CHAPITRE IX
 
Aventure au clair de lune

 

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LES QUATRE ENFANTS roulaient prudemment le long du sentier raboteux qui traversait le bois. Ils furent heureux de tomber enfin sur un chemin plus aisé. François s’arrêta un moment pour faire le point.

« Maintenant... d’après la carte... il nous faut prendre à droite, ici, puis à gauche au prochain carrefour, et contourner une colline. Enfin, il faudra faire trois ou quatre kilomètres dans une petite vallée jusqu’à ce que nous arrivions au pied de la colline de la Chouette.

— Si nous rencontrons quelqu’un, nous pourrons lui demander s’il connaît la taverne de la Chouette, dit Annie, optimiste.

— Nous ne rencontrerons personne par ici en pleine nuit, affirma François. Nous sommes loin de tout village et nous avons peu de chance de rencontrer un fermier, un gendarme ou un voyageur. »

La lune était levée et le ciel s’éclaircit tandis qu’ils pédalaient le long du chemin. On y voyait presque comme en plein jour.

« Éteignons nos lampes, cela économisera nos piles, dit François. On distingue tout très bien. Le paysage a un aspect étrange, vous ne trouvez pas ?

— Oui, ce que je trouve étrange dans le clair de lune, c’est qu’il éclaire vraiment bien, mais que rien n’a plus de couleur », fit observer Annie. Elle éteignit sa lampe et jeta un regard vers Dago.

« Éteins tes phares, Dago ! » dit-elle, réflexion qui fut accueillie par un rire général. François fut heureux de voir que sa jeune sœur retrouvait sa bonne humeur habituelle.

« Les yeux de Dago sont vraiment comme des phares, n’est-ce pas ? dit Richard. Oh ! François ?...

— Oui ?

— On ne pourrait pas manger quelque chose ?

— Si, bonne idée », dit François qui commença à fouiller dans la sacoche de son porte-bagages. Mais ce n’était pas facile de faire cela et de continuer à pédaler en même temps »

« Mieux vaut nous arrêter quelques minutes, après tout, dit-il. Je crois que j’ai déjà laissé tomber un œuf dur ! Venez, posons nos bicyclettes au bord de la route et mangeons rapidement une partie de nos provisions. »

Richard ne se le fit pas dire deux fois. Les filles avaient tellement faim qu’elles obéirent aussitôt au conseil de François. Laissant leurs bicyclettes au bord de la route illuminée par la lune, ils se dirigèrent vers un hallier.

Des pins y poussaient et le sol était jonché d’aiguilles sèches et brunes.

« Asseyons-nous là un moment, dit François. Mais... qu’est-ce que je vois là-bas ? »

Tout le monde regarda.

« C’est une cabane en ruine, dit Claude qui s’approcha pour mieux voir. Il ne reste que les murs. Brrr ! Elle est sûrement hantée ! »

Ils s’assirent sous les arbres, et François partagea les provisions. Dago eut sa part, mais elle n’était pas aussi grosse qu’il l’aurait désirée ! Les enfants mangeaient aussi vite qu’ils le pouvaient.

« Eh... N’entendez-vous pas quelque chose ? interrogea François, en relevant la tête. On dirait une voiture »

Tous tendirent l’oreille. François avait raison. Une voiture roulait à travers la campagne. Ça, c’était vraiment un coup de chance !

« Si seulement elle venait par ici ! dit François. Nous pourrions arrêter le chauffeur et lui demander son aide. En tout cas, il pourrait toujours nous conduire à la gendarmerie la plus proche. »

Abandonnant le hallier, ils se dirigèrent vers la route. Ils ne voyaient briller aucun phare, mais ils pouvaient entendre le bruit de la voiture.

« C’est un moteur bien silencieux, fit observer François. Une voiture puissante, probablement. On n’a pas allumé les phares à cause du clair de lune.

— Elle s’approche, dit Claude, elle avance le long de la route. Oui ! Elle arrive ! »

Elle arrivait, en effet. Le ronronnement du moteur se faisait de plus en plus perceptible. Les enfants s’apprêtaient à se précipiter sur la route pour arrêter la voiture.

Et subitement, le bruit du moteur s’arrêta. La lune éclaira une grosse voiture aux formes élancées qui s’était arrêtée sur la route, à quelque distance de là. François étendit la main pour empêcher les autres de courir en direction de l’automobile.

« Attendez, dit-il. Ça me paraît... un peu bizarre. »

Ils attendirent, tapis dans l’ombre. La voiture avait stoppé non loin de la cabane abandonnée. Une porte s’ouvrit. Un homme sortit de l’auto et traversa la route en direction de la cabane. Il portait un paquet sous le bras.

Un sifflement discret s’éleva. Le cri d’une chouette lui répondit.

« Un signal convenu, songea François, très intrigué. Qu’est-ce qui se passe ? »

Il se tourna vers ses compagnons.

« Restez tranquilles, murmura-t-il. Claude, empêche Dago de gronder. »

Mais Dago savait quand il fallait se taire. Il ne gémissait même pas. Il était là, immobile comme une statue, les oreilles dressées, aux aguets.

Pendant un moment, rien ne se passa. François avança à pas de loup vers un arbre d’où il pouvait mieux voir la cabane.

Il aperçut un homme qui venait des profondeurs du bois et s’approchait de la masure où l’attendait un autre homme — sans doute celui de la voiture. Qui étaient ces gens-là ? Que pouvaient-ils bien faire à pareil endroit, et à pareille heure ?

Les deux hommes échangèrent quelques paroles que François ne comprit pas. Il était certain que ses camarades et lui n’avaient pas été vus par les inconnus. Il avança avec précaution vers un autre arbre afin de mieux voir ce qui se passait.

« Dépêche-toi, — disait l’un des deux hommes. Ne mets pas tes affaires dans la voiture. Cache-les dans le puits. »

François ne distinguait pas très bien ce que faisait l’inconnu, mais il comprit qu’il devait changer de vêtements. Oui... il en mettait d’autres : c’était sans doute cela que contenait le paquet apporté par l’homme de la voiture. François était de plus en plus intrigué. Que faisaient ces hommes ? Étaient-ils des espions ?

Celui qui avait changé de vêtements prit ceux qu’il avait quittés et se rendit derrière la cabane. Il revint les mains vides et suivit son compagnon jusqu’à la voiture.

Avant même que la porte se fût refermée, le moteur avait été mis en marche et l’automobile s’éloignait dans la nuit. Elle passa devant les pins où les enfants étaient aux aguets. Tous reculèrent dans l’ombre. La voiture, qui roulait à toute vitesse, disparut bientôt.

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François alla rejoindre les autres.

« Eh bien ? Que pensez-vous de tout cela ? demanda-t-il. C’est louche, n’est-ce pas ? Un des deux hommes a changé de vêtements, Dieu sait pourquoi ! Il les a laissés derrière la cabane, dans un puits, d’après ce que j’ai entendu. Si nous allions voir ?

— Oui, allons-y, dit Claude. J’ai relevé le numéro de la voiture, ajouta-t-elle fièrement : 3204 FC 29.

— C’était une grosse voiture noire, dit Richard. Sûrement, ces gens-là n’ont pas la conscience tranquille. »

Ils revinrent vers la vieille cabane et se frayèrent un passage, à travers les herbes folles et les broussailles, jusqu’à un puits à moitié écroulé.

Il était recouvert d’une planche de bois. François l’ôta. Elle était rongée par les ans. Il se pencha au-dessus du puits, mais ne put rien voir. Une lanterne de bicyclette ne suffisait pas à en éclairer le fond, qui semblait très éloigné.

« On ne verra rien, dit François, en replaçant le couvercle. Je suppose que ce sont ses vêtements que cet homme a jeté là-dedans. Et je me demande bien pourquoi.

— Crois-tu que ce soit un prisonnier échappé ? demanda soudain Annie. Changer de vêtements, c’est la première chose que doit faire un évadé. Y a-t-il une prison, par ici ?»

Personne n’en savait rien.

« Je ne me rappelle pas en avoir vu une sur la carte, dit François. Non, je ne crois pas que cet homme soit un prisonnier échappé. Je crois plutôt que c’est un espion auquel ses complices ont fourni des vêtements... ou encore un déserteur. Cela me paraît plus probable.

— En tout cas, je suis bien contente que l’auto soit repartie avec l’évadé, l’espion, le déserteur, enfin cet homme quel qu’il soit, dit Annie. C’est curieux que nous ayons justement été là pour voir tout ce qui se passait. Jamais ces hommes ne se douteront que quatre enfants et un chien les observaient à quelques mètres de là.

— C’est une chance pour nous qu’ils ne l’aient pas su, dit François. Il aurait pu nous en cuire ! Et maintenant, reprenons notre repas. Nous avons assez perdu de temps... Oh ! pourvu que Dago n’ait pas tout mangé ! Nous avions laissé les provisions par terre. » Mais l’excellent Dagobert n’avait touché à rien.

Il était assis patiemment près des provisions qu’il reniflait de temps à autre. Tout ce pain, ce jambon et ces œufs qui étaient là, à attendre qu’on les mange !

« Tu es un bon chien, dit Claude. Tu es très, très honnête, Dago. Aussi tu vas avoir un gros morceau de pain avec du jambon pour ta récompense. »

Dago avala le tout en une seule bouchée, mais il n’eut rien d’autre. Ses amis avaient tout juste assez pour eux-mêmes et ils ne laissèrent pas une miette.

Quelques minutes plus tard, ils remontaient à bicyclette.

« Et maintenant, en route pour la colline de la Chouette, dit François. Espérons qu’il ne nous arrivera pas d’autres aventures cette nuit. Cela suffit pour le moment ».

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