CHAPITRE QUATRE
Noir, très noir, noir absolu
Et plus froid que la glace.
Où est l’Interstice, là ou rien n’existe
Rien ne vit hors les fragiles ailes du dragon ?
Dans la soirée, la main de Menolly avait enflé en dépit du soin que sa mère avait apporté à nettoyer la blessure, et elle était fiévreuse. Une des vieilles tantes était assise auprès d’elle, plaçant des linges frais sur sa tête et sur son visage, fredonnant doucement ce qu’elle pensait être une chanson réconfortante. Cette intention manquait son but car, même dans son délire, Menolly était consciente que la musique lui était désormais interdite. Cela l’irrita et l’empêcha de se reposer. Finalement Mavi lui administra une dose généreuse de jus de fellis et de vin, et elle sombra dans un paisible et profond sommeil.
Ce qui se révéla être une bénédiction car la main était si enflée qu’il était évident qu’un peu de bave de packtail était passée dans le sang. Mavi appela une autre des femmes du fort averties de ce genre de problème. Par chance pour Menolly, elles décidèrent de relâcher les grossiers points de suture pour permettre un meilleur écoulement du pus. Elles la maintinrent sous fortes doses de calmants et changèrent toutes les heures le cataplasme brûlant posé sur son bras et sa main.
Les infections dues aux packtails étaient pernicieuses, et Mavi craignait une amputation afin d’empêcher le mal de s’étendre. Elle était constamment aux côtés de sa fille, attention dont Menolly aurait été ravie si elle avait été consciente. Heureusement, les vilaines lignes rouges disparurent le soir du quatrième jour. L’enflure diminua et les bords de la terrible entaille reprirent la couleur plus saine de la chair qui se reconstitue.
Durant tout son délire, Menolly ne cessa de « les » supplier d’une voix si pitoyable de la laisser jouer une fois de plus, juste une fois, que le cœur de Mavi se serra à la pensée que cette cruelle malchance avait rendu la réalisation de ce vœu impossible. La main resterait estropiée à jamais. Ce qui était aussi bien car certaines questions du nouvel harpiste agaçaient Yanus. Elgion voulait absolument savoir qui avait appris aux enfants les Ballades et les Chants d’Enseignement. Au début, pensant que Menolly avait été loin d’être aussi talentueuse que tout le monde l’avait pensé, Yanus avait dit à Elgion qu’un adopté s’était chargé de la tâche et qu’il était retourné dans son fort juste avant son arrivée.
— Qui que ce soit, il a le savoir-faire d’un bon harpiste, dit Elgion à son nouveau seigneur. Le vieux Petiron était un excellent professeur.
De manière inattendue, ce compliment gêna Yanus. Il ne pouvait revenir sur ses paroles et ne voulait pas admettre devant Elgion que cette personne était une fille. Il décida donc de laisser les choses en l’état. Aucune fille ne pouvait être harpiste, de toute façon. Menolly était trop âgée pour faire partie d’une classe et il veillerait à ce qu’elle soit occupée jusqu’à ce qu’elle en vienne à penser à sa musique comme à un caprice d’enfant.
Au moins n’avait-elle pas déshonoré le fort.
Il était, évidemment, désolé que la jeune fille se fût coupée si cruellement, et pas seulement parce qu’elle était bonne travailleuse. Toutefois, cela la tiendrait à l’écart du harpiste jusqu’à ce qu’elle oublie ces airs stupides. Pourtant, une ou deux fois, pendant la maladie de Menolly, sa douce voix limpide lui manqua dans les canons, qui étaient la manière dont elle et Petiron avaient l’habitude de chanter.
Il se passait des choses excitantes dans les forts et les weyrs d’après ce qu’Elgion lui confia en privé. Des problèmes aussi, assez graves et ennuyeux pour écarter de son esprit un sujet aussi mineur qu’une jeune fille blessée.
L’une des questions d’Elgion qui revenaient le plus souvent concernait l’attitude du fort de Mer envers leur weyr, Benden. Il était curieux de connaître la fréquence de ses contacts avec les anciens du weyr d’Ista. Que ressentaient Yanus et les habitants de son fort vis-à-vis des chevaliers-dragons ? Vis-à-vis du seigneur du weyr et de sa dame du weyr de Benden ? En voulaient-ils aux chevaliers-dragons de leur quête de jeunes garçons et filles des forts et des ateliers pour en faire des chevaliers-dragons ? Est-ce que Yanus ou l’un des membres du fort avait jamais assisté à une éclosion ?
Yanus répondait aussi brièvement que possible, et au début cela parut satisfaire le harpiste.
— Le Demi-Cercle a toujours payé sa dîme au weyr de Benden, même avant la chute des Fils. Nous connaissons nos devoirs envers notre weyr, et ils connaissent le leur à notre égard. Pas un seul nid de Fils depuis que la chute a commencé il y a plus de sept cycles. Les anciens ? Eh bien, le Demi-Cercle étant lié au weyr de Benden, nous ne voyons pas grand-monde des autres weyrs, pas autant que ceux de Keroon ou de Nerat quand les Fils recouvrent les frontières de deux weyrs. Nous sommes très heureux que les anciens soient venus par l’Interstice d’un passé éloigné de nombreuses centaines de cycles pour aider notre époque. Les hommes-dragons sont toujours les bienvenus au Demi-Cercle. Que viennent le printemps et l’automne, les femmes sont là de toute façon, ramassant des prunes de littoral ou des baies de marais, des herbes et tout ça. Qu’ils soient tous bienvenus. Jamais rencontré la dame du weyr Lessa. Je la vois sur sa reine Ramoth dans le ciel après une Chuté de temps en temps. Le seigneur du weyr, F’lar, est un chic type. La quête ? Qu’ils trouvent un gars qui ferait l’affaire au Demi-Cercle, cela nous honorerait, et il aurait notre bénédiction.
Le problème ne s’était jamais posé au seigneur du fort ; personne au Demi-Cercle n’avait jamais eu à répondre à une quête. Ce qui était aussi bien, se disait Yanus en lui-même. S’il arrivait qu’un gamin soit choisi, tous les autres jeunes se plaindraient de ne pas l’avoir été. Et sur les mers de Pern, il valait mieux garder l’esprit à ce qu’on faisait, pas à rêver. C’était déjà suffisamment ennuyeux d’avoir ces fichus lézards-de-feu qui apparaissaient de temps à autre près des roches du Dragon. Quoique, personne ne pouvant approcher assez des récifs pour attraper un lézard, au fond, cela ne faisait pas de mal.
Le nouvel harpiste avait été prévenu que son seigneur était un homme sans imagination, renfermé et travaillant dur. Il lui faudrait donc beaucoup de doigté pour provoquer un changement des mentalités. Car le maître harpiste Robinton désirait que ses émissaires amènent chaque seigneur de fort et chaque maître d’atelier à penser au-delà des besoins immédiats de leurs terres, ateliers ou peuples.
Les harpistes n’étaient pas de simples conteurs d’histoires et interprètes de chansons ; ils étaient des arbitres de justice, les confidents des seigneurs et maîtres d’ateliers, et les formateurs de la jeunesse.
Maintenant plus que jamais, il fallait ouvrir les esprits et conduire chacun, des plus jeunes aux plus âgés, à considérer Pern dans sa totalité plutôt que sa région et ses problèmes particuliers. Beaucoup de vieilles habitudes devaient être remises en cause.
Si F’lar du weyr de Benden n’avait pas bousculé les traditions et si Lessa n’avait pas accompli son fantastique saut de quatre cents cycles en arrière dans le temps pour ramener les cinq weyrs manquants et leurs chevaliers-dragons, Pern aurait succombé aux Fils, sa végétation entièrement détruite. De même que Pern et les weyrs avaient profité de ces actions, de même, les forts et les ateliers en tireraient profit s’ils s’ouvraient aux nouvelles idées, aux nouvelles façons d’appréhender les choses.
Le Demi-Cercle devrait s’étendre, pensait Elgion. Les quartiers d’habitation actuels devenant inconfortables.
Les enfants lui avaient dit qu’il y avait d’autres cavernes dans les escarpements voisins. Et la caverne du Bassin pourrait accueillir davantage que l’actuelle trentaine de bateaux qui y étaient ancrés, parfaitement à l’abri.
Pour son premier poste de harpiste, Elgion ne se trouvait pas trop mal tombé. Il avait ses propres appartements bien équipés dans le fort, assez à manger, même si la nourriture à base de poisson put rapidement peser à un homme habitué à la viande rouge. Quant aux habitants, ils étaient dans l’ensemble agréables, quoique un peu austères.
Une chose le déconcertait : qui avait aussi parfaitement éduqué les enfants ? Dans son message au maître harpiste, Petiron mentionnait un compositeur possible au Demi-Cercle, et il avait joint deux partitions de mélodies qui avaient fortement impressionné le maître. Petiron avait également fait part de difficultés à propos de ce compositeur. Un nouvel harpiste, – Petiron se savait mourant quand il avait écrit – devrait procéder avec prudence, ce fort étant très traditionaliste et replié sur lui-même.
Elgion, certain que le compositeur se ferait connaître, se gardait de tout commentaire mais, d’après les deux chansons qu’on lui avait montrées, il considérait leur auteur comme un authentique musicien. Toutefois, s’il s’agissait d’un adopté ayant provisoirement quitté le fort, il lui fallait attendre son retour.
Elgion s’était vite arrangé pour visiter tous les forts plus petits qui se trouvaient dans l’enceinte et pour connaître tous les gens par leurs noms. Les jeunes filles flirtaient avec lui ou lui jetaient des regards éperdus et soupiraient quand il jouait le soir dans la grande salle.
À aucun moment il ne put se rendre compte que Menolly était la personne qu’il cherchait. Le seigneur du fort ayant dit aux enfants que le harpiste n’apprécierait pas de savoir qu’une fille s’était occupée d’eux, ils se gardèrent donc de le lui dire afin de ne pas déshonorer leur fort. Et après que Menolly se fut coupée si cruellement, le bruit ayant couru qu’elle ne pourrait plus jamais s’en servir, on fit comprendre à chacun qu’il serait indélicat de lui demander de chanter le soir.
Lorsque Menolly se rétablit, mais avec une raideur à la main, personne ne fut assez étourdi pour lui parler de musique. Elle-même se tenait à l’écart des chants de la grande salle. Par ailleurs, ne pouvant se servir correctement de sa main pour participer aux travaux du fort, elle était fréquemment envoyée à l’extérieur pendant la journée pour ramasser des herbes et des fruits, en général seule.
Si Mavi s’interrogeait sur le calme et la passivité de sa plus jeune enfant, elle pensa que sa pénible convalescence en était la cause. Sachant que le temps effaçait toute douleur, elle fit de son mieux pour occuper sa fille afin de la distraire.
Ramasser des herbes et des fruits était une activité qui convenait parfaitement à Menolly. Cette activité la tenait à l’écart du fort, à l’air libre, loin des gens. Elle dégustait son verre du matin, son pain et son poisson, tranquille dans la grande cuisine pendant que tout le monde s’agitait pour servir les hommes du fort qui partaient à la pêche ou en revenaient après une nuit en mer. Ensuite Menolly préparait ses affaires, prenait un des filets ou une fronde de peau. Elle invoquait n’importe quelle raison pour sortir et la vieille tante chargée de l’office la laissait aller.
Alors que le printemps réchauffait l’air et couvrait les marais de vert et de fleurs de couleurs vives, les araignées-soldats sortirent de l’océan pour pondre leurs œufs dans les eaux peu profondes du rivage. Ces crustacés à la chair généreuse étaient délicieux et, après les avoir séchés ou fumés, on les servait en accompagnement de nombreux plats. Les jeunes du fort, avec Menolly, furent envoyés avec des pièges, des piques et des filets pour s’en emparer. En quatre jours, les criques des alentours furent nettoyées de leurs araignées-soldats et les jeunes ramasseurs durent aller plus loin sur la côte pour en trouver d’autres. Mais la menace des Fils étant constante, on leur recommanda d’être très prudents et de ne pas trop s’éloigner.
Un autre danger préoccupait Yanus : les marées avaient été inhabituellement fortes durant ce cycle. L’eau était beaucoup plus haute dans le port et les deux gros sloops ne pouvaient plus entrer ou sortir de la caverne sans être démâtés. Le niveau des marées hautes, était scrupuleusement noté et la constatation de son élévation permanente était saluée de nombreux hochements de tête.
Les cavernes les plus basses du fort étaient vérifiées pour repérer toute possibilité d’infiltration. Des sacs de sable furent remplis et placés le long des parties inférieures des digues qui entouraient le port. Une bonne tempête et les chaussées seraient inondées.
Yanus, très préoccupé, interrogeait longuement le vieil oncle pour savoir s’il se souvenait de quelque chose du temps où les cieux étaient plus cléments. Vieil Oncle fut enchanté de parler et il divagua sur l’influence des étoiles. Mais quand Yanus, Elgion et deux des plus anciens commandants de navires eurent démêlé ses paroles, ils s’aperçurent qu’ils n’avaient pas appris grand-chose. Tout le monde savait que les deux lunes avaient une influence sur les marées, mais non les trois étoiles les plus brillantes du ciel.
Ils envoyèrent un message au fort de Igen concernant ces curieuses marées afin qu’il fût transmis le plus vite possible au principal atelier de la mer. Yanus ne voulait pas que ses plus gros bateaux se trouvent coincés en haute mer, et il vérifiait soigneusement les marées, déterminé à les garder dans la caverne du Bassin si la mer montait encore d’une main.
Lorsque les plus jeunes sortaient ramasser des araignées-soldats, on leur recommandait de garder les yeux ouverts et de rendre compte de tout phénomène inhabituel, particulièrement des nouvelles marques de marées hautes sur le rivage. Seule la crainte des Fils retenait les plus téméraires d’utiliser ces recommandations comme prétexte à des excursions plus lointaines le long de la côte. Aussi Menolly, qui préférait explorer seule les endroits les plus distants, faisait allusion aux Fils le plus souvent possible.
Un jour, après une chute de Fils, alors que chacun avait été envoyé ramasser des araignées-soldats, Menolly, allongeant le pas, s’assura une bonne avance sur les garçons. C’est bon d’aller ainsi, pensa-t-elle en se mettant à courir pour distancer d’une autre dune ses poursuivants les plus proches. Elle ralentit le pas en arrivant en terrain accidenté : ce n’était pas le moment de se briser une cheville. Mais courir était une chose que même une fille handicapée d’une main pouvait accomplir correctement.
Menolly chassa cette réflexion. Elle avait trouvé une astuce pour éviter de penser : elle comptait. À cet instant, elle comptait ses foulées. Elle continua de courir, balayant du regard le terrain devant elle afin de voir où elle mettait les pieds. Les enfants ne la rattraperaient plus désormais, mais elle courait pour le plaisir de l’effort physique, chantant un chiffre à chaque foulée. Elle courut jusqu’à attraper un point de côté et des douleurs dans les cuisses.
Elle ralentit alors, tourna son visage vers la brise qui venait du large, inhalant profondément sa fraîcheur et les senteurs de la mer. Elle fut quelque peu surprise par la distance qu’elle venait de parcourir le long de la côte. Les roches du Dragon étaient visibles dans la clarté de l’air, et ce ne fut qu’à ce moment qu’elle se souvint de la petite reine. Malheureusement, elle se rappela aussi l’air qu’elle avait composé ce jour-là : le dernier jour, se rendit alors compte Menolly, d’innocence de son enfance.
Elle continua de marcher, suivant la ligne des crêtes, scrutant les escarpements de roches à la recherche de nouvelles marques de hautes eaux. La marée était à mi-parcours, se dit-elle. En effet, elle pouvait voir la ligne de, débris laissés par la dernière marée à certains endroits, sur la partie frontale de la falaise qui dominait une longue plage.
Un mouvement au-dessus d’elle, une soudaine occultation du ciel, lui fit lever les yeux. Un chevalier en patrouille. Tout en sachant qu’il ne pouvait pas la voir, elle ne put s’empêcher de faire de grands signes en contemplant le vol gracieux du couple qui disparaissait dans le lointain.
Sella lui avait dit un soir, alors qu’elles préparaient les lits, qu’Elgion avait volé plusieurs fois sur des dragons. Sella avait eu un délicieux frisson de peur, jurant qu’elle n’aurait jamais le courage de chevaucher un dragon. Menolly avait alors pensé qu’il était peu probable que Sella en eût l’occasion. La plupart des commentaires de Sella, et probablement ses pensées, tournaient autour du nouvel harpiste. Elle n’était pas la seule dans ce cas, d’après ce que savait Menolly qui trouvait que l’attitude de toutes les filles du fort à l’égard du harpiste Elgion était ridicule. Mais cela ne la blessait pas autant que de penser aux harpistes en général.
Une fois encore, elle entendit les lézards-de-feu avant de les voir. Leurs pépiements et leurs cris excités indiquaient que quelque chose les irritait. Elle se courba et avança jusqu’au bord de la crête surplombant la plage. L’étendue de sable-était considérablement réduite et les lézards-de-feu voletaient au-dessus d’un point de cette étroite bande situé juste à son aplomb.
Elle se rapprocha encore du bord, et baissa les yeux. Elle pouvait voir la petite reine qui fonçait vers les vagues comme si elle avait pu les arrêter à force de battements d’ailes. Puis, elle se replia hors de la vue de Menolly, tandis que les autres lézards-de-feu continuaient à tournoyer et piquer, un peu comme des herbivores effrayés tournent en rond affolés par les prédateurs qui les encerclent. La reine poussait les cris les plus aigus de sa petite voix perçante, essayant à l’évidence de leur faire faire quelque chose.
Incapable d’imaginer de quelle urgence il pouvait s’agir, Menolly se pencha un peu plus en avant. La bordure tout entière de la falaise s’effondra. S’accrochant désespérément aux ajoncs, elle essaya d’éviter la chute. Mais les herbes glissèrent dans ses mains en les coupant et elle fut emportée vers le bas.
Elle heurta le sol de la plage avec un tel choc qu’il résonna dans tout son corps bien que le sable humide eût absorbé une bonne partie de l’impact. Elle resta étendue pendant quelques minutes, essayant de reprendre son souffle, puis elle se remit tant bien que mal sur ses jambes et rampa pour s’abriter d’une vague qui déferlait.
Elle jeta un coup d’œil du côté de la falaise et fut surprise de constater qu’elle tombait d’une hauteur de dragon ou plus. Comment allait-elle remonter ? En examinant la surface, elle se rendit compte qu’il n’était pas impossible d’escalader la falaise. Certes, elle était presque à pic, mais parsemée d’escarpements et de corniches, certaines assez larges. Si elle pouvait trouver suffisamment de prises pour ses pieds et ses mains, elle y parviendrait. Elle ôta le sable de ses mains et commença à marcher en direction de l’une des extrémités de la petite crique, cherchant avec soin la voie la plus facile.
Elle avait avancé de quelques pas quand quelque chose plongea sur elle en poussant des cris de fureur stridents. Elle n’eut que le temps de lever les mains pour protéger son visage. La petite reine plongeait à nouveau sur elle. Menolly se soumit au curieux comportement des lézards. La reine agissait comme si elle protégeait quelque chose, tout autant de Menolly que de la mer qui gagnait du terrain. Elle regarda autour d’elle et s’aperçut qu’elle était à deux doigts de marcher sur un nid de lézards-de-feu.
— Oh, je suis désolée. Je suis désolée. Je ne l’avais pas vu ! Ne sois pas furieuse contre moi, cria Menolly alors que le lézard revenait à l’assaut. Je t’en prie ! Arrête ! Je ne leur ferai aucun mal !
Afin de prouver sa sincérité, Menolly revint sur ses pas vers l’autre bout de la plage où elle dut se baisser sous un petit surplomb. Quand elle regarda aux alentours, elle n’aperçut pas la petite reine. Mais son soulagement fut de courte durée, car comment allait-elle trouver un chemin vers le sommet de la falaise si les lézards-de-feu l’attaquaient à chaque fois qu’elle approchait les œufs ? Menolly se voûta, tentant de trouver une position confortable dans son étroit refuge. Peut-être en restant à l’écart des œufs ? Elle scruta la falaise juste au-dessus d’elle. Il semblait y avoir quelques prises possibles. Elle sortit de son trou ne perdant pas de vue le nid qui chauffait au soleil brûlant, et atteignit le premier rebord.
Le lézard fut aussitôt sur elle.
— Oh, laisse-moi tranquille ! Ouste ! Va-t-en ! Je m’en vais.
Les ergots du Lézards lui lacérèrent le visage.
— Je t’en prie ! Tes œufs ne risquent rien !
Le passage suivant de la petite reine rata de justesse Menolly qui se réfugia sous la corniche.
Le sang coulait d’une longue estafilade, et elle l’épongea avec le bord de sa tunique.
— Es-tu complètement stupide ? demanda Menolly à son attaquant invisible. Que veux-tu que je fasse de tes fichus œufs ? Garde-les. Je veux juste rentrer chez moi. Tu ne peux pas comprendre ? Je veux juste rentrer à la maison.
Peut-être que si je m’assieds et reste bien tranquille, elle m’oubliera, pensa-t-elle en repliant ses genoux contre sa poitrine, mais ses orteils et ses coudes dépassaient du surplomb.
Soudain un lézard-de-feu bronze se matérialisa au-dessus de la couvée, piaillant avec insistance. Menolly vit la reine piquer pour le rejoindre, ce qui indiquait qu’elle devait se trouver sur le dessus de la corniche, attendant qu’elle se mette à découvert.
Quand je pense que j’ai fait une jolie chanson pour vous, se dit Menolly en regardant les deux lézards qui voletaient au-dessus des œufs. La toute dernière que j’ai composée. Vous êtes des ingrats, voilà ce que vous êtes !
En dépit de sa position inconfortable, elle ne put s’empêcher de rire. Quelle situation impossible ! Coincée sous une étroite corniche par une créature pas plus grosse que son avant-bras.
L’éclat de son rire fit s’envoler les deux lézards. Effrayés, semblait-il. Par un rire ?
« Un sourire vaut mieux qu’une grimace », aimait à répéter Mavi. Peut-être que si je continue à rire, ils comprendront que je suis une amie ? Ou bien la peur les tiendra-t-elle à l’écart assez longtemps pour que je puisse grimper ? Sauvée par le rire ?
Menolly commença à glousser avec application, non sans remarquer que la marée montait plutôt rapidement. Elle sortit de son abri, balança son sac par-dessus son épaule et commença à grimper. Mais il s’avéra difficile de rire en grimpant. Le souffle lui manquait.
Brusquement, la petite reine et le bronze furent sur elle, la harcelant en volant autour de sa tête et de son visage. Leurs ailes d’apparence fragile étaient dangereuses quand ils les utilisaient comme des armes.
Cessant de rire, Menolly regagna son renfoncement, se demandant ce qu’elle allait faire.
Si le rire les avait surpris, quel serait l’effet d’une chanson ? Peut-être qu’avec une ou deux mesures de son air, ils la laisseraient partir ? Elle n’avait plus chanté depuis le jour où elle les avait aperçus pour la première fois aussi sa voix était enrouée et peu sûre. Tant pis, les lézards « sauraient » ce qu’elle voulait dire, espérait-elle en entamant sa petite chanson. Sans auditoire.
— Bien, autant pour cette idée, marmonna Menolly pour elle-même. Ce qui rend le manque d’intérêt pour ton chant absolument unanisme.
Pas de public ? Pas l’ombre d’un lézard-de-feu en vue ? Aussi vite qu’elle le pût, elle se glissa hors de son abri et se retrouva, en une fraction de seconde, face à face avec deux lézards. Elle se baissa tandis qu’ils s’envolaient car, lorsqu’elle jeta un coup d’œil prudent, le rebord où ils étaient perchés était désert.
Elle avait la nette impression que leur attitude manifestait de la curiosité et de l’intérêt.
— Écoutez, où que vous soyez, vous pouvez m’entendre… Voulez-vous y rester et me laisser partir ? Une fois en haut de la falaise, je vous chanterai une sérénade jusqu’au coucher du soleil. Laissez-moi seulement grimper là-haut.
Elle commença à chanter, un chant empli de respect pour les dragons, tout en sortant une fois de plus de son refuge. Elle avait progressé d’environ cinq pas quand la reine apparut, avec du renfort. Devant ses piaillements, elle fut contrainte de battre en retraite. Elle put entendre les griffes qui raclaient la roche au-dessus d’elle. Elle devait avoir un vrai public maintenant. Alors qu’elle n’en avait pas besoin !
Avec précaution, elle leva la tête, et rencontra dix paires d’yeux tourbillonnants et fascinés.
— Écoutez, je vous propose un marché ! Une longue chanson et puis vous me laissez remonter. C’est d’accord ?
Les yeux des lézards tourbillonnèrent de plus belle.
Menolly l’interpréta comme une acceptation du marché et se mit à chanter. Sa voix déclencha des battements d’ailes et des pépiements de surprise et d’excitation, elle se demanda si par quelque incroyable bizarrerie ils comprenaient réellement que ce chant concernait l’hommage rendu par les forts reconnaissants aux chevaliers-dragons. Au dernier couplet, elle sortit à découvert, stupéfaite de voir une reine et neuf bronzes en extase devant sa prestation.
— Je peux m’en aller maintenant ? demanda-t-elle en posant une main sur la corniche.
La reine plongea sur sa main qu’elle retira vivement.
— Je croyais que nous avions fait un marché !
La reine émit un cri pitoyable, et Menolly comprit qu’elle n’avait pas cherché à la menacer. Elle voulait juste l’empêcher de grimper.
— Tu ne veux pas que je parte ? demanda Menolly.
Les yeux de la reine parurent briller avec plus d’éclat.
— Mais je dois m’en aller. Si je reste, l’eau va monter et me noyer. Et Menolly accompagna ses paroles de gestes explicatifs.
Soudain, la reine laissa échapper un cri perçant, parut se tenir immobile un moment en plein air et puis, suivie de près par ses bronzes, elle vola au-dessus de la plage de sable droit sur ses œufs. Elle resta en suspens au-dessus d’eux, ses cris excités exprimant une extrême urgence.
Si la marée montait assez vite pour mettre en danger Menolly, elle était tout aussi dangereusement près d’engloutir les œufs. Les petits bronzes commencèrent à reprendre la plainte de la reine et plusieurs d’entre eux, plus audacieux, tournèrent autour de sa tête puis allèrent faire des cercles autour du nid.
— Je peux y aller maintenant ? Vous ne m’attaquerez pas ? Menolly avança de quelques pas.
La tonalité des cris changea, et Menolly accéléra le pas. Quand elle atteignit le nid, la reine en retira un œuf. Avec force battements d’ailes, elle le souleva. Que l’effort fût grand était évident. Les bronzes restaient au-dessus, manifestant leur anxiété à grands cris, mais, étant beaucoup plus petits, ils étaient incapables d’aider la reine.
Menolly vit alors qu’à cet endroit la base de la falaise était jonchée de coquilles brisées et de pauvres corps de minuscules lézards-de-feu, les ailes à demi étendues, luisantes du fluide restant dans les œufs. À présent la petite reine avait soulevé un œuf jusqu’à une saillie, que Menolly n’avait pas encore vue, à peu près à une demi-hauteur de dragon sur la face de la falaise. Elle put voir le petit animal poser son œuf sur le rebord et le faire rouler avec ses pattes de devant vers ce qui devait être un trou de la falaise. Il fallut longtemps avant que la reine ne réapparut à nouveau. Puis elle plongea vers la mer, vola au-dessus de la crête écumante d’une vague qui s’écrasa dangereusement près de la couvée. Avec un mouvement flou, la reine vint voler en face de Menolly, la houspillant comme une vieille tante.
Bien que Menolly ne pût s’empêcher de sourire, elle se sentit emplie de pitié et d’admiration pour le courage de la petite reine essayant à elle seule de sauver sa couvée. Si les lézards morts étaient à ce point formés, les œufs étaient proches de l’éclosion. Pas étonnant que la reine pût à peine les déplacer.
— Tu veux que je t’aide à déplacer tes œufs, c’est ça ? Eh bien, voyons ce qu’on peut faire !
Prête à sauter en arrière si elle avait mal compris les ordres impérieux de la reine, Menolly ramassa un œuf avec beaucoup de précaution. Il était chaud au toucher et dur. Les œufs de dragon, elle le savait, étaient mous au moment de la ponte mais ils durcissaient lentement sur les sables chauds des sols d’éclosion des weyrs. Ceux-ci devaient vraiment être près d’éclore.
Refermant prudemment les doigts de sa main abîmée autour d’un œuf, Menolly chercha et trouva des prises pour ses mains et ses pieds, et parvint au rebord où se trouvait la reine. Elle déposa doucement l’œuf. La petite reine apparut, plaça possessivement une patte de devant sur l’œuf, et se pencha en avant, vers le visage de Menolly, si près que les fantastiques mouvements des yeux à multiples facettes étaient clairement visibles. Elle poussa une sorte de douce stridulation et puis, l’air très sérieux, commença à houspiller Menolly tout en faisant rouler son œuf vers la sécurité.
La fois suivante, Menolly réussit à prendre trois œufs dans sa main. Mais il était évident qu’entre la marée montante et le nombre effarant d’œufs qui comportait la couvée, la course serait serrée.
— Si le trou était plus grand, dit-elle à la petite reine en déposant les trois œufs, quelques bronzes pourraient t’aider à les faire rouler.
La reine ne lui prêta pas attention, occupée qu’elle était à pousser les trois œufs en sûreté, un par un.
Menolly scruta la cavité, mais le corps du lézard bouchait la vue. Si le trou était plus grand et la saillie par conséquent plus large, Menolly pourrait apporter le reste des œufs dans son sac.
Espérant que la falaise ne s’effondrerait pas, enterrant la reine, la couvée et tout le reste, Menolly poussa doucement sur les bords de l’ouverture. Il semblait y avoir de la roche compacte juste au-delà. Elle tira d’un coup sur les pierres branlantes, jusqu’à dégager un joli tunnel avec une entrée un peu plus large.
Ignorant les protestations furieuses de la reine, elle redescendit et défit son sac en atteignant le sol. Quand la petite reine la vit mettre les œufs dans son sac, elle devint folle, la frappant à la tête et aux mains.
— Maintenant, écoute-moi bien, dit Menolly sévèrement, je ne suis pas en train de voler tes œufs. J’essaye de les mettre tous en sécurité. Je peux le faire avec le, sac, mais pas avec les mains.
Menolly attendit un moment, regardant la reine qui était suspendue à hauteur de ses yeux.
— Tu as compris ? Elle montra les vagues, qui déferlaient avec de plus en plus de force sur la petite plage. La marée monte. Même des dragons ne pourraient pas l’arrêter. Elle mit un autre œuf dans son sac. De cette manière, elle n’aurait à faire que deux, voire trois voyages pour ne pas risquer de briser les œufs. Je porte ceci, et elle fit un geste en direction du rebord, là-haut. Tu comprends, stupide animal ?
De toute évidence, la petite créature comprit car, tout en pépiant d’impatience, elle alla se poster sur la saillie, les ailes à demi dépliées en observant l’escalade de Menolly qui pouvait monter plus vite en se servant de ses deux mains. Et elle pouvait aussi, avec précaution, faire rouler les œufs directement de l’ouverture du sac dans le tunnel.
— Tu ferais mieux d’aller chercher les bronzes pour qu’ils t’aident maintenant ou le rebord va déborder.
Il fallut en tout trois voyages à Menolly, et alors qu’elle effectuait sa dernière remontée, l’eau n’était plus qu’à un pied du nid. La petite reine avait organisé ses bronzes, et Menolly pouvait l’entendre les houspiller dans ce qui devait être une caverne d’assez grande taille, au-delà du tunnel. Ce qui n’avait rien de surprenant puisque ces escarpements étaient supposés être truffés de grottes et de passages.
Menolly jeta un dernier coup d’œil à la plage, recouverte d’eau à hauteur de cheville sur les deux extrémités de la crique. Elle regarda vers le haut, au-delà du rebord. Elle était maintenant largement à la moitié de la falaise, et il lui sembla voir assez de prises pour finir l’ascension.
— Au revoir !
On lui répondit par une salve de piaillements, et elle gloussa en imaginant la scène : la reine dirigeant les bronzes pour qu’ils placent les œufs aux bons endroits.
Elle ne parvint pas à gravir la falaise sans passer par de mauvais moments, et c’est épuisée qu’elle s’effondra enfin dans les ajoncs au sommet, sa main gauche douloureuse. Elle resta étendue là jusqu’à ce que son cœur cessât de cogner contre ses côtes et que son souffle redevînt normal. Une brise venue de l’intérieur la rafraîchit et sécha son visage, tout en lui rappelant qu’elle avait l’estomac vide. Les efforts de son ascension avait transformé les petits pains qu’elle avait dans sa poche en un amas de miettes qu’elle avala aussi vite qu’elle put les rassembler.
L’énormité de son aventure la frappa soudain, et elle hésita entre le rire et la stupéfaction. Pour s’assurer de la réalité de cette aventure, elle rampa prudemment vers le bord de l’escarpement. La plage était submergée. La cuvette sableuse dans laquelle les œufs de lézard avaient cuit était progressivement effacée par la marée. Les débris qui l’avaient accompagnée dans sa chute avaient été dissous et emportés. Quand la marée se retirerait, toutes les traces de l’énergie dépensée à se sauver et à sauver les œufs disparaîtraient. Elle pouvait voir l’avancée de roche sur laquelle la reine avait fait rouler ses œufs, mais aucun signe de lézards-de-feu. Les vagues s’écrasaient avec une obstination inébranlable sur les roches du Dragon, mais aucune brillante flèche de couleur ne se découpait sur les sombres rochers déchiquetés.
Menolly tâta sa joue : ses éraflures étaient encroûtées de sang et de sable.
C’était bien arrivé !
Comment la petite reine avait-elle su que je pourrais l’aider ? Personne n’avait jamais suggéré que les lézards-de-feu fussent stupides. Ils étaient certainement assez malins pour échapper à tous les pièges et embûches qu’on leur avait tendus depuis d’innombrables cycles. En fait, ces créatures étaient si rusées qu’on avait fini par douter de leur existence. Cependant, quelques hommes dignes de confiance les avaient réellement vus, mais de loin comme son frère Alemi qui en avait repéré autour des roches du Dragon, et depuis la plupart des gens finissaient par admettre que les lézards-de-feu n’étaient tout de même pas une création d’esprits trop imaginatifs.
Menolly aurait juré que la petite reine l’avait comprise. Comment aurait-elle pu l’aider sinon ? Ceci prouvait à quel point ces petites bêtes étaient intelligentes. Assez, en tout cas, pour échapper aux gamins qui essayaient de les capturer… Menolly fut épouvantée à cette idée. Capturer un lézard-de-feu ? L’enfermer ? Non, pensa-t-elle avec soulagement, l’animal ne resterait pas pris bien longtemps. Il lui suffirait de disparaître dans l’Interstice.
Mais pourquoi la petite reine n’était-elle pas du tout simplement allée dans l’Interstice avec sa couvée au lieu de les transporter péniblement un par un ? Ah, oui, l’Interstice était l’endroit le plus froid qu’on connût. Et le froid aurait endommagé les œufs. Ne le seraient-ils pas maintenant dans cette caverne froide ? Hmmm… Menolly regarda vers le bas. Enfin, si la reine était aussi sensée qu’elle l’avait montré jusqu’à présent, elle rassemblerait toute sa cour et lui ferait couver les œufs pour les garder au chaud jusqu’à l’éclosion.
Menolly retourna ses poches dans l’espoir de trouver de nouvelles miettes, car elle avait encore faim. Elle aurait pu chercher des fruits précoces ou des roseaux, excellents à manger, mais elle n’avait pas envie de quitter l’escarpement. Il était pourtant peu probable que la reine reparût maintenant qu’elle n’avait plus besoin d’elle.
Finalement Menolly se leva et se sentit courbatue par cet exercice inhabituel. Sa main la faisait légèrement souffrir, et la longue cicatrice était rouge et un peu enflée. Pourtant, quand elle étendit les doigts, il lui sembla que sa main s’ouvrait plus facilement. Oui, c’était vrai. Elle pouvait presque allonger complètement ses doigts. Cela faisait mal, mais c’était une bonne douleur. Pourrait-elle ouvrir sa main suffisamment pour jouer à nouveau ? Elle replia les doigts comme pour faire un accord. Cela la fit souffrir, mais cette douleur était un progrès vers la souplesse. Peut-être qu’en faisant davantage travailler sa main… Elle l’avait épargnée jusqu’à aujourd’hui où elle s’en était servie sans y prêter attention.
— Eh bien, tu m’as également rendu service, petite reine, cria Menolly, lançant ses paroles dans la brise et agitant les bras au-dessus de sa tête. Tu vois ? Ma main va mieux.
Il n’y eut pas de réponse, ni pépiement, ni bruit d’aucune sorte hormis le doux bruissement de la brise de mer et du clapotis des vagues contre la falaise. Pourtant Menolly se plut à croire que ses paroles avaient été entendues. Elle se tourna vers l’intérieur des terres, se sentant considérablement soulagée et plutôt heureuse de son travail de la matinée.
Elle devait faire vite maintenant et rassembler ce qu’elle pourrait de salade et de baies de printemps. Il était inutile de chercher des araignées-soldats avec une marée aussi haute.