NEUF



UNE RÈGLE À SUIVRE : NE METTEZ PAS DES VIDÉOS EN LIGNE QUAND vous êtes sous le coup de la paranoïa, du manque de sommeil et de la colère. J’ai allègrement manqué à cette règle. Je n’arrive toujours pas à croire que je l’ai fait. Heureusement, les gens qui me suivaient sur internet étaient charitables. J’avais de la chance.

Sérieusement.

Je leur revaudrais ça. Certains commentaires étaient si gentils que je pensai écrire des notes de remerciements personnelles.

Chère Emily, les roses sont rouges, les violettes sont bleues, si tu n’étais pas là, je deviendrai fou furieux.

Tout bien réfléchi, c’était déplacé. J’en resterais aux vidéos.

J’eus envie d’évoquer les appels téléphoniques étranges pour me justifier, mais j’étais déjà sur la route de la folie et j’avais besoin de garder mes amis. Ce n’était peut-être pas une bonne idée de partager quelque chose qui ferait fuir les gens qui m’aidaient.

Mon carnet de dessin en main, je retournai à la bibliothèque, déterminé à découvrir pourquoi elle était interdite. Ignorant le tableau, la cheminée et la vitrine, je me dirigeai vers les rayons.

Même s’il était peu probable que je tombe sur un livre avec la mention « Interdit » sur le dos, je trouverais peut-être quelque chose.

Je ne débusquai aucun indice en parcourant les titres des livres, à part que l’un des anciens propriétaires aimait les livres de la fin du xixe siècle. Je pris et feuilletai Westward Ho !1

Quelqu’un avait maltraité ce livre. Quelques pages étaient couvertes d’encre.

Attendez une seconde !

Je posai le livre ouvert sur le sol pour mieux voir les pages couvertes d’inscriptions. Les traces de plume étaient délibérées, et d’un goût exquis. Un motif, mais qui représentait quoi ?

Je saisis un recueil de poèmes . Je mis moins d’une minute à trouver les formes à l’encre disséminées sur les pages. Là aussi, les dessins étaient liés, comme s’ils se connectaient au hasard des expressions et des lettres sur les pages. Mais s’ils étaient liés, ce n’était plus une coïncidence. N’est-ce pas ?

Me demandant si ma découverte était un coup de chance inouï, je laissai les livres et allai aux rayons d’en face. Je montai en courant l’escalier en colimaçon et pris trois ouvrages au hasard sur le mur.

Tous les trois avaient les mêmes inscriptions à l’intérieur.

Qui aurait pu faire ça ? Et pourquoi ?

J’avais besoin de réfléchir à la prochaine étape.

De plus, j’avais déjà trouvé mes devoirs pour la journée. Quoi de mieux que des messages de remerciements ?

Des dessins de remerciements.

La mise en ligne des dessins de la bibliothèque donna lieu à des remarques flatteuses sur mes talents artistiques, sans doute au-delà de ce que je méritais, mais pas de solution. Je pris au sérieux la suggestion de regarder sous le tapis devant la cheminée. Rowan Estate était le genre d’endroit à avoir des passages secrets, mais le tapis n’en dissimulait pas. Je n’en voulais pas aux gens de l’intérêt qu’ils portaient au tableau, mais il semblait ne rien avoir de particulier. Enfin, ce n’était pas totalement vrai. Chaque fois que je voyais le portrait, il me faisait le même effet, comme si quelqu’un essayait de me percer la poitrine. Encore plus étrange, si je le regardais pendant un long moment, je commençais à entendre un son, comme des pleurs au loin.

M’en préoccuper, c’était prendre la direction de l’asile, ce que je ne voulais pas, alors je décidai de le laisser de côté. En plus, les livres marqués devenaient obsédants. Je passai l’après-midi à chercher des pages ornées. Je parvins rapidement à la conclusion que si tous les ouvrages n’étaient pas marqués, un nombre considérable d’entre eux l’étaient. Quand j’eus formé une pile d’une centaine de livres, je fis une pause.

Je ne doutais pas qu’il devait y avoir plus de motifs cachés, mais je n’arriverais jamais à les trouver tous. Je n’arriverais même pas à tous les repérer dans les livres que j’avais déjà empilés.

Il était temps de demander un peu d’aide à mes amis.

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1. Roman de Charles Kingsley paru en 1855 (toutes les notes sont de la traductrice).