DEUX
APRÈS DEUX NUITS DE FÊTE D’ADIEUX, J’ÉTAIS PHYSIQUEMENT, mentalement et moralement peu enclin à monter dans une voiture avec un chauffeur dont les muscles menaçaient à tout moment de faire craquer le costume. Cette habitude de mon oncle d’engager des chauffeurs qui ressemblaient à des catcheurs professionnels me laissait toujours perplexe. Je restai caché derrière mes lunettes de soleil alors qu’on me conduisait à une piste d’atterrissage privée, puis au Gulfstream G650 de mon oncle.
Comme pour le déménagement, j’avais déjà essayé, en vain, de convaincre Bosque que je préférerais voyager sur un vol régulier avec des gens normaux plutôt que de faire ces trajets avec seulement un pilote et une hôtesse de l’air. Comme toujours, cette der-nière devait avoir une vingtaine d’années, des cascades de boucles parfaites tombant sur ses épaules et assez de boutons défaits à son chemisier pour donner plus qu’un aperçu de son décolleté généreux. Je savais que n’importe quel adolescent mâle au sang chaud aurait été ravi, mais étant donné que c’était l’avion de mon oncle, j’étais simplement mal à l’aise. Après ma deuxième soirée d’adieux, j’étais plus d’humeur à câliner un siège de toilettes qu’une fille sexy, donc cela ne faisait que m’énerver davantage.
Heureusement, le trajet de Portland à Vail fut court. Et après la quantité de sodas que m’avait servis l’hôtesse, je me sentais presque normal en descendant de l’avion. Je m’arrêtai, surpris, non par la vue du chauffeur énorme qui m’attendait, mais parce que mon oncle était à côté de lui. Même s’il m’avait dit au téléphone qu’il serait là, j’avais cru qu’il ne viendrait pas. Jamais lors de mes déménagements, et je ne pouvais même pas les compter tant ils étaient nombreux, Bosque n’avait été là pour me souhaiter la bienvenue à mon nouveau domicile. C’était comme si le directeur du FBI se pointait pour placer un informateur sous protection rapprochée.
Il leva la main pour me saluer, et sourit furtivement.
– Seamus.
– Salut, oncle Bosque.
Je n’avais jamais réussi à lui donner un âge. Son attitude me laissait croire qu’il était l’aîné de ma mère, mais il n’avait absolument aucun cheveu gris. Étant donné qu’il gagnait des millions de dollars ou presque par mois, il aurait pu se payer une coupe correcte, mais au lieu de ça ses cheveux bruns étaient plaqués en arrière pour coller à son scalp plus solidement qu’un casque. Il avait aussi du mal avec la mode d’aujourd’hui. Ses costumes semblaient avoir été coupés dans les années 1920, même s’ils étaient manifestement flambant neufs.
Il me tapota l’épaule. Il n’était pas très tactile et ça m’allait très bien comme ça. Le chauffeur ouvrit la porte de la voiture et Bosque me fit signe d’entrer. Il se glissa sur la banquette, à côté de moi. La voiture s’engagea sur la voie de service de l’aéroport.
Mon instinct me poussait à tourner la tête vers la fenêtre pour contempler les montagnes, mais je supposais que si Bosque était là, c’était pour parler.
– J’espère que tu vas bien, commença-t-il.
– Assez bien.
Je n’avais plus mal à la tête. Mais j’avais prévu de passer le reste de la journée à faire la sieste. J’espérais que mon oncle n’avait pas de grands projets pour nous deux. Il fit glisser sa veste de costume de ses épaules et la plia sur ses genoux.
– Je me suis dit qu’il était préférable que je te rejoigne ici pour quelques jours. C’est la moindre des choses, vu l’héritage familial qui repose entre les murs de cette maison.
Je hochai la tête même si je ne voyais pas où il voulait en venir.
– Je dois aussi faire quelques visites au lycée. Leur processus d’admission est plus rigoureux que celui de toutes tes anciennes institutions. Il y aura un petit délai avant que tu puisses commencer les cours.
Je haussai les sourcils.
– Il y a un problème ?
Mes notes ne pouvaient pas être en cause, elles étaient toujours bonnes. En plus, même si j’avais été un désastre en cours, Bosque était homme à changer le monde en un claquement de doigts. Je n’arrivais pas à imaginer à quoi le retard pouvait être dû.
Il secoua la tête.
– De simples obstacles administratifs dont tu n’as pas à te préoccuper. Je suis sûr que tu trouveras le moyen de te distraire en attendant que ce soit réglé.
– Combien de temps ?
Des vacances en plus n’avaient rien pour me déplaire. D’un autre côté, le lycée était le seul endroit où j’avais une chance de rencontrer des gens.
– Quelques semaines.
J’ouvris et refermai la bouche. J’allais répliquer que j’aurais pu rester à Portland et finir mon année de terminale. Mais débattre avec mon oncle ne menait jamais à rien.
– Je crois que j’irai me balader, faire de bonnes randonnées, dis-je en m’affaissant dans mon siège.
– Bonne idée.
Son téléphone vibra et je détournai le regard tandis qu’il entamait une conversation calme avec son correspondant. Mon regard s’égara vers la fenêtre, trouvant des pics recouverts de neige et des flancs de montagne peints dans toutes les nuances de vert, du jade à l’ébène. J’avais adoré vivre à Portland car je passais beaucoup de temps dehors. Aventureux, bien sûr, mais aussi modéré. L’air était constamment humide en Oregon, ce qui adoucissait les rivières et les forêts. Le Colorado semblait plus sauvage. Le souffle qui se glissa à l’intérieur quand j’entrouvris la fenêtre était sec, vif et âpre.
Je frissonnai.
– Impressionnant, non ?
Bosque me regardait.
– Ouais.
Mon téléphone vibra dans ma poche. Je le sortis. C’était un message d’Ally.
Tu es déjà arrivé ? Pourquoi tu n’as pas mis à jour ton statut ?
Je soupirai.
J’ai atterri, pas encore à la maison. Mon oncle est là.
Sérieux ???
Affirmatif. Je dois y aller.
– Tu manques déjà à tes amis ?
– Ouaip.
Je glissai mon téléphone dans ma poche, essayant d’ignorer le nœud dans mon estomac. Je ne voulais pas montrer que je regrettais Portland.
– Tu t’en feras des nouveaux, dit-il. Je t’assure. On s’occupera bien de toi.
– Dans ce lycée qui ne veut pas de moi ?
Il posa son regard sur moi, ne clignant pas des yeux jusqu’à ce que je dise : « Pardon. »
Le reste du trajet se déroula en silence. Mon mal de tête s’était ravivé et Oncle Bosque lisait The Economist.
Je ne sais pas depuis combien de temps je dormais, une heure peut-être, quand il se racla la gorge.
Je frottai mes yeux pleins de sommeil. Quand mon regard s’éclaircit, je n’eus pas le temps de me reprendre avant de jurer, les yeux rivés sur le mastodonte qu’on voyait par la fenêtre.
Mon oncle rit.
– Impressionnant, n’est-ce pas ?
« Impressionnant » n’est pas le terme que j’aurais choisi. Plutôt « énorme ». La voiture s’était arrêtée au bout d’une longue allée bordée d’arbres magistralement taillés. La maison, si on pouvait l’appeler ainsi, avait deux étages plus un grenier. Les premiers étaient ornés d’immenses fenêtres à meneaux, et des auvents pointus recouvraient le dernier.
Enfin si on peut appeler ça un grenier dans un bâtiment aussi grand !
Dans les ombres qui bordaient le haut du manoir, on distinguait des douzaines de créatures de pierre. Certaines inoffensives : des cerfs, des chouettes et des chevaux ; d’autres, bêtes lugubres qui appartenaient seulement à la mythologie. Des serpents ailés entor-tillés sur eux-mêmes, des gargouilles et des chimères lorgnaient dans ma direction alors que je sortais de la voiture. La façade de pierre gris sombre semblait jurer avec le fond montagneux. Une maison de ce type aurait été plus à sa place sur une lande britannique déserte.
J’emménage dans un Poudlard maléfique, écrivis-je à Ally.
Elle répondit quelques secondes plus tard. Chouette. Dommage que tu sois un Moldu.
Évidemment, elle trouvait ça drôle, mais l’endroit me faisait peur. Ce n’était pas seulement l’aspect du manoir. Chaque pas en direction de la porte d’entrée me donnait la chair de poule. C’était une chaude journée de septembre, mais je ne pouvais pas m’em-pêcher de frissonner. Oncle Bosque avait l’air tout à fait à l’aise, tandis qu’il atteignait la porte à grands pas. Elle s’ouvrit comme en signe de bienvenue.
– Bonjour, Monsieur, dit un homme grand et mince. Tout est en ordre, conformément à vos instructions.
– Parfait, dit Bosque.
Mon oncle désigna la porte ouverte. Mes pieds, enracinés dans le sol, faisaient de chaque pas un calvaire. Je me sentis encore plus mal à l’aise quand l’homme élancé inclina la tête pour me saluer au moment où je passais devant lui.
Dans le hall attendaient environ une douzaine de personnes, hommes et femmes vêtus d’impeccables uniformes noir et blanc, tête baissée en signe de respect. J’avais envie de crier et de sauter autour d’eux comme un fou pour voir s’ils continueraient de tirer leur révérence ou s’ils perdraient leur calme comme toute personne normalement constituée. Si troublant que le personnel silencieux puisse être, le hall m’intimidait encore plus. La pièce était ronde et large. Un lustre était suspendu au-dessus de nous, la teinte foncée du fer forgé contrastant avec l’éclat du cristal. Sur le mur du fond s’élevaient deux escaliers jusqu’au balcon qui encerclait le premier étage. Le bruit lourd et mat de la porte massive se refermant me tira de ma contemplation.
– Shay, dit mon oncle. Voici le personnel de Rowan Estate. Ils m’ont fait l’honneur de se rassembler pour te rencontrer. Tu ne les verras pas souvent réunis ainsi. Je préfère qu’ils travaillent dans l’ombre.
Je lançai un regard désapprobateur à mon oncle. Parlait-il réellement ainsi des gens en leur présence ?
Pas un membre du personnel ne cilla. Ils gardèrent la tête baissée. Non seulement j’emménageais dans un petit château mais apparemment j’avais aussi voyagé dans le temps. Retour au xixe siècle.
– Si mon neveu a besoin de quoi que soit, je compte sur vous pour faire le nécessaire, dit Bosque à l’homme mince. Thomas est le directeur du personnel. Je te laisserai son numéro, Shay. N’hésite pas à le contacter en mon absence.
J’acquiesçai.
Thomas s’inclina.
– Ce sera un plaisir de vous servir, Maître Shay.
Un bruit étranglé s’échappa de ma gorge.
– Il vaut peut-être mieux laisser les formalités de côté avec mon neveu, dit Bosque en souriant. Ces jeunes gens ont un autre rapport au monde.
– Bien sûr, Monsieur, dit Thomas. Le dîner sera servi à sept heures trente.
– Et nos invités ?
– Ils sont attendus pour sept heures, Monsieur.
– Très bien.
Bosque posa la main sur mon épaule, se dirigeant vers l’escalier gauche du hall circulaire.
– Je vais te montrer ta chambre. Tes affaires seront là sous peu, si elles ne sont pas déjà arrivées.
– Des invités ? demandai-je en montant l’escalier.
– Deux amis chers se joindront à nous pour le dîner. Un de mes proches associés et son fils, qui sera ton camarades de classe. Je suis sûr que vous sympathiserez rapidement.
Génial. Oncle Bosque organisait ma vie sociale. Mes yeux se posèrent sur une grande porte à double battant au milieu du balcon, mais Bosque se dirigeait vers un long couloir. Je revins en arrière, montrant du doigt la porte close.
– Qu’est-ce qu’il y a là ?
Il posa brièvement le regard sur moi puis le détourna.
– La bibliothèque.
– Il y a une bibliothèque ici ?
Ce ne serait peut-être pas si horrible de vivre dans cet endroit.
– Je suis désolé, mais la bibliothèque est le seul endroit que je te demanderai d’éviter.
Je commençai à protester, mais Bosque secoua la tête.
– Ce n’est pas une bibliothèque comme les autres, Shay. Elle abrite des livres de grande valeur. Des articles de collection et des registres personnels. Je dois m’assurer que son contenu demeure en parfait état.
Seul un archiviste expérimenté peut manier ces documents.
– Je peux au moins la voir ?
– Tu as des tas de livres, Seamus. Si tu en veux d’autres, tu peux les commander et les faire livrer ici. Il n’y a rien qui puisse t’intéresser dans ma bibliothèque. Je te prie de respecter ma vie privée.
Ses mots avaient un caractère irrévocable qui me dissuadait de pousser la discussion plus loin, mais c’était comme de m’être enfoncé une épine dans le pied. Bosque savait que je lisais beaucoup et que j’aimais les vieilleries. Pour moi, les antiquités figu-raient sous la rubrique « intéressant voire cool ». De plus, je détestais cette façon de me traiter comme un enfant qui pourrait abîmer sa jolie maison. J’allais au lycée, pas à la crèche.
J’étais tellement en colère que je m’apprêtais à protester de façon plus virulente cette fois, quand la décoration du couloir attira mon attention. La flamme d’indignation qui brûlait en moi se transforma en glace, puis en nausée. Je vacillai et m’arrêtai pour contempler l’un des immenses tableaux. Un homme nu, presque de taille humaine, était penché en arrière. Des ombres tournoyaient autour de lui, serpentant sur sa peau blême, comme si elles étaient vivantes… et l’écartelaient lentement. Bien qu’aucun élément physique de torture ne fût présent dans le tableau, le supplice de l’homme était palpable. Je me forçai à détourner le regard pour examiner le tableau du mur d’en face. On y voyait une femme dont les vêtements étaient réduits en lambeaux. Elle était à genoux, la tête penchée dans une position de défaite. Ses épaules, son ventre et ses mollets étaient couverts d’entailles. Sous elle, une flaque pourpre s’obscurcissait jusqu’à imprégner le tourbillon de vide qui remplissait le reste de la toile.
– Tu viens, Shay ?
Bosque était arrivé au bout du couloir et s’apprêtait à tourner.
Je hochai la tête, craignant d’avoir un haut-le-cœur si j’essayais de parler. C’est quoi comme courant artistique ça ?
Ce n’était pas comme si je ne savais pas que l’art était plein de violence. Je devais avoir vu une bonne centaine de repro ductions du martyre de saint Sébastien dans différents musées d’Europe.
Mais quelque chose dans ces tableaux me rendait malade. Ils n’étaient pas du tout tragiques. Ils ne parvenaient pas à évoquer la douleur de la mort, de la perte et le sacrifice que les portraits de martyrs visaient à exprimer. Les tableaux de ce manoir semblaient décrire un supplice animé d’une vie propre et une torture qui avait toujours cours. Pourquoi mon oncle voudrait-il collectionner des images de ce genre ? Pourquoi ferait-on ça ? Ne voulant pas y penser, je décidai de regarder droit devant moi. Mes yeux se posèrent sur une statue de marbre à l’angle où mon oncle avait tourné. Belle, luisante, elle rappelait les travaux des maîtres classiques. L’homme ressemblait à toutes les représentations de héros mythologiques grecs ou romains, à une exception près : il avait des ailes. Pas de jolies ailes d’ange aux plumes soyeuses. Les longs appendices repliés qui sortaient de ses épaules semblaient avoir été volés à une chauve-souris géante, ou peut-être à un petit dragon.
– Bizarre, marmonnai-je en passant devant.
Je la préférais aux tableaux, mais pas beaucoup plus. Trop bizarre.
Je trouvai Oncle Bosque en train de m’attendre au bout d’un autre couloir. Il ouvrit la dernière porte à gauche.
– Ta demeure.
J’entrai et fus soulagé de voir que, contrairement au reste de la maison, cette pièce ne faisait pas la taille d’un hangar d’aéroport.
Les meubles étaient en bois sombre et le lit beaucoup plus grand que tous ceux que j’avais jamais eus, mais sinon, je sentais que je pourrais m’approprier cet endroit. Mon coffre était déjà au pied du lit et plusieurs colis s’empilaient à côté du placard. Un paquet emballé de papier marron était posé sur les draps.
– C’est génial, dis-je. Merci.
– La salle de bains est deux portes plus loin dans le couloir. Le personnel de nettoyage vient tous les mardis. Si tu sors ton linge sale, ils le laveront et le repasseront. Ils s’occuperont également de ta chambre et de ta salle de bains.
– Euh, est-ce qu’ils pourraient éviter ? demandai-je, fourrant mes mains dans les poches de mon jean.
– Pardon ? dit-il en me regardant d’un air curieux.
– Pour la salle de bains, d’accord. Qu’ils s’en occupent, très bien. Mais pas ma chambre. Je ne préférerais pas que des étrangers viennent la récurer dans les moindres recoins chaque semaine. Je m’en occuperai moi-même. Promis.
Il se mit à rire.
– Si tu te soucies de leur discrétion, sache qu’il n’y a pas de quoi. Je suis sûr qu’ils comprendront s’ils trouvent de la littérature masculine parmi tes autres livres.
Je toussai, sentant la rougeur gagner mon cou et mon visage. Je ne sais pas ce qui était pire : que mon oncle qualifie le porno de « littérature masculine » ou qu’il suppose que j’en aie.
– Ce n’est pas ça. Sérieusement, dis-je en l’évitant du regard.
Je n’ai jamais eu de personnel. Je n’en ai pas besoin. Ce que je voudrais savoir, c’est si je peux avoir un peu d’intimité dans ce manoir gigantesque.
Bosque sourit, et je vis dans son regard qu’il me prenait pour un adolescent fana de porno, ce qui me mit encore plus mal à l’aise par rapport aux tableaux de cinglé du couloir et du genre de « littérature masculine » qu’il devait planquer dans sa bibliothèque.
Beurk !
– Comme tu veux. Je demanderai à ton personnel de considérer ta chambre comme sacro-sainte.
– Merci, Oncle Bosque.
Je m’assis au bord du lit.
– Cette maison est vide d’habitude ? Enfin, je suis le seul à vivre ici ? Parce qu’elle est quand même immense.
– Tout à fait. La collection d’œuvres d’art est unique, et je permets à la société d’historiens locale de programmer des visites quand je ne suis pas à domicile. Je suis sûr qu’ils seront déçus que les locaux redeviennent complètement privés.
– En parlant d’histoire, quand a-t-elle été construite ? Je ne
pensais pas qu’il existait des endroits pareils dans l’ouest du pays.
– C’est l’une des raisons pour lesquelles on y organisait des visites. En termes d’architecture, elle est unique en son genre.
Construite à la fin du xixe siècle par l’un de nos ancêtres à qui la ruée vers l’or du Colorado a plutôt bien réussi.
– Les pionniers du pic de Pikes ? Cette ruée-là ?
– Ravi de voir que tu as assimilé quelques cours d’histoire dans les écoles où je t’ai envoyé, dit-il en se dirigeant vers la porte. Je te laisse t’installer. Le dîner sera servi dans quelques heures.
– Oncle Bosque ? dis-je d’une voix plus enfantine que jamais. Vas-tu vivre ici aussi ?
Il me regarda en redressant les épaules.
– Tu connais la nature de mon travail.
Je serrai les dents en me demandant pourquoi je me souciais de partager une maison avec un oncle que je connaissais à peine.
Même s’il était ma seule famille.
– Je serai là ce soir. Mais demain je serai de nouveau en voyage. Je reviendrai quand le processus d’admission au lycée sera terminé. Je veux être sûr que ta rentrée se passe bien.
– D’accord.
– Je t’attendrai dans mon bureau. Il se trouve tout au bout de l’aile ouest. Quand tu seras prêt, viens me chercher et nous irons faire un tour de la maison avant le dîner.
J’acquiesçai, soudain épuisé. Bosque partit et je m’affalai sur le dos. Ma tête percuta le paquet qui était sur le lit. J’avais oublié qu’il était là. L’étiquette de la poste montrait qu’il avait été envoyé hier depuis Portland pour arriver aujourd’hui. Je l’ouvris et trouvai mon sweat à capuche parfaitement plié autour d’un sac plastique plein de cookies aux pépites de chocolat. L’écriture de Kate dessinait un cercle sur la carte.
Ne nous oublie pas. Bisous.
C’était très attentionné, et pourtant j’eus l’impression qu’on venait de me donner un coup de poing dans le ventre. Demain je serais seul. Dans un endroit où je n’avais pas d’amis. Dans une maison qui aurait pu abriter une armée entière mais où je serais seul. Si je voulais rester sain d’esprit en attendant mon entrée au lycée, j’allais devoir être créatif. Très créatif.
Je roulai sur le lit et envoyai un message à Kate. Je ne sais pas comment je vais faire sans vous. Tu es sûre que tu n’auras pas froid sans mon sweat ?
Mon téléphone vibra presque instantanément. Je ne dirais pas non si tu me le renvoyais. Ça me manque déjà de ne plus voir ton visage.
J’étais sur le point de lui renvoyer un message quand je me dis que je pouvais faire mieux.