Chapitre 47

Vers vingt et une heures, l’Odyssée avait rebroussé chemin de quelque trois cents nautiques et s’approchait désormais de la nouvelle position de lancement calculée par les ingénieurs d’Inchon. Tongju, qui avait essayé de rattraper tant bien que mal son retard de sommeil dans la cabine du capitaine Hennessey, fut réveillé en sursaut par des coups précipités à sa porte. Un commando en armes entra et s’inclina profondément. Tongju s’assit sur le bord de sa bannette et enfila ses bottes.

— Désolé de vous déranger, lui dit le commando. C’est de la part du capitaine Lee. Il demande que vous reveniez immédiatement à bord du Koguryo. Il y a eu un esclandre entre des ingénieurs russes.

Tongju fit signe qu’il avait compris, s’ébroua et gagna la passerelle. Il y vérifia que la plate-forme faisait toujours route cap au nord-nord-est à douze nœuds. Il appela par radio l’annexe du Koguryo puis descendit les échelons du pilier avant et embarqua dans le bateau. Il atteignit rapidement le bâtiment de soutien où le capitaine Lee l’attendait.

— Suivez-moi au PC lancement. Ce sont ces foutus Ukrainiens, lui dit le capitaine en pestant. Ils n’arrivent pas à se mettre d’accord sur la position de tir. Je crois qu’ils vont s’entre-tuer.

Les deux hommes descendirent une série d’échelles et arrivèrent dans la coursive qui menait au PC. Lee ouvrit une porte. Ils furent accueillis par des volées de jurons proférés dans une langue incompréhensible. Des ingénieurs s’étaient massés au centre du local autour de deux spécialistes ukrainiens qui se crachaient des insultes à la figure en gesticulant. Les spectateurs s’écartèrent un peu en voyant arriver les deux Coréens, mais les deux Ukrainiens ne reculèrent pas d’un poil. Avec un air dégoûté, Tongju s’empara d’un fauteuil posé devant une console, le brandit au-dessus de sa tête et le jeta de toutes ses forces en direction des deux ingénieurs qui continuaient à se quereller. Les spectateurs poussèrent un cri en voyant le projectile s’abattre sur les deux hommes qu’il toucha à la tête et en pleine poitrine avant de s’écraser au sol avec grand fracas. Sidérés, les deux Ukrainiens se turent et finirent par se tourner vers les deux arrivants.

— Alors, gronda Tongju, quel est le problème ?

L’un des Ukrainiens, à la chevelure noire tout ébouriffée et qui portait un bouc, se racla la gorge avant de prendre la parole.

— C’est à cause de la météo. La zone de haute pression qui règne sur le Pacifique Est, et plus particulièrement au large des côtes américaines, s’est comblée sous l’influence d’une dépression qui arrive par le sud.

— Ce qui signifie ?

— Ce qui signifie que les vents de secteur est qui dominent généralement à haute altitude se sont inversés. Nous nous retrouvons donc avec un fort vent debout. Ceci affecte considérablement les marges dont nous disposons pour la mission.

Il farfouilla dans une pile de papiers et en sortit une feuille couverte de calculs et de profils de vol griffonnés au crayon.

— Le plan initial consistait à faire le plein de propergol du premier étage de la Zénith en nous limitant à cinquante pour cent de sa capacité. Cela nous donnait une portée approximative de trois cent cinquante kilomètres. La zone objectif est ainsi couverte sur une profondeur d’environ cinquante kilomètres. C’est là que nous devions activer la charge utile. Par conséquent, la position de lancement calculée se trouvait à trois cents kilomètres à l’ouest de Los Angeles, dans l’hypothèse où les vents étaient nominaux. Mais compte tenu de la météo observée, nous n’avons que deux options : attendre que la zone de basse pression rétablisse le régime de vents attendu, ou repositionner la plate-forme plus près de la cible.

— Mais non, il y a une troisième solution, coupa vivement le second Ukrainien. Nous pouvons augmenter la quantité de propergol et permettre à la Zénith d’atteindre la zone à partir de la position de tir prévue.

L’autre se contenta de hocher la tête en silence.

— Quel risque cela nous ferait-il courir ? demanda Tongju à l’Ukrainien dubitatif.

— Serguei a raison, nous pourrions ajuster la quantité de propergol pour atteindre la zone depuis la position prévue. Cela dit, j’ai des doutes sur la précision accessible dans ce cas de figure. Nous ne connaissons pas les conditions de vent pour l’ensemble de la trajectoire. Compte tenu de cette météo plutôt inhabituelle, elle risque d’être très différente de ce que nous mesurons ici à la verticale. Le lanceur peut très facilement dévier au Nord ou au sud de la trajectoire calculée. Nous risquons également de dépasser largement l’objectif de plusieurs dizaines de kilomètres, ou tout aussi bien d’être trop court. À cette distance, les dérives possibles sont beaucoup trop importantes.

— Le risque reste mineur et repose sur trop de spéculations, reprit Serguei.

— Combien de temps faut-il attendre avant de retrouver des conditions météo normales ? leur demanda Tongju.

— La dépression montre déjà quelques signes d’affaiblissement. Nous pensons qu’elle va disparaître totalement sous trente-six heures. Nous pourrions retrouver un régime anticyclonique dans les soixante-douze heures.

Sans dire un mot, Tongju pesa le pour et le contre pendant un bon moment. Il finit par trancher.

— Nous avons un calendrier précis à respecter. Nous ne pouvons nous permettre ni d’attendre un éventuel changement de temps, ni de risquer de frapper trop loin de l’objectif. Nous allons nous rapprocher et entamer le compte à rebours dès que possible. De combien faut-il avancer pour réduire les effets de cette instabilité atmosphérique ?

— Nous devons réduire la distance à franchir pour minimiser l’effet des vents contraires. Si l’on se fie à nos derniers relevés anémométriques, fit l’Ukrainien au bouc en pointant le doigt sur une carte des côtes nord-américaines, il faut s’approcher à cent cinquante kilomètres du rivage.

Tongju examina la position indiquée pendant une bonne minute et calcula la distance supplémentaire à franchir. La position proposée était dangereusement proche des côtes. Il nota la présence de deux îles à proximité de ce point. Mais ils avaient encore le temps de l’atteindre et d’accomplir ainsi la mission dans les délais fixés par Kang. Tous les assistants, les yeux braqués sur lui, attendaient de connaître son verdict. Il se tourna enfin vers Lee :

— Changez immédiatement de route. Nous devons être là-bas avant le lever du jour. Nous déclencherons le compte à rebours immédiatement.

Vent mortel
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