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TROIS

LE BRUIT ET LA FUREUR

Tout n’était qu’un murmure autour de lui, comme si la planète entière réclamait le silence.

Mkoll était couché sur le ventre, à s’efforcer de percevoir les bruits au milieu de ce ressac d’océan que produisait la brise en balayant la forêt de fougères. Celles-ci croissaient sur les sols cendreux d’un relief volcanique depuis longtemps éteint dans cette partie de Ramillies 268-43. Plantées sur des tiges tachetées hautes comme trois hommes et nervurées comme des bambous, leurs frondes fibreuses et oscillantes évoquaient des plumes aussi blanches que neige.

Elles lui rappelaient les forêts de nals de son monde natal, quand ce monde natal existait encore : les forêts de nals en hiver, où il avait chassé et ramassé du bois. Le givre venait envelopper les aiguilles toujours vertes des arbres, jusqu’à les faire tinter comme des carillons à vent.

Ici, il n’y avait que ce soupir, le mouvement des fougères sèches, et la poussière envahissante qui encrassait le moindre pore de votre peau en vous irritant l’arrière de la gorge. Les rayons crus du soleil, tombés d’un ciel bleu translucide, dardaient au travers de l’air pâle. Sous les capillaires de la végétation, le jour faisait du sol un excellent couvert : des éclaboussures de lumière juxtaposées aux ombres mouvantes.

Vingt mètres parcourus en rampant l’amenèrent dans un fourré de broussailles squelettiques. Une double couche de tissu à mailles enroulé autour de ses tibias les protégeait des ronces acérées. La bandoulière resserrée de son fusil laser le maintenait plaqué contre son torse pour le tenir hors de la cendre, mais toutes les dix minutes, Mkoll époussetait toutes les pièces mobiles en retirant les fibres blanches et les éclats de brindille qui ne cessaient de s’y accumuler.

Plusieurs craquements le firent pivoter en silence et glisser son arme en position de tir entre ses paumes sèches et lisses. Quelqu’un traversait le massif à sa gauche, en faisant craquer sous ses semelles l’épine occasionnelle.

Pour être honnête, ce quelqu’un se déplaçait d’un pas expert et entraîné. Aux oreilles de Mkoll, cette progression gardait néanmoins des allures de marche insouciante.

Il tira sa longue dague argentée, délibérément ternie avec de la cendre. Son corps recula derrière la fronde d’une des fougères et en adopta la courbure. Deux pas. Un.

Il frappa en ne retenant sa lame qu’au dernier moment.

Dewr sursauta et tomba en arrière en brisant dans sa chute plusieurs fougères flétries. En une seconde, Mkoll fut sur lui, immobilisa ses bras et lui posa son couteau sous la gorge.

— Putain, t’aurais pu me tuer ! s’emporta Dewr, passablement agité.

— J’aurais pu, confirma Mkoll dans un murmure.

Il relâcha sa prise, roula de côté et laissa l’autre se relever.

— N’importe quoi d’autre aurait pu te tuer, avec tout le bruit que tu fais.

— Je… Comme lui, Dewr chuchota. On est seuls ?

Mkoll ne lui répondit pas. Si quelqu’un d’autre se trouvait dans les parages, la chute de Dewr avait pu être entendue.

— Pas fait exprès, s’excusa Dewr d’une voix crispée, en s’arrachant les épines sur lesquelles il s’était étalé.

Mkoll scrutait les environs, le fusil à l’épaule.

— Mais qu’est-ce qu’on t’a appris, par Feth ? rabroua-t-il Dewr à voix basse. Tu es censé être un éclaireur !

Dewr n’avait rien à répliquer. Tous les autres éclaireurs savaient quels étaient les standards de perfection défendus par Mkoll, tout comme ils savaient ne pas lui arriver à la cheville. En vérité, Dewr était furieux. Durant leur entraînement de base, et avant cela durant sa carrière de chasseur dans les réserves méridionales de Tanith Attica, tous s’étaient accordés à reconnaître en lui un excellent traqueur. C’était pour cette raison qu’il avait été affecté à l’unité de reconnaissance quand le régiment s’était formé. Et voilà que ce vieux le faisait se sentir con, con et maladroit par-dessus le marché !

Sans un mot, en ignorant le regard de Dewr qu’il savait rivé sur sa nuque, Mkoll lui fit signe de le suivre et recommença à descendre la pente vers le fond du vallon.

Les Tanith étaient arrivés sur Ramillies deux semaines plus tôt, juste à temps pour rater les combats. L’Adeptus Astartes avait nettoyé puis sécurisé les quatre bastions ennemis, refoulant ainsi le Chaos de ce monde. Les Fantômes, rassemblés sur la plaine près d’une des forteresses en flammes, avaient vu les Space Marines, au loin, jeter des carcasses d’adorateurs sur d’immenses bûchers, tels des géants de mythologie dans l’air épaissi par la fumée des corps carbonisés.

De petits composants de la présence ennemie semblaient pourtant avoir fui leur défaite et être parvenus aux forêts de fougères, au nord. Trop insignifiants pour accaparer le précieux temps des glorieux Space Marines. La mission d’extermination était échue au commissaire. Les Fantômes avaient donc pénétré dans la végétation touffue des collines, afin d’en faire sortir les derniers vestiges de l’armée adverse.

Il y avait eu quelques succès de première heure : des enclaves de cultistes, pour certains bien armés, tapis dans le moindre creux pour y livrer leur dernier carré. Puis, après une semaine, alors qu’ils atteignaient des altitudes plus froides et des forêts de fougères véritablement denses, un programme méthodique s’était développé. Mkoll organisait chaque jour les itinéraires en éventail d’une vingtaine d’éclaireurs, qui passaient au peigne fin chaque recoin de la zone et revenaient en arrière signaler aux autres Fantômes les éventuels contacts.

Peut-être s’étaient-ils relâchés. Le major Rawne soutenait que les derniers renégats avaient été exécutés, et qu’ils ne faisaient que gâcher leur temps en s’enfonçant de plus en plus loin dans les portions isolées de l’intérieur des terres. Le commissaire paraissait décidé à s’acquitter de sa tâche scrupuleusement, mais avait ordonné de doubler le rayon des patrouilles. Quelques jours encore et ils abandonneraient, avait-il dit à Mkoll.

Par ce jour glacial et venteux, les éclaireurs s’étaient enfoncés plus loin dans les collines, en dispersion plus large. Pas de rencontre durant les deux derniers circuits. Mkoll sentait bien que la routine ramollissait des soldats moins scrupuleux que lui, comme Dewr.

Mais ce que lui-même avait pu observer l’encourageait à poursuivre et à rester vigilant. Des éléments rapportés à Gaunt pour le convaincre de ratisser la forêt quelques jours de plus : des endroits suspects, des chemins récemment ouverts au milieu de la végétation piétinée, et sans direction fixe. Une présence dans le secteur.

Ils traversèrent le fond de la vallée et remontèrent le versant ombragé, sous la gîte incessante des fougères. Tous les dix pas, sans que le soin qu’il mettait à avancer n’y changeât rien, les pieds de Dewr faisaient craquer une épine ou une bogue sèche, ou rouler un caillou. Chaque son le faisait jurer intérieurement. Il était déterminé à faire ses preuves devant Mkoll, et ignorait comment lui arrivait à se mouvoir aussi silencieusement, en donnant l’impression de flotter.

Les fougères sifflaient dans le vent.

Mkoll s’arrêta pour consulter sa carte pliée et comparer l’orientation de sa boussole à la position du soleil. Dans le quart d’heure suivant, leur circuit devait les faire retrouver Rafel et Waed, partis le matin selon une trajectoire symétrique.

Mkoll releva soudainement la main et son partenaire se figea sur place. Le sergent écarta deux fois les doigts pour indiquer à Dewr de se mettre à couvert. Celui-ci se glissa sous le pédoncule d’une des frondes duveteuses, posa un genou à terre, leva son fusil ; l’échangeur du circuit de ventilation était poussiéreux et il l’essuya. La poussière était partout, et lui piquait les yeux. Il respira. Sa visée balayait les alentours de Mkoll et couvrait son avance.

Mkoll parcourut encore quelques mètres. Un nouveau sentier, large comme trois hommes avançant de front, traversait les fougères écrasées ou déracinées. Prudemment, il alla toucher une des tiges cassées : encore vivace, comme en témoignait la sève qui coulait sur son écorce dure comme du fer, épaisse comme sa cuisse. Lui-même n’aurait pas pu l’entamer aussi nettement, pas même à la hache. Il s’accroupit : sur le sol, des marques de pas, larges et profondes. D’un côté comme de l’autre, le chemin se prolongeait aussi loin que portait la vue, en serpentant de manière inégale. De trois doigts levés, Mkoll traça des cercles dans l’air. Dewr avança pour le rejoindre.

Il remarqua à son tour la piste fraîche. Les questions se pressèrent dans sa bouche, mais le regard de Mkoll l’incita à ne pas les lui poser. Aucun bruit ne troublait le frémissement des frondes ; Dewr s’agenouilla et observa à son tour. Quelqu’un… Quelque chose de proprement énorme paraissait s’être frayé ce chemin au hasard. En frôlant le sol cendreux, ses doigts trouvèrent un morceau de métal noirci à moitié enterré, qui devait garnir la bordure d’un objet arrondi, et gros comme une main. Il le tendit à Mkoll, lequel le fit tourner entre ses doigts et l’étudia avec un intérêt véritable, avant de le fourrer dans une poche sur sa cuisse. D’un signe de la tête, il félicita Dewr pour son œil perçant. Cet instant fugace emplit le jeune éclaireur de plus de fierté qu’il n’en avait jamais ressenti. Et qu’il n’en ressentirait plus jamais.

Ils reprirent leur progression en remontant le sillon de fougères courbées qui trahissait la direction empruntée par cette présence inconnue. Soixante mètres plus loin, le tracé virait vers le haut de la colline ; Mkoll marqua une pause pour nettoyer à nouveau son arme.

Un bruit traversa l’air, aussi vif et soudain qu’un coup de couteau. Tous deux sursautèrent. Le cri avait brutalement pris fin, mais cela avait été un hurlement humain, il n’y avait pas à s’y tromper. Mkoll se remit en route dans la seconde pour trouver sa source. Dewr s’engagea à sa suite en s’efforçant de rester silencieux malgré leur allure pressée. Ils quittaient la piste pour regagner le couvert des massifs. Devant eux, la flore changea. Sous la crête du sommet de la pente, des cactus épineux croissaient en grappes de boules fibreuses, semblables à des calebasses hérissées de longues aiguilles alignées le long de chaque ridule du sac central. De ces centaines de bulbes, certains leur arrivaient au genou, d’autres étaient plus grands et plus gros qu’eux.

Un autre cri plus faible prit fin tout aussi vite. Il évoquait celui d’un homme s’éveillant d’un cauchemar pour s’apercevoir qu’il avait rêvé ; et un autre son suivit de peu ce cri, un bruit d’expectoration violente, comme si quelqu’un s’était raclé la gorge pour en déloger des pépins de fruit.

Ils trouvèrent Rafel ratatiné au milieu des bulbes. Une traînée de taches vives sur la terre cendrée indiquait où il était tombé, et comment il avait rampé. Plus d’une douzaine d’aiguilles le transperçaient, certaines longues comme le bras. L’une d’elles avait atteint le cerveau au travers de l’œil. Horrifié, Dewr était sur le point de manifester son dégoût ; Mkoll pivota pour lui plaquer sa main sur la bouche et lui désigna la plus proche des grappes de cactus. Il y manquait un alignement d’épines, remplacées par autant d’orifices dégoulinants.

— Rafel, je répète, quelle est ta position ? La voix nasillarde provenait de l’intercom du cadavre. Mkoll se jeta sur Dewr alors que les trois bulbes les plus proches, dans une salve de ces bruits de crachats caverneux, décochaient leurs aiguilles qui se plantèrent comme des flèches dans la dépouille de Rafel ou ricochèrent sur le sol autour d’eux.

L’une d’elles atteignit Dewr au-dessus du pied. Dewr parvint à contenir son envie de hurler. La douleur fut aiguë, puis s’estompa tout à coup. Sa jambe lui parut froide. Mkoll se releva de sur lui. Dewr pointa faiblement un doigt vers sa jambe, mais son sergent procéda à un ajustement rapide sur l’intercom accroché autour de son cou, puis tendit la main vers le sien et l’éteignit.

Ce ne fut qu’alors qu’il se préoccupa de la blessure. Il tira son couteau et découpa le tissu autour du mollet de Dewr, après avoir cisaillé les sangles qui y maintenaient la cotte de mailles. L’aiguillon était passé entre certains anneaux et en avait brisé d’autres. Mkoll fit tourner sa dague dans sa main pour en présenter le manche devant la bouche de Dewr. D’instinct, celui-ci mordit, et Mkoll arracha le corps étranger.

L’hémorragie était minime. C’était mauvais signe : le sang coagulé jaunissait rapidement et le résidu poisseux sur l’épine suggérait un poison. Mais elle n’avait fait que perforer la chair, ce qui était une chance. Sa force cinétique aurait facilement pu briser l’os de la cheville.

La mâchoire de Dewr resta encore crispée un instant autour du manche avant que le reflux de la douleur ne lui desserrât les dents, et la dague glissa au sol. Mkoll se releva. Il allait récupérer la trousse de premiers soins de Rafel et panser la plaie ; Rafel, lui, n’en aurait plus besoin. Il se retourna. Une des épines tombées au sol se rompit en deux sous son pied dans un craquement sec ; un moment de relâchement qu’expliquait son inquiétude pour Dewr. Un des bulbes frissonna et éjecta un de ses dards, dont la pointe traversa la crosse du fusil laser de Mkoll et s’arrêta à quelques centimètres de son ventre.

Mkoll se décontracta en prenant une profonde inspiration, la délogea d’un coup sec, puis il s’approcha de Rafel et libéra la besace qu’une aiguille lui avait clouée à la hanche avant de revenir vers Dewr.

Dewr sentait sa tête commencer à tourner. La sensation était fluide, comme si toutes ses angoisses et ses tourments le quittaient. Il ne restait que cette impression étrange qu’un mal lui rongeait la jambe. Même cela n’avait rien de déplaisant.

Mkoll vit cet air absent tomber comme un voile sur le regard de Dewr. Sans cérémonie, il s’empressa de lui enfourner dans la bouche une longueur de bande stérile et tassa le bâillon improvisé à l’intérieur. Un homme en proie au délire n’avait plus conscience des sons qu’il produisait. Il s’apprêtait à charger Dewr sur son épaule quand le silence fut à nouveau troublé. Ce ne fut d’abord qu’un bruit distant, un froissement de plantes écrasées, accompagné par les toussotements sans relâche des bulbes stimulés par cette démarche pesante. Quelque chose approchait, attiré par les derniers cris de Rafel. Une chose gigantesque.

Lorsqu’elle s’engagea dans leur clairière, tous les cactus autour d’elle combinèrent spontanément leurs aiguilles en une tornade vénéneuse qui ricocha sur sa carapace blindée. Mkoll s’était allongé sur Dewr durant la grêle de projectiles végétaux, et ils restèrent là, silencieux et transis.

Le Dreadnought du Chaos s’immobilisa dans un tassement de ses grandes jambes hydrauliques. Une odeur de surchauffe et une palpitation électromagnétique firent se dresser le duvet sur la nuque de Mkoll. Sa coque était haute de quatre mètres, large comme trois hommes, noircie et calcinée comme si elle revenait de l’enfer ; toute trace de peinture ou de marquages avait été brûlée, jusqu’à révéler le métal par endroits. Il émanait d’elle une présence maligne qui se propageait à ses environs. La seule taille d’une telle machine avait de quoi faire frémir sans cette aura malveillante. Mkoll sentit monter un haut-le-cœur et serra les lèvres. Dewr semblait avoir sombré.

Le Dreadnought fit un pas en avant, presque hésitant et délicat, bien que son large sabot d’acier eût fait trembler la terre en retombant et déclenché une nouvelle salve d’aiguilles. Son corps pivota comme pour apprécier ses environs, et il risqua un autre pas. À nouveau le plank-plank des aiguilles.

Il était aveugle. Mkoll en avait enfin la certitude. Les blessures atroces infligées par l’Adeptus Astartes se lisaient sur son visage de métal figé. Les instruments optiques en avaient été arrachés par un dommage plus important que les autres ; le demi-cercle de métal que Dewr avait trouvé provenait de l’arcade d’un de ses yeux. Cela devait faire des jours qu’il errait ainsi dans les massifs de fougères en se dirigeant vers le moindre son.

Un autre pas. Un autre sifflement de pistons, un ronflement du motivator. Une autre chute du pied pesant et une autre pluie de dards. Il n’était plus qu’à trois mètres d’eux, orientant son corps pour mieux
écouter.

Dewr revint difficilement à lui. Ses yeux embrumés par les toxines réussirent à se focaliser sur le Dreadnought et rendirent cette vision bien réelle plus atroce encore. Il tressaillit. Malgré la gaze qui l’étouffait, son hurlement fut strident et haut perché.

Alors que Dewr commençait à se débattre par saccades désordonnées, Mkoll n’eut que le temps de réagir et plongea de côté.

Le Dreadnought repéra la source du cri aussi rapidement que les plantes autour d’eux. Les aiguilles lardèrent un corps qu’un tir de lance-plasma venait d’incinérer quelques millièmes de seconde plus tôt.

D’autres aiguilles tambourinèrent une nouvelle fois contre le blindage du Dreadnought.

Mkoll s’était aplati au sol, pour contourner les groupes de bulbes en essayant de garder la machine de mort en vue. Son cœur martelait ses côtes et il le maudissait de battre aussi bruyamment.

À l’abri derrière le massif suivant, il se coucha sur le dos afin d’inspecter son arme. Des brindilles s’étaient encore coincées dans le pontet de la gâchette. Il pensa spontanément à les en retirer, mais s’arrêta net. Cela produirait un bruit, et quelle en était l’utilité ? À quoi pouvait lui servir un fusil laser dans ces circonstances ?

Mkoll se déplaça à nouveau. Son pied fit rouler une pierre, des épines volèrent sans l’atteindre. Le Dreadnought se mit à la recherche de ce son en traversant la pluie d’aiguilles qui fusaient à chacune de ses enjambées.

Il était aveugle, les plantes étaient aveugles. Mkoll songea à courir. S’il réussissait à rester silencieux, et tel était son don, il pourrait s’enfuir et rapporter l’information à Gaunt. Mais ensuite, allaient-ils réussir à retrouver le Dreadnought, ici, au milieu de cette nature luxuriante ? Pour le retrouver, il leur faudrait peut-être des semaines, et beaucoup perdraient la vie en tentant de le neutraliser. Si seulement il parvenait à…

Non. Ce serait du suicide. De la folie pure et simple.

Puis il entendit la voix au loin, qui appelait Rafel. C’était Waed. Il se trouvait encore au-delà de ce massif infernal, sûrement à se demander pourquoi son compagnon avait cessé d’émettre. Bientôt, il déclencherait contre lui des tirs d’aiguilles.

Ou il attirerait le Dreadnought. Dans sa cécité, le monstre s’était déjà retourné et repartait à l’opposé, réduisant sur son passage les cactus cracheurs en une bouillie ocre.

Quelques secondes seulement pour réfléchir. Mkoll n’allait pas laisser mourir un troisième éclaireur de son escouade. Pas de cette façon.

Il décrocha une de ses grenades, en fit sauter la goupille et la lança vers sa gauche. Dans une gerbe de feu et de fibres, l’explosion dégagea un espace au milieu des plantes tueuses, provoquant en réaction la rafale d’aiguilles attendue. Mkoll s’élança droit vers le cercle de terre noircie et s’adossa à l’un des bulbes stimulés par la détonation. Ses orifices lanceurs étaient dégarnis de leurs aiguilles. Il pouvait à présent s’en servir de couvert.

Le Dreadnought avançait pesamment, attiré par le bruit de la grenade. Waed s’était tu.

Mkoll ajusta le réglage de son fusil et le posa sur le sol.

— Par ici, saloperie !

Le son de sa voix lui parut incroyablement retentissant. De petits bruits de bulles éclatèrent autour de lui. Plus aucune des plantes proches n’avait d’épines pointées dans sa direction.

Ayant à son tour atteint le cercle dégagé, le Dreadnought entendit un objet métallique buter contre son pied gauche. Il se pencha pour le ramasser.

Le fusil laser de Mkoll.

Il le leva entre ses griffes bioniques et l’amena à hauteur de son blindage frontal déjà endommagé, comme pour le renifler.

Mkoll s’était mis à courir.

D’après son estimation, il lui restait cinq secondes, cinq secondes avant que la cellule d’alimentation de son arme poussée au maximum n’atteigne son seuil de surcharge critique.

Le souffle le jeta à terre.

Au bruit de l’explosion, des centaines de cactus lâchèrent leurs épines.

Puis le silence revint.

En silence, au côté de Waed, Mkoll regagna le massif qu’il venait de quitter, et où ils trouvèrent le Dreadnought. L’explosion ne l’avait pas tué. Mais elle avait éventré son blindage, et les dards empoisonnés avaient fait le reste, en criblant les vestiges charnels de l’ancien renégat emprisonné dans la machine. D’après les indices qu’il découvrait, Mkoll se représentait la scène : surprise et folle de rage, la bête de métal, dans son arrogance, avait parcouru quelques mètres d’un pas moribond avant de basculer en avant, terrassée.

Ils rejoignirent le sentier qu’elle leur avait ouvert.

— T’es vraiment un héros ! finit par lâcher Waed.

— Comment ça ?

— Mais merde, Mkoll ! Un Dreadnought ! Tu t’es fait un Dreadnought !

Mkoll se retourna vers son compagnon, avec un air qui excluait d’emblée toute contestation.

— Nous allons dire au commissaire que la zone est nettoyée. Compris ? Je ne veux pas qu’on me porte en héros, c’est bien clair ?

Waed hocha la tête et emboîta le pas à son sergent.

— N’empêche que tu l’as détruit… risqua-t-il.

— Non. J’ai écouté, attendu, et je suis resté silencieux… J’ai ménagé une opportunité. C’est la planète qui a fait le reste.