'embrassades et d'exclamations.
- Mon Dieu, Alex ! Si seulement j'avais su que tu étais là !
- J'aurais bien voulu que tu me repères...
Pépère posait mille et une questions, l'œil allumé, la tignasse en bataille.
J'ai coupé net dans le bla-bla en demandant si lui ou Alex avaient une idée concernant la sortie.
Pas seulement fortiche côté science, le Johannes. Il avait bâti un superbe plan. Très astucieux.
- Voilà. Supposons que je devienne fou furieux. Un accès imprévisible... A mon âge, n'est-ce pas ? Alors je renverse les cuves de gelée. Et je me transforme en incendiaire... Médusa a horreur du feu. Elle est plutôt lente, mais la proximité des flammes va l'activer.
Donc, nous avons Médusa en liberté, et un incendie qui s'alimentera aux réserves de carburant. Logiquement, nous devrions obtenir une pagaille géante qui affectera l'ensemble du complexe. Quand la panique en viendra à son maximum, nous nous emparerons d'une voiture. Je manque actuellement un peu de pratique, mais je suis certain de pouvoir quand même la conduire. Ensuite, j'imagine que forcer la sortie ne devrait pas être trop compliqué.
Ca me semblait tout à fait superbe et je l'ai dit :
- Pépère, tu es génial !
Coup d'œil nettement teigneux.
- Jeune homme...
- Je sais, je sais. Je ne le ferai plus. J'admirais seulement vos capacités d'invention.
Le compliment a mis du baume sur la blessure. Ca s'arrangeait.
J'ai pris le verre d'Alex pour avaler une gorgée de cognac. J'étais un peu crispé. Les nerfs sollicités par la présence d'Annie. Un brin de refoulement, probable. Depuis Erica, je n'avais pas touché une femme... Enfin, le boulot me distrairait. J'ai proposé qu'on s'y mette, et vite !
C'est Pépère qui s'est chargé de faire basculer les cuves. Aucun besoin d'être Hercule pour ça. Il existait un système électrique prévu pour les renverser doucement.
Médusa a glissé vers la liberté, avec enthousiasme. Du cadavre que je lui avais donné, il ne restait déjà plus que les os. A peine libres, une partie des billes les a mis debout, pour l'habituelle avance chuintante. Vraiment curieux, ce phénomène !
J'ai demandé son avis à Johannes. Pourquoi la saleté agissait-elle ainsi ?
- Jeune... Gérald, la science n'explique pas tout. Médusa est douée d'instinct, comme tout ce qui vit, et elle est capable d'apprendre. Je peux supposer qu'elle a commencé par recouvrir des squelettes pour s'alimenter, et qu'elle a appris ensuite que les faire progresser rendait ses déplacements plus aisés, et facilitait la capture des proies... Il peut aussi exister d'autres raisons, incompréhensibles pour nous. Nous les découvrirons peut-être un jour, et peut-être jamais... Les connaissances que l'on acquiert ne font que révéler d'autres abîmes d'ignorance...
Sentencieux, le petit père. Il avait commencé la vidange à un bout de la salle. Il officiait rangée après rangée. Médusa progressait aussi. Sur nos traces. Le squelette habillé de billes avait pris de l'avance. Chuint, chuint, chuint, et des bras grands ouverts pour l'étreinte affectueuse.
Je me suis offert, tentateur, pour l'entrainer ailleurs, afin de laisser Johannes terminer le boulot en paix.
Les dernières cuves vidées, on a récupéré Annie et Alex, et on a filé dare-dare. Pépère nous a fait perdre du temps, en s'entêtant à bourrer une serviette de papelards. "Des expériences en cours, vous comprenez ?" Il a pratiquement fallu l'embarquer de force.
J'ai envoyé Alex foutre le feu aux dépôts de carburant. Médusa était trop présente pour lui. Inutile de l'obliger à endurer cette saloperie, qui le contraignait à dominer ses nerfs. Très très dur. Il faisait une allergie géante. Je me demandais s'il avait été forcé, durant son esclavage, de travailler près des billes. Si oui, il n'avait pas dû rigoler souvent !
On a attendu Alex dans un coin encore peinard. Je regardais Annie. Je la trouvais changée, un peu plus maigre, et les cernes mauves sous ses yeux lui donnaient un air de fragilité inhabituel.
Le regard gris-bleu, angoissé, a rencontré le mien.
- On va s'en sortir, Gérald ?
- Sûr, mon petit chat.
Ce genre de truc, il faut surtout y croire bien ferme. Si on n'est pas confiant au départ...
Alex est revenu au pas de course. Longues foulées souples, et très légères.
- Ca y est ! ça démarre.
L'uniforme de Brice lui allait à peu près. J'ai repéré de suite qu'il s'était déniché une hachette quelque part. Ca faisait une bosse, côté ceinture, et un soupçon de manche dépassait de la veste. Il devait être très content. C'est agréable, de disposer d'une arme habituelle, qu'on sait bien manier. Alex est capable de faire voltiger une hachette aussi bien que moi une lame.
La panica generale, ça démarrait très bien. Les dépôts de carburant explosaient littéralement. Détonations, brasiers grandioses, et giclées de flammes mugissantes. Une gigantesque pulsion rouge, ronflante, qui se dilatait jusqu'aux étoiles. Des nappes de fumée mordante dérivaient dans le vent.
En prime, Médusa s'étalait. En marée brillante, avec des pointes ramifiées.
Du côté militaire, ça donnait dans la fourmilière bousculée. Ca glapissait, talonnait, cavalait, dans une totale confusion. Seule idée directrice, à vue de nez, la fuite ultra-rapide. En dépit d'ordres hurlés qui auraient voulu organiser la lutte contre le feu.
Je me suis rappelé les esclaves, A un moment quelconque, un malin penserait bien à les utiliser. Aux endroits les plus dangereux... Enfin, dans cette foire gigantesque, ils auraient leur chance de s'en tirer. S'ils ne la saisissaient pas, tant pis pour eux. Aide-toi, le ciel t'aidera ! Ceux qui sont incapables d'empoigner l'occasion aux cheveux ne devraient pas se plaindre de leur sort...
On se baladait dans un parking. Pépère cherchait une jeep à son goût. Je voulais bien lui faire confiance, mais à mon idée, ça devait faire un sacré bout de temps qu'il ne conduisait plus. Enfin, puisque ni Alex, ni moi, ni même Annie n'étions compétents...
Une équipe de courageux, ou de fayots, cavalait vers le brasier en traînant une lance d'incendie. Le gradé qui les stimulait a repéré nos uniformes. Il s'est arrêté pile, en glapissant :
- Qu'est-ce que vous faites là ? Au travail ! Au travail ! Suivez-moi !
Pour qu'il se taise, ce casse-pieds, il a fallu la hachette d'Alex.
Elle s'est envolée et lui a fait éclater la boîte crânienne.
Pépère a approuvé, tout joyeux :
- Très joli, jeune homme. Vraiment très joli ! Aussi bien que dans un western !
Oui, oui, on s'amusait tout plein seulement ça risquait de tourner binaire ! L'équipe des pompiers avait moins apprécié le spectacle. Ils braillaient d'indignation en serrant toujours la lance d'incendie sur leur cœur.
L'arrivée providentielle d'une vague de billes les a rappelés à un égoïsme bien compris. Ils ont lâché le tuyau, avec un bel ensemble, pour se débiner à grande vitesse. Sauve-qui-peut et chacun pour soi !
Du coup, j'ai bousculé Pépère pour qu'il se décide. N'importe laquelle, de ces foutues bagnoles, bon Dieu !
Alex a récupéré sa hachette en se pressant. Médusa commençait à recouvrir le cadavre côté pieds.
On a embarqué dans une jeep. Pépère au volant, moi à côté, Alex et Annie derrière.
Quelques ratés et la bagnole a démarré gentiment. On a roulé tout doux, tout doux. Effroyable embrouille de mecs qui cavalent en tous sens, apparemment sans but. On zigzaguait entre les fuyards et les flaques de gelée. Pépère s'en tirait très bien. Concentré, l'œil attentif...
Tout du vieux guerrier qui reprend le sentier de la guerre.
De temps en temps, un type déboussolé jugeait séduisante l'idée d'une fuite en bagnole, et des mains avides s'accrochaient à nos portières. Alex s'en occupait d'un côté, et moi de l'autre. Dans la plupart des cas, une bonne poussée suffisait.
En approchant de la sortie, on a rattrapé deux ou trois bagnoles qui progressaient aussi en direction du portail. On n'était pas les seuls à avoir pensé qu'une voiture, c'est commode quand on veut se tirer en vitesse.
Le portail, je l'ai trouvé rudement chouette. Large ouvert, bien dégagé, et la garde sans doute préoccupée par des problèmes d'ordre très personnels, semblait bien avoir oublié la consigne.
Les voitures qui nous précédaient ont franchi le truc en douceur, sans le moindre pépin. Le pépin, il s'était réservé bien gentiment pour nous. Probable qu'on avait épuisé le contingent de chance du jour...
Un cinglé du devoir a surgi juste devant la jeep, mitraillette braquée. Il braillait, comme de juste.
- Halte ! Halte !
Encore un foutu gradé. Ceux-là, comme emmerdeurs ! Qu'est-ce qu'il espérait, ce connard ? Qu'on lui présente un bon de sortie ?
La solution, c'était de baisser la tête, et de foncer pour lui passer dessus. Manque de bol, les réflexes civilisés du Pépère ont fonctionné au quart de poil. Dans le mauvais sens, bien sûr. Grand coup de freins et arrêt buffet !
J'ai sort le buste de la bagnole pour lancer ma lance.
Elle est arrivée à destination, main en s'écroulant, l'autre a lâché une giclée réflexe. Plus vers le ciel qu'autre chose, et les balles se sont perdues dans la nature.
Toutes, sauf une.
Celle-là, je l'ai stoppée avec mon épaule.
Le coup de masse géant ! Je voyais des nébuleuses. Vachement tourbillonnantes...
Je me suis cramponné à la lucidité, en me rappelant que j'étais censé diriger l'expédition vers un refuge. Pas le moment de tout lâcher...
Des questions s'entrecroisaient. Toutes sur le même thème ; comment j'allais ?
J'ai admis que j'étais vivant. Vivant, mais mal en point. Je saignais style source fluante et j'avais un sacré brasier allumé dans l'épaule ! Très très désagréable !
J'ai houspillé Pépère, pour qu'il se décide à repartir. Et j'ai indiqué qu'il convenait de prendre la première rue à gauche. Espérons que j'y verrai clair jusqu'au bout...
En prime, j'avais laissé ma jolie petite lame dans le cou de l'autre tordu. Tous les ennuis â la fois !