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Une aube rouillée fissura le ciel au-dessus de Monthax. L’air rappelait à Gaunt les hauts vitraux de la Schola Progenium sur Ignatius Cardinal, là où il avait été élevé et entraîné des années auparavant après la mort de son père. Fumées comme du verre, les couleurs passaient par des tons dispersés de rouge et d’ocre pour tirer vers toutes les nuances du mauve et du violet, au-dessus desquelles les étoiles scintillaient encore. Il n’y manquait plus que la silhouette bordée de plomb d’un quelconque défenseur de l’Imperium, d’un saint figé dans une attitude de victoire, une sandale posée sur les têtes empilées des vaincus.

Il crut réentendre un instant le plain-chant du chœur de la Schola, célébrant le matin et l’ascension de l’astre d’Ignatius. Mais il secoua la tête. Il s’était fourvoyé : de l’autre côté des ombres allongées sur la boue des tranchées puantes, tandis que se rallumaient les feux pour le petit-déjeuner, les hommes avaient entonné un hymne de la Garde, plus rude et plus brutal. Milo était parmi eux, à accompagner les voix encore éraillées par le sommeil des quelques notes cristallines qu’il tirait d’une flûte taillée dans un roseau.

À sa manière, leur chant était lui aussi une offrande, une célébration de la providence d’un jour nouveau, délivré des ténèbres de la nuit, grâce en soit rendue à l’Empereur. Au-delà des lignes, l’emprise inébranlable de la jungle, où la chaleur du soleil levant faisait s’évaporer l’humidité. La brume enveloppait les troncs noirs. Dans cet enchevêtrement de végétation et d’eau, et de mouches et de bourbe, quelles autres calamités pouvaient bien attendre la Garde Impériale ?

Près de Gaunt, un homme ne chantait pas ; le major Rawne, assis devant sa tente près du feu, sur une couverture roulée, se rasait au moyen d’un bol d’eau chaude, d’un morceau de miroir brisé, et du tranchant parfait de son couteau de Tanith. Un minuscule bout de savon avait dû lui permettre d’obtenir un peu de mousse. Gaunt entendait le grattement de la lame contre le poil court de ses joues et de sa gorge.

Le commissaire se trouva presque hypnotisé par les gestes exercés et méticuleux. Par la façon dont Rawne, de sa main libre, tendait la peau de sa joue en regardant le miroir de biais, dont il faisait glisser la dague avant d’en racler le plat sur le bord de son récipient.

Un couteau glissant sur un couteau, songea Gaunt. Le visage de Rawne lui avait toujours évoqué le profil admirable et fin d’un poignard… Ou celui d’un serpent, peut-être.

Les deux comparaisons auraient été appropriées. Gaunt admirait Rawne pour ses capacités, et même en vérité pour sa cruauté, mais leur absence d’amitié l’un pour l’autre était réciproque. Il se demanda combien de gorges avaient pu être ouvertes par cette dague que Rawne faisait délicatement caresser sa peau vulnérable. Le regarder faire sans s’infliger la moindre égratignure soulignait son contrôle sur l’instrument. Le geste était précis, parfait, et la différence infime entre un rasage de près et un coup fatal.

Avec ce couteau plus que tout autre.

Rawne leva les yeux et surprit le regard de Gaunt. Il n’esquissa pas le moindre geste de salut et poursuivit sa toilette, mais Gaunt savait à quel point le major aurait aimé pouvoir nettoyer cette lame de ses poils et de sa mousse, pour la lui plonger dans le poitrail.

Ou se changer en serpent et le mordre.

Gaunt s’éloigna. Avec Rawne, il lui faudrait pour toujours surveiller ses arrières. Pour toujours et à jamais. Tel était l’ordre des choses. La galaxie recelait pour Ibram Gaunt un milliard d’ennemis ; le plus dangereux d’entre tous était parmi les siens, à attendre son heure, et l’opportunité qui viendrait un jour de faire de Gaunt un fantôme à part entière.