CHAPITRE XVIII
À la poursuite de Richard !
M. BERTAUD se tenait dans l’encadrement de la porte d’entrée où sa silhouette se découpait, sur le fond éclairé du hall. Il parlait à Julot qui, apparemment, ne devait pas partir avec lui. M. Bertaud devait, semblait-il, s’en aller seul en voiture.
« Bonne chance, Richard ! » murmura François. Puis il se cacha avec les autres derrière les arbres. Ils demeurèrent un moment dans l’obscurité, à observer M. Bertaud qui se dirigeait vers la voiture. Il y monta et claqua la portière. Dieu soit loué ! Il n’avait rien eu à mettre dans le coffre.
Le moteur ronronna et la voiture s’éloigna le long de l’allée. On entendit le grondement qui annonçait l’ouverture du portail.
Un instant plus tard, l’auto klaxonnait, ce qui devait être un signal convenu pour dire que le portail pouvait être refermé. En effet, les enfants entendirent les grilles grincer et se rabattre.
Ils demeurèrent un moment immobiles et silencieux, songeant à Richard blotti dans le coffre.
« Je ne l’aurais jamais cru capable de cela, murmura Claude.
— Moi non plus, mais on ne sait jamais de quoi les gens sont capables, dit François songeusement. Je suppose que le plus lâche des hommes, le plus mauvais, le plus malhonnête peut parfois faire quelque chose de bien, s’il le désire vraiment.
— Oui, mais il le désire rarement ! répondit Mick. Tiens, voilà Margot qui nous appelle de la cuisine. »
Ils s’approchèrent d’elle.
« Vous pouvez rentrer maintenant, leur dit-elle-Je ne peux pas vous donner grand-chose à manger, parce que La Bosse est là, mais je mettrai des biscuits dans votre chambre, sous les couvertures. »
Ils pénétrèrent dans la cuisine. Elle était accueillante, avec son bon feu de bois dans la cheminée et la lumière douce de sa lampe à pétrole. La Bosse nettoyait quelque chose dans un coin. En voyant les enfants, il leur jeta un de ces regards menaçants dont il avait le secret.
« Faites sortir ce chien d’ici ! grommela-t-il.
— Non, dit Claude.
— Eh bien, je vais le dire à Julot », rétorqua La Bosse. Ni lui ni Margot ne s’étaient aperçus qu’il n’y avait plus que quatre enfants au lieu de cinq.
« Eh bien, si Julot vient ici, Dago lui mordra l’autre main, j’en suis certaine, dit Claude. Et d’ailleurs... ne sera-t-il pas surpris de voir que mon chien se porte comme le Pont Neuf ? »
Cela termina la discussion sur Dagobert. Margot plaça silencieusement sur la table les restes d’un gâteau de riz.
« Voilà votre dîner », dit-elle.
Une fois partagé en quatre, il n’y en avait pas lourd. Au moment où les enfants terminaient ce maigre repas, La Bosse sortit de la cuisine. Margot murmura aussitôt :
« J’ai entendu la radio à six heures. Il y a eu un message de la police au sujet de l’un de vous... appelé Richard. Sa mère a signalé sa disparition.
— Alors, les gendarmes seront bientôt ici, dit Mick.
— Savent-ils où vous êtes ? » demanda Margot, d’un ton surpris. Mick secoua la tête.
« Pas encore, mais je suppose qu’ils ne vont pas tarder à trouver notre piste. »
Margot semblait incrédule.
« On n’a jamais découvert les gens cachés ici, à ma connaissance. Les gendarmes sont venus une fois chercher quelqu’un, et M. Bertaud les a laissés entrer. Il était tout miel. Les gendarmes ont fouillé partout pour découvrir la personne qu’ils cherchaient, mais ils ne l’ont pas trouvée. »
François donna un coup de coude à son frère. Il croyait savoir où les gendarmes auraient pu trouver l’individu en question : dans la petite chambre secrète, derrière le panneau mobile.
« C’est bizarre, dit François, je n’ai pas vu de téléphone ici. Il n’y en a pas ?
— Non, dit Margot. Ni téléphone, ni gaz, ni électricité, ni eau courante, rien. Seulement des secrets et des signaux et des allées et venues et des menaces et... »
Elle se tut en voyant approcher La Bosse et se dirigea vers la grande cheminée où une bouilloire chantonnait sur le feu de bois. La Bosse se tourna vers les enfants.
« Julot veut voir celui d’entre vous qui s’appelle Richard, dit-il avec un horrible sourire. Il veut le dresser un peu, qu’il a dit. »
Les quatre enfants remercièrent le Ciel que Richard ne fût plus là. Ils devinaient que le « dressage » de Julot serait loin d’être fait par la douceur. Ils se regardèrent les uns les autres, puis jetèrent un coup d’œil autour de la pièce.
« Richard ? Où est Richard ?
— Que voulez-vous dire : où est Richard ? s’écria le bossu d’une voix menaçante qui fit grogner Dago. L’un de vous est Richard... c’est tout ce que je sais.
— Mais... mais il y avait cinq enfants et il n’y en a plus que quatre ! s’exclama Margot, ébahie. Je viens juste de m’en apercevoir. C’est Richard qui manque ?
— Ah ça ! où donc est passé Richard ? fit François, feignant la stupéfaction. Richard ! Où es-tu ? »
La Bosse fulminait.
« N’essayez pas de me rouler, grommela-t-il. L’un de vous est Richard. Lequel ?
— Aucun de nous n’est Richard, rétorqua Mick. Mais, où peut-il bien être ? Crois-tu qu’il soit resté dans le parc, François ?
— Probablement », dit François. Il alla à la fenêtre et l’ouvrit en grand. « Richard ! appela-t-il. On te demande, Richard ! »
Mais, bien entendu, personne ne répondit. Richard était loin, dans le coffre de la voiture noire !
On entendit un bruit de pas précipités dans le hall, et la porte de la cuisine s’ouvrit brusquement. Julot était là, les sourcils froncés, la main enveloppée d’un énorme pansement. Avec un aboiement furieux, Dagobert voulut se précipiter sur lui. Claude l’en empêcha juste à temps.
« Ce sale chien ! J’avais pourtant dit qu’il fallait l’empoisonner ! hurla Julot. Pourquoi ne m’as-tu pas amené ce garçon, La Bosse ? »
Le nabot semblait terrorisé.
« Il n’a pas l’air d’être ici, répondit-il. À moins que ce soit un de ces gosses-là. »
Julot jeta un regard aux enfants.
« Non... ce n’est pas l’un de ceux-ci, dit-il. Où est Richard ? demanda-t-il à François.
— Je viens de l’appeler à tue-tête, dit François en feignant l’étonnement. C’est drôle. Il a été avec nous toute la journée dans le parc et maintenant il n’est plus là. Voulez-vous que j’aille à sa recherche ?
— Je vais l’appeler encore une fois, dit Mick en se dirigeant vers la fenêtre. Richard !
— Taisez-vous ! commanda Julot. C’est moi qui vais aller le chercher ! Où est ma lampe électrique ? Donnez-la moi, Margot. Quand je retrouverai ce garçon, il lui en cuira. Oh oui ! il lui en cuira ! »
— Je viens avec vous, dit La Bosse. Allez d’un côté et moi de l’autre.
— Va chercher Marcel et Fred », ordonna Julot. La Bosse alla trouver Marcel et Fred qui devaient être, se dirent les enfants, les autres hommes arrivés avec Julot la veille au soir.
Julot, muni de sa grosse lampe électrique, sortit de la cuisine. Annie frissonna. Elle était vraiment heureuse que Richard ne pût être retrouvé. Bientôt les enfants entendirent des voix dans le parc : les quatre hommes se séparaient en deux groupes et commençaient à fouiller partout.
« Où est-il donc, ce pauvre garçon ? murmura Margot.
— Je n’en sais rien », répondit François, ce qui était en partie vrai. François n’avait pas l’intention de mettre Margot au courant, bien qu’elle se montrât si gentille pour eux.
Elle sortit de la pièce, et les enfants s’assemblèrent pour discuter à voix basse.
« Ah ! c’est vraiment une chance que Richard soit parti dans l’auto, murmura Claude.
— Oui, ma parole ! L’expression de Julot quand il est entré vous donnait le frisson, dit François.
— Eh bien, Richard a été déjà récompensé de son courage, fit observer Annie. Il a évité d’être « dressé » par Julot ! »
François regarda la pendule de la cuisine.
« Regardez... il est presque neuf heures. Il y a un poste de radio à piles sur cette étagère. Voyons s’il y a un message qui nous concerne ou qui concerne Richard. »
Il tourna le bouton et une ou deux minutes après, les enfants entendirent le message suivant :
« On recherche Richard Quentin, disparu de son domicile depuis mercredi. Signalement : âgé de douze ans, mince, les cheveux blonds, les yeux bleus, portant un short gris, un chandail gris et un blouson de cuir. Probablement à bicyclette. »
Le message se termina par le numéro de téléphone de la gendarmerie. Il ne fut pas question de François et des autres. Les enfants se sentirent soulagés. « Cela signifie que maman ne s’inquiète pas, dit Claude. Mais cela signifie aussi que, si Richard ne trouve pas de l’aide, personne ne découvrira où nous sommes. Si personne ne s’aperçoit que nous avons disparu, personne ne s’inquiétera de nous rechercher... et moi, je ne tiens vraiment pas à rester ici plus longtemps. »
Aucun n’y tenait, évidemment. Il n’y avait plus d’espoir qu’en Richard. Il ne semblait guère digne de confiance, mais on ne savait jamais ! Peut-être réussirait-il à s’échapper du coffre et à alerter les gendarmes.
Une heure plus tard, Julot et les autres revinrent. Ils semblaient exaspérés.
Julot se tourna vers François :
« Qu’est-il arrivé à ce garçon ? Vous devez le savoir, vous !
— Grrr ! » fit aussitôt Dagobert. Julot ordonna à François de le suivre dans le hall. Il ferma la porte de la cuisine et se mit à crier :
« Eh bien... vous avez entendu ce que j’ai dit ? Où est ce garçon ?
— Il n’est pas dans le parc ? demanda François, prenant un air inquiet. Mon Dieu, qu’a-t-il bien pu lui arriver ? Je vous affirme qu’il a été avec nous toute la journée. Margot et La Bosse vous diront comme moi.
— Je sais, dit Julot, mais ce gosse n’est plus dans le parc. Nous l’avons passé au crible. Où est-il ?
— N’est-il pas dans la maison ? interrogea François d’un ton innocent.
Comment pourrait-il y être ? gronda Julot. Les portes ont été fermées à clef toute la journée, sauf au moment où Bertaud est sorti. Et Margot et La Bosse jurent que le gosse n’est pas entré dans la cuisine.
— Alors, c’est un mystère, dit François. Voulez-vous que je fouille la maison ? Les autres pourraient m’aider. Peut-être que le chien retrouvera sa trace.
— Je ne veux pas que ce chien sorte de la cuisine, dit Julot. Ni lui ni aucun de vous ! Je suis sûr que ce garçon est caché quelque part, et qu’il se moque de nous... et je suis sûr aussi que vous savez où il est.
— Je n’en sais rien, dit François, et c’est la vérité.
— Si je le retrouve, je... je lui... » Julot s’interrompit. Les mots lui manquaient pour décrire le châtiment qu’il infligerait au pauvre Richard... s’il le trouvait !
Il alla rejoindre les autres, en grommelant entre ses dents. François était bien content de savoir Richard hors d’atteinte. C’était le hasard qui en avait décidé ainsi... et quel heureux hasard ! Où était Richard, à présent ? Que faisait-il ? Était-il toujours dans le coffre ? François aurait donné beaucoup pour le savoir.