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Havisham : l’ultime révérence
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Macbeth version levure, traduit par /////..
— Ah ! dit Plum, me voyant entrer dans son bureau. Miss Next… j’ai une bonne et une mauvaise nouvelle.
— Commençons par la mauvaise.
Plum ôta ses lunettes pour les astiquer.
— Le Chapeau Eject-O. J’ai sorti les archives et remonté le processus de fabrication jusqu’au chapelier d’origine. Il semblerait que plus d’une centaine de personnes aient été impliquées dans sa confection, son entretien et la révision de son mécanisme. Quinze ans, c’est une sacrée durée de vie pour un Eject-O. Ajoutez-y tous ceux qui l’ont manipulé, et ça vous fera un petit total de six cents individus.
— C’est vaste.
— Malheureusement, oui.
Je m’approchai de la fenêtre. Deux paons étaient en train de parader sur la pelouse.
— Et la bonne nouvelle ?
— Vous connaissez Miss Scarlett au service documentation ?
— Oui ?
— On va se marier mardi.
— Félicitations.
— Merci. Vous aviez autre chose ?
— Je ne crois pas. Merci de votre aide, Plum.
— À votre service, répondit-il gentiment. Dites à Miss Havisham de se procurer un nouveau chapeau ; celui-ci n’est pas réparable.
— Il n’est pas à Miss Havisham, lui dis-je. C’est le mien.
Il haussa les sourcils.
— Vous vous trompez, fit-il après un silence. Regardez.
Il tira le couvre-chef élimé de son bureau et me montra le nom de Havisham gravé dans le cuir intérieur, avec un numéro de série, la taille et les informations du fabricant.
— Mais enfin, soufflai-je, c’est moi qui ai porté ce chapeau à…
La terrible vérité se fit jour dans mon esprit. On avait dû échanger les chapeaux par mégarde. Ce n’était pas moi qu’on avait voulu tuer… la cible, c’était Miss Havisham !
— Un problème ? s’enquit Plum.
— Une catastrophe, marmonnai-je. Puis-je utiliser votre NDBDP-phone ?
Sans attendre sa réponse, je décrochai le pavillon en cuivre et demandai Miss Havisham. Elle n’était pas dans le Puits, ni dans Les Grandes Espérances. Je replaçai le pavillon et me transportai dans le hall de la Grande Bibliothèque ; si quelqu’un savait où la trouver, c’était bien Wemmick.
Mr. Wemmick n’était pas occupé. Les pieds sur le comptoir, il lisait le journal.
— Miss Next !
Se levant, il me serra chaleureusement la main.
— Que puis-je pour vous ?
— Miss Havisham, bredouillai-je, savez-vous où elle est ?
Wemmick prit un air embarrassé.
— Je ne crois pas que…
— Wemmick ! criai-je. Quelqu’un a essayé de tuer Miss Havisham, et il risque de recommencer !
Choqué, il se mordit la lèvre.
— J’ignore où elle est, dit-il lentement, mais je sais ce qu’elle fait.
Mon cœur se serra.
— Encore une tentative de record de vitesse, hein ?
Il hocha la tête, accablé.
— Où ça ?
— Je ne sais pas. Elle a dit que la Higham n’était pas assez puissante. Et elle a commandé une Bluebird bimoteur, un monstre de 2 500 chevaux – ça tenait à peine dans la réserve.
— Et vous n’avez aucune idée de l’endroit ?
— Aucune.
— Bon sang ! hurlai-je, tapant sur le comptoir. Allez Thursday, réfléchis !
Une pensée me traversa l’esprit. Je décrochai le NDBDP-phone et demandai à être mise en relation avec Monsieur Crapaud, du Vent dans les saules. Il n’était pas là, mais Rat, si. Je lui exposai l’objet de mon appel, et il me fournit l’information manquante. Havisham et Monsieur Crapaud faisaient une course à Pendine Sands, dans la République Socialiste du Pays de Galles.
Je remontai en courant. Arrivée devant les œuvres de Dylan Thomas, je sortis un mince recueil de poésies et me concentrai sur ma porte de sortie vers le Monde Extérieur. Par chance, l’opération réussit, et j’atterris comme une masse dans une petite librairie à Laughame, le village de Thomas en Galles du Sud. Devenue un lieu de pèlerinage pour les Gallois comme pour les étrangers, c’était l’une des huit librairies du village qui vendaient de la littérature galloise et des souvenirs en hommage à Thomas.
Prise au dépourvu par mon apparition inopinée, une cliente poussa un cri aigu, et je reculai, affolée, pour m’écrouler par-dessus une pile de livres de cuisine galloise. Me relevant, je me ruai dehors… quasiment sous les roues d’une voiture qui pila à quelques centimètres de moi. Pendine Sands avec ses quinze kilomètres de plage était situé plus bas sur la côte, et il me fallait un moyen de transport.
Je montrai à la conductrice mon badge de la Jurifiction –même s’il ne signifiait rien, il avait une allure officielle – et dis dans mon meilleur gallois :
— Esgipysgodfi ond ble mae bws i Pendine ?
Elle reçut le message, et nous prîmes la route de Pendine. Avant même d’arriver, j’aperçus la Bluebird sur le sable, à côté de la voiture de Monsieur Crapaud et d’un petit groupe de gens. C’était la marée basse, et une vaste étendue de sable bien lisse attendait les coureurs. Le cœur battant, je vis deux panaches de fumée noire jaillir à l’arrière du bolide. Même à travers la vitre, on distinguait le rugissement guttural des moteurs.
— Dewch ymlaen ! lançai-je à la conductrice.
Elle bifurqua sur le parking, juste à côté de la statue de John Parry Thomas. Je courus sur la plage en hurlant et agitant les mains, mais personne ne m’entendit dans le vacarme ambiant, ou en tout cas, personne ne me prêta attention.
— Ohé ! criai-je. Miss Havisham !
Épuisée, je dus ralentir ma course.
— Arrêtez ! hurlai-je, affaiblie et hors d’haleine. Pour l’amour du ciel… !
Trop tard. La Bluebird démarra, prenant de la vitesse sur le sable. Je tombai à genoux et aspirai l’air à grandes goulées. Parvenue au bout de la plage, la voiture décrivit un large demi-cercle pour entamer son premier tour de piste. Le bruit du moteur s’enfla, grimpant dans les aigus, tandis que les roues projetaient au loin une pluie de sable et de gravillons. Je priai pour qu’elle revienne saine et sauve et qu’il n’arrive rien ; ce fut le cas, jusqu’à ce qu’elle commence à décélérer. J’allais pousser un soupir de soulagement quand l’une des roues avant se détacha et roula sous la voiture, la catapultant dans les airs. L’avant du châssis se planta dans le sable. J’entendis des cris de frayeur dans l’assistance. Le moteur gémit, impuissant, pendant que la voiture effectuait une série de tonneaux sur la plage. Elle s’arrêta à moins de cinq cents mètres de moi. Je me précipitai. J’avais parcouru deux cents mètres lorsque le réservoir d’essence s’embrasa ; le champignon de feu souleva l’engin de trois tonnes au-dessus du sable. En arrivant, je découvris que par miracle, Miss Havisham avait survécu. Mais elle aurait peut-être mieux fait d’y rester : elle était brûlée au dernier degré.
— De l’eau ! criai-je. De l’eau pour ses brûlures !
Les spectateurs tétanisés nous regardaient sans bouger.
— Thursday ? murmura-t-elle, même si elle ne pouvait pas me voir. S’il vous plaît, ramenez-moi à la maison.
Je n’avais encore jamais franchi le pas en duo, en transportant quelqu’un ; pourtant, je n’hésitai pas. Je nous ramenai dans Les Grandes Espérances, directement dans la chambre de Miss Havisham à Satis House, où achevait de pourrir le banquet de noce qui n’avait jamais eu lieu, et où les horloges s’étaient arrêtées à neuf heures moins vingt. C’était ici que je l’avais rencontrée, et c’était ici que j’allais la voir pour la dernière fois. Je l’installai dans son lit, aussi confortablement que possible.
— Chère Thursday, dit-elle. Ils ont réussi à m’avoir, hein ?
— Qui ça, Miss Havisham ?
— Je n’en sais rien.
Elle se mit à tousser, et je crus un moment que ça ne lui passerait jamais.
— Vous êtes liée à moi, ma chère… Vous serez la prochaine !
— Mais pourquoi, Miss Havisham, pourquoi ?
Elle me saisit par le poignet et posa sur moi son regard gris perçant dont la détermination n’avait pas vacillé un seul instant.
— Tenez, fit-elle, me remettant son exemplaire du Petit Prince sous UltraWord™. Maintenant c’est à vous d’essayer !
— Mais…
— Je ne survivrai pas à ceci, chuchota-t-elle, mais j’ai encore assez de force pour soigner ma sortie. Donnez-moi du brandy et conduisez-moi à ma dernière apparition dans le livre ; je veux faire la paix avec Pip et Estella. Je pense que c’est mieux ainsi.
La nouvelle de l’accident de Miss Havisham se répandit comme une traînée de poudre dans Les Grandes Espérances. Je racontai qu’elle était tombée dans le feu et invitai Pip à venir improviser la scène de sa mort. Bien que perturbé, cela lui fournit un bon prétexte pour retourner à Satis House en vue de l’incident des fours à chaux. Ils en discutèrent ensemble, Pip et elle, et lorsqu’ils furent prêts, je lui fis mes adieux et quittai la pièce. J’attendis dehors, le cœur lourd ; je me raidis en entendant un cri strident et en voyant des reflets orangés sous la porte. Pip jura. Il y eut des bruits sourds et de nouveaux cris tandis qu’il étouffait les flammes avec sa cape. Je m’éloignai, les mâchoires serrées. Elle avait été tyrannique et odieuse à l’occasion, mais elle avait veillé sur moi et m’avait tout appris. Son souvenir resterait en moi jusqu’à la fin de mes jours.