CHAPITRE XIII

Mara avait quelques connaissances sur les vaisseaux, mais elle en savait plus sur les arts du combat. Heureusement, Tannis manœuvrait facilement n’importe quel appareil civil, tout comme les deux soldats du colonel Somoril.

Mara avait eu affaire quelques fois à des BSI, mais ceux-là étaient les pires. Brock et Gilling se montraient formels et restaient à l’écart autant que possible. Ils lui obéissaient à contrecœur et effectuaient leur tâche en silence. Ils ne posaient pas de question, ne faisaient aucun commentaire et ne bavardaient pas. Pour toute la compagnie qu’ils lui offraient, Ozzel aurait aussi bien pu lui prêter deux droïdes de maintenance.

Mara se concentra donc sur Tannis, passant autant de temps que possible avec lui pour en apprendre un maximum sur le nid de gundarks qu’elle s’apprêtait à visiter.

Les BloodScars n’occupaient Gepparin que depuis deux ans. Ils s’étaient peu à peu emparés du complexe minier, une moitié leur servant de repaire tandis que l’autre continuait d’extraire du minerai pour couvrir leurs autres activités. La majorité de leur butin atterrissait là. Il y était trié et emballé, puis vendu ou confié à diverses maisons comme celle des frères Birtraub sur Crovna.

— Mais certaines prises reviennent directement à Caaldra, ajouta Tannis, tout en dessinant le plan de la base.

Comme cet engin, par exemple. L’amener à Gepparin pourrait nous attirer de gros ennuis.

— C’est de la faute de Shakko, qui a préféré emporter ce qu’il savait dans sa tombe plutôt que de se rendre.

— Peut-être, mais ce n’est pas lui qui se retrouve dans la merde. J’espère que vos copains savent se battre – et qu’ils ne se mettront pas à tirer sans raison.

— Le capitaine Ozzel ne m’aura donné que les meilleurs, l’assura Mara, souhaitant pouvoir le croire elle-même, car connaissant le BSI, ils étaient sans doute sacrifiables. Combien d’hommes demeurent généralement à la base ?

— Une trentaine, mais il faut ajouter les équipages des vaisseaux, s’il y en a, répondit Tannis.

— Une idée de leur nombre en ce moment ? s’enquit Mara.

Il secoua la tête.

— Avec tous les gangs que Caaldra et le Commodore ont appâtés ? Impossible d’avancer une estimation.

Mara acquiesça. Ils auraient la surprise en arrivant.

— Qu’est-ce que ça cache ? Je présume que Caaldra est assez intelligent pour comprendre qu’une petite armée de pirates va attirer l’attention de Shelkonwa et du Centre Impérial.

— Caaldra n’est qu’un fort en gueule, fit Tannis avec mépris. Un fort en gueule avec des crédits.

— Savez-vous ce qu’il a investi dans l’opération ?

— Non, mais chaque groupe reçoit entre un et cinq millions, plus un bonus s’ils sont dotés d’un talent spécial.

Et le Moff Glovstoak avait payé entre six et huit cents millions pour les œuvres d’art que Mara avait découvertes dans sa chambre forte. Caaldra et les BloodScars pourraient essayer de former une coalition de plus d’une centaine de bandes.

Et toutes appartenaient à ce secteur. Qu’avait-il donc de si spécial ?

— Je suis sûre que le Commodore sait ce qui se trame, dit-elle.

— La question est : parviendrez-vous à le convaincre de vous le dire ? renifla-t-il.

Mara haussa les épaules.

— Nous verrons ça.

 

Gepparin était un monde froid et sombre qui tournait autour d’une étoile rouge. Il s’agissait d’un système tertiaire avec un petit soleil jaune et un gros bleu-blanc.

Tannis les faisait passer entre ces deux derniers quand le premier contact fut établi.

— Contrôle de Gepparin à cargo rendili en approche, dit une voix polie. Identifiez-vous.

— Salut, Capper, c’est Tannis, répondit celui-ci. Le Commodore est là ?

Il y eut un bref silence.

— Que fais-tu ici, Tannis ? (Capper ne semblait plus si posé, tout à coup.) Où est Shakko ?

— À bord du Cavalcade – ils avaient des réparations à effectuer. (Il coula un regard à Mara.) Nous avons des alliés probables à bord.

— Des alliés probables ? demanda l’autre. Tu les amènes ici et ils ne sont pas encore enrôlés ?

— Ils ont armé les canons laser, murmura Brock.

— Où ? demanda Mara.

— À mi-chemin de ces puits, précisa-t-il en montrant des structures complexes.

— Relax, Capper, lui suggéra Tannis. Ils veulent s’engager, fais-moi confiance. Il leur faut juste plus de détails.

— Bon. Emplacement 8. Ne baissez pas votre rampe avant l’arrivé du comité d’accueil.

Et la communication fut coupée.

— Quel genre de vaisseaux avons-nous ? demanda Mara.

— À part les cinq transports de minerai intrasystème, deux cargos, répondit Brock. Sans doute des pirates.

— Oui, confirma Tannis, dont la voix s’était de nouveau tendue depuis qu’il avait abandonné son rôle. Et d’après leur taille, je dirais quinze ou vingt membres d’équipage. Il y a donc jusqu’à soixante-dix pirates au sol.

— Le comité de réception ne m’intéresse plus, pour ma part, observa Gilling.

— Vous espériez qu’ils vous ouvrent leur porte et vous donnent les clés de la suite du Commodore ? Ils ne vous font pas confiance, et je les comprends.

— Calmez-vous tous, ordonna Mara. Nous sortirons sans arme pour montrer notre bonne foi.

— Comment ça, sans arme ? demanda Gilling.

— C’est pourtant clair. Pas d’arme, ni d’équipement susceptible d’y ressembler.

— Ils vous les prendraient, de toute manière, ajouta Tannis.

— Exactement, acquiesça-t-elle. Et surtout, détendez-vous. Nous sommes venus ici pour discuter et obtenir des informations. (Elle regarda Tannis.) Puis nous repartirons tranquillement.

L’Emplacement 8 était un cercle de grilles soudées ensemble, entouré de derricks et de passerelles qui le rendaient difficile d’accès. Heureusement, Tannis relevait très bien le défi, contournant les obstacles avec l’appareil. Alors qu’ils se posaient, Mara vit le comité d’accueil sortir des bâtiments et des hangars. Il y avait deux douzaines d’hommes, humains et non-humains, la moitié à bord de deux speeders, l’autre à pied. Tous étaient armés de pistolets et de fusils blaster.

— Et leur artillerie lourde est pointée sur nous. On les aperçoit sur les derricks et les câbles des passerelles, les avertit Tannis en éteignant les systèmes. Tentez quoi que ce soit, et vous serez morts dans la seconde.

— Personne ne va rien tenter, promit Mara, jetant un coup d’œil dehors.

La structure dans laquelle ils se trouvaient et la chiche lumière du soleil de Gepparin créaient un labyrinthe de petites ombres qui s’étiraient jusqu’à la base des pirates.

— Quand vous aurez fini, gagnez la porte, ordonna Mara à Tannis. Vous aussi, Brock, Gilling.

— Où allez-vous ? demanda le pirate, suspicieux.

— Je serai de retour avant que vous n’ayez à leur ouvrir, se contenta-t-elle de répondre.

Mara savait que les pirates surveillaient les écoutilles et les panneaux d’accès. Mais elle pensait à autre chose.

Elle entra dans la salle des moteurs et ouvrit une gaine d’aération. Puis, tirant de sa poche une paire de gants de combat noirs, elle y glissa son sabre laser. Ils laissaient le milieu du cylindre visible, mais dans l’obscurité, ils le dissimuleraient à merveille. Elle le fourra dans l’ouverture et utilisa la Force pour le guider dans l’étroit conduit.

Quand elle rejoignit les autres, ils l’attendaient devant la sortie.

— Du nouveau ? demanda-t-elle en rassemblant ses cheveux en queue-de-cheval pour qu’ils ne la gênent pas.

— Ils n’ont pas encore frappé, si c’est ce que vous voulez savoir, répondit Tannis. Ils doivent jeter un coup d’œil à la coque.

— Grand bien leur fasse, dit calmement Mara.

Ils ne trouveraient pas son arme sans une inspection minutieuse, et d’après elle, ils attendraient d’avoir rencontré l’équipage avant de passer l’appareil au peigne fin.

Soudain, un coup de crosse de blaster retentit contre la porte.

— Nous y voilà, annonça Tannis.

Il inspira profondément et ouvrit. Faisant signe à Brock et à Gilling de fermer la marche, Mara le suivit dehors.

La douzaine d’hommes venus en landspeeders les regardèrent débarquer, déployés en arc de cercle, leurs armes pointées sur eux.

— Salut, Bobbler, dit Tannis à l’un d’eux. Ça vous ennuierait de ne pas braquer ces trucs sur nous ?

— Stop, ordonna Bobbler, en observant Mara et les BSI. Tannis, viens là. Seul.

L’intéressé obéit. Le pirate à droite de Bobbler s’avança pour le scanner.

— Il est réglo, annonça-t-il.

— Vous, la fille, approchez, fit Bobbler.

— Je m’appelle Célina, se présenta Mara.

— Peu importe, répondit-il en la détaillant de la tête aux pieds. Vous êtes quoi ? Le bonus ?

— Elle appartient à un gang… commença Tannis.

— Ferme-la, coupa Bobbler. Vinis, Waggral, fouillez-la. (Il esquissa un sourire mauvais.) Voyez si elle porte quelque chose d’intéressant sur elle.

Deux des pirates rengainèrent leurs armes et se dirigèrent vers Mara.

— Attendez ! cria Tannis. Jorhim pourrait…

— Si je dois te répéter de la boucler, ce sera à coups de blaster dans les dents, gronda Bobbler. C’est ta nana ou quoi ?

Tannis ferma la bouche, mais Mara le vit déglutir. Se tournant légèrement, elle jeta un regard d’avertissement à Brock et Gilling, puis elle affronta Bobbler.

— Vous ne devriez pas traiter vos invités ainsi.

— Ah ? Comment ça ?

Les deux hommes arrivèrent près de Mara, et alors que les doigts de l’un se refermaient sur son bras, elle se dégagea, le déséquilibrant. Jurant entre ses dents, il se jeta sur elle pour l’agripper. Elle esquiva, puis elle s’accroupit quand l’autre pirate voulut s’emparer d’elle. Leurs mains se rencontrèrent dans le vide au-dessus de sa tête. Elle en profita pour leur donner à chacun un coup de poing dans l’estomac, puis elle les délesta de leurs blasters.

Les hommes récupérèrent rapidement et se livrèrent à une nouvelle tentative. Mais ils furent de nouveau trop lents. Mara bondit sur ses pieds, tout en levant les armes qu’elle avait empruntées, les frappant à la mâchoire.

Alors qu’ils reculaient en titubant, elle pointa les deux canons vers Bobbler. Pendant une seconde, elle garda la pose, étendant ses perceptions pour jauger le silence stupéfait. Avant qu’aucun des pirates n’ait pu réagir et se demander s’il allait jouer au héros, elle leva les blasters vers le ciel.

— Je voulais dire que vos hommes feraient mieux de laisser leurs armes derrière eux avant de fouiller qui que ce soit, dit-elle, les retournant adroitement pour les présenter à Bobbler, qui les ignora.

— C’était censé nous impressionner, peut-être ?

— Bien sûr. Shakko m’a dit que vous donniez une prime à tous ceux qui avaient un talent spécial.

Bobbler renifla avec dérision, mais Mara put voir qu’elle avait plus ou moins gagné son respect.

— Je ne vois rien de spécial, lâcha-t-il, lui prenant enfin les pistolets. Et vous allez être fouillée.

Sans dire un mot, Mara tendit les bras de chaque côté. Bobbler hésita, puis il fit signe à l’homme avec le scanner. La jeune femme tint la pose pendant qu’il passait l’appareil en vitesse le long de son corps.

— Rien à signaler, déclara-t-il. Vous voulez que je vérifie les autres ?

Bobbler lorgna Brock et Gilling.

— Vous serez sages ? les défia-t-il, rendant leurs armes à Vinis et à Waggral.

— Ils ne font rien sans un ordre de ma part, déclara Mara. Si vous voulez les fouiller à la dure, allez-y.

Elle s’était attendue à ce que Bobbler se dégonfle, mais il appela quatre autres hommes. Et cette fois, l’un de chaque paire tendit son blaster à son partenaire avant de s’approcher des BSI. Tout alla très vite, mais avec une efficacité redoutable. Mara essaya de lire les Impériaux pendant que les mains des pirates les tâtaient, mais s’ils étaient furieux ou déconfits, elle ne le sentit pas.

— Tannis, va avec Rer’chof, ordonna Bobbler. Jorhim, forme une équipe pour passer l’appareil au peigne fin. Vous, continua-t-il en se tournant vers Mara et les Impériaux, venez avec moi !

Il les conduisit à l’un des deux landspeeders et entassa Mara, Gilling et Brock sur le siège arrière pendant qu’il se mettait aux commandes. Un autre pirate s’assit à côté de lui et se retourna, calant son fusil sur le siège. Waggral et Vinis grimpèrent derrière, blaster au poing.

Tannis et un autre montèrent dans le deuxième véhicule et disparurent.

Quand ils eurent parcouru vingt mètres, Mara se tourna à moitié vers le Happer’s Way.

— J’espère qu’ils savent ce qu’ils font, dit-elle.

Elle utilisa la Force pour « attraper » son sabre laser et le dégager de la gaine d’aération.

— Ne vous inquiétez pas, grogna Bobbler. Ils ne casseront rien.

Nul ne vit l’arme apparaître à l’air libre. Mara la fit glisser sur le sol, puis le long d’un bâtiment, la gardant dans l’ombre autant que possible.

— À moins qu’ils n’y soient obligés, ajouta Vinis, enfonçant le canon de son arme entre ses omoplates.

— Contente de l’entendre, répondit Mara.

Le sabre laser était presque arrivé à un poste d’opération. Elle le fit passer au-dessus de la baie vitrée, puis continuer selon une course parallèle à celle du speeder.

Ils tournèrent autour de l’une des structures de soutien, passèrent entre deux tours de séparation et sur un pont pour gagner l’autre partie du complexe. Mara continuait de contrôler le sabre laser, dont seul un tronçon était visible. Alors qu’ils s’écartaient des hauts et larges bâtiments et se dirigeaient vers un immeuble à trois étages, elle le fit bondir dans les airs et, évitant les fenêtres, qui étaient presque toutes éclairées, elle le cacha dans la gouttière.

Bobbler se gara devant une double porte et les emmena dans ce qui avait dû être un vestiaire. Il avait été reconverti en centre de bienvenue avec des fers, une douzaine de pirates armés et une série de scanners. Mara et ses compagnons passèrent devant ces derniers, qui les analysèrent intégralement, de leurs vêtements jusqu’à leur ADN. Les bandits lui demandèrent d’ôter sa barrette pour la soumettre à des tests.

— Parfait, fit Bobbler quand ils eurent terminé. Célina, venez avec moi.

— Et mes hommes ? demanda Mara.

— Ils vont ailleurs, répondit-il, lui tendant sa barrette, qu’elle remit dans ses cheveux.

Ils franchirent une porte blindée, suivis par une escorte. Puis ils passèrent dans divers tubes de raccordement, pièces et couloirs, et arrivèrent enfin dans une grande salle humide et chaude. Au centre, il y avait un bassin ovale, responsable de l’atmosphère saturée d’eau. Quatre hommes grands et costauds montaient la garde, leurs visages et leurs habits trempés de sueur.

Un homme flottait dans la piscine.

Mara nota qu’il était petit, mince et rasé de près alors que Bobbler la faisait avancer vers le bord. Il portait une combinaison blanche conçue pour flotter. Ses bras et ses jambes étaient légèrement écartés tandis qu’il se laissait dériver et un masque lui couvrait les yeux. D’un côté de la chambre, il y avait cinq hommes, le crâne recouvert d’une serviette et vêtus de sorties de bain épaisses – sans doute des gardes du corps additionnels.

— Est-ce là notre audacieuse voleuse ?

— Oui, Commodore, confirma Bobbler, invitant Mara à avancer. Elle dit s’appeler Célina.

— Joli nom. Avez-vous une voix, Célina ?

— Oui, Commodore, répondit Mara.

— Excellent. Décrivez-vous.

Fronçant les sourcils, Mara interrogea Bobbler du regard. Il hocha la tête.

— Je suis de taille moyenne… commença-t-elle.

— Combien, exactement ? coupa le Commodore.

— Un mètre soixante. Je suis mince et j’ai les yeux verts et les cheveux blond vénitien.

— Comment sont-ils coiffés ?

— En queue-de-cheval.

— Je préfère une femme avec les cheveux lâchés, dit le Commodore. Vous semblez attirante. L’êtes-vous ?

Mara regarda de nouveau Bobbler, qui haussa les épaules.

— Certains de mes amis le disent.

— Bien. S’il vous plaît, ne me prenez pas pour un excentrique, ou pire, un fou. Voyez-vous, ce procédé me permet de mettre tous mes sens en veille pour mieux entendre votre voix et juger de votre honnêteté. Cela vous inquiète-t-il ?

— Pas vraiment, l’assura Mara.

Des membres de la cour utilisaient ce genre de truc, et certains étaient même relativement doués. Si le Commodore l’était, il parviendrait certainement à découvrir le mensonge d’un agent impérial.

Du moins un agent normal. Car Mara avait plus d’un tour dans son sac. Utilisant la Force, elle commença à créer de légers remous dans l’eau.

— Passons aux choses sérieuses, fit-il. Je crois comprendre que vous aimez voler des navires ?

— Nous n’aimons pas nécessairement ça. Mais, oui, c’est notre métier.

La bouche du Commodore se durcit.

— Je crois comprendre que vous aimez vous emparer de mes vaisseaux.

— Toutes mes excuses, répondit Mara, continuant à brasser le contenu de la piscine. Pour ma défense, j’ignorais que cet appareil vous appartenait – d’ailleurs, il n’était pas encore à vous quand nous avons commencé l’opération. Si nous avions su que les BloodScars s’y intéressaient, nous aurions laissé tomber.

— Que comptiez-vous faire de la cargaison ?

— La revendre, bien sûr. (Elle laissa son regard errer et aperçut plusieurs bouches d’aération. Elle en ouvrit deux.) Nous n’avions certainement aucun besoin d’AT-ST.

— Qui était votre acheteur ?

— Nous n’en avions pas encore. (Un courant d’air lui caressa le visage, et elle s’empressa de les refermer un peu, car elle voulait distraire le Commodore sans qu’il s’en aperçoive.) Nous aurions essayé les Hutts.

— Cette cargaison a beaucoup de valeur et Shakko vous a laissée l’amener ? fit le Commodore.

Mara haussa les épaules.

— Le Happer’s Way pouvait voler, pas le Cavalcade. Shakko et moi avons discuté et décidé que vous préféreriez avoir le cargo plus la cargaison.

— Et il vous a laissé partir avec ? répéta-t-il.

Mara réprima une grimace. Soit il avait perçu quelque chose de suspect dans sa voix, soit il commençait à être distrait et il avait besoin de réentendre sa réponse.

— Il a ordonné à Tannis de nous tenir à l’œil.

— Comme s’il avait pu vous empêcher de tenter quoi que ce soit, lança-t-il, méprisant.

— Eh bien, vous avez raison, concéda Mara. Mais nous l’avons livré indemne, n’est-ce pas ?

— Sage de votre part, observa le Commodore. Shakko a-t-il précisé que la cargaison n’était pas à moi, mais à notre client ?

— Oui, confirma-t-elle, son cœur commençant à battre plus vite. (Son client – si elle parvenait à lui faire cracher un nom…) Et nous avons conclu que…

— Vous mentez.

Mara se figea. Avait-il senti son intérêt soudain ?

— Non, je ne mens pas, protesta-t-elle, essayant de gagner du temps, songeant qu’il lui faudrait abattre les quatre gardes du corps les plus proches et récupérer un blaster.

— Si, riposta le Commodore. Shakko n’aurait jamais mentionné notre client.

À ces mots, la tension de Mara s’évanouit. Il était parvenu à cette conclusion grâce à la logique uniquement.

— Il nous a dit qu’un dénommé Caaldra attendait la marchandise.

— Caaldra ? (Le Commodore éclata de rire.) Caaldra n’est pas notre client. Il travaille pour lui.

— Oh, fit Mara d’un ton chagrin, pensant qu’il valait mieux jouer le jeu à fond. Eh bien, à la manière dont Shakko a parlé de lui, on aurait cru qu’il s’agissait de quelqu’un de très influent.

— J’en suis certain, fit-il sans plus aucun humour. Expliquez-moi comment vous avez pris le cargo.

— C’était facile. Nous avons surpris l’équipage…

— Comment ? insista le Commodore. Quelle pièce, quel poste en premier ? Lequel de vous a fait quoi ? Je veux tous les détails.

Brock et Gilling subissaient-ils le même interrogatoire, séparément ? C’était probable. Heureusement, Mara l’avait anticipé.

— Je suis navrée, mais vous touchez au secret professionnel.

— Et si j’ordonnais que vous soyez tués ?

— Nous mourrons, répondit-elle. Mais nous ne pourrons jamais travailler ensemble, autrement dit vous continuerez à perdre tous les vaisseaux que vous attaquez au lieu de les capturer intacts.

Elle regarda les hommes, qui suaient.

— Et cela vous coûterait plus d’hommes que vous ne souhaitez en voir mourir.

— C’est une menace ?

Mara secoua la tête.

— Un simple fait.

— Bien sûr. Un fait. La vérité enrobée dans un joli paquet. Peut-être devrais-je envoyer votre corps dans un colis à mon client. Après tout, c’est sa cargaison que vous avez volée. (Il éleva la voix.) Qu’en pensez-vous, Caaldra ? Aimerait-il jouer avec une jolie voleuse ?

— Il la trouverait fascinante, j’en suis sûr, lança une voix familière sur sa droite.

Mara tourna la tête. Les cinq hommes avaient ôté leurs serviettes. Celui du milieu n’était autre que Caaldra. Il était flanqué de deux costauds qu’elle ne reconnut pas. Tendu et le visage rouge, Tannis était assis complètement à sa droite.

— Qui êtes-vous ? demanda Mara.

— Caaldra, présenta le Commodore. L’homme à qui vous avez volé le cargo… et celui qui est venu nous prévenir contre vous, Célina Voleuse de Vaisseau. (Il marqua une pause.) Ou devrais-je dire Célina Agent Impérial ?

Les quatre gardes du corps tirèrent leurs blasters. Mara réussit à conserver un visage impassible alors qu’elle regardait Tannis. Il l’avait trahie.

— Oh, alors maintenant je suis un agent impérial ? fit-elle avec un certain mépris. Ça doit arranger quelqu’un.

— De quoi parlez-vous ?

— C’est toujours pratique de pouvoir montrer un étranger du doigt pour détourner l’attention de soi. (Elle lorgna Caaldra, qui approchait,) Laissez-moi deviner. Tout ne va pas comme vous le voudriez ?

Le visage de l’intéressé se durcit et il feula.

— Bien essayé, agent impérial. Mais vous perdez votre temps. Le Commodore sait qui je suis.

— Je n’ai jamais dit le contraire, contra Mara, intriguée par l’intensité de sa voix – cela signifiait-il qu’elle avait vu juste ? Je soulignais simplement qu’on ruse souvent pour se sortir du pétrin. En blâmant quelqu’un d’autre, par exemple.

Elle avait espéré le déstabiliser suffisamment pour qu’il parle, mais il avait recouvré son aplomb.

— N’est-ce pas ce que vous faites ? fit-il.

— J’essaie seulement d’empêcher le Commodore de commettre une erreur qui risquerait de lui coûter des alliés potentiels, et à moi, la vie. Alors arrêtons de jouer et voyons si j’arrive à prouver ma bonne foi.

— Vous pourriez nous expliquer comment vous vous êtes emparés du Happer’s Way. Ou me conduire à votre base pour discuter avec votre chef.

— Pas avant que nous ayons conclu un marché, répondit Mara, une partie d’elle-même se demandant pourquoi elle jouait encore le jeu.

Tout cela était ridicule après la trahison de Tannis.

Soudain, elle réalisa que le Commodore et Caaldra la prenaient pour un simple agent impérial. Or Tannis savait qu’elle était la Main de l’Empereur. Elle l’observa un instant et comprit qu’il n’était pas tendu parce qu’il l’avait donnée, mais parce qu’il savait que sa vie était liée à la sienne.

Et elle trouva la parade.

— Demandez à Tannis, dit-elle. Il était là – il a vu les défenses du Happer’s Way tomber avant que le Cavalcade ne lasse feu. Demandez-lui comment un agent impérial aurait pu savoir que vous alliez attaquer ce cargo. (Elle se tourna vers Caaldra.) À moins que vous ne suggériez que Shakko ou l’un de ses hommes aient laissé filtrer l’information ?

Les yeux de Caaldra lançaient des éclairs. Mais il ne savait visiblement pas quoi répondre.

— Tannis ? dit le Commodore.

L’intéressé coula un regard à Mara, et elle n’eut pas besoin de la Force pour comprendre qu’il était paniqué à l’idée de mentir au Commodore, surtout dans sa chambre de détection de la vérité.

Mais en fait, il n’avait pas à s’inquiéter. Mara avait recouvré son assurance, et avec cela le contrôle de la situation. Utilisant la Force, elle flanqua une « tape » dans le blaster de l’un des gardes. Celui-ci essaya de l’empêcher de tomber – il essaya vraiment. Mais il n’avait eu aucun avertissement et la chaleur lui rendait les mains moites. L’arme atterrit dans le bassin.

Mara s’attendait à ce que le Commodore laisse exploser sa colère, mais il ne réagit pas, ce qu’elle trouva encore plus agaçant. Et le pirate sembla du même avis. Le silence s’éternisa, puis le Commodore inspira et dit :

— Récupère ton arme, Nirsh. Et au rapport.

— Oui, Monsieur, fit-il en pâlissant.

Il se mit à genoux au bord du bassin et y plongea le bras jusqu’à l’épaule, tâtonnant un peu.

— Tannis ? répéta le Commodore.

— Oui, Monsieur ? répondit-il, et Mara vit qu’il était soulagé. Oh oui… Je ne sais pas comment ils s’y sont pris, mais elle a dit la vérité. Le Happer’s Way se défendait bien – ils avaient déjà bousillé l’antenne de la com – quand tout s’est arrêté.

— Ou bien ils ont décidé de vous laisser la vie sauve pour trouver cette base, suggéra Caaldra.

— Pourquoi ? contra Mara. N’importe quel agent impérial saurait trouver ces informations avec un ordinateur. (Elle haussa les sourcils.) Et pas un ne serait jamais venu seul ici. Il aurait amené une légion de soldats de choc et une couverture aérienne.

— Ils se sont peut-être perdus, riposta-t-il.

— Faites-moi savoir quand ils arriveront, alors. (Elle reporta son attention sur le Commodore.) Alors, voulez-vous travailler avec nous ?

Il ne répondit pas tout de suite. Puis il gagna le bord du bassin et déclara :

— Vous m’intriguez, Célina Voleuse de Vaisseau. Nous en reparlerons après le dîner. (Il retira son masque et le regarda en clignant des paupières.) Vos amis ont raison, vous êtes attirante.

— Merci, Commodore, dit Mara, la bouche brusquement sèche.

Car maintenant qu’elle avait vu ses yeux, elle savait qu’il lui avait menti, un peu plus tôt.

Le Commodore n’était pas excentrique, mais fou, ça, certainement.