AVANT-PROPOS

 

 

 

Rukbat, dans le secteur du Sagittaire, était une étoile dorée de type G. Elle possédait cinq planètes, deux ceintures d’astéroïdes et une planète errante qu’elle avait attirée et capturée aux cours des derniers millénaires. Lorsque les hommes s’installèrent sur le troisième monde de Rukbat et le nommèrent Pern, ils ne prêtèrent pas grande attention à la planète inconnue, dont la course extravagante et irrégulière oscillait autour de son orbite elliptique fondamentale. Deux générations durant, les colons ne se préoccupèrent presque pas de la brillante étoile rouge, jusqu’à ce que la course de l’astre errant l’amène à proximité de sa demi-sœur, à la périphérie.

Alors, les spores, qui vivaient et proliféraient à un rythme incroyable sur la surface tourmentée de l’Étoile Rouge, lancèrent leurs vrilles dans l’espace et franchirent le vide qui les séparait de Pern. Les spores s’abattirent comme de minces Fils sur la planète tempérée et hospitalière, et dévorèrent toute vie organique sur leur passage, cherchant à s’enfouir dans le sol tiède de Pern, d’où ils pourraient relancer d’autres Fils destructeurs.

Les colons subirent des pertes effroyables, hommes frappés à mort, récoltes et végétation réduites à néant. Au sol, seul le feu tuait les Fils ; seuls la pierre et le métal étaient capables de les arrêter. Par chance, l’eau les noyait, mais les colons auraient difficilement pu vivre sur les mers.

Les hommes firent appel à leur ingéniosité, récupérèrent les pièces de leurs vaisseaux de transport et abandonnèrent le continent Sud, trop ouvert, où ils avaient atterri, et aménagèrent les cavernes naturelles du continent septentrional. Ils élaborèrent un plan de combat contre les Fils qui comportait deux phases, dont la première consista à élever une variété hautement spécialisée de forme vivante indigène. Les « dragons » – ainsi nommés en souvenir des animaux mythiques terriens auxquels ils ressemblaient – possédaient deux caractéristiques extrêmement utiles : ils pouvaient se déplacer instantanément d’un endroit à un autre par téléportation, et quand ils avaient mastiqué une roche contenant de la phosphine, ils pouvaient émettre un gaz enflammé. Les dragons, tout en se prémunissant, étaient ainsi capables de réduire les Fils en cendre avant qu’ils n’aient touché le sol.

Des hommes et des femmes doués d’une forte empathie ou de quelque capacité télépathique innée furent entraînés à utiliser et à protéger ces animaux étranges, entretenant avec eux une relation intime durant toute leur vie.

Le premier fort, construit dans une caverne sur la face orientale de la grande chaîne des montagnes de l’Ouest, devint bientôt trop petit pour contenir les colons et les grands dragons. Un autre emplacement fut choisi un peu plus au nord, près d’un grand lac, commodément niché à proximité d’une falaise percée de cavernes. Le fort de Ruatha devint surpeuplé à son tour en quelques générations.

Comme l’Étoile Rouge se levait à l’est, on décida de chercher de nouveaux emplacements offrant des conditions favorables au peuplement dans les montagnes orientales. Les anciens puits de volcans éteints dans les mots de Benden se révélèrent si adaptés aux besoins des hommes et femmes-dragons qu’ils en cherchèrent et découvrirent plusieurs autres sur la surface de Pern, laissant le fort originel et le fort de Ruatha aux colons fermiers.

Cependant, de tels projets épuisèrent le combustible des grandes excavatrices, destinés à l’origine à des travaux de mine plus modestes puisque Pern était pauvre en métaux, et tous les forts et weyrs qui suivirent furent taillés à la main.

Les dragons et leurs cavaliers dans leurs weyrs, et le peuple des fermiers dans leurs demeures troglodytes, s’occupèrent de leurs propres tâches et développèrent des habitudes qui se muèrent rapidement en coutumes, qui se durcirent elles-mêmes en traditions aussi intangibles que des lois.

Au troisième passage de l’Étoile Rouge, une structure économique, sociale et politique complexe s’était développée pour faire face à la menace renouvelée des Fils. Il y avait désormais six weyrs destinés à protéger la totalité de Pern, chaque weyr protégeant un secteur géographique du continent septentrional. Le reste de la population, les forts, accepta de payer une dîme pour soutenir les weyrs puisque ces guerriers, les hommes-dragons, ne possédaient aucune terre arable dans leurs demeures volcaniques, pas plus qu’ils n’avaient de temps à consacrer à l’agriculture, leur fonction étant de défendre la planète lors des passages de Fils.

Les forts se répandirent partout où l’on put trouver des cavernes naturelles : certains étaient de grande taille et stratégiquement placés près d’eaux pures et de bons pâturages, d’autres étaient plus petits et moins bien situés. Il fallait un homme fort pour garder le contrôle des populations terrifiées à l’intérieur des forts lors des attaques de Fils, il fallait une administration qui ait la sagesse de conserver des réserves de nourriture pour les périodes où rien ne pouvait pousser en sécurité. Par des mesures exceptionnelles on contrôlait la population pour la maintenir à un niveau sain et utile jusqu’aux temps de passage des Fils.

Il arrivait souvent que les enfants nés dans un fort fussent élevés dans un autre fort afin de répartir le patrimoine génétique et d’éviter les dangers de la consanguinité. Une telle pratique fut appelée l’« adoption » et était utilisée à la fois dans les forts et dans les ateliers où certains talents tels que la métallurgie, l’élevage, l’agriculture, la pêche ou la mine (pour autant qu’il y en eut) étaient entretenus. De manière qu’un seigneur de fort ne puisse pas refuser aux autres les produits d’un atelier situé dans son propre fort, les artisans furent décrétés indépendants de toute affiliation à un fort, chaque artisan ne devant allégeance qu’au maître de son art, qui, à mesure que les besoins augmentèrent, prit comme apprentis des « adoptés ».

En dehors du retour de l’Étoile Rouge tous les deux cents ans à peu près, la vie sur Pern était agréable.

Et puis vint un temps où l’Étoile Rouge, à cause de la conjonction des cinq satellites naturels de Rukbat, ne passa pas assez près de Pern pour laisser tomber ses terribles spores. Et les Perniens oublièrent le danger. La population prospéra, s’étendant sur les terres fertiles, creusant davantage de forts dans la roche ; elle devint si préoccupée de sa prospérité qu’elle ne prit pas conscience qu’il ne restait plus que quelques dragons dans le ciel et un seul weyr de chevaliers-dragons sur Pern. En quelques générations, les descendants des habitants des forts commencèrent à se demander si l’Étoile Rouge allait revenir un jour. Les chevaliers-dragons tombèrent en disgrâce : pourquoi tout Pern devrait-il entretenir ces gens et leurs bêtes affamées ? Les légendes des actes de bravoure passés, et même ce qui avait motivé un tel courage furent discrédités.

Mais, suivant le cours naturel des choses, l’Étoile Rouge revint à passer près de Pern, clignant de son œil sinistre vers sa victime. Un homme, F’lar, qui montait un dragon bronze, Mnementh, croyait que les histoires anciennes contenaient une part de vérité. Son demi-frère, F’nor, qui montait le brun Canth, écouta ses arguments et fut convaincu. Alors que le dernier œuf d’or d’une reine dragon mourante reposait, durcissant, sur le sol de la salle d’Éclosion du weyr de Benden, F’lar et F’nor saisirent l’opportunité de prendre son contrôle. En fouillant le fort de Ruatha, ils trouvèrent une femme, Lessa, seule survivante de la fière lignée du fort de Ruatha. Elle marqua la jeune Ramoth, la nouvelle reine, et devint la dame du weyr de Benden. Le bronze Mnementh, le dragon de F’lar, devint le nouveau compagnon de la nouvelle reine.

Les trois jeunes chevaliers, F’lar, F’nor et Lessa, forcèrent les seigneurs des forts et les artisans à reconnaître le danger imminent qui les menaçait et à préparer la planète presque sans défense contre les Fils. Mais il était désespérément évident que les deux cents dragons du weyr de Benden étaient en nombre insuffisant pour défendre des zones habitées aussi dispersées. Il avait fallu six weyrs entiers dans les jours anciens alors que les territoires occupés étaient beaucoup moins étendus.

En apprenant à diriger sa reine dans l’Interstice, entre un endroit et un autre, Lessa découvrit que les dragons pouvaient également se téléporter dans l’Interstice entre le temps. Risquant sa vie en même temps que celle de la seule reine de Pern, Lessa et Ramoth revinrent en arrière de quatre cents cycles dans le temps, aux jours de la disparition des cinq autres weyrs, juste après la fin du dernier passage de l’Étoile Rouge.

Les cinq weyrs, constatant le déclin de leur prestige et lassés de leur inactivité présente, plein de regrets de leur vie antérieure passée dans l’excitation des combats, acceptèrent d’aider Lessa et Pern, et l’accompagnèrent dans son époque.

Le Chant du dragon commence sept cycles après le saut dans le futur des cinq weyrs.