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Ici, sur Monthax, l’infirmerie avait été dressée bien en retrait du remblai défensif principal, et surélevée sur pilotis comme la hutte modulaire de Gaunt. Sous la pente de son long toit coloré de noir par un revêtement de bitume, ses murs de planches avaient été badigeonnés d’un vert arsenic. Des toiles pare-éclats grises avaient été tendues en travers des entrées et des lucarnes ; plusieurs faisceaux de tuyaux et de câbles acheminaient l’air des épurateurs et le courant de la turbine qui ronronnait non loin. Des symboles de l’Imperium et du corps médical avaient été ajoutés au pochoir par-dessus la peinture, comme si les troupes du Chaos qui franchiraient peut-être les levées allaient y prêter attention. Gaunt grimpa à une échelle de métal près de la rampe réservée aux brancards et s’engagea à l’intérieur en écartant les lourds rideaux.

Ce qu’il y trouva était aussi paradisiaque que surprenant. L’endroit était de loin le plus frais et le plus odoriférant du campement, sans doute de toute la planète. De douces senteurs de sève montaient des planches du sol et de la natte de jonc qui le recouvrait. S’y mêlaient des effluves d’antiseptique, d’alcool à 90° degrés et ceux d’un encens purifiant qui brûlait dans son bol près du petit autel installé dans l’angle ouest. Les quarante lits étaient faits et vides. Une pâle lumière artificielle filtrait des lampes à abat-jour.

Gaunt remonta d’un pas nonchalant la longueur du petit hôpital et alla passer la porte à l’autre extrémité. Cet accès menait aux magasins de fournitures, aux latrines, à une petite salle opératoire et aux quartiers de l’officier médical en chef. Dorden n’était pas dans son petit bureau, mais Gaunt reconnut sa patte dans l’arrangement soigneux des ouvrages de référence, des classeurs, et dans l’étiquetage méticuleux des flacons et bocaux, derrière le verre de l’armoire fermée à clé.

Le vieux chirurgien se trouvait dans son bloc, à polir la surface inoxydable et les siphons d’écoulement de la table. Des scalpels luisants, un autoclave et une unité Resuscitrex attendaient dans leurs coins.

Dorden releva la tête, l’air étonné.

— Commissaire Gaunt ! Je peux vous être utile ?

— Ne bougez pas. Juste une petite inspection de routine. Rien à rapporter, aucun problème ?

Dorden se redressa, roula son chiffon en boule et l’abandonna dans son bol de désinfectant en céramique.

— Pas le moindre. Vous êtes venu visiter mon petit dispensaire ?

— Il y a du mieux, si on considère les dernières conditions dans lesquelles vous avez dû travailler.

Dorden sourit. C’était un petit homme sympathique, à la barbe grise nettement taillée, et dont les yeux amicaux avaient vu plus de souffrances qu’ils ne le méritaient.

— C’est encore vide.

— Je dois admettre que j’ai été surpris en entrant. L’habitude de voir vos installations submergées par les blessés, l’Empereur nous en préserve.

— Ça va certainement venir, présagea Dorden. Je dois admettre qu’il me perturbe moi aussi de voir tous ces lits vides. Je remercie le Trône d’Or que nul n’ait besoin de moi, mais l’oisiveté ne me convient guère. Je dois déjà avoir tout astiqué et balayé une bonne dizaine de fois.

— Si Monthax ne vous donne pas plus de travail, nous pourrons tous nous estimer heureux.

— Puisse-t-il en être ainsi. Je peux vous offrir une tasse de café ? J’étais sur le point d’allumer mon réchaud.

— Peut-être plus tard, quand je repasserai par ici. Je dois aller vérifier nos stocks. Des indices d’activité ennemie ont été signalés.

— C’est ce que j’ai entendu dire la nuit dernière. À tout à l’heure, commissaire.

Gaunt hocha la tête et sortit. Il pressentait que le loisir de revenir plus tard ne lui serait pas laissé, comme il doutait que ce petit havre tranquille le resterait bien longtemps.

Dorden l’accompagna sur quelques mètres, le regarda partir, et resta un instant à contempler la disposition bien nette des lits inoccupés. Pas plus que Gaunt il ne se faisait d’illusions quant au puits d’horreur que cet endroit allait devenir. C’était inévitable.

Il ferma les yeux. L’espace d’un instant, il vit le nattage du sol maculé de cruor noir ; les draps salis ; les visages hurlants et gémissants. Et ceux qui se taisaient.

Son nez crut une seconde détecter l’odeur du sang et de la chair
brûlée. Mais ce n’était que l’encens.

Oui, rien que l’encens.