CHAPITRE I
 
Projets de vacances

 

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« VRAIMENT, Henri, je ne te comprends pas ! » dit tante Cécile à son mari.

Les quatre enfants étaient assis à table, prenant leur petit déjeuner. Ils levèrent des yeux pleins de curiosité. Qu’avait donc bien pu faire l’oncle Henri ? François adressa un clin d’œil à Mick, et Annie donna à Claude un léger coup de pied sous la table. L’oncle Henri allait-il se mettre en colère comme cela lui arrivait quelquefois ?

M. Dorsel — oncle Henri pour François, Mick et Annie — tenait en main une lettre que sa femme lui avait rendue après l’avoir lue. C’était cette lettre qui était cause de tout. L’oncle Henri fronça les sourcils... et décida de garder son calme. Il dit d’une voix résignée :

« Mais, ma chère Cécile, comment veux-tu que je me rappelle exactement quand commencent les vacances des enfants et s’ils vont les passer avec nous ou avec ma sœur ? Tu sais bien que je suis plongé dans mes recherches scientifiques, qui sont de la plus haute importance en ce moment. Je ne peux pas toujours me souvenir des dates de rentrée ou de vacances !

— Tu peux toujours te renseigner auprès de moi, répliqua tante Cécile agacée. Vraiment, Henri, tu n’as pas déjà oublié que nous avons discuté pour savoir si nous demanderions à François, Mick et Annie de passer les vacances de Pâques ici ? Ils aiment tant Kernach à cette époque de l’année ! Tu as même déclaré que tu t’arrangerais pour aller faire tes conférences après les vacances... et pas au beau milieu !

— Mais elles ont commencé si tard ! dit l’oncle Henri. Et ça, je ne pouvais pas le deviner.

— Enfin, tu dois te douter que si Pâques tombe tard dans l’année, les vacances ne peuvent pas être de bonne heure, répondit tante Cécile avec un soupir.

— Papa ne fait pas attention à ces choses-là, dit Claude. Qu’est-ce qu’il y a, maman ? Est-ce que papa veut s’en aller en plein milieu des vacances ?

— Oui », dit tante Cécile, avançant la main pour reprendre la lettre. « Voyons : il faudrait qu’il parte d’ici deux jours... et je suis obligée de l’accompagner. D’un autre côté, je ne peux pas vous laisser tout seuls ici, mes enfants, dans une maison vide. Si Maria n’était pas malade, tout irait bien, mais elle ne reviendra que dans une semaine ou deux. »

Maria était la cuisinière. Les enfants, qui l’aimaient beaucoup, avaient été désolés de ne pas la trouver à leur arrivée.

 « Nous sommes capables de nous débrouiller tout seuls, affirma Mick. Annie fait très bien la cuisine.

— Et je pourrai l’aider », dit Claude. Son véritable prénom était Claudine, mais tout le monde l’appelait Claude. Sa mère sourit.

« Ma pauvre Claude, la dernière fois que tu as fait un œuf à la coque, il était presque calciné ! Je n’ai pas l’impression que tes talents de cuisinière emballeraient tes cousins.

J’avais simplement oublié que l’œuf était en train de cuire, protesta Claude. J’étais allée chercher le sablier et puis, en chemin, je me suis rappelé que Dago n’avait pas eu sa soupe et...

— Oui, oui, nous sommes au courant, dit sa mère en riant. Dago a eu sa soupe, mais ton père s’est passé d’œuf !

— Ouah ! »fit Dago, sous la table, en entendant son nom. (Il s’appelait, en fait, Dagobert, mais ce prénom un peu longuet avait été écourté.) Il lécha le pied de Claude pour rappeler à celle-ci sa présence.

« Revenons à nos moutons, dit impatiemment l’oncle Henri. Il faut absolument que je participe à ces conférences. Je dois y donner lecture de documents très importants. Tu n’as pas besoin de m’accompagner, Cécile, tu peux rester ici, à t’occuper des enfants.

— Ce n’est pas la peine, reprit Claude. Nous allons enfin, pouvoir faire quelque chose dont nous avions rudement envie, mais que nous pensions être obligés de reculer jusqu’aux vacances d’été.

— Oh oui ! s’écria Annie. Faisons ça !

— Oui, ça me plairait aussi, dit Mick.

— Eh bien, de quoi s’agit-il ? demanda tante Cécile. Je ne vois pas du tout. Si c’est dangereux, je ne le permettrai pas, soyez-en sûrs !

— Mais quand faisons-nous quoi que ce soit de dangereux ? s’écria Claude.

— Plus souvent qu’à votre tour, rétorqua sa mère. Alors, quel est ce projet ?

— Rien d’extraordinaire, dit François. C’est simplement, tante Cécile, que nos bicyclettes sont en très bon état et que tu nous as donné deux petites tentes pour Noël... alors, nous avions pensé que ce serait formidable de partir à bicyclette et d’aller camper dans la région.

— Il fait si beau, nous nous amuserions bien, renchérit Mick. Après tout, si tu nous as donné les tentes... petite tante... c’est pour nous en servir. Et voilà l’occasion rêvée !

Je pensais que vous vous en serviriez dans le jardin ou sur la plage, dit Mme Dorsel. La dernière fois que vous êtes allés camper, il y avait une grande personne avec vous. L’idée de vous voir partir tout seuls à l’aventure ne me sourit guère.

— Oh ! Cécile, François est assez grand garçon pour veiller sur les autres », interrompit l’oncle Henri, avec une certaine impatience. « Laisse-les aller ! Je suis persuadé que François saura maintenir l’ordre dans le troupeau et le ramener sain et sauf au bercail.

— Merci, oncle Henri ! » s’écria François qui n’était pas habitué à recevoir des compliments de M. Dorsel. Il jeta un coup d’œil aux autres enfants, et sa bouche se fendit en un large sourire. « Bien sûr, ce sera facile de commander à toute cette bande... il n’y a qu’Annie qui fasse parfois la mauvaise tête ! »

Annie ouvrit la bouche pour protester, car elle était la plus petite et la seule, en fait, qui fût docile. Mais elle vit le sourire de François et comprit qu’il la taquinait. Elle sourit à son tour.

« Je promets d’être très obéissante », dit-elle d’un ton innocent à son oncle.

Il parut surpris.

« Tiens, j’aurais plutôt cru que c’était Claude qui avait la tête près du bonnet... », commença-t-il, mais il se tut en voyant sa femme froncer les sourcils en guise d’avertissement. Claude avait effectivement mauvais caractère, mais ce n’était pas en le faisant remarquer qu’on la rendrait plus docile.

« Henri, tu ne te rends jamais compte que François te raconte des blagues... Enfin, si tu crois que nous pouvons lui confier la garde des autres... et qu’il ne leur arrivera rien s’ils vont camper avec leurs bicyclettes...

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— Chic ! C’est décidé, alors ! » hurla Claude, et elle commença à donner, dans sa joie, de grandes tapes sur le dos de Mick. « Nous partons demain, nous...

— Claude ! Inutile de crier ainsi, dit sa mère. Tu sais bien que ton père n’aime pas les cris... et tiens, tu as excité Dago. Le voilà qui court dans la pièce comme un fou ! Couché, Dago !»

L’oncle Henri se leva pour sortir. Il avait horreur que les repas tournent au désordre. Il faillit tomber sur Dago, qui gambadait, et disparut de la pièce avec un soupir de soulagement. La maison prenait des allures de cirque lorsque les enfants et le chien y étaient !

« Tante Cécile, nous pouvons vraiment partir demain ? demanda Annie, les yeux brillants. Il fait si beau pour un mois d’avril qu’on se croirait en juillet. Nous n’aurons même pas besoin de prendre des vêtements chauds.

Vous ne partirez que si vous en prenez, au contraire, dit fermement Mme Dorsel. « En avril, ne te découvre pas d’un fil », conseille le dicton. C’est un mois très fantasque : le soleil peut luire un jour et la neige tomber le lendemain. Je te donnerai même de l’argent, François, pour que vous puissiez aller à l’hôtel si le temps se gâte. »

Les quatre enfants firent aussitôt une petite prière muette pour que le temps ne se gâte pas !

« Oh ! Ce que ça va être épatant ! s’écria Mick. Nous pourrons acheter ce que nous voudrons comme nourriture et manger à l’heure qu’il nous plaira. Nous pourrons choisir tous les soirs un endroit différent pour dresser les tentes. Nous pourrons rouler à bicyclette au clair de lune...

— Ah ! Rouler à bicyclette au clair de lune ! répéta Annie. Ce sera merveilleux ! »

Les quatre enfants se levèrent d’un bond pour aller accomplir les petites besognes quotidiennes : faire leurs lits et ranger leurs chambres. Ce faisant, ils parlaient tous ensemble à tue-tête.

« Triple veine ! Qui aurait cru que demain nous partirions seuls à l’aventure ! » cria Mick en remontant vigoureusement ses draps et couvertures, qui formèrent une espèce de tas sur son lit.

« Mick ! Je vais faire ton lit, dit Annie, choquée de ce manque d’ordre. Tu ne peux pas le laisser comme ça !

— Tu crois ? Et je vais faire celui de François exactement de la même façon. Alors occupe-toi plutôt du tien, Annie : rentre bien le drap, secoue l’oreiller, aplatis l’édredon, fais ce que tu veux avec ton lit et laisse-moi faire ce que je veux du mien. Attends un peu que nous soyons en route ; tu n’auras plus à t’inquiéter de l’aspect de ton lit, alors... tu rouleras ton sac de couchage, et voilà tout ! »

En parlant, il tirait à la diable le couvre-pied et fourrait son pyjama sous l’oreiller. Annie se mit à rire et alla dans sa chambre. Elle aussi ne se tenait plus de joie. De beaux jours s’annonçaient, pleins de soleil, d’endroits nouveaux, de bois inconnus, de collines à gravir, de ruisseaux murmurants, de pique-niques dans les clairières, de promenades au clair de lune... Quelle chance !

Ils eurent beaucoup à faire ce jour-là. Il fallait empaqueter les affaires dans les sacs à dos, plier les tentes aussi convenablement que possible pour pouvoir les attacher sur les porte-bagages, chercher dans le garde-manger les vivres nécessaires, prendre les cartes routières...

Dago savait bien qu’une randonnée était en vue et il savait aussi qu’on l’emmènerait. Il était aussi excité que les enfants, aboyait et remuait la queue et se trouvait tout le temps dans les jambes de tout le monde. Mais personne ne lui en voulait. Dago était leur ami, il faisait partie du « Club des Cinq », il pouvait à peu près tout faire sauf parler, et on n’aurait jamais envisagé d’aller quelque part sans emmener le bon vieux Dago.

« Je suppose que le chien pourra vous suivre quand vous roulerez à bicyclette ? demanda tante Cécile à François.

— Oh oui ! dit le jeune garçon. Il est infatigable. J’espère que tu ne t’inquiéteras pas pour nous, tante Cécile. Tu sais que Dago est un bon chien de garde.

— Oui, je le sais. Si je vous laisse partir à peu près rassurée, c’est justement parce que Dago vous accompagne. Il vaut une grande personne lorsqu’il s’agit de veiller sur vous.

— Ouah ! Ouah ! » approuva Dago. Claude se mit à rire.

«  Il vaut deux grandes personnes, maman », dit-elle, et Dago battit vigoureusement le plancher de sa queue.

« Ouah, Ouah, Ouah ! » dit-il.

Ce qui signifiait : « Pas deux... mais trois ! »