CHAPITRE X
 
La taverne de la Chouette

 

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ILS REPARTIRENT, pédalant ferme sous le beau clair de lune. Même lorsque la lune se cachait derrière un nuage, on y voyait assez pour se passer des lanternes. Ils parcoururent un bon nombre de kilomètres, puis arrivèrent devant une haute colline.

« Est-ce la colline de la Chouette ? » demanda Annie tandis qu’ils mettaient tous pied à terre, car la côte était trop escarpée pour la monter à bicyclette.

« Oui, dit François, du moins, je le crois. Mais allons-nous trouver la taverne en haut de cette colline ? Et comment saurons-nous si c’est bien la taverne de la Chouette ?

— Nous pourrons sonner et demander », dit Annie.

François se mit à rire. C’était bien d’Annie !

« Peut-être serons-nous obligés de faire cela, dit-il. Mais d’abord, explorons un peu les lieux. »

Ils poussèrent leurs bicyclettes le long de la route en pente. Des haies la bordaient et derrière elles s’étendaient des champs. « Regardez ! dit soudain Annie. Je vois une maison... en tout cas, je vois des cheminées ».

Ils suivirent du regard la direction de son doigt. Oui, on pouvait en effet voir des cheminées — de hautes cheminées en brique qui avaient l’air anciennes.

« C’est sûrement une vieille maison pour avoir des cheminées comme celles-ci, dit François. Et elle doit être grande. Nous devrions trouver un chemin qui y mène. »

Ils continuèrent à avancer. Petit à petit, la maison apparut plus clairement. Elle ressemblait plutôt à un manoir et, dans la lumière de la lune, elle paraissait belle et imposante.

« Voici le portail », dit François avec un soupir de soulagement. Il en avait assez de pousser sa bicyclette. « Il est fermé, mais pas à clef, j’espère. »

Au moment où ils approchaient des grandes grilles en fer forgé, elles s’ouvrirent lentement. Stupéfaits, les enfants s’immobilisèrent. Pourquoi s’ouvraient-elles ? Ou pour qui ? Certainement pas pour eux !

Puis ils entendirent le bruit d’une voiture à quelque distance de là. C’était pour elle, évidemment, que les portes s’ouvraient. Toutefois la voiture ne venait pas du bas de la colline — elle suivait l’allée allant de la maison au portail, de l’autre côté des grilles.

« Mettez-vous vite à l’abri, dit François. Ne nous faisons pas voir pour le moment. »

Ils se tapirent dans le fossé avec leurs bicyclettes tandis que la voiture passait lentement devant les grilles.

François poussa une exclamation et donna un coup de coude à Claude.

« Regarde ! C’est la voiture noire ! Le même numéro !

— Par exemple ! fit Claude, stupéfaite. Que fait-elle donc, la nuit, à rouler dans ce pays et à ramasser des hommes bizarres ? Et surtout pour les amener ici ! Je me demande si c’est là, la taverne de la Chouette ? »

La voiture passa devant eux et disparut dans un tournant. Les enfants, avec Dago et les bicyclettes, sortirent du fossé.

« Avançons avec précaution jusqu’au portail, dit François. Il est encore ouvert. C’est drôle, la façon dont il s’est ouvert tout seul ! »

Courageusement, ils s’approchèrent des portes.

« Regardez ! » dit François, désignant les piliers en brique où s’accrochaient les grilles. Les enfants obéirent et poussèrent tous une exclamation en lisant le nom inscrit sur l’un des piliers.

« Nous sommes bien à la taverne de la Chouette !

— Voilà le nom en lettres de cuivre : « Taverne de la Chouette ! » Nous l’avons trouvée !

— Venez », dit François en poussant sa bicyclette vers le portail. « Nous allons jeter un coup d’œil aux alentours. Peut-être aurons-nous la chance de retrouver Mick. »

Tous franchirent le portail... et, soudain, Annie saisit le bras de son frère, désignant les portes derrière elle.

Les portes se refermaient de nouveau ! Et personne n’y avait touché ! Elles se fermaient silencieusement et lentement, d’elles-mêmes. C’était là un spectacle à donner la chair de poule !

« Qui les ferme ? murmura Annie d’un ton terrifié.

— Je crois qu’il doit y avoir un système électrique, répondit François à voix basse. Ça vient sans doute de la maison. Retournons sur nos pas et regardons si nous découvrons un mécanisme de fermeture quelconque. »

Laissant leurs bicyclettes au bord de l’allée, ils revinrent vers le portail. François regarda s’il n’y avait pas une poignée ou une serrure. Mais il n’y avait rien.

Il tira sur les portes. Elles ne bougèrent pas. Impossible de les ouvrir, se dit-il. Elles avaient été hermétiquement fermées par un système quelconque, et rien ne permettait de les rouvrir.

« Quel désastre ! » s’exclama François, et il avait l’air si furieux que les autres lui jetèrent un regard surpris.

« Qu’y a-t-il ? demanda Claude.

Tu ne comprends pas ? Mais nous sommes prisonniers, comme Mick, s’il est vraiment ici. Nous ne pouvons plus ressortir par le portail ! Et si tu jettes un coup d’œil autour de toi, tu verras qu’un mur très haut entoure ce domaine. »

Ils revinrent songeusement à leurs bicyclettes.

« Il vaut mieux les poser contre les arbres et les y laisser, dit François. Elles nous gêneraient, si nous voulons examiner un peu les lieux. Espérons qu’il n’y a pas de chien ! »

Ils dissimulèrent les bicyclettes derrière les arbres bordant l’allée mal entretenue où les herbes poussaient à leur gré. On y voyait la trace de pneus de voitures.

« Faut-il marcher dans l’allée ou sur le côté ? demanda Claude.

— Sur le côté, dit François. Nous serions trop visibles au milieu, sous ce clair de lune. »

Ils demeurèrent donc à l’ombre des arbres. Bientôt la maison leur apparut à un détour du chemin.

Elle était très grande en effet et formait comme un E dont la barre centrale aurait manqué. Il y avait, devant, une cour où la mousse poussait entre les pierres. Un mur bas, d’un mètre de haut environ, entourait cette cour.

Une des pièces de l’étage supérieur et une pièce du bas étaient éclairées. À part cela, la maison était plongée dans l’obscurité.

« Faisons-en le tour, dit François à voix basse. Oh ! oh !... qu’est-ce que c’est que ça ? »

Un cri perçant les avait tous fait sursauter. Annie se cramponna au bras de son frère.

Ils s’arrêtèrent pour écouter.

Quelque chose passa dans l’air et frôla les cheveux de Claude. Elle faillit hurler, mais avant qu’elle en ait eu le temps, le cri se fit de nouveau entendre. Claude posa la main sur la tête de Dago, pour le rassurer, car il s’était mis à trembler.

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Et la maison leur apparut.

« Qu’est-ce que c’était, François ? chuchota-t-elle. Quelque chose ma touchée, mais c’est parti avant que j’aie pu, savoir de quoi il s’agissait.

— Écoute... ne t’inquiète pas. C’était une chouette — une effraie.

— Eh bien, elle n’a pas volé son nom, dit Claude soulagée. Naturellement... ce que j’ai été bête de ne pas y penser ! C’est une effraie en train de chasser. Tu as eu peur, Annie ?

— Oh ! là, si j’ai eu peur ! murmura Annie, en lâchant le bras de François.

— Et moi aussi, dit Richard dont les dents claquaient encore. J’ai failli prendre mes jambes à mon cou ! Et je l’aurais fait... si elles n’avaient pas été clouées au sol tellement j’avais la frousse ! »

La chouette poussa un nouveau cri et une autre lui répondit. Une troisième fit chorus, et la nuit fut déchirée par ces appels vraiment impressionnants.

« Je préfère le chat-huant, qui se contente de faire : ououou ! dit Claude. C’est même plutôt joli. Mais le cri des effraies..., c’est effrayant !

— Ce n’est pas étonnant que l’endroit se nomme la colline de la Chouette », dit François.

Les quatre enfants et Dago commencèrent à faire silencieusement le tour de la maison, se dissimulant autant qu’ils le pouvaient à l’ombre des arbres. À l’arrière de la maison, tout était sombre, à l’exception de deux longues fenêtres, dont les rideaux étaient tirés. François essaya de voir à travers la fente, entre les rideaux.

« C’est la cuisine, annonça-t-il aux autres. Elle est immense et éclairée par une grosse lampe à pétrole. Il y a une grande cheminée à un bout, avec des bûches qui brûlent.

— Vois-tu quelqu’un ? demanda Claude, essayant de regarder à son tour.

— Non, je ne vois personne », dit-il. Mais Claude poussa une exclamation et François l’écarta pour regarder de nouveau.

Il vit un homme se promener dans la pièce — un tout petit homme bossu dont la tête penchait de côté. Son visage reflétait la méchanceté. Derrière lui se trouvait une femme, maigre, mal vêtue, l’air malheureux.

L’homme s’assit sur une chaise et commença à bourrer sa pipe. La femme prit une bouilloire sur le feu et se mit à verser de l’eau dans des bouillottes.

« Ce doit être la cuisinière, dit François. Comme elle a l’air triste » Je me demande qui est cet homme — un domestique, je suppose. Il a vraiment une sale tête ! »

La femme adressa timidement la parole au bossu, mais François ne pouvait naturellement rien entendre du dehors. L’homme répondit brutalement, frappant du poing son genou tout en parlant.

La femme semblait le supplier. L’homme se mit en colère, saisit le tisonnier et l’en menaça. François se sentit horrifié. Pauvre femme ! Rien d’étonnant à ce qu’elle eût l’air malheureux si ce bossu la terrorisait ainsi !

Toutefois, l’homme ne la frappa pas ; il remit bientôt le pique-feu à sa place et se rassit. La femme ne dit plus rien et continua de remplir ses bouillottes.

Il raconta à ses camarades ce qu’il avait vu. Les enfants se sentirent inquiets. Si cet homme se conduisait ainsi, comment seraient les autres habitants de la maison ?

S’éloignant de la cuisine, ils firent le tour de la maison et arrivèrent devant une pièce éclairée. Mais cette fois, les rideaux étaient trop bien tirés pour que l’on pût voir à l’intérieur.

Le petit groupe leva les yeux vers la fenêtre éclairée tout en haut de la maison. Ce devait être un grenier. Mick y était peut-être.

Fallait-il essayer de jeter une pierre contre les vitres ? Il ne semblait y avoir aucun moyen de pénétrer dans la maison. La porte du devant était bien fermée à clef. Il y avait une porte de côté, également verrouillée. Pas une seule fenêtre n’était ouverte.

« Je crois que je vais jeter une pierre, dit enfin François. Je suis certain que Mick est là-haut, s’il est prisonnier ici. Tu es bien sûre d’avoir entendu ces hommes parler de la taverne de la Chouette, Annie ?

— Absolument sûre, dit sa sœur. Jette donc une pierre, François, je me fais tant de souci pour ce pauvre Mick. »

François chercha .une petite pierre. Il en trouva une enfouie dans la mousse qui poussait partout. Il la lança, mais elle arriva juste au-dessous de la fenêtre. François en prit une autre. Celle-là frappa la vitre avec un claquement sec. Quelqu’un s’approcha immédiatement de la fenêtre.

Etait-ce Mick ? Les enfants écarquillèrent les yeux pour mieux voir, mais la fenêtre était trop haute. François lança une troisième pierre, qui, elle aussi, frappa le carreau.

« Je crois que c’est Mick, dit Annie. Oh ! mon Dieu, non, ce n’est pas lui ! As-tu vu, François ? »

Mais la personne, quelle qu’elle fût, avait disparu de la fenêtre. Les enfants se sentirent mal à l’aise. Et si ce n’avait pas été Mick ? Si c’avait été un des bandits, parti chercher du renfort avant de passer à l’attaque ?

« Éloignons-nous, murmura François. Passons de l’autre côté de la maison. »

Ils contournèrent sans bruit le bâtiment... et soudain, Richard saisit le bras de François.

« Regarde, dit-il, il y a une fenêtre ouverte au rez-de-chaussée ! Nous pourrions passer par là. »

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