CHAPITRE III
 
Un beau jour… et une belle nuit

 

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« ESPÉRONS que nous ne mangerons pas tout ce soir et qu’il nous restera encore quelque chose pour le petit déjeuner », dit Claude, en fourrant les sandwiches dans le panier de sa bicyclette.

« Bas les pattes, Dago ! Ces sandwiches ne sont pas pour toi. Je t’ai acheté un énorme os à moelle... de quoi t’occuper pendant des heures !

— Mais ne le lui donne pas quand nous nous installerons pour passer la nuit, pria Annie. Il fait tellement de bruit à ronger et à croquer qu’il m’empêcherait de m’endormir.

— Rien ne m’empêcherait de dormir cette nuit, dit Mick. Je crois qu’un tremblement de terre ne me réveillerait pas. Je pense déjà avec plaisir à mon sac de couchage.

— À mon avis, ce ne sera pas la peine de dresser les tentes ce soir, dit François, regardant le ciel parfaitement clair. Je crois que nous pourrons nous enrouler simplement dans les sacs de couchage et dormir à la belle étoile.

— Ce sera formidable ! dit Annie. J’aime tellement regarder les étoiles !

— Bon, dit François. Partons donc. Nous avons bien tout ce qu’il nous faut. Quelqu’un est-il d’avis d’acheter encore quelque chose à manger ? »

Les paniers étaient tous pleins. Personne ne jugea nécessaire d’y mettre des provisions supplémentaires.

« Nous aurions pu en emporter davantage si Dago voulait bien porter ses os... je veux dire ceux qu’on lui a achetés, déclara Annie. Mon panier en est presque plein. Tu devrais bien apprendre à ton chien à porter sa nourriture, Claude. Je suis sûre qu’il est assez malin pour ça.

— Oh oui ! Il est assez malin, dit Claude. Mais il est beaucoup trop gourmand, Annie, tu le sais. Il s’arrêterait pile et mangerait tout d’un seul coup. Les chiens semblent capables d’engloutir n’importe quoi, n’importe quand.

— Ils ont bien de la chance, dit Mick. Je voudrais pouvoir en faire autant. Moi, je suis forcé de m’arrêter de temps en temps.

— Et maintenant, cherchons le lac, dit François en déployant la carte routière. Il n’est qu’à sept kilomètres environ. On l’appelle l’Étang Vert, mais il me paraît bien plus grand qu’un étang. Je prendrais un bain avec plaisir, tant j’ai chaud et tant je me sens sale. »

Ils arrivèrent au lac vers sept heures et demie. C’était un endroit ravissant, et, sur la rive, se trouvait une petite cabane dont les baigneurs devaient se servir, en été, pour passer leurs costumes de bain. Pour l’instant, elle était fermée et les rideaux étaient tirés.

« Je suppose que nous avons le droit de nous baigner, dit Mick d’un ton interrogateur. Nous ne risquons pas de nous mettre mal avec la loi ?

— Non, je ne vois aucune pancarte qui indique que c’est une propriété privée, dit François. L’eau sera plutôt fraîche, vous savez, car nous ne sommes qu’à la mi-avril. Mais le soleil a dû réchauffer le lac. Venez, allons mettre nos maillots de bain. »

Ils se changèrent derrière des buissons et coururent ensuite vers le lac. L’eau était très fraîche, en effet. Annie fit une trempette, puis ressortit aussitôt en déclarant que cela lui suffisait.

Claude et les garçons nagèrent un bon moment et émergèrent de l’eau, ruisselants et joyeux.

« Bigre, ce que c’était frisquet ! dit Mick. Faisons une petite course. Regardez Annie... elle est déjà rhabillée. Dago, où es-tu ? Toi aussi, tu as peur de l’eau froide ? »

Ils se mirent tous à courir comme des fous autour de l’Étang Vert. Annie s’occupait du dîner. Le soleil s’était couché, et, bien que la soirée fût encore très douce, la radieuse chaleur du jour avait disparu. Annie était heureuse d’avoir son blouson.

« Cette bonne vieille Annie ! » dit Mick lorsque lui et les autres vinrent la retrouver, après avoir eux aussi enfilé leurs blousons. « Regardez : elle a déjà préparé le repas. Tu es une vraie petite ménagère, Annie. Je parie que, si nous restions ici plus d’une nuit, tu installerais un garde-manger et un petit lavoir sur le lac... et que tu chercherais un arbre creux pour y mettre les balais !

Tu es stupide, Mick, répliqua Annie. Tu devrais être content que j’aime faire la cuisine et que je la fasse pour vous tous... Oh ! Dago ! Va-t’en ! Regarde-le, il a aspergé tout le dîner avec des milliers de gouttes d’eau ! Tu aurais dû l’essuyer, Claude. Tu sais bien qu’il se secoue comme un prunier après qu’il est allé nager.

— Excuse-moi, dit Claude. Dago, fais des excuses. Pourquoi es-tu toujours si brusque ? Si je me secouais comme toi, mes oreilles, mes cheveux et mes doigts iraient voler dans les airs ».

Ils firent un agréable dîner, assis là, dans la lumière du crépuscule et regardant les premières étoiles pointer au firmament. Les enfants et le chien étaient fatigués, mais heureux. C’était le début de leur randonnée — et les débuts sont toujours merveilleux — , une longue file de jours s’étendait devant eux et ils espéraient bien que le soleil brillerait chaque jour.

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Ils émergeaient de l’eau ruisselants et joyeux.

Ils ne mirent pas longtemps à se glisser dans leurs duvets. Ils s’étaient installés en cercle, de façon à pouvoir bavarder à leur guise. Dago était ravi. Il marcha d’un pas solennel sur tous les sacs de couchage et fut accueilli par des cris et des menaces.

« Dago ! Tu m’écrases !

— Espèce de sale chien ! Tu mets tes quatre pattes sur mon estomac !

— Claude, tu devrais empêcher Dago de nous marcher dessus comme ça. J’espère qu’il ne va pas continuer toute la nuit. »

Dago eut l’air tout surpris qu’on l’invectivât. Il s’installa près de Claude, après avoir vainement essayé d’entrer dans le sac de couchage. Claude détourna la tête pour éviter ses coups de langue.

« Dago, je t’aime beaucoup, mais je voudrais bien que tu ne me lèches, pas la figure... François, regarde cette étoile splendide ! On dirait une petite lampe. Qu’est-ce que c’est ?

— Ce n’est pas vraiment une étoile, c’est Vénus, l’une des planètes, répondit François d’une voix ensommeillée. Mais on l’appelle l’Étoile du Soir. Comment se fait-il que tu ne saches pas cela, Claude ? Qu’est-ce qu’on t’apprend donc à l’école ? »

Claude essaya de donner un coup de pied à son cousin à travers le sac de couchage, mais n’y parvint pas. Elle y renonça et poussa un bâillement si sonore que tous les autres se mirent à bâiller à leur tour.

Annie s’endormit la première. C’était la plus petite et elle se fatiguait plus vite que les autres, bien qu’elle s’efforçât toujours vaillamment de ne pas le laisser voir. Claude fixa un instant la belle étoile brillante, puis le sommeil la prit tout d’un coup. François et Mick bavardèrent tranquillement pendant quelques minutes. Dago ne bronchait pas. Il avait tellement galopé qu’il n’en pouvait plus !

Personne ne remua cette nuit-là, pas même Dago. Il ne fit aucune attention à une bande de lapins qui folâtraient non loin de lui. Il dressa à peine l’oreille lorsqu’un hibou ulula sur un arbre proche. Il ne bougea même pas lorsqu’un scarabée lui courut sur la tête !

Mais si Claude s’était réveillée et si elle avait prononcé son nom, Dago serait aussitôt sorti de son sommeil et serait allé lécher la petite fille, en grognant doucement. Claude était pour lui le centre de l’univers, qu’il fît jour ou nuit.

Le lendemain, le temps était beau et doux. Ce fut merveilleux de se réveiller sous la chaude caresse du soleil et d’entendre une grive chanter de tout son cœur.

« C’est peut-être la même grive qu’hier », songea Mick, encore à moitié endormi. Elle dit : « J’suis « tout’ouïe. J’suis tout’ouïe... » exactement comme l’autre. »

Annie se leva avec précaution. Elle se demanda si elle devait faire le petit déjeuner pour tout le monde. Mais peut-être les autres voudraient-ils d’abord se baigner.

François se dressa sur son séant et bâilla tout en se sortant du sac de couchage. Il adressa un sourire à sa sœur.

« Bonjour, as-tu bien dormi ? Ah ! Je me sens en pleine forme, ce matin.

— Et moi, je me sens plutôt courbatue. Mais ça passera. Claude, es-tu réveillée ? »

Claude poussa un grognement et s’enfonça encore plus profondément dans son duvet. Dago lui donna de petits coups de patte en gémissant plaintivement. Il voulait qu’elle se lève pour faire une course avec lui.

« Tais-toi, Dago, dit Claude des profondeurs de son sac. Je dors !

— Je vais me baigner, annonça François. Qui m’accompagne ?

— Pas moi, dit Annie, l’eau va être trop froide. Claude ne semble pas tenir à se baigner, non plus. Allez-y tous les deux, les garçons, je vais vous préparer votre petit déjeuner pendant ce temps-là. Je regrette de ne rien pouvoir servir de chaud à boire, mais nous avons oublié d’emporter une bouilloire. »

François et Mick, pas encore très bien réveillés, se dirigèrent vers le lac. Annie sortit de son sac de couchage et s’habilla rapidement. Elle décida d’aller jusqu’à l’étang, munie de son éponge et de sa serviette de toilette, pour se réveiller tout à fait en se trempant la figure dans l’eau froide. Claude dormait toujours.

Les deux garçons avaient presque atteint le lac. Ils l’apercevaient à travers les arbres, brillant comme une émeraude. Il donnait vraiment envie de s’y baigner.

Ils remarquèrent soudain une bicyclette posée contre un arbre. Ils la regardèrent, surpris. Ce n’était pas une des leurs.

Puis ils entendirent qu’on pataugeait dans l’eau du lac et coururent jusqu’à la rive. Quelqu’un s’y baignait-il ?

Il y avait un garçon dans l’eau. Sa tête blonde, toute humide, luisait sous le soleil. Il nageait à vigoureuses brassées, laissant derrière lui un long sillage. Apercevant François et Mick, il se dirigea vers eux.

« Salut ! dit-il en émergeant de l’eau. Vous venez nager ? Il est joli, hein, mon lac ?

— Que voulez-vous dire ? Ce n’est pas vraiment votre lac ? demanda François.

— C’est-à-dire qu’il appartient à mon père, Albert Quentin », dit le jeune garçon.

François et Mick avaient entendu parler d’Albert Quentin, l’un des hommes les plus riches du pays. François jeta un regard un peu inquiet.

« Si c’est un étang privé, nous n’irons pas dedans, dit-il.

— Mais si, venez » s’écria le garçon en les éclaboussant d’eau froide. Faisons la course jusqu’à l’autre bord ! »

Et tous les trois se mirent à nager, coupant l’eau de leurs bras tannés et robustes. C’était ce qui s’appelle bien commencer la journée !