CHAPITRE XVII
 
François a une idée de génie

 

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MARGOT avait mis des couverts et des assiettes au fond du panier. Il contenait aussi deux grandes bouteilles de lait, un gros pâté de viande, un assortiment de biscuits et des oranges. Margot avait été vraiment généreuse !

Les provisions furent rapidement enlevées du panier par les enfants qui les portèrent derrière les buissons. Ils s’assirent et commencèrent à déjeuner. Tout était très bon. Dago eut une grosse part de pâté et des biscuits. Il engloutit aussi le fromage et le pain rassis.

« Et maintenant, nous allons tout rincer sous ce robinet, là-bas, et remettre la vaisselle au fond du panier, dit François. Il ne faut pas que Margot ait des ennuis pour avoir été bonne avec nous. »

Les couverts et les assiettes furent bientôt lavés et remis dans le panier, sous le torchon.

Margot revint une demi-heure plus tard. Les enfants s’approchèrent d’elle et lui parlèrent à voix basse.

« Merci, Margot, c’était rudement bon !

— Je parie que La Bosse n’a pas eu un aussi bon déjeuner que nous !

— Chut ! dit Margot, contente et effrayée à la fois. On ne sait jamais si La Bosse n’est pas aux aguets. Il entend tout ! Écoutez : à l’heure du goûter, j’irai chercher des œufs au poulailler. J’aurai un panier avec moi... votre goûter sera dedans. Je le laisserai dans le poulailler où vous pourrez aller le prendre.

— Vraiment, Margot, vous êtes formidable » dit François d’un ton admiratif.

Margot rayonnait. Il était évident que, depuis des années, personne n’avait jamais dû adresser un compliment ou un mot aimable à la pauvre femme. Elle était ravie aussi de prendre cette petite revanche sur le bossu qui devait la traiter comme une esclave.

Elle reprit le panier et retourna vers la maison.

« Pauvre femme ! s’exclama Mick. Quelle existence !

— Oui... je n’aimerais pas être enfermé ici toute ma vie avec des bandits comme Bertaud et Julot, dit François.

— C’est pourtant ce qui va nous arriver si nous ne nous dépêchons pas de trouver un moyen de nous évader, fit observer Mick.

— Oui. Il faut réfléchir, dit François. Venez sous ces arbres. Nous pouvons nous asseoir sur l’herbe et discuter sans qu’on nous entende.

— Regardez : La Bosse nettoie la voiture, dit Claude. Je vais passer à côté de lui avec Dago qui va sûrement se mettre à gronder. La Bosse verra alors qu’il est toujours bien en vie. »

Elle s’approcha de la voiture avec Dagobert qui se mit bien entendu à grogner férocement en apercevant le bossu. Celui-ci entra vivement dans la voiture et en ferma la portière. Claude se mit à rire.

« Bonjour, dit-elle. Vous allez vous promener ? Est-ce que Dago et moi nous pouvons vous accompagner ? »

Elle fit mine d’ouvrir la portière. La Bosse se mit à crier :

« Va-t’en, sale chien ! J’ai vu la main de Julot... il a un doigt en compote. Je ne veux pas que ce chien me morde aussi !

— Emmenez-nous promener, insista Claude. Dago adore ça.

— Allez-vous-en » s’écria le bossu, se cramponnant à la poignée de la porte. Il faut que cette voiture soit nettoyée avant ce soir. Laissez-moi en sortir et terminer mon travail. »

Claude lui adressa un sourire narquois et alla rejoindre les autres.

« Eh bien, il a pu voir que Dago se portait fort bien, dit Mick, en riant. Heureusement pour nous ! Nous serions encore plus en danger si le vieux Dago n’était pas avec nous. »

Ils allèrent s’asseoir sous les arbres.

« Qu’a dit La Bosse au sujet de la voiture ? » demanda François. Claude le lui dit, et François prit un air songeur. Annie comprit qu’il était en train de préparer un plan.

« François, tu as une idée en tête, n’est-ce pas ? demanda-t-elle. Qu’est-ce que c’est ?

— Eh bien, je me disais ceci : cette voiture va peut-être sortir, ce soir, et, en ce cas, on ouvrira le portail...

— Et alors ? Tu pensais partir avec elle ? interrogea Mick.

— Eh bien, oui, dit François. Vous comprenez, s’ils ne partent pas avant la nuit, je crois que j’aurai le temps de me cacher dans le coffre à bagages. J’y resterai jusqu’à ce que la voiture s’arrête quelque part. Alors, je sortirai du coffre et j’irai chercher de l’aide. »

Tout le monde le regarda en silence. Les yeux d’Annie brillaient d’admiration.

« Oh ! François, quelle idée formidable »

— Elle me paraît excellente, dit Mick.

— La seule chose... c’est que j’aurai peur de rester ici sans François, dit Annie, subitement inquiète.

— Moi, je pourrais y aller, dit Mick.

— Ou moi, dit Claude. Seulement, il n’y aurait plus assez de place pour Dago.

— Le coffre à bagages semble très vaste, vu du dehors, déclara François. J’aurais bien aimé emmener Annie avec moi, comme cela, je saurais que rien ne peut plus lui arriver. Et vous autres, vous auriez Dago comme protecteur. »

Ils discutèrent longuement de ce projet. Vers l’heure du goûter, ils s’interrompirent en voyant Margot arriver avec son panier. Elle leur fit signe de ne pas s’approcher d’elle, craignant que La Bosse ne fût aux aguets. Ils restèrent donc où ils étaient et la virent entrer dans le poulailler. Au bout d’un petit moment, elle en ressortit avec un panier plein d’œufs frais et se dirigea vers la maison sans jeter un regard aux enfants.

« Je vais voir si elle a laissé quelque chose dans le poulailler », dit Mick, et il y alla. Quand il revint, ses poches étaient gonflées de bonnes choses !

Margot avait laissé une douzaine de sandwiches variés, un gros morceau de clafoutis et une bouteille de lait. Les enfants se cachèrent derrière des buissons et Mick vida ses poches.

« Elle a même pensé à un os pour Dago, dit-il.

— Je suppose qu’il est bon », dit Claude, un peu inquiète.

François examina l’os.

« Il est parfaitement frais, et il n’est sûrement pas empoisonné. D’ailleurs Margot ne ferait jamais une chose pareille. Venez, allons goûter. »

Ils se sentirent désœuvrés après le goûter, et François organisa des concours de saut et de course à pied. Dago aurait été vainqueur à tous les coups, évidemment, s’il avait été considéré comme un véritable concurrent. Mais il était hors de jeu, ce qui ne l’empêcha pas de courir et de sauter avec ses amis. Il aboya même si fort que M. Bertaud se mit à la fenêtre et lui cria de se taire.

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« Excusez-le, cria Claude à son tour, mais Dago se sent particulièrement en forme aujourd’hui.

— M. Bertaud va passer un bon savon à La Bosse pour n’avoir pas réussi à empoisonner le chien ! » déclara François en souriant.

Lorsque la nuit commença à tomber, les enfants se dirigèrent prudemment vers la voiture. La Bosse avait fini de la nettoyer. François ouvrit le coffre et y jeta un coup d’œil. Il poussa une exclamation déçue. « C’est trop petit ! Je n’arriverai jamais à me cacher là-dedans et toi non plus, Mick.

— C’est moi qui irai, alors, dit Annie à mi-voix.

— Certainement pas, dit François.

— Eh bien, moi, je vais y aller, dit Richard, à la grande surprise des autres. J’aurai juste la place.

Toi ! dit Mick. Mais tu auras une peur bleue. » Richard garda un moment le silence.

« Oui, j’aurai peur, admit-il. Mais je suis tout de même prêt à le faire. Et j’agirai de mon mieux, si vous me laissez partir. Il n’y a pas le choix. François ne veut pas qu’Annie y aille, Claude ne peut pas se cacher là-dedans avec Dago, et c’est trop petit pour vous autres, les garçons. »

Tout le monde le regardait d’un air étonné. Cela ne ressemblait guère à Richard de faire un acte de générosité ou de courage. Français demeurait incrédule.

« Tu sais, Richard, dit-il, c’est très sérieux ce que tu vas faire là. Je veux dire... si tu commences, il faudra aller jusqu’au bout et ne pas te mettre à hurler en route, sinon les hommes t’entendront et...

— Je sais, dit Richard. Mais je suis sûr que tout ira bien. Si seulement vous me faisiez un peu confiance...

— Jusqu’à maintenant, tu n’as guère montré de courage », fit observer François.

Annie tira son frère par la manche.

« François, je crois que je comprends, dit-elle. Cette fois, Richard pense à nous au lieu de penser à lui. En tout cas, il essaie. Donnons-lui l’occasion de montrer qu’il a du courage, lui aussi.

— Bon, dit François. C’est toi qui partiras, Richard. Nous serons très heureux que tu réussisses.

— Dis-moi exactement ce que j’aurai à faire, murmura Richard, s’efforçant d’empêcher sa voix de trembler.

— Eh bien, une fois que tu seras dans le coffre à bagages, nous t’y enfermerons. Dieu sait combien de temps tu auras à attendre. Et ce ne sera ni drôle, ni confortable d’être enfermé dans le noir, dit François. Ça le sera encore moins quand la voiture roulera !

— Pauvre Richard, dit Annie.

— Dès que la voiture s’arrêtera et que tu entendras les hommes en sortir, attends un bon moment et puis va directement à la gendarmerie, continua François. Raconte toute l’histoire, mais rapidement, et donne l’adresse suivante : taverne de la Chouette, colline de la Chouette, à quelques kilomètres des bois de Guimillau... les gendarmes feront le reste. Tu as bien compris ?

— Oui, dit Richard.

Veux-tu toujours partir, maintenant que tu sais ce que tu risques ? interrogea Mick.

— Oui », répéta Richard. Annie lui serra vigoureusement la main.

« Richard, tu es un chic garçon, dit-elle, et j’avais cru que... que tu n’en étais pas un ! »

François lui donna une bourrade amicale.

« Eh bien, Richard, si tu réussis, ça fera oublier toutes les bêtises que tu as faites. Et maintenant... fourre-toi là-dedans sans tarder. Nous ne savons pas à quel moment M. Bertaud va prendre la voiture.

— Oui, je vais m’y mettre tout de suite », dit Richard qui se sentait plein de courage après les preuves d’amitié que François et Annie venaient de lui donner.

François ouvrit le coffre et en examina l’intérieur.

« Je ne crois pas que Richard puisse l’ouvrir de l’intérieur, dit-il. Non, ce ne serait pas possible. Alors, il ne faut pas le fermer complètement. Je vais le laisser entrouvert en y mettant un petit morceau de bois. Cela donnera un peu d’air à Richard et, ainsi, il pourra ouvrir le coffre sans mal. »

Mick lui apporta un bout de bois. Richard entra dans le coffre et s’y recroquevilla. Même pour lui, la place manquait. François plaça le morceau de bois de façon à laisser un espace d’un centimètre entre le couvercle du coffre et sa base.

Mick le poussa du coude.

« Vite... on vient ! »

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