CHAPITRE VI
Le directeur de la Maison des Ventes Peven ne fut d’aucune aide. Le vendeur et l’acheteur de la collection privée de Glovstoak étaient restés anonymes, et ni lui ni aucun de ses employés n’avaient reconnu les personnes qui s’étaient présentées. Ils ignoraient également comment les œuvres étaient arrivées sur Crovna et en étaient reparties.
Il se souvenait néanmoins que les tableaux avaient été estimés deux fois avant que la vente n’ait lieu. Chaque fois, ils avaient débarqué dans son bureau moins d’une heure après avoir contacté l’agent du vendeur. Et ils étaient arrivés par véhicule terrestre, et non aérien.
Mara savait qu’on avait pu conserver les toiles dans une demeure privée. Mais ç’aurait été dangereux, parce que nombre de voleurs étudiaient les catalogues des maisons des ventes pour repérer leurs cibles. Le vendeur avait donc dû les carder dans une chambre forte facile d’accès.
Elle mena une enquête et en dénombra un peu plus de cinquante dans un rayon d’une heure. Mais la plupart appartenaient à de petites entreprises – idéales pour stocker des meubles, mais pas pour protéger des œuvres d’art valant un demi-milliard de crédits ! En fait, il ne restait qu’une seule possibilité.
Il s’agissait du Centre de Stockage et de Réclamation des Frères Birtraub, un complexe de bâtiments gris non loin du spatioport. Il y avait en permanence trente ou quarante vaisseaux garés autour et plusieurs centaines d’employés qui s’activaient comme des fourmis. Sa réputation n’était donc pas volée.
Mais il y avait quelque chose dans cet endroit qui mettait ses sens en alerte. Était-ce parce que les gardes avaient une mine patibulaire digne de la Bordure ? Ou parce que la majorité des appareils qui entraient et sortaient comportaient une immatriculation contrefaite ?
Ou encore parce que sa présence avait fait sonner une alerte silencieuse ?
Levant son verre, Mara but une gorgée, jetant un coup d’œil à son chrono. Elle était assise à la même table dans le café d’en face depuis la fin du déjeuner, trois heures plus tôt, et elle n’avait consommé que deux boissons et une assiette d’amuse-bouches. Pendant tout ce temps, les employés l’avaient bien observée, passant des appels et en recevant d’interlocuteurs invisibles. Même si Mara était trop loin pour entendre leurs conversations, elle sentait bien leur nervosité croître.
Ce qui ne la surprenait pas. Si ces grosses lopettes de frères Birtraub n’avaient pas la conscience tranquille, ils avaient dû faire chercher son navire dans tous les spatioports de la cité. Et s’ils avaient des contacts, ils avaient essayé de l’identifier par tous les moyens.
Bien sûr, ils n’avaient rien appris. Son badge d’identité arborait un nom d’emprunt, son vaisseau n’était pas enregistré. Son visage, ses empreintes et son ADN ne figuraient dans aucun dossier de l’Empire. Une enquête sur elle ne révélerait qu’une chose : elle n’existait pas.
Du coin de l’œil, elle vit le directeur se diriger à sa rencontre, zigzaguant entre les tables, et elle se servit de la Force pour le jauger. Il était toujours aussi nerveux, mais également animé d’une détermination qu’il n’avait pas plus tôt. Apparemment, ils s’apprêtaient à passer à l’action.
— Excusez-moi, Mademoiselle ? dit-il.
— Oui ? répondit Mara en levant les yeux sur lui.
— Je suis navré, mais nous avons besoin de cette table, lui expliqua-t-il. J’ai peur que vous ne deviez partir.
— Ah ? fit-elle, regardant autour d’elle.
Effectivement, le café s’était rempli au cours de la dernière demi-heure. Presque toutes les tables se trouvaient occupées. Mais comme les « clients » étaient tous des brutes employées par les frères Birtraub, cela ne semblait pas un argument valable.
— Oui, affirma le directeur, faisant un geste vers le bar.
Comme s’il attendait ce signal, l’un des serveurs arriva.
— Un dernier verre – offert par la maison, bien sûr.
Ensuite je vous demanderai de partir.
Le serveur posa la boisson devant elle.
— J’ai une bien meilleure idée, lança Mara – l’odeur était discrète, mais elle connaissait toutes sortes de techniques, et son odorat l’identifia sans difficulté. Au lieu d’essayer de me droguer, continua-t-elle, reposant la dose d’alcool, pourquoi n’irions-nous pas en face pour avoir une petite conversation avec les frères Birtraub ?
Le directeur cligna des yeux. Apparemment, cela ne faisait pas partie de ses attributions.
— Euh… je ne comprends pas.
— Aucune importance, répondit-elle.
Son regard se posa sur un homme plusieurs tables plus loin. Il était un peu plus âgé que les autres et bien qu’il feignît d’ignorer la conversation, il semblait attentif.
— Vous ! lâcha Mara, en lui faisant signe. Mettons un terme à ces idioties et allons voir votre patron, voulez-vous ?
L’intéressé sourit, sans doute pour montrer à quel point la situation l’amusait. Elle portait une simple combinaison de vol grise et n’était pas armée.
— Qu’est-ce qui vous fait croire qu’il pourrait être intéressé par ce que vous avez à offrir ?
— Faites-moi confiance, rétorqua-t-elle, l’expression et le ton inflexibles alors qu’elle le regardait dans les yeux.
Il hésita un instant, puis il haussa les épaules.
— Très bien.
Il se leva. Mara se baissa pour récupérer le sac posé sur la chaise à côté d’elle, mais il fut plus rapide.
— Permettez-moi, dit-il.
Elle inclina la tête et ils traversèrent la salle. Quand ils atteignirent la porte, deux des brutes les plus musclées leur emboîtèrent le pas.
Un long landspeeder les attendait. Mara et l’homme s’assirent à l’arrière et les hommes de main déplièrent des sièges en face d’eux.
— Le bureau de Maître Birtraub, ordonna l’homme au chauffeur.
— Vous avez un nom ? s’enquit Mara.
— Pirtonna, répondit-il. Et vous ?
— Appelez-moi Claria.
— C’est joli. (Pirtonna montra son sac.) Je peux ?
Mara hocha la tête. Toutes ses armes et son équipement s’y trouvaient, mais les objets les plus compromettants étaient cachés dans des pièces d’électronique. Et elle doutait que Pirtonna examine chacune avec attention.
En effet, il passa environ une minute à fouiller parmi ses vêtements et le reste avant de refermer son sac.
— Content ?
— Je l’ai toujours été, répondit-il en souriant.
Quelques minutes plus tard, ils s’arrêtèrent devant une entrée sans panneau, entre deux entrepôts. Pirtonna conduisit Mara à l’intérieur, et les autres les suivirent. Cette zone semblait déserte, loin de l’activité qu’elle avait pu observer un peu plus tôt.
Ils longèrent un couloir, puis un autre, et encore un autre, et arrivèrent à une porte. Pirtonna l’ouvrit et invita Mara à entrer.
Il s’agissait d’un bureau, mais certainement pas de celui de l’un des frères Birtraub ou de quiconque avec une once d’autorité. La table de travail était vieille et tachée, les fauteuils en bois simple et l’éclairage cru. En voyant les armoires de rangement le long d’un mur, elle devina que la pièce était occupée par un simple archiviste.
En revanche, l’homme qui la regardait froidement n’était sûrement pas un sous-fifre.
— C’est elle ? demanda-t-il, la détaillant de la tête aux pieds. C’est cette… cette fille qui vous met dans tous vos états?
— Oui, confirma Pirtonna avec raideur. Elle n’est fichée nulle part, ça m’inquiète.
— Vraiment ?
— Vraiment, confirma Mara elle-même.
Elle sentit un déplacement d’air dans son cou – les deux brutes venaient d’entrer et de fermer la porte.
— Lequel des frères Birtraub êtes-vous ?
— Le méchant, répondit-il avec un petit sourire.
— Parfait. J’irai droit au but : je veux le nom de la personne qui a loué l’espace pour stocker six œuvres d’art il y a dix-huit mois.
Birtraub écarquilla les yeux.
— Quoi ? fit-il, son hostilité laissant place à une réelle surprise. Des œuvres d’art ?
— Bien, commenta Mara, réprimant une grimace.
La Force lui permettait de dire que Birtraub ne mentait pas. Il ne savait réellement rien au sujet des tableaux et de leur vente. Dommage. Cela lui aurait facilité la tâche.
— Dans ce cas, je me contenterai d’une liste de tous ceux qui vous louaient un emplacement à cette période.
L’étonnement de Birtraub s’évanouit et son visage s’assombrit.
— Soit vous êtes folle, soit vous plaisantez.
— Dites-moi alors pourquoi vous paniquez lorsque des étrangers s’intéressent à votre entreprise.
Les traits de Birtraub se durcirent et il fit signe à Pirtonna, qui s’avança derrière Mara. La jeune femme sentit le canon d’un blaster entre ses épaules.
Amateur pensa-t-elle. La première chose qu’un professionnel apprenait, c’était que toucher un adversaire avec son arme revenait à lui indiquer son emplacement.
— C’est une mauvaise idée, dit-elle. Vous risquez gros en agressant un agent impérial.
Il renifla, mais elle sentit son incertitude.
— Vous ne pouvez pas être un agent impérial.
— Vos hommes doivent espérer que vous avez raison, répondit calmement Mara.
— Trouvez pour qui elle travaille, ordonna Birtraub. Puis tuez…
À cet instant, Mara pivota de cent quatre-vingts degrés, tendant le bras gauche pour accrocher celui de Pirtonna et écarter le blaster. Il tira, mais une fraction de seconde trop tard, touchant un placard. Mara glissa sa main gauche sur son poignet et referma la droite sur son coude. Puis elle poussa et aligna le canon sur l’une des brutes.
Le doigt de Pirtonna était toujours sur la détente, mais qu’importe. Utilisant la Force, Mara l’actionna, et un éclair bleu frappa le premier homme de main. Puis elle changea légèrement de position et le deuxième s’écroula. Enfin, elle désarma Pirtonna et lui envoya une giclée grésillante en pleine poitrine.
La seconde d’après, elle avait passé l’arme d’une main dans l’autre et visait Birtraub. Le premier colosse n’avait pas encore touché le sol.
— Ils sont évanouis, dit-elle. Il semble que Pirtonna ne se soit pas senti prêt à m’éliminer. C’est un homme intelligent. Il survivra. (Elle leva légèrement le blaster.) Quelles sont vos chances, à votre avis ?
Birtraub la regardait, raide et le teint blême. Il ouvrit la bouche, mais aucun son n’en sortit.
— Vous allez m’expliquer pourquoi vous vouliez me tuer.
Birtraub déglutit avec peine.
— Il y a un homme, dit-il sur le ton de la défaite. Il s’appelle Caaldra. Il travaille avec un gros gang de pirates. Ils stockent beaucoup de leurs butins ici. Et ils n’aiment pas qu’on s’y intéresse.
— Je vois. Où puis-je le trouver ?
Les tableaux n’avaient peut-être pas été vendus par les Rebelles, après tout.
Birtraub pâlit un peu plus.
— Non, souffla-t-il. S’il vous plaît. Il me tuera s’il découvre que je vous ai parlé !
— Il n’en saura rien. Où est-il ?
— Vous ne comprenez pas. Ils apprendront tout moins de deux heures après vous avoir fait prisonnière !
— Non, à ce moment-là, ils seront déjà morts, corrigea Mara. Dites-moi où le trouver.
Birtraub inspira et croisa les bras sur sa poitrine. Il ne suppliait plus. Il n’était plus animé que par le défi propre à tout homme acculé.
— Rien de ce que vous pourrez m’infliger ne peut être pire que ce qu’ils me feront.
La bouche de Mara se pinça. L’Empereur l’avait prévenue que son apparence empêcherait les gens de prendre ses menaces au sérieux.
— Parfait, si c’est ce que vous voulez. (Elle montra la porte avec le blaster.) Après vous.
Le soulagement qui avait commencé à poindre sur le visage de Birtraub s’effaça.
— Quoi ?
— Je ne vais pas sortir d’ici toute seule, dit raisonnablement Mara. Et quand nous trouverons Caaldra, j’espère qu’il se montrera poli et demandera à être présenté à votre charmante amie. Ensuite, lui et moi ferons plus ample connaissance.
Birtraub avait de nouveau pâli.
— Vous êtes cinglée, siffla-t-il. Oubliez ça. Je n’irai pas.
— Je ne vous laisse pas le choix, déclara Mara.
— J’ai des hommes armés partout.
— Vous en aviez aussi dans cette pièce, observa-t-elle, montrant les corps inanimés. Nous perdons du temps. Venez.
Elle vit dans son regard qu’il allait tenter quelque chose de stupide. Continuant de s’avancer vers lui, elle se prépara, et effectivement, il essaya de lui donner un coup de poing à la gorge.
Mais le désespoir et la brutalité de l’homme ne pouvaient rien contre ses réflexes aiguisés par la Force. Elle se pencha un peu sur le côté, et le coup la manqua. Pris au dépourvu, Birtraub fut déséquilibré. Alors qu’il tombait, ou plongeait plutôt, Mara pivota sur son pied droit, se décalant ainsi de son chemin.
Certains auraient alors compris qu’ils n’avaient pas l’avantage, mais Birtraub n’était pas de ceux-là. Il jura et voulut lui flanquer un coup de pied. Mara l’évita, puis elle balaya la seule jambe du truand qui reposait encore à terre, et il s’étala de tout son long.
Enfin, il se rendit.
— Quand vous voulez, nargua Mara en le poussant du pied.
Grimaçant, il se souleva sur un coude.
— Entrepôt 14, parvint-il à articuler, malgré la douleur. (À la manière dont il avait atterri, il devait s’être brisé des côtes.) C’est à l’est du complexe. S’il vous attrape, dites-leur que c’est Pirtonna qui vous a renseignée.
Mara eut un sourire cynique. Typique.
— Merci, lança-t-elle, levant son blaster d’emprunt. Si vous m’avez menti, je reviendrai.
Elle tira, et il s’écroula.
Mara prit son sac et sortit. Dehors, le chauffeur attendait toujours. Elle l’estourbit et partit avec le landspeeder.
L’Entrepôt 14 était commodément situé près du Dock 14, occupé par un cargo hyrotii de classe Croissant, modèle considéré comme un jouet pour enfant gâté. Mais les apparences étaient trompeuses. Mara l’étudia en faisant le tour du complexe, notant les lasers et les lance-torpilles dissimulés, l’immatriculation contrefaite et les brutes bien habillées qui montaient la garde autour du navire et des portes du bâtiment. Trois landspeeders arborant le logo des frères Birtraub étaient garés de côté. Dans l’entrepôt, des hommes mettaient des caisses sur des chariots à répulseur et les conduisaient vers la rampe de chargement. Il y avait des montagnes de marchandises ici et là. Elle nota l’emplacement de celles qui étaient contre le mur du fond et passa son chemin.
L’Entrepôt 14 jouxtait un autre, divisé en plusieurs chambres de stockage desservies par un couloir. Mara gagna un endroit où elle se souvenait avoir repéré une pile de caisses qui pourrait la cacher. Puis, étendant ses perceptions, elle ouvrit son sac et se mit au travail.
Elle récupéra son sabre laser à l’intérieur d’une unité d’analyse de données. Il fallait presser en trois endroits pour l’ouvrir, et une seule personne en était incapable. Mara utilisa ses deux mains et la Force pour actionner le troisième et plaça son arme sur sa hanche. Puis elle sortit un petit pistolet, son holster et les attacha à son avant-bras gauche.
Enfin, après avoir vérifié qu’elle était à l’abri des regards, elle alluma son sabre laser et s’écarta du mur.
La lame magenta jaillit dans un sifflement caractéristique. C’était une couleur unique, comme le lui avait certifié l’Empereur en lui offrant l’éclat dont elle s’était servie pour former son cristal. Il n’en existait qu’une autre semblable qui avait traversé le siècle précédent. Bien sûr, il ne lui avait pas dit d’où il tenait le caillou. Sans doute provenait-il d’une des armes de sa collection personnelle éparpillée dans l’Empire.
Pendant quelques instants, elle se contenta de regarder l’arme dans sa main, puis elle l’abaissa et en inséra la pointe dans le mur.
Il était épais et blindé. Il lui fallut faire trois entames pour bien en juger. Mais après, tout se déroula très vite. Positionnant sa lame de façon à ce qu’elle traverse le mur sans émettre de clarté de l’autre côté, elle tailla un triangle étroit, juste assez grand pour s’y glisser. Puis elle rangea son sabre et poussa sur la section, tout en la retenant grâce à la Force.
Bandant ses muscles – car le morceau était plus lourd qu’il n’en avait l’air –, Mara se pencha. Une fois de plus, les enseignements de l’Empereur l’avaient bien aidée. Le pan de mur caché par l’empilement de marchandises offrait un accès privé.
Mara prit son sac et poussa encore un peu le « bouchon ». Après s’être assurée que personne ne l’observait, elle passa de l’autre côté et le remit en place. Enfin, elle laissa ses affaires entre deux conteneurs et se faufila pour jeter un coup d’œil à l’Entrepôt 14.
Quand elle avait vu les pirates charger les caisses à bord de l’appareil, elle avait cru qu’ils avaient eu vent de sa présence. Mais elle réalisait qu’elle s’était trompée. Ils n’embarquaient que celles qui formaient deux piles distinctes. Un autre détail intéressant lui sauta aux yeux : ils portaient deux styles de vêtements. Une douzaine d’entre eux, humains et non-humains, étaient bien habillés et se contentaient de surveiller les autres. Apparemment, des biens venaient de changer de mains.
Mara étudia les deux groupes grâce à la Force. Comme tous les criminels de carrière, les « ouvriers » se montraient un peu paranoïaques et rebelles, mais ils n’étaient pas des tueurs. Sans doute s’agissait-il des contrebandiers ou des receleurs.
En revanche, les autres étaient vicieux et prenaient plaisir à tuer. Et chacun d’eux avait une longue cicatrice sur la joue gauche – ou ce qui pouvait passer pour tel chez les non-humains. Elle les avait donc trouvés, les pirates mentionnés par Birtraub.
Mais il manquait quelqu’un. Mara continua de balayer l’entrepôt du regard en employant la Force, et elle l’aperçut enfin près d’un tas de conteneurs.
En apparence, il n’avait l’air de rien. C’était un humain de taille et de corpulence moyennes, vêtu d’une tunique sombre et d’un pantalon noir. Il ne semblait pas armé et son visage était du genre de ceux que l’on oubliait aussitôt.
Mais grâce à l’enseignement qu’elle avait reçu, Mara le perça à jour. Ses yeux étaient vifs et en alerte, quant à ses boites et à sa chemise, elles dissimulaient un armement aussi exotique que fatal. Et même s’il paraissait détendu, il adoptait le comportement d’un prédateur aux aguets. Contrairement à Pirtonna, cet homme était un guerrier.
Caaldra.
Elle l’étudia une minute encore, remarquant la manière dont son regard balayait la pièce, dont ses mains restaient à proximité des armes qu’elle devinait aux plis que faisait sa tenue. Son esprit regorgeait de plans de combat.
L’un des « surveillants » se tourna vers Caaldra. D’après son âge et le nombre de souvenirs épinglés à sa poitrine, il devait être haut placé dans la hiérarchie du gang. Veillant à rester dans l’ombre, sans perdre de vue aucun des bandits, elle se rapprocha.
Mara s’était suffisamment rapprochée quand le pirate arriva devant Caaldra. Elle s’accroupit et étendit ses perceptions.
— … presque terminé, dit le pirate. Réjouissez-vous de voir ces fourrures partir.
— Sans beaucoup de profit, commenta Caaldra.
— N’importe quel profit est bon pour moi. Et elles prennent trop de place pour ce qu’elles valent. Connaissez-vous notre prochaine cible ?
— Oui, répondit Caaldra en tirant une carte de sa poche. Dix vaisseaux, les premier et troisième pour moi. (Il se tut un instant.) Et je veux tout, Shakko. Veille à ce que le Commodore explique bien à ses hommes que s’il y a la moindre fuite…
Commodore. Mara eut un rictus méprisant. Les chefs pirates aimaient se donner des titres et des airs pseudomilitaires.
— Oui, oui, je lui dirai, grommela Shakko. Ne vous inquiétez pas – je me chargerai de la première cible moi-même.
— Parfait. Il quitte son port dans trois jours, et votre point d’embuscade optimal se trouve à cinq. Ça vous laisse tout le temps. Et les autres proies seront à portée de vos autres navires.
— Tout le temps si ces maudits contrebandiers se dépêchent, fit l’autre en se retournant. Hé, Tannis !
Un autre pirate se détacha du mur contre lequel il était appuyé et s’avança.
— Prends Vickers, l’un des speeders et porte cette liste au Commodore, ordonna Shakko en lui tendant la carte de données. Puis contacte Bise et dis-lui qu’il lui reste une demi-heure pour finir.
— Voulez-vous que je démarre les moteurs ?
— Attendons d’avoir fini ici. Je t’appellerai.
— D’accord.
Tannis se dirigea vers la porte de l’entrepôt, entraînant un autre homme au passage.
Mara n’attendit pas d’en savoir plus. Elle regagna l’endroit où elle avait laissé son sac. Il était clair que les contrebandiers, les pirates et Caaldra allaient très vite se disperser, et même la Main de l’Empereur ne parviendrait pas à suivre trois cibles à la fois.
Bien sûr, elle pouvait retourner à son vaisseau et faire venir des renforts. Mais même s’il y avait des forces impériales dans le secteur, elles n’arriveraient pas assez vite. Et elles ne sauraient pas se montrer assez subtiles pour traquer ce genre de proies. Elle était donc seule.
Heureusement, même si Caaldra était intrigant, les pirates s’apprêtaient à faire un carnage. Ils constituaient la menace la plus immédiate pour l’Empire et ses citoyens.
Et puis, Caaldra avait dit à Shakko qu’il lui laissait les première et troisième cibles. Il serait intéressant de découvrir de quoi il s’agissait.
Trois minutes plus tard, elle était remontée à bord du landspeeder et elle filait les deux pirates à une distance discrète.
Le vaisseau de Shakko était posé sur une plateforme d’atterrissage à l’ouest du complexe, pas trop près de l’entrepôt pour éveiller les soupçons. C’était un solide cargo corellien HT-2200 – soixante-six mètres de long, avec quatre cales à atmosphère variable. Mais une fois encore, il ne fallait pas se lier aux apparences.
Les pirates n’avaient pas placé de gardes à l’extérieur, mais il y en avait au moins un à l’intérieur. Avant que Tannis n’ait arrêté le landspeeder, une rampe s’était dépliée pour les accueillir. Les deux pirates sautèrent du véhicule et montèrent à bord, et la porte se referma derrière eux. Ce modèle comportait un autre accès, mais sans doute était-il aussi bien protégé.
Mara n’avait pas prévu d’emprunter une entrée normale de toute façon.
Le vecteur actuel de son landspeeder devait l’amener à vingt mètres devant le navire-pirate. Elle l’altéra de manière à ce qu’il disparaisse derrière la section de bâtiments, hors de vue. Ainsi, ils ne le verraient pas s’écraser. Puis elle prit son sac et sauta en marche.
Mara atterrit, roula deux fois sur elle-même pour amortir sa chute et sauta sur ses pieds. Puis, ses affaires à la main, elle courut vers l’appareil, lança son sac à l’intérieur du réacteur en bas à droite et fit appel à la Force pour s’y hisser.
Elle ne pouvait pas se tenir debout, mais elle avait assez de place pour s’accroupir. Pendant un instant, elle étendit ses perceptions pour voir si son arrivée avait été remarquée. Bien sûr, il ne pouvait pas y avoir de détecteur externe à cet endroit. Le niveau de radiation pendant un vol les grillerait en cinq secondes. Mais peut-être s’était-elle trompée en estimant qu’il n’y avait pas de garde…
Rien. Elle tira son sabre laser et se mit au travail pour élargir l’ouverture entre le jet et la chambre de réaction.
Il s’agissait d’une opération risquée, qu’elle n’avait jamais pratiquée sur le terrain. Il fallait découper une partie de l’isolation – ce qui réduirait la durée de vie du moteur – sans toucher au flux, au liquide de refroidissement et aux fils.
Heureusement, les engins de cette taille en avaient une bonne couche, et elle put se faufiler à l’intérieur sans avoir à enlever plus d’un quart de la protection. De plus, la Corporation Technique Corellienne avait pensé à inclure une trappe pour accéder à la chambre de réaction, en plus des accès utilisés par les droïdes de maintenance et de nettoyage.
L’écoutille faisait plusieurs centimètres d’épaisseur. Elle alluma son sabre laser et inséra la lame entre les deux bords, essayant de ne pas trop les endommager, pour découper le loquet. Quand ce fut fait, elle rangea sa lame, tira son blaster et ouvrit prudemment.
La trappe donnait sur une chambre technique étonnamment propre. Il n’y avait personne en vue, mais Tannis était déjà rentré, et Shakko et le reste du gang ne tarderaient pas à l’imiter.
Mara s’employa à refermer l’écoutille avec un fer à souder trouvé sur place. La réparation n’était pas parfaite, mais elle ferait l’affaire aussi longtemps que personne n’y regarderait pas de près.
La soudure tiendrait également contre la pression dans la chambre au-dessous. Quel intérêt aurait-elle à infiltrer le vaisseau s’il explosait ?
Elle gagna la pièce suivante, la salle commune de l’équipage, qui s’ouvrait sur la cuisine, l’infirmerie et huit cabines.
Le cockpit était situé droit devant, flanqué par les couloirs menant aux deux bras contenant les cargaisons. Son sac dans une main, son blaster de poing dans l’autre, Mara prit celui de droite, dépassant le poste de pilotage et continuant à travers la cale. Des voix étouffées lui parvinrent, et elle accéléra le pas. Le corridor devenait plus étroit désormais et semblait mener à une autre chambre. Alors qu’elle se dirigeait vers celle-ci…
La Force la prévint une seconde avant que la porte ne s’ouvre.
Elle se retrouva face à face avec Tannis.
Le regard rivé sur les notes qu’il tenait à la main, il ne l’avait pas encore vue. Mais dans une seconde, il serait trop tard. Il allait découvrir la présence de Mara – elle n’avait nulle part où se cacher.
Ce qui ne lui laissait qu’une seule option. Puisant dans la Force, elle lui cogna la tête contre le chambranle de la porte.
Il s’effondra sans un bruit, et elle s’accroupit près de lui pour vérifier son pouls tout en cherchant un moyen de maquiller son geste. Elle jeta un coup d’œil dans la cabine, dans le couloir puis au plafond.
Et elle trouva ce qu’elle cherchait. Des tuyaux couraient le long de la paroi. Si les cercles de couleurs dont ils étaient parés utilisaient le même code que dans l’Empire, deux d’entre eux contenaient de l’eau, l’un du fluide cryogénique, un autre du réfrigérant pour laser et le dernier du fluide hydrolique de secours pour les rampes.
Et tous les pilotes et membres d’équipage de la galaxie savaient que ce dernier combiné à de l’eau constituait une matière terriblement glissante.
Les conduites formaient un coude pour entrer dans la cabine, et juste avant, chacune était enserrée dans un anneau relié au mur par une tige. Mara tira de nouveau son sabre laser et commença à égratigner l’une de celles qui véhiculaient de l’eau, jusqu’à ce qu’un filet apparaisse, comme si les vibrations l’avaient usée à l’endroit du frottement. Puis elle répéta l’opération avec la conduite de fluide hydrolique. Les deux liquides se mélangeaient déjà au milieu du couloir. Elle souleva les jambes de Tannis pour en enduire les semelles de ses chaussures.
Ce n’était sans doute pas une ruse très élaborée. Si les pirates se montraient soupçonneux, il ne leur faudrait pas plus de dix minutes pour comprendre.
Mais Shakko ne lui avait pas semblé avoir autant d’imagination. Et puis, elle allait sans doute finir par les tuer tous, alors qu’elle les élimine quelques jours plus tôt ou plus tard, cela ne faisait pas une grande différence. Veillant à ne pas marcher dans le mélange, elle poursuivit son chemin.
Comme elle l’avait deviné en voyant la conduite de réfrigérant, les pirates avaient installé un armement plus sophistiqué. Mais elle ne s’attendait pas à cela. L’avant du hangar avait été entièrement aménagé et pourvu de deux stations de canons laser, un autre à ion et un lance-fusées à proton Krupx MG7, un modèle illégal. Le reste de l’espace était occupé par un transport Cygnus 5, pour que les pirates puissent immédiatement aborder les vaisseaux soumis par leur matraquage. Dans un coin, il y avait une armurerie bien fournie en grenades et blasters. Elle tomba également sur une armoire pleine de combinaisons spatiales et de réservoirs d’oxygène. Apparemment, ils ouvraient le cargo à l’espace environnant pour donner un maximum d’impact à leurs jouets.
Dans cette cale, elle ne trouva nulle part où se cacher, mais la suivante lui offrait une planque, occupée par des caisses et des tonneaux de marchandises volées, certains portant des impacts de tir. Après les avoir réarrangés un peu, elle s’était aménagé un petit coin douillet.
Sa combinaison grise était tachée après son passage dans le jet du moteur. Heureusement, elle en avait prévu une autre dans son sac, en plus d’une tenue plus élégante convenant pour une soirée. Mais la situation requérait une tenue de combat. Deux minutes plus tard, elle était tout de noir vêtue, avec un BlasTech K-14 sur la hanche droite et son sabre laser sur la gauche. Deux couteaux étaient glissés dans le cuir de ses bottes.
Son armement n’était pas aussi impressionnant que celui de Caaldra, mais il ferait l’affaire. Elle ôta ses manches amovibles, car il faisait toujours chaud dans un cargo de cette taille. Son manteau resta également dans son sac. Elle n’aurait sans doute pas besoin de ses senseurs intégrés capables de détourner des armes à système de guidage.
D’après Caaldra, les pirates avaient cinq jours avant l’attaque. Entre-temps, elle devait jeter un coup d’œil à la carte de données qu’il avait remise à Shakko. Ensuite, elle déciderait.
L’affaire ne se réduisait plus à un simple lien possible entre le Moff Glovstoak et la Rébellion. Elle se demanda ce qu’elle recelait d’autre.
Elle s’installa dans son nid, la tête sur son sac, et ouvrit une barre de ration.