Chapitre 59
Tongju gardait les yeux fixés sur la Zénith qui s’élevait près de la tour. On entendait le grondement des moteurs jusque dans les entrailles du Koguryo. Tous les techniciens présents acclamèrent longuement le départ de la fusée qui s’élançait dans le ciel. Ling s’autorisa même un grand sourire, les paramètres affichés à l’écran lui indiquaient que les moteurs fonctionnaient à pleine poussée. Il jeta un coup d’œil à Tongju qui lui rendit un petit sourire pincé.
— La mission est loin d’être achevée, lui dit Ling.
La phase la plus critique était passée, il le savait bien. Une fois la mise à feu effectuée, il ne pouvait plus faire grand-chose. Il était un peu mal à l’aise, mais il ne lui restait plus qu’à assister à la suite dans le rôle du simple spectateur.
* * *
À dix mille kilomètres de là, Kang sourit légèrement en voyant l’image retransmise par satellite de la fusée en train de décoller de l’Odyssée.
— Nous avons ouvert le flacon où était emprisonné le génie, dit-il tranquillement à Kwan assis en face de lui. Reste à espérer qu’il voudra bien obéir à son maître.
* * *
Fous d’angoisse, Al, Dirk et Jack assistèrent depuis le cockpit d’Icare au décollage de la fusée. Un peu plus tôt, Giordino avait réussi à poser le dirigeable dans une clairière à peu près plate, au sommet de l’île de Santa Barbara. L’équipage de Sea Launch avait débarqué à toute vitesse. Christiano hésita à la porte du cockpit et s’arrêta pour serrer la main des deux hommes.
— Merci infiniment, vous avez sauvé mon équipage, leur dit-il avec un sourire forcé.
On sentait bien qu’il n’avait pas encore digéré de s’être fait pirater son Odyssée.
— À présent que nous pouvons reprendre l’air, lui répondit Dirk qui avait du mal à se maîtriser, nous allons faire en sorte que ces ordures ne s’échappent pas.
Et il lui montra à travers la verrière un petit point bleu qui grandissait à l’horizon.
— Voilà le Deep Endeavor qui arrive. Faites descendre vos gens jusqu’au rivage et tenez-vous prêts à embarquer.
Avant de descendre de la nacelle et de laisser Jack, Christiano fit signe qu’il avait compris.
— Tout le monde sur la côte ! cria-t-il dans la cabine.
— Bon, grommela Giordino, faut faire décoller cette baudruche.
Il bascula les moteurs à la verticale, poussa sur les manettes de gaz et, soulagé de ses quatre tonnes de passagers, le dirigeable s’éleva sans aucune difficulté. Giordino mit le cap sur l’Odyssée et c’est alors qu’ils aperçurent les premières volutes de fumée. Le lancement était en cours.
Les gaz d’échappement des moteurs fusée qui percutaient le système de déflexion avaient créé un énorme nuage blanchâtre qui enveloppa rapidement la plate-forme et la mer alentour. La suite sembla durer une éternité. La Zénith resta immobile le long de la tour de lancement. Les deux aéronautes eurent une lueur d’espoir : peut-être la fusée n’allait-elle pas décoller ? Mais, finalement, le grand lanceur tout blanc s’éleva, suivi d’une lueur aveuglante. Ils avaient beau être à six nautiques, ils entendirent le grondement de l’onde de choc qui se répercutait sur l’eau en écho, comme le fracas d’une cognée sur le tronc d’un pin.
Le spectacle était impressionnant, on aurait même pu le qualifier de splendide, mais l’angoisse étreignait Dirk. Cette fusée qui montait dans le ciel emportait avec elle une arme de destruction épouvantable, comme le monde n’en avait encore jamais vu. Des millions de gens allaient mourir. Et comme si ce terrible châtiment ne suffisait pas, il savait que Sarah se trouvait quelque part dans la région de Los Angeles, qu’elle serait peut-être au nombre des premières victimes. Enfin, le sort de son père le préoccupait. Il se tourna vers Giordino, qui lui fît une moue sinistre. Jamais encore il n’avait vu le vieil Italien dans cet état. On n’y lisait pas la fureur qu’il aurait pu éprouver envers les terroristes, non, plutôt le désespoir de celui qui vient de perdre un ami de toujours. Dirk ne pouvait vraiment l’admettre, mais il savait bien que son père se trouvait quelque part au milieu de cet enfer de gaz toxiques, ou pire encore.
* * *
À bord du Deep Endeavor, Summer sentit un frisson d’horreur lui parcourir le corps. Dirk les avait prévenus par radio qu’ils avaient réussi à sauver l’équipage de Sea Launch, mais également que leur père se trouvait quelque part sur la plate-forme. Lorsque Delgado, avant tous les autres, avait vu la fusée s’allumer, elle avait cru défaillir. S’accrochant au fauteuil du capitaine pour ne pas tomber, elle avait fixé la plate-forme, stoïque, alors que les larmes ruisselaient lentement sur ses joues. À la passerelle, tout ceux qui étaient présents gardaient le silence et fixaient, incrédules, la fusée qui surgissait du pas de tir. Tous ne pensaient qu’à une seule chose : au sort du patron de la NUMA, noyé quelque part dans cet énorme nuage de fumée blanche.
— Ce n’est pas possible, murmura Burch, bouleversé. Ça ne peut pas être vrai.