DIX
JE N’AVAIS JAMAIS ÉTÉ AUSSI CONTENT D’AVOIR MON PROPRE COMPTE en banque car, dans le cas contraire, j’aurais eu de sérieuses explica-tions à fournir à propos de la somme astronomique de frais postaux que je dépensai en envoyant des paquets dans tout le pays.
L’attente des retours sur les livres fut difficile. Je fis quelques randonnées, envoyai des dessins de remerciements personnels à Victoria et à Liz, qui avaient été de si bon conseil, et chassai quelques motifs dans les livres que j’avais gardés.
J’étais à la fois excité et frustré. J’espérais que les livres m’éclai-reraient sur ce que la bibliothèque cachait (et j’étais de plus en plus convaincu que ce que je voyais, une belle pièce pleine de livres, n’était pas la raison de l’interdiction de Bosque), mais je savais aussi qu’étant donné le nombre d’ouvrages restant à explorer, je n’aurais jamais tous les indices. J’espérais simplement en avoir assez pour trouver quelques réponses.
Heureusement, l’attente ne fut pas si longue. Les pistes coulaient à flots et j’avais même du mal à suivre. C’était une bonne chose que je n’aille pas au lycée. Autre point positif : tous ceux qui m’aidaient semblaient avoir autant de temps libre que moi.
Les murs vides de ma chambre étaient désormais couverts de pages de textes, d’indices et de remarques en provenance d’un nombre incalculable d’endroits.
Dont le sens m’échappait toujours.
Il y avait d’abord des noms : Alistair, Nightshade, Cameron, Rowan, Marise, Lumine. Plus on avait d’informations sur ces gens, plus tout ça devenait étrange. Je croyais d’abord à une chronique familiale, mais les dates ne coïncidaient pas. Les gens ne vivent pas jusqu’à deux cent-quatre-vingt-trois ans. C’est tout simplement impossible.
Ce groupe d’indices menant à une impasse, je me concentrai sur les autres. Ces phrases paraissaient faire partie d’une histoire.
Le nom d’Alistair fit à nouveau surface, mais dans le contexte de sa participation à une guerre. Les différentes factions du conflit ne ressemblaient à rien de ce que j’avais pu voir en cours d’histoire : le Conatus, les Chercheurs, les Gardiens, les Protecteurs. Je ne savais pas quoi faire d’eux. Et au centre de la guerre, il y avait une femme (du moins je supposais que c’en était une) qui s’appelait Eira. Encore une fois, cela ne faisait pas partie du programme d’histoire sur l’Europe médiévale. Je me replongeai même dans mes cours de civilisation occidentale pour trouver des connexions, en vain.
Quant au dernier groupe d’indices, je ne voulais même pas en entendre parler. Il me ramenait au monde de l’enfer et du lugubre.
Des sorcières. Beaucoup de choses sur des sorcières. Et les éléments. Pas ceux qu’on essaie de retenir pour le cours de chimie.
Les éléments de la vieille école : la terre, l’air, l’eau et le feu. Je revenais au point de départ : j’étais frustré, fatigué et en colère.
C’était peut-être une quête futile. Je n’étais pas censé être dans cette bibliothèque et ce que j’avais trouvé ne m’apportait aucune des réponses que j’attendais. J’étais en partie tenté d’arrêter là pour aujourd’hui et de fermer la bibliothèque en espérant que mon oncle ne s’aperçoive jamais que j’y avais pénétré. Il me ferait sans doute bientôt entrer dans ce lycée. Et au final, la chose qui me réveillait la nuit se lasserait bien de me tourmenter.
Pourquoi je faisais tout ça ?
Je commençais à écrire un message sur mon blog pour m’excuserd’avoir fait perdre autant de temps à tout le monde quand je tombai sur quelque chose de nouveau. C’était dans un livre comme les autres, mais l’indice était d’une autre nature.
Les données que tu cherches sont derrière la Roue de l’Année.
Pas de nom. Pas d’histoire. Pas de sorcières.
Ce n’était pas un indice, c’était une indication de lieu.
La Roue de l’Année. Encore quelque chose dont je n’avais pas entendu parler, mais l’expression était assez simple pour être décryptée. Et je n’étais pas tout seul.
Je le dis à haute voix, comme pour m’assurer que j’étais sur la bonne piste :
– Les données que tu cherches sont derrière la roue du temps.
Mon téléphone vibra dans ma poche. Je le sortis et vis que j’avais un nouveau texto.
Arrête.
Je cherchai qui l’avait envoyé. Le message s’évanouit. Il avait été là. Un message qui disait simplement : « Arrête. » Et il avait disparu.
Le fantôme qui hantait mon téléphone était peut-être bienveillant. Ou c’était un ennemi. En tout cas, je n’arrêterais pas. Je me rapprochais de quelque chose d’essentiel, j’y étais presque.