Chapitre 63

À la seule vue des deux bâtiments de l’US Navy, l’équipage du Koguryo, privé désormais de capitaine, jeta l’éponge. De nombreux avions de chasse les survolaient sans relâche, il était clair pour l’équipage que toute tentative de prendre la fuite les condamnerait à une mort certaine. En outre, la coque était sérieusement endommagée, ils n’avaient aucune chance de prendre quiconque de vitesse. Lorsque les bâtiments de guerre s’approchèrent, le second prit le micro et annonça qu’ils se rendaient. En quelques minutes, une équipe de prise envoyée par le destroyer USS Benfold prit le contrôle du bâtiment. Puis une seconde équipe de techniciens embarqua à son tour pour effectuer des réparations de fortune sur la coque. Le navire, toujours sous pavillon japonais, prit alors la route de San Diego à faible allure.

Lorsqu’il y arriva, le lendemain matin, tous les représentants des médias étaient là, surexcités. La nouvelle d’une attaque manquée contre Los Angeles avait filtré, journalistes et cameramen s’étaient entassés dans des dizaines de bateaux à l’entrée du port, d’où ils essayaient de prendre des gros plans du bâtiment et de son équipage, lequel, ainsi que l’équipe de prise, regardaient ce spectacle avec un certain amusement. Cela dit, l’accueil qui leur fut réservé à la base navale se révéla nettement moins chaleureux. Ils y étaient attendus par des policiers et des agents des services de renseignements. Sans ménagement, on fit embarquer les hommes sous bonne garde à bord de bus qui les emmenèrent dans un bâtiment spécial où ils seraient interrogés.

De retour au port, les enquêteurs passèrent le navire au peigne fin. Ils démontèrent les équipements de conduite du lancement ainsi que les systèmes de missiles mer-mer et mer-surface-air. Des spécialistes de la marine, après avoir examiné la coque, déclarèrent que les avaries avaient à coup sûr été causées par des charges explosives mises en place à l’intérieur. Il fallut plusieurs jours aux informaticiens des services spéciaux pour découvrir que toutes les données relatives au lanceur et à sa charge utile avaient été systématiquement effacées avant la capture du bâtiment.

Les interrogatoires des membres de l’équipage se révélèrent tout aussi décevants. La plupart des marins et des techniciens pensaient sincèrement avoir participé au lancement d’un satellite commercial et ne soupçonnaient pas une seule seconde qu’ils se trouvaient aussi près des côtes américaines. Ceux qui étaient au parfum refusèrent de parler. Les enquêteurs comprirent rapidement que Ling et les deux ingénieurs ukrainiens étaient les chevilles ouvrières de l’opération, en dépit de leurs protestations indignées.

Dans le public, le lancement causa une émotion considérable, renforcée encore par des rumeurs faisant état du virus de la variole. Les journaux et les chaînes de télévision clamaient que l’Armée rouge japonaise était derrière toute cette affaire, encouragés par les fuites que distillaient les médias à la solde de Kang. Les gouvernements gardaient le silence, n’infirmaient ni ne confirmaient rien, tout en accumulant les preuves de leur côté, ce qui accentua encore la fureur de l’opinion contre le Japon. L’attaque, même si elle avait échoué, semblait avoir atteint le but que s’était fixé Kang. Les médias, bornés comme à leur habitude, concentrèrent toutes leurs ressources sur cet incident. Toutes les infos convergeaient et ne parlaient que de mesures de rétorsion qu’on allait prendre contre le groupe terroriste japonais. Du coup, la Corée, le vote en cours à l’Assemblée nationale sur le retrait des forces américaines, tout cela passa au second plan, noyé dans la masse.

Les médias, à court de nouvelles juteuses sur le lancement raté, se préoccupèrent de fabriquer des héros. Les hommes de Sea Launch se retrouvèrent soumis à un véritable harcèlement lorsqu’ils débarquèrent du Deep Endeavor à Long Beach. On accorda à la plupart des marins, épuisés, quelques heures de repos, puis ils rejoignirent l’Odyssée par hélicoptère afin de réparer les brèches faites par Pitt dans les colonnes et de la ramener au port. Les autres furent assaillis par les journalistes, soumis à des interviews interminables : comment s’étaient déroulées la prise de la plate-forme, leur captivité, leur libération par Pitt et Giordino, grâce au dirigeable. Quant aux hommes de la NUMA, on les portait aux nues, tous les organes d’information les pourchassaient. Mais ils restaient introuvables.

Après avoir posé leur dirigeable constellé de trous sur une piste désaffectée à LAX, les quatre hommes avaient gagné Long Beach pour accueillir le Deep Endeavor. Ils étaient montés discrètement à bord après le départ des marins de Sea Launch, où Summer et l’équipage leur réservèrent un accueil délirant. À son grand soulagement, Dahlgren aperçut le Blaireau posé sur son berceau à l’arrière, tout cabossé.

— Kermit, dit Pitt à Burch, on a une autre recherche à effectuer. Sous quel délai pouvons-nous appareiller ?

— Dès que Dirk et Summer auront débarqué. Désolé fiston, dit-il en se tournant vers Dirk, mais Rudi a appelé. Ça fait deux heures qu’il essaye désespérément de vous joindre tous les quatre. Il dit que le grand chef étoilé veut vous parler, à Summer et à vous. Ils veulent avoir votre avis sur les méchants, et vite fait.

— C’est toujours les mêmes qu’ont de la chance, susurra Giordino avec un sourire compatissant.

— Décidément, fît Summer, il est écrit qu’on n’arrivera jamais à passer cinq minutes avec toi.

— Nous ferons la prochaine plongée ensemble, répondit son père en passant un bras autour de ses épaules. Promis.

— J’y compte bien, conclut-elle en déposant un baiser sur sa joue.

— Et moi aussi, ajouta Dirk. À propos, Al le Dingue, merci pour la petite balade en ballon. Mais la prochaine fois, je crois que je choisirai les bus Greyhound.

— Je vois, monsieur tient à son petit confort ? répliqua Giordino en hochant la tête.

Dirk et Summer firent rapidement leurs adieux à Dahlgren et à tous ceux qui se trouvaient sur la passerelle avant de passer la coupée. Le Deep Endeavor appareilla immédiatement. Tout le monde était rasséréné, sauf Dirk, toujours en proie à la même fureur. L’attaque biologique avait échoué, ils s’étaient emparés du Koguryo, Tongju était mort. Et, plus égoïstement, il songea à Sarah, qui était indemne. Cela dit, à l’autre bout du monde, Kang était toujours vivant, lui. Pendant qu’ils remontaient le quai, Dirk vit Summer, qui marchait à côté de lui, s’arrêter, se retourner et faire un grand signe de la main au bâtiment qui s’en allait. Il en fit autant, mais il avait l’esprit ailleurs. Ils restèrent là un bon moment à admirer le joli navire bleu et blanc. Il embouqua la passe et disparut à l’horizon.

* * *

Bien avant que les équipes du ministère de l’Intérieur aient songé à envoyer tous les moyens de recherche et de sauvetage disponibles pour fouiller la zone de fond en comble, le Deep Endeavor avait déjà mis à l’eau son sonar à balayage latéral pour tenter de retrouver les restes de la charge utile. Burch avait prévu cette opération, il savait exactement par où commencer. Lorsqu’il avait assisté à l’explosion de la Zénith depuis le pont de son bâtiment, il avait noté aussi précisément que possible la trajectoire des débris puis avait porté sur la carte la zone d’impact probable.

— Si la charge utile est restée intacte, elle est quelque part dans ce carré, avait-il dit à Pitt tandis qu’ils prenaient la mer.

Et il lui avait montré une zone de neuf nautiques carrés tracée sur la carte.

— Cela dit, il est vraisemblable que nous les retrouverons en morceaux.

— C’est vrai, mais quoi qu’il en reste, cela fait seulement quelques heures qu’ils sont au fond, et nous avons des données toutes fraîches, avait répondu le vieux Pitt en étudiant la carte.

Le Deep Endeavor gagna l’un des coins du carroyage et entama une série de passages nord-sud. Au bout de deux heures, Pitt identifia un premier amas de débris bien visibles. Il régla l’écran du sonar et pointa du doigt un tas d’objets aux formes bien découpées, dispersés sur une ligne droite.

— Voilà des trucs manifestement faits de main d’homme et qui sont orientés à l’Est.

— Soit il s’agit d’un bateau qui a vidé ses poubelles, soit ce sont des morceaux du lanceur, commenta Giordino en regardant l’image à son tour.

— Kermit, pourquoi ne pas interrompre ces passes et en faire une plein est ? On pourrait suivre l’alignement et voir où ça nous mène.

Burch donna les ordres nécessaires et ils suivirent la trace pendant plusieurs minutes. Les débris, d’abord de plus en plus nombreux, finirent par s’espacer. Aucun ne faisait plus de trente centimètres de long.

— Voilà un joli puzzle, laissa tomber Burch en voyant le dernier morceau disparaître de l’écran. On reprend la recherche comme avant ? demanda-t-il à Pitt.

Pitt se mit à réfléchir.

— Non, on reste comme ça. Je pense qu’il y en a d’autres, et des plus gros.

Depuis le temps qu’il pratiquait la recherche sous-marine, les capacités de Pitt s’étaient aiguisées, et il avait acquis une sorte de sixième sens. Comme un chien de chasse qui aurait travaillé sous l’eau, il était presque capable de flairer ce qu’il recherchait. Il y avait d’autres morceaux de la Zénith devant, il le sentait.

Mais l’écran du sonar était toujours aussi désespérément vide et ceux qui se trouvaient à la passerelle commencèrent à éprouver des doutes. Pourtant, un quart de mille plus tard, l’image d’objets aux bords déchiquetés apparut. Soudain, elle mit en évidence un gros objet rectangulaire, couché perpendiculairement aux autres. Et enfin, un énorme cylindre.

— Patron, je crois que vous avez touché le gros lot, lui dit Giordino en souriant de toutes ses dents.

Après avoir examiné soigneusement ce qu’il avait sous les yeux, Pitt hocha la tête.

— On va aller voir de quoi il retourne.

Le Deep Endeavor passa en positionnement dynamique et mit à l’eau un petit robot d’exploration. Un gros cabestan commença à dévider le câble et l’engin descendit sur le fond, trois cents mètres sous la surface.

Pitt s’installa sous l’abri dans un petit local électronique en éclairage réduit, s’assit dans le fauteuil du capitaine et prit les commandes. Deux manches à balai permettaient de commander les moteurs du robot. Une rangée de moniteurs alignés sur la cloison devant lui affichaient les images du fond sableux enregistrées par la demi-douzaine de caméras embarquées.

Pitt stabilisa d’abord le robot à deux ou trois mètres du fond, avant de le guider vers deux masses sombres. Les caméras lui montrèrent deux morceaux de tôle déchiquetée fichés dans le sable, de couleur blanche et longs de plusieurs mètres. Il s’agissait clairement de l’enveloppe de la Zénith. Il continua d’avancer là où le sonar avait détecté autre chose. Deux autres morceaux émergèrent dans l’eau noire, deux sections du lanceur posées à la verticale. Le robot s’approcha de la première. Pitt et Giordino découvrirent une structure cylindrique de près de cinq mètres, aplatie d’un côté. Elle avait culbuté lors de l’impact, faisant gicler de l’eau tout autour d’elle, ce qui expliquait cette forme rectangulaire enregistrée par le sonar. Pitt amena le robot à l’une des extrémités, et la caméra leur dévoila une énorme tuyère qui émergeait d’un fouillis de tuyauteries et de réservoirs.

— Un moteur d’étage supérieur ? demanda Giordino en examinant l’image.

— Sans doute le moteur du troisième étage, celui qui met la charge utile sur orbite.

Cette enveloppe, qui ne contenait pas de combustible, s’était apparemment séparée très proprement du deuxième étage après l’explosion. Mais la partie haute, fixée au sommet, n’était plus là. Quelques mètres plus loin, un gros objet de couleur blanche apparut dans le champ de la caméra à travers l’eau trouble.

— On en a assez pour les préliminaires. On va aller jeter un œil à ce gros machin, décida Giordino en leur montrant l’un des écrans.

Pitt y amena le robot et l’écran se trouva rapidement rempli de blanc. Il s’agissait évidemment d’une autre section de la Zénith, mais elle avait été moins abîmée que le troisième étage. Pitt estima sa longueur à sept mètres environ et remarqua que son diamètre était un peu plus grand. L’extrémité la plus proche était complètement écrabouillée, des morceaux de métal tordu avaient été repoussés vers l’intérieur comme sous le choc de coups de marteau. Pitt essaya d’introduire le robot à l’intérieur, mais il n’y avait pas grand-chose à voir, en dehors du métal disloqué.

— C’est sans doute la charge utile. Elle a dû toucher l’eau de ce côté-ci.

— Il y a peut-être autre chose à l’autre bout ? suggéra Giordino.

Pitt fit suivre au robot toute la longueur du cylindre, puis effectua un demi-tour. Les projecteurs pointés vers l’extrémité, Pitt et Giordino s’approchèrent de l’écran. La première chose que reconnut Pitt fut une virole de renfort à l’intérieur de la structure. De toute évidence, c’est là que venait s’insérer le troisième étage. Il rapprocha le robot encore un peu et vit qu’une tôle avait été arrachée sur tout le sommet. Il remonta l’engin et lui fit suivre la zone supérieure le long de la déchirure, caméras pointées vers l’intérieur. Après avoir inspecté un fouillis de câbles et de tuyauteries, il s’arrêta soudain. On voyait un panneau plat qui brillait sous les projecteurs éblouissants. Pitt arbora un large sourire.

— Je crois que je vois un panneau solaire.

— Bien joué, Dr von Braun, répondit Giordino avec un signe de tête admiratif.

Le robot avança encore, ils virent cette fois très nettement les panneaux solaires repliés et le corps cylindrique du pseudo-satellite. La coiffe était écrasée, mais le satellite et son chargement de matières virales étaient intacts.

Après avoir soigneusement examiné la charge pour s’assurer de son intégrité, Pitt fit remonter son robot et le bascula en mode sauvetage. Le Deep Endeavor était d’abord un navire de recherche, mais il était équipé pour contribuer à des opérations de sauvetage grâce aux sous-marins qu’il embarquait. Compte tenu de l’indisponibilité du Blaireau, Pitt et Giordino utilisèrent un autre engin pour passer une élingue sous la charge utile, puis remontèrent doucement le tout à l’aide de gros sacs gonflables. Il faisait nuit, les bateaux des journalistes étaient loin, on hissa l’objet sur le pont du Deep Endeavor. Les deux hommes veillèrent personnellement à ce qu’on le saisisse solidement avant de le recouvrir d’une toile.

— Les mecs du renseignement vont avoir de quoi s’occuper pour un petit bout de temps, dit Giordino.

— En tout cas, ils auront la preuve que l’attaque n’a pas été perpétrée par des terroristes amateurs. Lorsque le monde connaîtra la nature de cette charge mortelle, l’ignoble M. Kang regrettera sans doute d’être né.

Giordino tendit le bras dans la direction d’une lueur qui se levait à l’Est.

— Tout bien pesé, je crois que les habitants de Los Angeles pourraient nous payer une bière pour avoir protégé leur belle ville... et ils pourraient aussi nous donner les clés du manoir Playboy !

— Ce sont Dirk et Summer qu’ils devraient remercier.

— Oui, dommage qu’ils n’aient pas été là pour assister à la remontée du trésor.

— À propos, aucune nouvelle des gosses depuis qu’on les a laissés sur le quai ?

— Ils font sans doute ce que leur papa aurait fait à leur place, répondit Giordino en riant. Ils se sont débrouillés pour échapper aux agents des services de renseignements et ils font du surf à Manhattan Beach.

Pitt émit un petit rire, puis laissa son regard se perdre dans la mer sombre. Non, il le savait, le moment ne s’y prêtait pas encore vraiment.

Vent mortel
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