Chapitre 15
Les Aztèques du Mexique central l’appelaient « la Grande Lèpre ». Cette affreuse épidémie éclata quelque temps après l’arrivée de Hernán Cortés et de ses soldats, en 1518. Certains affirment que c’est l’un des rivaux de Cortés, un conquistador du nom de Narváez, qui l’avait apportée de Cuba. Peu importe, le résultat fut terrible. Lorsque Cortés fit son entrée à Mexico après quatre mois de siège contre l’armée de Monte-zuma, en 1521, il fut horrifié par ce qu’il y trouva. Les morts étaient empilés les uns sur les autres, on avait jeté des corps en décomposition au pied des maisons, dans les rues, il y en avait partout. Ces gens-là n’étaient pas morts au cours des combats, ils avaient succombé à la peste.
Personne ne connaît l’origine de la varióla major, mais ce virus mortel, plus connu sous le nom de variole, a semé la terreur sur la terre entière. Bien que des épidémies de variole aient été répertoriées aux temps les plus reculés, jusque chez les Egyptiens de l’Antiquité, l’Histoire a surtout retenu les épisodes survenus aux Amériques, car le virus s’est alors attaqué aux indigènes de ces continents, qui y étaient extrêmement vulnérables. Introduite dans le Nouveau Monde par les marins de Christophe Colomb, la variole a semé la mort dans toutes les Indes occidentales et pratiquement décimé les Indiens Caraïbes, qui avaient accueilli Colomb lors de son premier voyage.
Qu’elle soit due à Cortés ou à Narvâez, on estime que la variole a causé à Mexico la mort de près de la moitié des trois cent mille Indiens qui peuplaient la ville en 1521. Et si l’on prend en compte les morts supplémentaires causées par la diffusion de l’épidémie dans l’ensemble du pays, les victimes se comptent sans doute par millions. La maladie continua en effet ses ravages dans toute l’Amérique du Sud. Lorsque Pizarro débarqua au Pérou en 1531, lors de sa grande expédition à la recherche d’or, le virus de la variole était déjà en train de détruire la population inca. Avec sa dérisoire armée de moins de deux cents hommes, Pizarro n’aurait jamais pu soumettre l’Empire inca si ce dernier n’avait pas été confronté, dans le même temps, à cette terrible maladie. Il est probable que le nombre d’Incas morts de la variole s’élève à plus de cinq millions et c’est cette maladie qui a achevé de détruire leur civilisation.
En Amérique du Nord, les tribus indiennes n’étaient pas non plus à l’abri de l’épidémie. De nombreuses populations installées dans une vallée des Monts Builders ont disparu pour la même raison. Quant à celles qui vivaient dans le Massachusetts et le Narra-gansett, elles furent décimées elles aussi. On estime en général que la population du Nouveau Monde a été réduite de quatre-vingt-quinze pour cent au cours du siècle qui a suivi l’arrivée de Christophe Colomb, et que cette diminution est principalement due à la variole.
Mais le virus mortel ne s’arrêta pas là. Au cours des deux siècles suivants il y eut en Europe des sursauts épidémiques qui causèrent la mort de milliers de gens. Des esprits diaboliques envisagèrent plus tard de l’utiliser comme arme, en contaminant volontairement les armées ennemies. Certains historiens affirment que les Anglais fournirent aux Indiens contre lesquels ils étaient en guerre des couvertures qu’ils avaient sciemment infectées, dans les années 1760, et qu’ils usèrent d’une tactique similaire pour affaiblir les troupes américaines, lors de la bataille de Québec, au cours de la guerre d’Indépendance.
On finit par mettre au point un premier vaccin, au début du dix-neuvième siècle, en utilisant un cousin germain du virus, celui de la variole bovine. C’est ainsi que l’on commença à venir à bout de cette plaie. Il y eut encore quelques épisodes sporadiques et, en raison des peurs engendrées par la guerre froide, on continua à organiser des campagnes de vaccinations aux États-Unis jusque dans les années soixante-dix. Puis, grâce à l’action de grande envergure menée par l’Organisation mondiale de la santé en 1977, la variole finit par être vaincue. En dehors d’un petit stock que l’URSS se réserva en vue d’éventuelles applications militaires, et d’un échantillon conservé à des fins de recherche par l’Agence américaine de sécurité sanitaire, toutes les souches du virus furent détruites. On avait pratiquement oublié l’existence de la variole, lorsque des attaques terroristes, au début du siècle présent, ranimèrent les vieilles peurs, et l’on dut, une nouvelle fois, considérer le virus comme une menace potentielle.
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Pour l’heure, l’histoire des ravages causés dans le passé par la variole était bien le cadet des soucis d’Irv Fowler. Après avoir réussi, à bout de forces, à gagner le service des urgences de l’hôpital régional d’Anchorage, il ne demandait qu’une chose : une chambre calme et une jolie infirmière pour le dorloter et le sortir de cette grippe qui le mettait par terre. Même lorsqu’un groupe de médecins à l’air sinistre vint le voir, et préconisa sa mise à l’isolement total, il était si faible qu’il ne s’en inquiéta pas. C’est seulement lorsque deux médecins, la bouche et le nez protégés par un masque, vinrent l’informer que l’on avait diagnostiqué chez lui la variole qu’il commença à paniquer. Il eut encore le temps de se poser deux questions avant de sombrer dans le délire : survivrait-il à la maladie, qui se révélait mortelle dans trente pour cent des cas ? Et qui d’autre autour de lui avait-il bien pu contaminer ?