Le capitaine Corato était au gouvernail avec un géant blond que Giovanni Della Luna ne reconnut pas.
— Tu cherchais après moi, capitaine ? Qui est celui-là ?
— Je sais, mon maître, que vous aimez connaître les gens qui travaillent sous vos ordres. Je voulais vous présenter notre nouveau rameur.
— Ah oui, c’est vrai, acquiesça Giovanni en se souvenant de leur conversation sur le quai de Barfleur. C’est toi qui connais la côte jusqu’au Mont-Saint-Michel ?
L’homme acquiesça d’un signe de tête. Grand, blond, le regard bleu, il devait avoir une trentaine d’années, l’aisance et la souplesse d’un guerrier plus que d’un homme de mer.
— Si tu te présentais, demanda le Lombard.
— Mon nom est Bjorn{4}. Je viens de Pirou, en Cotentin.
— Et que sais-tu faire, Bjorn, à part tenir des rames ?
— Garder les abeilles, pêcher, monter à cheval, nager... Et puis lire, écrire et me battre, aussi.
— Lire et écrire ! Ce n’est point courant sur les bancs de nage. Est-ce que tu sais aussi compter ?
— Oui.
— Qui te l’a appris ?
— J’ai été élevé au château... C’était l’aumônier.
— Bien. Et pourquoi l’as-tu quitté, ce château où l’on apprend aux manants à lire et à écrire ?
— Je ne suis pas un manant, mais un homme libre ! protesta Bjorn. Je voulais prendre la mer.
— Eh bien, tu l’as prise, l’homme libre ! fit Giovanni. Si tu travailles bien, je ferai de toi davantage qu’un rameur. Où veux-tu aller ?
— Jusqu’où le vent nous poussera.
Le Lombard se tourna vers le capitaine Corato.
— Donne à celui-là davantage de travail qu’à ses compagnons, ordonna-t-il d’une voix dure. Et qu’il tienne seul un banc de nage pendant quelque temps. Je veux qu’il fasse tout ce qu’il y a de plus rude à bord, mais aussi que tu lui enseignes la mer.
Puis il se tourna à nouveau vers Bjorn.
— Tu as entendu ?
Le géant acquiesça et, sur un signe du capitaine, retourna à son banc.
— On va avoir du brouillard, annonça Corato d’un air inquiet.
Giovanni regarda l’horizon sans nuages, la mer agitée d’une houle calme. Ils avaient dépassé le fin bout de la presqu’île du Cotentin et voyaient se profiler les premières îles. Loin derrière eux s’amoncelaient des nuées noires.
— Vous autres, gens de mer, voyez des choses que nous ne voyons pas. Mais c’est pour cela que nous vous payons. Tu crois que ça peut nous empêcher d’atteindre Jersey ?
— Peut-être, fit Corato en haussant ses larges épaules. On verra ce que décidera le pilote d’Harald. C’est lui qui commande la marche et y a pas meilleur que lui. Mais va y avoir de la brume, c’est sûr. Et par ici, c’est pas bon. Cette mer, c’est un tas de cailloux !