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Gaunt longeait la ligne dans le petit matin. Les odeurs capiteuses de la jungle de Monthax lui emplissaient les sens, à lui donner la nausée. Des Tanith, qui travaillaient torse nu à soulever la mélasse visqueuse et à remplir toujours plus de sacs, s’interrompirent pour lui renvoyer son bonjour d’un hochement de tête, échangèrent quelques mots avec lui et hasardèrent plusieurs questions sur le combat à venir.

Gaunt y répondit du mieux qu’il le put. Un commissaire, chargé du moral et de la propagande, savait tourner une bonne phrase, affectée et pontifiante, mais en tant que colonel, il pensait devoir la vérité à ses hommes. Et en vérité, il ne savait pas trop à quoi s’attendre lui non plus. Un engagement violent, sans aucun doute, mais la part de commissaire en lui voulait épargner aux hommes cette considération. Il leur parla de gloire et de courage en des termes très généraux mais mobilisateurs, sur un ton à la fois doux et ferme, comme son mentor, le général-commissaire Oktar, le lui avait appris lorsqu’il n’était encore qu’un cadet, auprès des Hyrkiens. « Préserve ta voix pour la bataille, Ibram. Avant cela, tu devras veiller à leur moral par des encouragements amicaux. Donne-leur l’impression que rien ne réussit à te préoccuper. »

Gaunt se faisait une fierté de connaître non seulement les noms de tous ses hommes, mais un peu sur chacun d’entre eux, d’entretenir une plaisanterie récurrente avec l’un, un intérêt commun avec l’autre. Une façon de faire éprouvée, celle d’Oktar. Que l’Empereur ait accordé le repos à son âme depuis toutes ces longues années. Gaunt essaya de se rappeler chacun des visages boueux et souriants qu’il venait de croiser sur son passage. Son âme serait damnée le jour où on lui annoncerait la mort du soldat Untel et où il ne verrait pas de qui il s’agirait. « Les morts te hanteront à jamais, lui avait dit Oktar, fais au moins en sorte que tes fantômes soient compréhensifs. » Si Oktar s’était douté de la pertinence de ce conseil…

Souriant au souvenir de son tuteur, il s’arrêta près du bord d’une rigole d’écoulement. Un peu plus loin, quelques soldats libérés des obligations du guet avaient improvisé un jeu et se faisaient passer un sac de boue à coups de pied. Le sac roula vers Gaunt, qui le leur renvoya de la pointe de sa botte. Il fallait les laisser s’amuser tant qu’ils le pouvaient. Combien d’entre eux seraient encore en vie demain ?

Il y avait pertes et pertes. Certaines morts étaient honorables, d’autres atroces, d’autres encore purement inutiles. Et les souvenirs continuaient d’obséder Gaunt en ces heures d’attente interminables. Puisse l’Empereur faire que son régiment de braves soldats ordinaires n’eut plus jamais à subir de pertes aussi importantes, aussi groupées ou aussi dépourvues de sens qu’en ce triste jour sur Voltemand, un an auparavant…