CHAPITRE XII
François explore la maison
LA FEMME leur apporta de quoi manger. Ce n’était que du pain beurré et de la confiture, avec du café chaud. Les quatre enfants n’avaient pas grand-faim, mais surtout soif, et ils burent le café avec plaisir.
Claude ouvrit la fenêtre et appela doucement le chien.
« Dago ! Tiens, voilà pour toi. »
Le chien était toujours là, aux aguets. Il savait que Claude n’était pas loin de lui, et après avoir hurlé pendant un moment, il s’était tu.
Claude était décidée à le faire entrer dans la maison dès qu’elle le pourrait. Elle lui donna tout son pain et sa confiture. Ainsi Dago saurait au moins qu’elle ne l’oubliait pas.
« Écoutez », dit François, revenant du couloir où il avait guetté un long moment. « Je crois que ce serait une bonne idée d’éteindre la lumière et de se coucher. Mais je vais arranger la couverture sur mon matelas, de façon que, si quelqu’un vient, l’on croie que je suis couché.
Où vas-tu aller ? demanda Annie. Ne nous quitte pas !
— Je vais me cacher dehors, dans ce placard, dit François. J’ai l’impression que notre charmant hôte, M. Bertaud, va venir nous enfermer et je n’ai pas l’intention d’être prisonnier dans cette chambre ! Je crois qu’il va regarder avec sa lampe électrique si nous sommes bien couchés, puis fermer la porte à clef. Moi je pourrai l’ouvrir de nouveau quand je sortirai du placard du couloir et je vous libérerai tous »
— Oh ! quelle bonne idée, s’écria Annie en s’enfouissant sous une couverture. Dépêche-toi de te mettre dans le placard, François, avant que cet homme vienne nous enfermer. »
François éteignit la lampe à pétrole et marcha à pas de loup vers la porte qu’il ouvrit et laissa entrebâillée. Puis il se dirigea vers le placard, dans l’obscurité. Il tourna la poignée de la porte qui s’ouvrit silencieusement et il se glissa à l’intérieur. Il laissa la porte un tout petit peu ouverte, afin de voir si quelqu’un approchait.
Il attendit une vingtaine de minutes. Le placard sentait le moisi et ce n’était pas amusant d’attendre là, sans rien faire.
Puis, par l’entrebâillement, il aperçut soudain une lumière. Ah !... quelqu’un venait !
Il regarda par la fente et vit M. Bertaud qui s’avançait le long du couloir, tenant une petite lampe à pétrole.
Il s’arrêta devant la pièce où couchaient les enfants et poussa légèrement la porte. François retenait son souffle.
L’homme s’apercevrait-il que, sur un des matelas, il n’y avait qu’une couverture roulée sur elle-même et cachée sous une autre couverture ? François priait le ciel que non ! Tous ses plans, en ce cas, tomberaient à l’eau !
Levant la lampe, M. Bertaud examina la chambre. Il distingua quatre formes allongées sur les matelas... et crut voir les quatre enfants !
Ils semblaient tous endormis. Doucement, M. Bertaud ferma la porte et tourna la clef dans la serrure. François l’observait anxieusement, craignant qu’il n’emportât la clef avec lui. Non... il la laissait dans la serrure ! Quelle chance »
L’homme s’éloigna de nouveau, mais il ne redescendit pas l’escalier ; il disparut dans une chambre donnant sur le couloir. François entendit qu’il en fermait la porte à clef. Décidément, cet homme n’avait pas confiance, ni en les enfants, ni même en ses propres complices »
François attendit un long moment, puis sortit de son placard. Il marcha jusqu’à la chambre où M. Bertaud s’était enfermé et regarda par le trou de la serrure pour voir si la pièce était ou non dans l’obscurité. Oui, la lumière était éteinte ! M. Bertaud était-il en train de ronfler ? François n’entendait rien.
Mais il n’avait pas l’intention d’attendre là plus longtemps. Il allait se mettre à la recherche de Mick, et il était certain que le premier endroit où il fallait le chercher était le grenier.
« Je parie que M. Bertaud était là-haut avec Mick et qu’il m’a entendu jeter des pierres contre les vitres, songea François. Et il est redescendu ouvrir la fenêtre du bas pour que nous soyons tentés d’entrer dans la maison.
Et nous avons donné tête baissée dans le piège ! Il me déplaît, cet homme, il est beaucoup trop malin ! »
Il monta à pas de loup l’escalier, craignant de faire craquer les marches. Elles craquaient, en effet, et le pauvre François s’arrêtait à chaque fois, prêtant l’oreille pour savoir si quelqu’un l’avait entendu.
Au sommet de l’escalier se trouvait un long corridor qui s’étendait à droite et à gauche. François s’immobilisa et réfléchit : quelle direction fallait-il prendre ? Où se trouvait exactement la fenêtre éclairée ? Elle était certainement dans une pièce de ce long couloir. « Eh bien, se dit François, je vais passer devant toutes les portes et voir si j’aperçois de la lumière filtrer sous la porte ou par le trou de la serrure. »
Toutes les portes étaient entrebâillées. François jeta un coup d’œil dans chaque pièce. Il y faisait sombre et l’on n’y distinguait que des meubles épars. Enfin, il arriva à une porte fermée et regarda par le trou de la serrure. Il ne vit pas de lumière.
François frappa doucement.
Une voix répondit... celle de Mick !
« Qui est là ?
— Chut ! C’est moi, François. Tu vas bien, Mick ? » Il entendit craquer un lit, puis le bruit de pieds sur un plancher nu. La voix de Mick arriva, assourdie, à travers la porte.
« François ! Comment es-tu arrivé jusqu’ici ? C’est formidable ! Peux-tu ouvrir la porte ? »
François avait déjà essayé, mais elle était fermée à clef et la clef n’était pas là.
« Non, la clef a disparu, dit-il. Mick, que t’ont fait ces hommes ?
— Pas grand-chose. Ils m’ont poussé dans la voiture et amené ici, répondit Mick. L’homme qu’on appelle Julot n’était pas là. Les autres l’ont attendu un moment, puis ils sont repartis. Moi, je ne l’ai pas vu non plus.
Il paraît qu’il arrive demain matin. Ça lui fera un choc quand il verra que je ne suis pas Richard !
— Richard est ici avec nous, chuchota François. J’aurais préféré qu’il ne vienne pas, parce que si ce Julot le voit, il le gardera prisonnier, c’est certain. Notre seul espoir est que Julot ne verra que toi, et, comme les autres bandits croient que nous sommes tous frères et sœurs, ils nous laisseront peut-être partir. Es-tu venu ici directement avec la voiture ?
— Oui, dit Mick. Le portail s’est ouvert comme par magie quand nous sommes arrivés. On m’a conduit au grenier et un des hommes est venu m’expliquer tout ce qui m’attendait au retour de Julot, puis, brusquement, il est parti et je ne l’ai pas revu.
— Oh ! je parie que c’est au moment où nous jetions des pierres contre ta fenêtre, dit François. Tu n’as pas entendu ?
— Ah ! c’était donc ça, ce claquement ? L’homme est tout de suite allé à la fenêtre et il a dû vous voir. Et toi, François ? Comment es-tu arrivé ici ? Vous êtes tous là ? Je suppose que c’est Dago que j’ai entendu hurler tout à l’heure ? »
François raconta à son frère toute l’histoire depuis le moment où lui et Claude avaient retrouvé Richard en larmes, jusqu’au moment où il avait grimpé l’escalier à la recherche de Mick.
Quand il eut fini de parler, le silence tomba. Puis la voix de Mick reprit :
« Ça ne servira pas à grand-chose de faire des projets, François. Si tout va bien, nous serons libres demain, quand Julot se sera aperçu que je ne suis pas le garçon qu’il cherchait. Si les choses vont mal... nous serons au moins tous ensembles et c’est alors que nous pourrons établir un plan de bataille. Je me demande ce que la maman de Richard va penser en ne le voyant pas revenir cette nuit.
— Elle croira probablement qu’il est chez sa tante, dit François. Ce n’est pas un garçon en qui on peut avoir confiance. Que le diable l’emporte ! C’est à cause de lui que nous sommes dans ce pétrin ! Je suppose que ces hommes raconteront une histoire sans queue ni tête quand ils découvriront que tu n’es pas Richard. Il faudra bien qu’ils essaient d’expliquer pourquoi ils t’ont emmené de force, malgré tes protestations, continua François. Ils affirmeront probablement que tu as jeté des pierres contre leur voiture ou quelque chose dans ce goût-là... ou bien qu’ils t’ont trouvé blessé et qu’ils t’ont emmené ici pour te soigner. En tout cas, quoi qu’ils disent, nous ne ferons pas d’histoires. Nous partirons sans tambour ni trompette... mais après, nous passerons à l’attaque ! Je ne sais pas ce qui se passe ici, mais je suis certain que c’est du louche. La police devrait bien faire un tour dans cette maison.
— Écoute : c’est Dagobert qui hurle de nouveau, dit Mick. Il est furieux d’être séparé de Claude, je suppose.
Tu ferais mieux d’aller le faire taire, François, au cas où il réveillerait les hommes. Si jamais on te trouvait là !... Bonne nuit, François. Je suis bien heureux que tu sois ici, près de moi.
— Bonne nuit », dit François. Il revint sur ses pas le long du couloir, scrutant l’ombre d’un œil inquiet, car il craignait toujours que M. Bertaud ou l’un de ses complices ne fût aux aguets.
Mais il n’y avait personne. Les hurlements de Dago se turent. Un profond silence régnait dans toute la maison. François descendit un étage et arriva devant la chambre où dormaient ses amis. Là, il s’arrêta. Fallait-il continuer à explorer ?
Il décida de le faire. M. Bertaud devait être endormi, du moins l’espérait-il. Il songea que le bossu — dit La Bosse — et Margot devaient être couchés, eux aussi. Il se demanda où pouvait être l’autre homme, celui qui avait amené Mick à la taverne de la Chouette. Peut-être était-il reparti dans la voiture noire ?
François descendit au rez-de-chaussée. Une idée lui était venue à l’esprit. Ne pourrait-il pas ouvrir la porte d’entrée, aider les autres à descendre de la chambre, puis leur faire quitter la maison ? Lui-même devait rester, il ne pouvait pas laisser Mick tout seul.
Il abandonna ce projet. « Non, se dit-il. D’abord Claude et Annie refuseraient de partir sans moi... et même si elles allaient jusqu’au portail, comment l’ouvriraient-elles ? C’est un mécanisme fonctionnant de l’intérieur de la maison qui l’ouvre. »
Il décida d’aller visiter les pièces du rez-de-chaussée. Il explora d’abord la cuisine. Le feu était presque éteint. Le clair de lune, passant à travers les rideaux, éclairait la pièce silencieuse. Margot et La Bosse étaient évidemment montés dans leurs chambres.
La cuisine n’offrait rien d’intéressant. François alla visiter la pièce qui lui faisait face. C’était une salle à manger, avec une longue table vernie, des chandeliers posés sur une cheminée où se voyaient encore les restes d’un feu de bois. Rien d’intéressant là non plus.
Le jeune garçon pénétra dans une troisième pièce. Etait-ce un atelier ? On y voyait un grand bureau, un poste de radio et, scellé dans le mur, un support sur lequel était posé un instrument bizarre, muni d’une espèce de volant. François se demanda si c’était là le mécanisme actionnant le portail. Oui, c’était ça ! Il y avait une petite pancarte qui disait : Grille de gauche. Grille de droite.
« C’est donc bien le système qui ouvre et referme le portail, se dit François. Si seulement je pouvais faire sortir Mick de son grenier, nous pourrions tous nous enfuir à présent ! »
Il se mit à faire tourner le volant.