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Francisation plus que mondialisation :
petites et grandes affaires d’eau

 


Les réseaux d’eau potable et d’assainissement de la planète sont, en quasi-totalité, propriété des collectivités locales ; dans les pays les moins avancés, il arrive qu’ils appartiennent à l’Etat ou à des sociétés d’Etat. On pense à l’ONEP, Office national de l’eau potable, au Maroc ou aux quatre Offices régionaux des eaux au Liban. Parler de « privatisation » est donc inexact, pour ce qui concerne les réseaux eux-mêmes et leur stratégie de développement, fille de l’urbanisme, compétence régalienne des villes ou des Etats.

Lorsque la collectivité locale assure elle-même le fonctionnement de son réseau, avec ses propres personnels, on parle de « régie directe ». La collectivité peut aussi faire le choix de la « gestion déléguée ». Est confiée alors à une entreprise privée la gestion technique et commerciale du réseau, au travers de contrats dits d’« affermage » qui s’apparentent à la location-gérance. La loi, en France, encadre de manière précise les « délégations de service public ». Certains ouvrages, à la fois très techniques et coûteux, peuvent, en France comme à l’étranger, faire l’objet d’un traité de « concession ». Par exemple, une usine d’épuration. L’investissement est réalisé par une entreprise privée, qui se rembourse progressivement sur les ventes d’eau pendant une durée donnée. En fin de concession, l’investissement entre dans le patrimoine public de la collectivité. Nous y reviendrons.

MONDIALISATION OU FRANCISATION ?

La « mondialisation » des entreprises de l’eau ne traite donc pas de la ressource elle-même mais de sa gestion. Elle est d’abord française. Nos « majors », issues des deux grandes sociétés historiques nées à Lyon dans la seconde moitié du XIXe siècle, à savoir la « Générale des eaux », en 1853, puis la « Lyonnaise des eaux et de l’éclairage », filiale du Crédit Lyonnais, en 1880 sont fortement présentes à l’international. Il en est également ainsi de la SAUR, filiale du groupe Bouygues, de création plus récente. Aucun autre pays que la France n’a encore, avec la même ampleur, exporté son savoir-faire en termes de distribution d’eau et d’assainissement. Mais la concurrence s’éveille, et nos « majors », avatars de la Générale et de la Lyonnaise, respectivement Véolia Eau (filiale du groupe Véolia Environnement) et Suez Environnement (filiale de GDF-Suez), ne distribuent qu’environ 1 % de l’eau de la planète. On se s’étonnera pas que les Chinois se lancent, eux aussi, sur ce créneau hors de l’empire du Milieu. Plus près de nous, AGBAR, la société des eaux de Barcelone, s’efforce de prendre des marchés hors de Catalogne et d’Espagne, notamment en Amérique latine.

AFFERMAGE ET CONCESSIONS : DEUX FORMES
DE DÉLÉGATION DE SERVICE PUBLIC

L’affermage est une forme classique et ancienne de délégation de service public, elle est fréquemment utilisée par les collectivités locales et leurs groupements, au travers de « traités d’affermage » pour la gestion des services d’eau potable et d’assainissement. La collectivité délégante assure les investissements. Le « fermier », une société privée, supporte les frais d’exploitation et d’entretien courant. Il se rémunère directement auprès de l’usager selon des conditions de facturation prévues dans le traité d’affermage, y compris les conditions éventuelles de révision ; par ailleurs, pour financer les investissements qui restent à sa charge, la collectivité vote chaque année la part du tarif qui lui reviendra.

L’affermage est la règle pour les grandes villes. Il ne s’agit pas de privatisation à proprement parler. En effet, en termes de souveraineté, le réseau reste à 100 % la propriété de la collectivité, la stratégie de développement reste également de la compétence du maire ou du président de communauté. Le prix de l’eau demeure fixé par l’autorité politique locale. Le fermier ne fait aucun investissement, c’est un pur prestataire de service. Depuis la « loi Sapin » de 1993, la mise en concurrence périodique de l’affermage est une obligation.

Le chiffre d’affaires des entreprises délégataires, les « majors », est supérieur à l’étranger. Ainsi, elles amortissent leurs importants budgets de recherche, et l’usager français peut bénéficier de ces acquis. Il est vrai que l’expérience historique cumulée de ces entreprises provient bien des très nombreuses délégations de service public dont elles ont bénéficié en France.

Le prix de l’eau en gestion déléguée serait de 13 % supérieur à celui qu’on observe en régie directe. Un argument utilisé par les opposants à la délégation de service public, appelée « privatisation » de manière inappropriée.

Le plus souvent, l’analyse montre que l’amortissement du réseau et le coût de son développement ne sont pas comptabilisés en régie directe. Electoralisme ou démagogie peuvent conduire certains maires à minorer le prix de l’eau par rapport à son prix de revient réel. Les petites communes font alors appel à des subventions, notamment celles du département, dans les phases d’extension ou de renouvellement du réseau. La gestion déléguée n’apparaît pas comme plus onéreuse si on comptabilise investissement, renouvellement et fonctionnement. Par ailleurs, il est clair que la recherche-développement ne peut pas être organisée ni financée par chacun des 3 600 gestionnaires publics de réseau en France. Les collectivités locales ne peuvent pas s’appuyer sur un institut technique spécialisé qui serait, par hypothèse, consacré à la recherche-développement de la distribution de l’eau et du traitement des eaux usées. Cet institut technique n’existe pas, et le CEMAGREF134 n’est que marginalement présent sur ce créneau.

Quoi qu’il en soit, le débat entre partisans de la régie directe et ceux qui soutiennent les avantages de la gestion déléguée n’est pas clos. Les collectivités locales restent fondamentalement libres de choisir entre les deux systèmes.

LA CONCESSION

La concession est l’autre forme de délégation de service public. Une collectivité y recourt quand elle n’a ni le financement ni les compétences pour construire et faire fonctionner un équipement. Les Etats les utilisent aussi pour limiter des dépenses qualifiées de « publiques », décision comptable plus qu’économique. L’affichage est alors d’ordre politique, les décideurs peuvent ainsi qualifier l’opération de « privée », alors qu’elle relève in fine du secteur « public » !

La concession se distingue de l’affermage par la prise en charge, côté concessionnaire, des investissements et de l’exploitation de l’ouvrage pendant une durée donnée. Le concessionnaire se rémunère directement auprès de l’usager par une redevance fixée par le traité de concession. La collectivité délégante étant dégagée de toute charge financière d’investissement, en contrepartie elle accepte une durée de concession généralement plus longue que l’affermage. La durée maximale est fixée à vingt ans par la loi dans le domaine de l’eau potable, de l’assainissement, des ordures ménagères et autres déchets.

On retrouve ce type de contrat pour 90 % des autoroutes de France, les aéroports, les ports, le tunnel sous la Manche, le viaduc de Millau, les parcs de stationnement, etc. Personne ne s’en étonne, et ce mode de financement et de fonctionnement est bien accepté par l’opinion publique, pour ces équipements. Toutefois, il soulève des réticences lorsqu’il s’agit d’eau, même si, à l’issue de la période, l’équipement revient dans le patrimoine de la collectivité.

L'ÉVOLUTION DE LA GESTION DÉLÉGUÉE
EN FRANCE135

La gestion déléguée concerne deux tiers de la population, dans 20 000 communes. Le mouvement vers plus de gestion déléguée s’est poursuivi jusqu’au tournant du XXe siècle. En 2011, ce mouvement marque un pallier, pour différentes raisons : saturation des possibilités, arrivée à échéance des concessions, volontés politiques de reprendre la main ; soulignons cependant que les Français sont satisfaits des services d’eau et d’assainissement, majoritairement en gestion déléguée.

En effet, une étude intitulée « Baromètre national de la performance sociétale des collectivités » indique que l’assainissement et la distribution de l’eau figurent en tête des services municipaux les plus appréciés des Français. Selon l’agence de notation « Public Evaluation System » et l’institut de sondage Opinion Way136, l’indice de satisfaction pour ces services est le plus élevé avec un taux de 78 %, puis viennent les équipements dans les écoles primaires (76 %), les transports scolaires et la distribution d’énergie (tous deux à 75 %), les équipements sportifs (71 %), et, en bas de tableau, la politique de circulation et de stationnement avec un taux de 47 %.

VEOLIA

Avec un effectif de 95 000 personnes et un chiffre d’affaires de 12 milliards d’euros en 2010, l’activité principale de Veolia Eau, autrefois appelée « Générale des eaux », est d’assurer la gestion déléguée de services d’eau et d’assainissement, pour le compte de collectivités publiques et d’entreprises. Elle réalise 55 % de son chiffre d’affaires à l’export et 45 % en France. Les trois quarts des activités à l’export ont lieu en Europe.

Veolia Eau est présente dans 77 pays. Elle alimente près de 95 millions de personnes en eau potable dans le monde et plus de 68 millions en services d’assainissement. Ses métiers couvrent toute la gamme du prélèvement de l’eau dans les rivières ou les nappes, à la production et l’acheminement d’eau potable. Il en est de même pour les eaux usées : collecte, transport et dépollution. Veolia Eau propose en outre aux industriels des technologies spécifiques : approvisionnement en eau de procès, eau de refroidissement, traitement, recyclage et valorisation des effluents, et dessalement de l’eau de mer. A la suite de pertes d’exploitation au premier semestre 2011, l’entreprise a déclaré vouloir se replier sur 40 pays. Des concessions non rentables, y compris en Italie ou aux Etats-Unis, l’ont conduite à provisionner des créances douteuses, d’où les pertes récentes observées. L’entreprise s’inquiète également de la montée de risques politiques dans les pays arabes et des exigences constantes de baisse du prix de l’eau par les autorités concédantes. La rentabilité baisse alors que son endettement pèse.

Restent de belles références et de nouveaux contrats de gestion déléguée de services de l’eau : Bucarest, Berlin, Indianapolis et Shanghai, signés en 2002, Doha, la capitale du Qatar, pour la gestion de ses eaux usées (contrat signé en 2009), la concession de la station d’épuration du Grand Prado à la Réunion en 2010, enfin et surtout le contrat de délégation de service public du SEDIF (Syndicat des Eaux d’Ile-de-France) pour douze ans (chiffre d’affaires cumulé d’environ 3 milliards d’euros) signé en 2010. L’entreprise reste aussi la compagnie fermière de la Communauté urbaine de Lyon au moins jusqu’en 2017.

SUEZ ENVIRONNEMENT 

Suez Environnement, précédemment nommée « Lyonnaise des eaux », est le deuxième groupe mondial de la gestion de l’eau et des déchets, derrière Veolia Environnement. Au 31 décembre 2010, Suez Environnement, filiale du groupe « GDF-Suez », publiait un chiffre d’affaires de 13 869 millions d’euros et employait 79 554 collaborateurs. Cette entreprise est présente dans 27 pays mais les relations avec les gouvernements n’ont jamais été simples et le sujet de l’eau est éminemment politique. Cette entreprise alimente en eau potable 91 millions d’habitants. Avec ses 10 000 usines de traitement dans le monde, elle leur fournit 3,8 milliards de m3 d’eau potable par an et donne accès aux services d’assainissement à 61 millions d’habitants.

En 2008, Suez Environnement est introduite en Bourse, dans le cadre de la fusion de Suez et Gaz de France. L’histoire bégaie. La lointaine descendante de la vieille « Lyonnaise des eaux et de l’éclairage » revient assez massivement vers le secteur de l’énergie, dans le gaz et l’électricité. Et la compagnie fondée en 1860 par Ferdinand de Lesseps pour financer le canal de Suez n’a jamais été dissoute, même si elle a perdu le canal. Restée pendant cent cinquante ans un fleuron du capitalisme français, elle a pu prendre une partie du capital de Gaz de France après la décision de privatisation partielle du groupe gazier sous la pression de Bruxelles et la volonté de Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Economie et des Finances.

LA DIFFICULTÉ D’EXPORTER CE SAVOIR-FAIRE :
HEURS ET MALHEURS DES « MAJORS »
À L’INTERNATIONAL

La France étant, pour l’essentiel, bien équipée, la voie d’expansion du savoir-faire français ne pouvait être que l’international. La demande y est forte, même si elle n’est pas toujours solvable. Une majorité des projets d’affermage ou de concession ont été des succès, notamment en Europe. Toutefois, des échecs politico-techniques ont été notés, comme ceux de Suez Environnement en Argentine et en Hongrie, assez largement compensés par un brillant succès en Algérie.

Argentine137 : concessions trop coûteuses

En 1993, l’Etat argentin décide de créer une société spéciale pour l’agglomération de Buenos Aires : Aguas Argentinas, consortium dirigé par la Lyonnaise des eaux de l’époque. Il s’agit d’une concession, et non d’un affermage, établie pour trente ans, sur une aire urbaine regroupant plus de 9 millions d’habitants. En début de concession, la desserte est de 71 % pour l’eau potable et 57 % pour l’assainissement. Les objectifs fixés au concessionnaire sont l’extension des réseaux d’eau potable, la rénovation de l’infrastructure obsolète dans la partie centrale et la construction d’usines de traitement des eaux usées pour éviter le déversement direct dans le Rio de la Plata. Etabli par étapes jusqu’en 2023, ce plan devait permettre d’atteindre les 100 % de desserte en eau comme en assainissement, à cette échéance.

Mais la vie de cette concession est vite tumultueuse. En 1994, l’entreprise obtient une augmentation de tarif de 13,5 %. Les négociations reprennent quelques années plus tard pour modifier la redevance de raccordement au réseau, et surtout pour obtenir le report de la réalisation de l’usine de traitement des eaux usées. Une nouvelle augmentation de 15 % est obtenue, mais elle tombe pendant la crise de l’Argentine en 2002. Le peso perd sa parité, les comptes bancaires des particuliers sont bloqués, le chômage explose, et les caisses de l’Etat et des collectivités sont vides. La loi d’urgence bloque tous les tarifs. Après de nouvelles négociations, Aguas Argentinas suspend les démarches entamées auprès du CIRDI138. A partir de 2005, le gouvernement cherche un nouvel opérateur, puis résilie le contrat pour faute du concessionnaire. Il est reproché au concessionnaire « un taux de nitrate trop élevé et des manquements en ce qui concerne les niveaux de pression d’eau et les investissements relatifs à l’extension des services ». L’Etat argentin crée une nouvelle structure, Agua y Sanamientos Argentinos, en 2007. Le groupe « Lyonnaise-Suez », qui en a été exclu, ouvre un nouveau contentieux auprès du CIRDI pour demander un milliard de dollars en compensation des préjudices subis. Suez considère, toutefois, que ses seize ans de présence en Argentine ont été un brillant succès technique : une bonne architecture des différents réseaux a notamment été mise en place.

La volonté des Argentins de traiter les effluents de Buenos Aires avant de les envoyer dans le Rio de la Plata est fondée sur le plan écologique, mais ce n’était pas forcément une priorité, dans un contexte économique incertain. En effet, les 10 m3/s déversés par les effluents de Buenos Aires se diluent dans un des plus grands fleuves du monde, le Rio de la Plata, dont le débit à l’embouchure est de 20 000 m3/s avant de se perdre en mer. Or le pouvoir autoépuratoire des océans pour la pollution organique est élevé, et la situation avant 1993 ne montrait pas d’impact sérieux de la pollution de la capitale argentine dans l’océan.

Hongrie : le casse du siècle

A l’automne 2009, Pécs, ville hongroise de 160 000 habitants, a été le théâtre de l’expropriation de la filiale du groupe Pécs Waterworks. « L’eau hongroise aux Hongrois » fut le slogan lancé par le maire de Pécs, Viktor Orbán139, dirigeant du parti de droite ultra-nationaliste, le Fidesz. A la différence de Buenos Aires, la municipalité avait gardé la majorité de cette filiale à 51 %, et tous les cadres dirigeants étaient hongrois. Alors qu’un audit des services publics, en 2009, ne constate pas d’anomalie et que la compagnie dégage des marges positives, le maire Viktor Orbán affirme avoir découvert des « éléments choquants ». On reproche aux dirigeants de l’entreprise, tous hongrois donc, de favoriser « l’expansion commerciale au détriment des consommateurs ». Début octobre 2009, le conseil municipal décide de créer une nouvelle société ; il envoie en pleine nuit des hommes de main prendre possession des bureaux. Leur accès est refusé dès le lendemain à l’ancienne équipe140.

Après s’être « fait la main » à Pécs sur Suez Environnement, Viktor Orbán, devenu président de la République, a pu étendre son « hold-up » sur la Hongrie tout entière : modification de la Constitution au profit de son parti, disparition du mot « république » dans ladite Constitution, qui, en outre, est non conforme au droit européen pour les Etats membres, muselage de l’opposition et des médias, refus d’obtempérer aux injonctions de Bruxelles ou du FMI, dévaluation du forint, la monnaie hongroise, qui perd toute sa valeur par rapport à l’euro, déficit budgétaire, faillite prévisible du pays, etc. Les histoires d’eau rejoignent tristement l’histoire !

Algérie : des résultats spectaculaires141

En 2006 à Alger, le diagnostic conjoint de l’Office national de l’assainissement (ONA) et l’Algérienne des Eaux (ADE) aboutit à l’élaboration d’un plan d’action visant à la modernisation des systèmes et au rétablissement de la distribution en continu de l’eau sur une période de cinq ans. La décision a également été prise de réunir les services d’eau et d’assainissement de la wilaya d’Alger (Collectivité publique territoriale d’Alger couvrant 57 communes) dans une structure commune et d’en confier la gestion à Suez Environnement. Signé en 2006 pour cinq ans entre Suez Environnement et ses partenaires, le plan Alger H24 qui a découlé de cette alliance s’est fixé quatre objectifs majeurs : rétablir une distribution d’eau de qualité vingt-quatre heures sur vingt-quatre, renforcer la prise en charge et le fonctionnement des systèmes d’assainissement, remettre à niveau et gérer durablement les ouvrages et installations d’eau et d’assainissement, mettre en place une gestion clientèle moderne et efficace pour améliorer la satisfaction des clients.

En 2011, juste avant le renouvellement du contrat, des résultats spectaculaires pour les Algérois ont été atteints, et notamment 100 % de l’eau distribuée est potable et disponible vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept, contre seulement 8 % en 2006, et 53 % de la population de la wilaya d’Alger est raccordée à un service d’assainissement contre 6 % en 2006. Aussi, 64 des 72 plages d’Alger sont maintenant autorisées à la baignade alors qu’il n’y en avait que 39 en 2006.

 

RETOUR EN FRANCE : L'EMPLOI
DANS LE SECTEUR DE L'EAU142

L’emploi dans les services d’eau et d’assainissement, dans les collectivités et chez les opérateurs privés, est de l’ordre de 60 000 salariés dont 33 000 pour les entreprises et 27 000 agents sous statut de la fonction publique territoriale. Les entreprises opèrent sur un secteur dynamique et porté par les enjeux essentiels de l’environnement, ce qui implique une politique volontariste d’emploi et de formation (4,6 % de la masse salariale). Le taux de CDI est de 94 %, et ce secteur enregistre le plus faible taux de turn-over de l’ensemble du secteur des services. Pour ces entreprises la fidélisation du personnel fait partie de la stratégie de leurs ressources humaines.

RETOUR EN FRANCE : LA RECHERCHE
ET L’INNOVATION, LES ATOUTS CONCURRENTIELS

Les entreprises de l’eau investissent chaque année plus de 140 millions d’euros dans le développement de nouvelles technologies et mobilisent ainsi plusieurs centaines de chercheurs et d’ingénieurs. Elles déposent chaque année plus de 50 nouveaux brevets. L’innovation la plus connue du public est sans doute le télé-relevé, qui permet au consommateur de superviser et d’agir sur ses consommations domestiques quasiment en temps réel, et de surcroît les abonnés ne sont plus dérangés par la relève des compteurs. Toutefois, 4 % seulement des foyers français sont télé-relevés à ce jour, mais la généralisation du dispositif est programmée.

Les entreprises de l’eau innovent aussi dans des domaines moins « visibles » : techniques d’analyse pour la recherche et l’élimination des micropolluants dans l’eau, techniques quasi instantanées d’analyse de la qualité des eaux de baignade, procédés de filtration de l’eau par membrane, dessalement de l’eau de mer avec une recherche de la réduction des consommations énergétiques, développement de pompes à chaleur dans les réseaux d’assainissement...

IDÉES POUR LES PAYS MOINS AVANCÉS :
LE « BUSINESS » DE L’EAU AU BURKINA FASO

Dans ce pays d’Afrique tropicale pauvre, la croissance est de plus de 6 % depuis le tournant du siècle. La stabilité politique, la mise en valeur des mines d’or, la présence massive d’ONG, la gentillesse de la population, son ardeur au travail, l’absence de problèmes ethniques ou religieux sont des atouts solides. Classé pour l’instant dans la catégorie des pays les moins avancés, le Burkina pourrait, dans une dizaine d’années, basculer dans le camp des pays à revenus intermédiaires.

Le taux d’équipement des villages en forages modernes, ceux équipés d’une pompe manuelle, est de 50 %. Quinze mille forages sont en place, il en manque quinze mille autres pour satisfaire les besoins ruraux : un forage pour 300 habitants et jamais plus d’un kilomètre pour aller de la maison au forage.

Le gouvernement burkinabé a mis en place un ensemble de lois et décrets rendant obligatoire par les usagers le paiement de l’eau de ces forages. Chaque village doit mettre en place une AUE, Association des usagers de l’eau. Les tarifs sont fixés démocratiquement par l’AUE ainsi que le mode de paiement : soit un forfait mensuel par famille, par exemple 2 euros par mois, soit par comptage de chaque seau ou cuvette pompée chaque jour, 10 centimes d’euro par exemple. Les recettes doivent être déposées sur un compte à la caisse populaire. 20 % des recettes doivent être reversées à la commune rurale (qui regroupe entre 20 et 100 villages). Sous l’autorité du maire, ce dernier doit organiser et financer, avec les sommes collectées, la maintenance préventive des pompes en organisant et finançant la visite d’un technicien une fois par an. La probabilité de pannes s’en trouve réduite de manière significative. En revanche, c’est l’AUE du village local qui doit assurer, avec les 80 % restants du produit des ventes d’eau, toutes les maintenances curatives, c’est-à-dire réparer les pannes de la ou des pompe(s).

Toutes les communes et tous les villages du Burkina Faso n’ont pas encore mis en place l’ensemble de ce dispositif, mais le cadre est donné, l’impulsion politique et administrative est forte, les préfets surveillent la mise en place de ce paiement obligatoire. Bailleurs de fonds et ONG sont également vigilants. A l’horizon de quelques années, on peut penser que le pays aura mis en place, dans ses 300 communes rurales, ce dispositif original. Même chez les plus pauvres, la gratuité n’a que des effets pervers. La mise en place de ce petit « business » de l’eau, largement autogéré, est le gage de la pérennité de l’accès à l’eau pour tous.

Dans les grandes villes, l’Office national de l’eau et de l’assainissement, l’ONEA, une société d’Etat 100 % burkinabé, donne satisfaction. La totalité de ses ingénieurs et cadres sont des nationaux. Elle a su trouver des financements importants, notamment auprès de la Banque mondiale, pour des équipements lourds comme le barrage de Ziga, alimentant la ville de Ouagadougou en eau potable. Les « majors » françaises sont présentes en Côte-d’Ivoire, mais sont absentes du Burkina. L’ONEA est bien géré et gagne de l’argent car tout client qui ne paie pas se voit couper l’eau immédiatement. Cela dit, les tarifs de l’eau sont progressifs, et les consommateurs modestes paient moins cher, par mètre cube, que les riches. Cet office public démontre que le « business » de l’eau peut parfaitement fonctionner dans un pays pauvre, de manière autonome et souveraine, au service du développement économique et social du pays.

 

La privatisation de l’eau mondiale n’est pas pour demain, mais il faut souligner que les grandes entreprises de l’eau ont permis que ce secteur s’adapte et se modernise en faisant, seules, recherche et développement sur le traitement et la distribution de ce service public essentiel. Elles sont un atout pour la France et pour le monde.