CHAPITRE VIII
 
Que faut-il faire ?

 

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COURANT péniblement à travers le bois sombre, François et Claude se hâtaient autant qu’ils le pouvaient. Dago galopait, lui aussi, comprenant que quelque chose inquiétait ses amis. Richard suivait derrière, en pleurnichant. Il avait vraiment eu une peur terrible.

Ils arrivèrent enfin à la petite clairière où ils avaient projeté de passer la nuit. Il faisait très sombre. François appela d’une voix sonore :

« Mick ! Annie ! Où êtes-vous ? »

Claude s’était approchée de l’endroit où elle avait caché sa bicyclette. Elle en alluma la lanterne à pile et la dirigea tout autour de la clairière. Elle vit le vélo de Mick, avec la trousse à outils posée à terre... mais ni Mick ni Annie n’étaient là !

« Annie ! hurla François, angoissé. Mick ! Où êtes-vous ? »

Alors, une petite voix tremblante se fit entendre en haut d’un arbre.

« François » Je suis là »

— C’est Annie ! cria le garçon, le cœur bondissant de soulagement. Annie, où es-tu ?

Tout en haut de l’arbre ! répondit la fillette d’une voix mieux assurée. Oh ! François, ce que j’ai eu peur, je n’osais même pas descendre ! Mick...

— Où est-il ? » interrompit François.

Il entendit un sanglot.

« Deux hommes sont venus... et ils l’ont emmené. Ils l’ont pris pour Richard ! »

La voix d’Annie se brisa. François songea qu’il fallait d’abord la faire descendre de son arbre et la consoler. Il dit à Claude :

« Braque ta lampe vers le haut de l’arbre. Je vais aller chercher Annie. »

Claude obéit silencieusement. François grimpait comme un chat. Il arriva jusqu’à Annie qui se cramponnait toujours à sa branche.

« Annie, je vais t’aider à descendre. Viens... N’aie pas peur, je suis juste au-dessous de toi, je vais te guider. »

La pauvre Annie tremblait de froid et elle était encore bouleversée. Elle descendit lentement, avec l’assistance de François qui la posa à terre.

Elle s’accrocha à lui, et il lui passa un bras autour des épaules.

« Tout va bien, Annie, je suis là. Et voici Claude... et notre brave Dago.

— Et qui est avec vous ? » interrogea Annie en apercevant subitement Richard, caché dans l’ombre.

« C’est Richard. Il s’est mal conduit, ajouta François d’un ton sévère. C’est à cause de lui et des bêtises qu’il a faites que tout est arrivé. Et maintenant, Annie, raconte-nous tout, sans rien oublier, au sujet de Mick et de ces deux hommes. »

Annie commença son récit, prenant soin de ne rien omettre. Dago ne la quittait pas des yeux et lui léchait la main sans arrêt, ce qui était très réconfortant pour elle. Le bras de François autour de ses épaules et la langue de Dago sur sa main rendaient à Annie son courage »

« Tout est clair », dit François lorsque sa sœur eut terminé son dramatique récit. « Cet homme, ce Julot, a reconnu Richard, et lui et ses complices lui ont donné la chasse, pensant pouvoir l’enlever et se venger ainsi de son père. Julot était le seul à connaître Richard et ce n’est pas lui qui a emmené Mick. Ce sont les deux autres. Voyant un garçon seul avec une bicyclette, ils ont cru que c’était celui qu’ils recherchaient.

— Mick leur a pourtant dit qu’il n’était pas Richard ! s’écria Annie.

— Bien sûr. Mais ils ont pensé qu’il mentait, répondit François. Et c’est pourquoi ils l’ont emmené quand même. Comment s’appelle l’endroit où ils allaient ?

Je crois que c’était la taverne de la Chouette, dit Annie. Pouvons-nous y aller, François ? Si tu disais à ces hommes que Mick est Mick et pas Richard, ils le laisseraient partir ?

— Oui, je suppose. En tout cas, dès que ce Julot aura vu Mick, il comprendra que les autres ont fait erreur. Je crois que nous allons pouvoir sortir Mick de ce mauvais pas. »

Une voix s’éleva de l’ombre :

« Et moi ? Vous ne voulez pas me ramener d’abord à la maison ? Je ne veux pas risquer de rencontrer Julot une nouvelle fois.

— Je ne vais certainement pas perdre du temps à te ramener chez toi, dit froidement François. C’est à cause de toi et de ta conduite idiote que nous en sommes là. Il va falloir que tu viennes avec nous. Je vais d’abord essayer de retrouver Mick.

— Mais je ne veux pas venir avec vous ! J’ai peur de Julot ! gémit Richard.

— Alors, reste ici », dit François, décidé à donner une leçon au jeune garçon.

Ce fut pis. Richard se mit à hurler :

« Ne me quittez pas ! Ne me quittez pas !

— Écoute, dit François, exaspéré, si tu viens avec nous, nous pourrons toujours te déposer à la gendarmerie d’où on te ramènera chez toi. Tu es assez grand pour veiller sur toi-même. Ne continue pas à pleurnicher ! »

Annie avait pitié de Richard, bien qu’il fût responsable de ce qui était arrivé. Elle savait combien il était pénible d’avoir peur. Elle posa gentiment la main sur la manche du jeune garçon.

« Richard, tu n’es plus un bébé. François fera de son mieux pour qu’il ne t’arrive rien. Pour le moment, il est fâché contre toi, mais ça ne durera pas.

— N’en sois pas si sûre ! » dit François à sa sœur d’un ton sévère. (En réalité, il avait déjà à moitié pardonné à Richard.) « Ce qu’il faudrait à Richard, c’est une bonne correction. Il est menteur et lâche !

Je... Donne-moi encore une chance de prouver que je ne le suis pas ! » balbutia Richard, presque en larmes. Il aurait voulu pouvoir détester François, qui lui parlait comme personne ne l’avait jamais fait, mais, chose curieuse, il ne faisait que l’admirer encore davantage.

François ne répondit pas. Il se disait que Richard ne les aiderait en rien et ne ferait probablement que leur compliquer les choses.

« Qu’allons-nous faire, François ? » demanda Claude qui avait gardé le silence. Elle aimait bien Mick et s’inquiétait beaucoup à son sujet. Où était la taverne de la Chouette ? Comment pourraient-ils la trouver en pleine nuit ? Et ces bandits ? Comment réagiraient-ils à l’égard de François si celui-ci venait réclamer son frère ? François était intrépide... mais les bandits ne l’en aimeraient pas plus pour cela.

« Oui, qu’allons-nous faire ? » répéta François.

— Je crois que ce n’est pas la peine de retourner à la ferme et d’y demander de l’aide, dit Claude après un silence.

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Annie avait pitié de Richard.

— Sûrement pas, répondit aussitôt François. Cet homme-là n’aiderait jamais personne. Et nous avons vu qu’il n’y avait pas de téléphone. Non... inutile de retourner à la ferme. C’est dommage !

— Où est la carte ? demanda Claude, frappée d’une idée subite. Crois-tu que la taverne de la Chouette y serait indiquée ?

— J’en doute, dit François.

— En tout cas, examinons la carte et voyons s’il s’y trouve d’autres fermes ou d’autres villages », dit Claude qui éprouvait le besoin de faire quelque chose, ne fût-ce que regarder une carte. François sortit la sienne et la déplia. Les fillettes et lui l’examinèrent à la lueur de la lanterne de bicyclette, et Richard se pencha au-dessus de leurs épaules. Dago essaya lui aussi de regarder en glissant sa tête sous leurs bras.

« Tenez, voilà où nous sommes : les bois de Guimillau. Mon Dieu, c’est vraiment un endroit isolé ! Il n’y a pas un seul village à proximité ! »

En effet, aucun village n’était visible sur la carte. Celle-ci indiquait .les collines et les bois, avec une rivière çà et là et des chemins de campagne, mais ni village, ni église, ni pont...

Annie poussa soudain une exclamation et désigna le contour d’une colline dessinée sur la carte.

« Regardez ! Vous voyez comment s’appelle cette colline ?

— La colline de la Chouette, dit François. Oui, je vois où tu veux en venir, Annie. S’il y a une maison par-là, elle se nomme peut-être la taverne de la Chouette, à cause de cette colline. Et... mais il y a aussi un bâtiment de marqué ! Il n’a pas de nom, bien entendu. C’est peut-être une ferme en ruine ? Ou une grande maison autrefois célèbre ?

— Moi, je crois que ça doit être la taverne, dit Claude. Et même, je le parierais. Prenons nos bicyclettes et allons-y. »

Un profond soupir poussé par Richard attira leur attention.

« Qu’est-ce qu’il y a encore ? demanda François.

— Rien. J’ai faim, c’est tout. »

Les autres se rendirent brusquement compte qu’eux aussi avaient faim — terriblement faim ! De longues heures s’étaient écoulées depuis le goûter.

François se demanda s’il fallait manger maintenant les vivres achetés à la ferme ou s’il valait mieux attendre et faire un repas en route.

« Mieux vaut manger en marchant, dit-il enfin. Chaque minute que nous perdons est une minute d’inquiétude pour Mick.

— Je me demande ce qu’ils feront de lui quand Julot les aura détrompés, dit Richard.

— Ils le laisseront partir, je suppose, répondit Claude. Ils le relâcheront probablement dans la campagne sans s’inquiéter de savoir s’il va retrouver sa maison ou non. Il faut absolument que nous découvrions ce qui s’est passé — que Mick soit encore là-bas ou qu’il soit libre.

— Je ne peux pas venir avec vous, gémit brusquement Richard.

— Et pourquoi ? questionna François.

— Parce que je n’ai pas mon vélo, dit Richard d’un ton plaintif. Je l’ai caché... mais je ne me rappelle pas où. Je ne le retrouverai jamais.

— Tu peux prendre celui de Mick, dit Annie. Il est là-bas... le pneu est même réparé.

— Ah ! c’est vrai, dit Richard soulagé. Sapristi, j’ai eu peur ! J’ai cru que j’allais être forcé de rester en arrière. »

François souhaita silencieusement pouvoir laisser Richard vraiment en arrière. Il ne valait pas la peine qu’on se donnât tant de mal pour lui.

« Oui, tu peux prendre la bicyclette de Mick, dit-il. Mais ne fais pas de stupidités avec, comme de rouler sans tenir le guidon ou autres trucs de garçon-livreur. C’est la bicyclette de Mick, pas la tienne. »

Richard ne dit rien. François le traitait durement, songeait-il. Il l’avait mérité, sans doute, mais ce n’était pas agréable, ces rebuffades. Il prit la bicyclette de Mick et s’aperçut que la lanterne manquait. Il la chercha et la trouva finalement au sol. Mick l’avait laissée tomber, et le petit commutateur s’était tourné de lui-même au moment où la lampe avait heurté la terre. Mais lorsque Richard appuya sur le bouton, la lumière se fit.

« Maintenant, partons, dit François, en montant sur sa machine. Il faut que nous trouvions aussi vite que possible la taverne de la Chouette ».