CHAPITRE XIII
 
L’étrange secret

 

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UN SON BIZARRE, semblable à un grondement étouffé, se fit entendre. Sans aucun doute, François avait déclenché le mécanisme ! Il tourna hâtivement le volant en sens inverse. Si ce système faisait tant de bruit, mieux valait ne pas y toucher, car il réveillerait sans aucun doute M. Bertaud, si celui-ci avait le sommeil léger.

« C’est très ingénieux, comme procédé », songea le jeune garçon en examinant l’appareil autant que le permettait la lumière de la lune filtrant par la fenêtre. De nouveau, il regarda autour de lui. Son oreille perçut un bruit et il demeura immobile.

« C’est quelqu’un qui ronfle, se dit-il. Mieux vaut ne pas trop s’attarder ici. Le dormeur n’est pas loin ! »

 Il s’avança, à pas légers vers la pièce voisine et regarda à l’intérieur. C’était une office, qui était vide. Et de là, François ne pouvait plus entendre le ronflement.

Il fut intrigué, car il ne voyait près de la cuisine aucune pièce pouvant servir de chambre à coucher. Il revint vers l’atelier. Oui... le ronflement lui parvint de nouveau. Et le dormeur devait être tout proche. Pourtant, il n’avait pas entendu François. Curieux !

Le garçon fit le tour de la pièce, essayant de trouver l’endroit d’où le ronflement lui parvenait le plus distinctement. Oui... c’était près de cette bibliothèque qui allait jusqu’au plafond. Y avait-il une chambre derrière ce mur ? François alla voir. Mais il n’y avait pas de pièce derrière l’atelier, il n’y avait que le mur du corridor. Voilà qui était de plus en plus mystérieux. »

François retourna dans l’atelier et s’approcha de nouveau de la bibliothèque. Oui : quelqu’un ronflait tout près... Mais où ?

Il se mit à examiner la bibliothèque. Elle était remplie de livres pressés les uns contre les autres — des romans, des biographies, des livres techniques. Il en enleva quelques-uns et examina le fond du meuble. Il était fait d’un bois robuste.

Il remit les livres en place et continua son examen. Un rayon avait l’air différent des autres — moins bien rangé et contenant moins d’ouvrages. Pourquoi ?

François commença à enlever les livres de ce rayon. Derrière se trouvait de nouveau un panneau de bois. Le garçon étendit la main... et découvrit une poignée dans le bois. À quoi servait-elle donc, cette poignée ?

Prudemment, François la tourna. Rien ne se passa. Il appuya dessus. Toujours rien ! Il la tira... et elle glissa vers lui sur plusieurs centimètres de longueur !

Alors, le panneau de bois sembla s’enfoncer dans le sol, dégageant une ouverture assez grande pour donner le passage à un homme. François retint son souffle. Un panneau secret ! Que pouvait-il bien cacher ?

Une faible lueur apparut dans l’ouverture. François tremblait d’excitation. Le ronflement était maintenant si sonore que le dormeur devait être à portée de main, se dit le garçon.

Peu à peu, ses yeux distinguèrent une petite chambre avec un lit étroit, une table et une étagère où se trouvaient quelques objets. Une bougie brûlait dans un coin. Sur le lit se trouvait un homme, dont François ne distinguait pas le visage, mais qui devait être grand et fort. Il ronflait paisiblement.

« Sapristi, se dit François, quelle trouvaille ! C’est une cachette où l’on peut donner abri à des tas de gens... des gens, peut-être, qui ont payé cher pour s’y réfugier. Mais on aurait dû dire à cet homme-là de ne pas ronfler. Il s’est trahi ! »

Le garçon n’osa pas rester là plus longtemps. La chambre secrète devait avoir été construite entre le mur de l’atelier et celui du corridor, François repoussa la poignée, et le panneau remonta aussi silencieusement qu’il était descendu. Il était sûrement huilé avec soin.

Le ronflement était de nouveau beaucoup moins distinct. François remit les livres en place, espérant qu’on ne constaterait pas qu’ils avaient été touchés.

Il était très ému. Ainsi, il avait découvert l’un des secrets de la taverne de la Chouette ! La police serait sans doute très intéressée d’apprendre l’existence de cette cachette et peut-être le serait-elle plus encore d’apprendre l’existence de l’homme qui y dormait !

Il fallait absolument, songea François, qu’ils sortent tous de cette maison. Mais pouvait-il partir sans Mick ? Non ; si les hommes s’apercevaient qu’il avait découvert la chambre secrète, ils seraient capables de se venger sur Mick. François se dit avec regret qu’il ne pourrait pas s’en aller avant d’avoir libéré son frère.

Il se sentit soudain très fatigué et monta doucement au premier étage. Il n’avait qu’une envie, c’était de s’étendre pour réfléchir.

Il arriva à la porte de la chambre. La clef était toujours dans la serrure. Il entra. M. Bertaud ne trouverait plus la porte fermée à clef le lendemain matin, mais il penserait sans doute qu’il avait mal tourné la clef. François s’allongea sur le matelas, à côté de Richard. Tous les enfants dormaient profondément.

François aurait voulu réfléchir à la situation... mais, dès qu’il eut fermé les yeux, il s’endormit. Il n’entendit pas Dagobert se mettre à hurler. Il n’entendit pas l’effraie pousser son cri abominable.

Ce ne fut pas M. Bertaud, mais Margot qui éveilla les enfants le lendemain. Elle entra dans la chambre et déclara :

« Si vous voulez votre petit déjeuner, descendez avec moi. »

Ils se dressèrent tous sur leur séant, se demandant où ils pouvaient bien être.

« Bonjour, dit François, clignant des yeux ensommeillés. Vous avez parlé de petit déjeuner ? Tant mieux ! Mais où pouvons-nous nous laver ?

— Dans la cuisine, répondit la femme d’un ton maussade. Je ne vais pas nettoyer la baignoire pour vous faire plaisir !

— Laissez la porte ouverte si vous voulez que nous descendions, dit François, d’un ton innocent. M. Bertaud l’avait fermée à clef, hier soir.

— C’est ce qu’il a prétendu, rétorqua Margot. Mais il ne l’avait pas fermée à clef... elle ne l’était pas quand je suis venue l’ouvrir ce matin. Ah ! ah ! Vous ne vous en doutiez pas, n’est-ce pas ? Sinon, vous vous seriez promenés dans toute la maison, je suppose ?

— Probablement », dit François en adressant un clin d’œil aux autres. Ils savaient qu’il avait eu l’intention d’aller à la recherche de Mick, pendant la nuit, mais ils ignoraient tout ce qu’il avait découvert. Il n’avait pas eu le cœur de les réveiller pour les mettre au courant.

« Ne soyez pas trop longs », dit la femme, et elle sortit de la chambre.

« J’espère que le pauvre Mick a droit au petit déjeuner, lui aussi », murmura François. Les autres s’approchèrent aussitôt de lui.

« François... tu as retrouvé Mick, hier soir ? » questionna Annie à voix basse. Il inclina la tête. Puis, rapidement, il raconta à ses compagnons tout ce qu’il avait découvert : que Mick était enfermé au grenier, qu’il y avait un panneau secret qui dissimulait une cachette où dormait un homme, qu’il y avait un mécanisme pour ouvrir et fermer le portail...

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« Laissez la porte ouverte si vous voulez,
que nous descendions. »

« Mais, François, c’est formidable ! s’exclama Claude. Quelle aventure »

— Oui... et maintenant, descendons, sinon cette femme va se fâcher. Pourvu que ce bossu ne soit pas à la cuisine. Il m’est tellement antipathique. »

Mais La Bosse était là, qui finissait de déjeuner à une petite table. Il fronça les sourcils en voyant les enfants qui ne prêtèrent aucune attention à lui.

« Il vous en a fallu du temps ! grommela Margot. Voilà l’évier, si vous voulez vous laver, et voilà deux serviettes. Vous avez l’air bien sales, tous autant que vous êtes.

— Nous le sommes, dit gaiement François. Un bain ne nous aurait pas fait de mal hier soir... mais nous avons été plutôt mal accueillis ici, vous savez. »

Après une toilette rapide, ils s’installèrent devant une grande table. Il n’y avait pas de nappe. La femme avait posé sur la table du pain beurré et un pot de chocolat bouillant. Tous les enfants commencèrent à manger. François ne cessait de plaisanter, faisant signe aux autres de lui répondre sur le même ton joyeux.

Il ne fallait pas que le bossu crût qu’ils avaient peur ou qu’ils se faisaient du souci.

« Assez ! », s’écria brusquement La Bosse. François fit mine de ne rien entendre et continua à parler. Claude lui donnait vaillamment la réplique, mais Annie et Richard se turent, effrayés par le ton rogue du bonhomme.

« Avez-vous entendu ce que j’ai dit ? hurla La Bosse en se levant de son siège. Taisez-vous tous » Taisez-vous, je vous dis ! »

François se leva à son tour.

« Je n’ai pas d’ordre à recevoir de vous, qui que vous soyez », dit-il, et on avait l’impression qu’il avait subitement grandi, qu’il était devenu un homme. « Taisez-vous vous-même... ou soyez poli.

— Oh ! ne lui parlez pas comme ça, supplia la femme d’un ton angoissé. Il a si mauvais caractère... il vous battrait. »

Que serait-il arrivé si M. Bertaud n’était pas entré dans la cuisine à ce moment précis ? Il jeta un coup d’œil circulaire, comprenant qu’une querelle se déroulait.

« Tu t’es encore mis en colère, La Bosse ? demanda-t-il. Attends que ce soit vraiment nécessaire. Je ferai peut-être appel à toi aujourd’hui... si ces gosses ne se tiennent pas bien. » Il lança aux enfants un regard mauvais. Puis il se tourna vers la femme.

« Julot va arriver, lui dit-il. Et un ou deux autres. Faites-nous un repas convenable. Toi, La Bosse, veille sur les enfants. Ils vont rester ici. J’aurai peut-être besoin d’eux plus tard. »

Il sortit. Margot s’était mise à trembler.

« Julot arrive » murmura-t-elle à l’oreille de La Bosse.

— Fais ton boulot, toi, dit l’homme. Va chercher les légumes toi-même. Il faut que je surveille ces gosses. »

La pauvre femme se dirigea vers la porte. Annie se sentait pleine de pitié pour elle.

« Voulez-vous que je débarrasse la table et que je fasse la vaisselle ? lui demanda-t-elle. Vous allez avoir beaucoup de travail et moi je n’ai rien à faire.

— Nous allons tous vous aider », dit François. Margot lui jeta un regard à la fois étonné et reconnaissant. Elle n’avait pas l’habitude, évidemment, qu’on la traite avec courtoisie.

« Ah ! ah ! fit La Bosse en ricanant. Moi, vous ne m’attendrirez pas avec vos manières ! »

Personne ne fit attention à lui. Les enfants commencèrent à débarrasser la table. Annie se mit à laver les assiettes et les bols, que les autres essuyèrent.

« Peuh ! fit La Bosse.

— Peu... nous importe ce que vous pensez ! » plaisanta François. Les enfants se mirent à rire, mais le bossu fronça les sourcils au point que ses yeux semblèrent disparaître dessous »

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