MAUVAISE MÉMOIRE
Un faux berger joue à la flûte de Pan un air mélancolique. Couchée au milieu de la salle du banquet, la danseuse qui représente Ariane abandonnée semble endormie. Soudain, surgit Dionysos, son sauveur : il s’élance vers la belle dormeuse, baise son front, l’éveille, puis l’enveloppant de ses bras, butine ses lèvres. D’abord elle feint la pudeur, puis brusquement, en dansant, rend au dieu son baiser.
Les convives romains applaudissent ; les délégués rhodiens, mieux élevés, se bornent à claquer leur langue contre leur palais.
Une petite fille, qui somnolait sur le marchepied du lit où dîne sa mère, se réveille en sursaut. Devant elle, « Dionysos » et « Ariane » dansent en prenant des poses tendres. Après qu’Ariane lui a ôté sa couronne de lierre, le jeune dieu dénoue la ceinture virginale de sa fiancée. Ils s’embrassent à pleine bouche. Se fuient, se retrouvent, se caressent, et s’embrassent encore. « Ils se mangent », pense la petite fille étonnée.
Bientôt, à la vive satisfaction des invités, les danseurs n’ont plus l’air de comédiens dressés à la pantomime, mais d’amants pressés de satisfaire leur désir. Ils s’étreignent – tambourins, clochettes – puis, toujours enlacés, gagnent l’un des hauts lits du banquet. Quelques débauchés sans ceinture n’attendent pas le plat suivant : « Danse avec les dieux »…
De ce ballet qu’offrit, en Syrie, la reine d’Égypte pour ses noces, Séléné, fille des mariés, ne se souviendra jamais : effrayée, elle a fermé les yeux.