FANTÔME V
(1954)

Deuxième exploit de Gregor et Arnold. Époustouflant traitement dune idée qui devait servir de base, quelques années plus tard, au fameux Planète interdite. Les fantômes surgis du subconscient et qui se manifestent sur le plan physique. Ici, pas de drame mais une arrivée en force des épouvantails à gamin, un retour des illusions des nuits enfantines, une sorte de joyeux discours sur la magie. On frémit en songeant à l’étude de quelques centaines de pages que peut lui réserver un moderne psychogloseur Au fait, comment vient-on à bout dun psychogloseur ? Avec de la mousse au chocolat ?

 

 

 

 

 

— Il est maintenant en train de lire notre enseigne, dit Gregor, son long visage osseux pressé contre le voyant optique de la porte du bureau.

— Laisse-moi voir, dit Arnold.

Gregor le repoussa.

— Il s’apprête à frapper – non, il a changé d’avis. Il s’en va.

Arnold revint à son bureau et entreprit une nouvelle réussite. Gregor continua de regarder par le voyant.

Ils avaient installé le voyant optique par pur désœuvrement, trois mois après avoir créé leur Société et loué le bureau. Durant ce temps, le SERVICE DE DECONTAMINATION PLANETAIRE AAA Ace n’avait eu aucun travail à faire – en dépit du fait qu’il fût le premier inscrit dans l’annuaire téléphonique. La décontamination planétaire était une activité déjà ancienne, complètement monopolisée par deux grandes entreprises. C’était décourageant pour une petite société nouvelle dirigée par deux jeunes hommes ayant de grandes idées et tout un tas de matériel acheté à crédit.

— Il revient ! cria Gregor. Vite – donne l’impression d’être occupé à quelque chose d’important.

Arnold jeta ses cartes dans un tiroir et il achevait juste de boutonner sa blouse de laboratoire lorsque le coup fut frappé.

Leur visiteur était un petit homme chauve, à l’air fatigué. Il les regarda d’un air incertain.

— Vous décontaminez les planètes ?

— C’est exact, monsieur, dit Gregor, en repoussant une pile de papiers et en serrant la main droite de l’homme. Je suis Richard Gregor et voici mon associé, le docteur Frank Arnold.

 

Arnold, impressionnant dans sa blouse blanche de laborantin, avec ses lunettes à monture de corne, hocha la tête d’un air absent et reprit son examen d’une rangée de vieux tubes à essai au contenu desséché.

— Veuillez vous asseoir, monsieur…

— Ferngraum.

— Monsieur Ferngraum, je pense que nous sommes équipés pour entreprendre tous les travaux que vous désirerez, dit chaudement Gregor. Contrôle de la flore ou de la faune, nettoyage de l’atmosphère, purification des eaux, stérilisation du sol, tests de stabilisation, contrôle des volcans et des tremblements de terre – tout ce qu’il faut pour rendre une planète habitable à l’homme.

Ferngraum avait toujours l’air incertain.

— Je vais être franc avec vous. J’ai sur les bras une planète qui présente un problème.

Gregor hocha la tête.

— Les problèmes sont notre affaire.

— Je suis un agent immobilier indépendant, dit Ferngraum. Vous savez comment nous opérons – nous achetons une planète, nous vendons une planète et chacun y gagne sa vie. Habituellement, je m’en tiens au défrichage et je laisse mes acheteurs s’occuper eux-mêmes de la décontamination, mais, il y a quelques mois de cela, j’ai eu de la chance d’acheter une planète vraiment de bonne qualité – je l’ai enlevée sous le nez des grandes entreprises. – Ferngraum s’essuya le front d’un air malheureux. – C’est un endroit merveilleux, poursuivit-il sans le moindre enthousiasme. La température moyenne y est de 22°. C’est un monde montagneux, mais fertile. Il y a des cascades, des arcs-en-ciel et tout ce qui s’ensuit. Et pas du tout de faune.

— Ça m’a l’air parfait, dit Gregor. Il y a des micro-organismes ?

— Rien qui soit dangereux.

— Alors, qu’est-ce qui ne va pas ?

Ferngraum parut embarrassé.

— Peut-être en avez-vous entendu parler. Son symbole au catalogue gouvernemental est RJC-5, mais tout le monde l’appelle Fantôme V.

Gregor souleva un sourcil. Fantôme était un surnom bizarre pour une planète, mais il en avait connu de plus curieux. Après tout, il faut bien leur donner un nom. Il y avait des milliers de planètes ensoleillées que les vaisseaux spatiaux pouvaient atteindre ; la plupart d’entre elles étaient habitables, du moins potentiellement, et il y avait des tas de gens des mondes civilisés qui avaient envie de les coloniser. Des sectes religieuses, des minorités politiques, des groupes philosophiques – ou même de simples pionniers ayant envie de prendre un nouveau départ dans la vie.

— Je ne pense pas en avoir jamais entendu parler, dit Gregor.

Mal à l’aise, Ferngraum s’agita sur sa chaise.

— J’aurais dû écouter ma femme. Mais non – je voulais faire une grande opération. J’ai payé dix fois plus que mon prix habituel pour Fantôme V, et maintenant, je l’ai sur les bras.

— Mais qu’est-ce qui ne va pas avec cette planète ? demanda Gregor.

— Elle semble être hantée, dit Ferngraum d’un ton désespéré.

 

Ferngraum avait fait examiner sa planète au radar, puis il l’avait louée à un groupe de fermiers de Dijon VI. Les huit hommes constituant l’avant-garde y avaient débarqué et, moins d’un jour après, avaient commencé à lancer des messages dans lesquels il était question de démons, de goules, de vampires, de dinosaures et autre faune inamicale.

Quand un vaisseau de secours arriva, les huit hommes étaient morts. Le rapport d’autopsie établit que les entailles, coupures et autres marques sur leurs corps avaient été causées par n’importe quoi. Peut-être même par des démons, des goules, des vampires ou des dinosaures, dans la mesure où ils existaient.

Ferngraum fut mis à l’amende pour décontamination incomplète et les fermiers annulèrent leur bail, mais Ferngraum s’arrangea pour louer la planète à un groupe d’adorateurs du soleil venant d’Opale II.

Les adorateurs du soleil étaient méfiants. Ils envoyèrent leur équipement, mais trois hommes seulement l’accompagnèrent, en éclaireurs. Les hommes installèrent leur camp, déballèrent leur matériel et déclarèrent que l’endroit était un paradis. Ils communiquèrent par radio avec leur groupe pour lui dire de les rejoindre immédiatement – puis, soudain, il y eut un cri effrayant et la radio se tût.

Un astronef de patrouille se dirigea vers Fantôme V, enterra les trois morts déchiquetés et repartit cinq minutes plus tard.

— Et tout fut fini, conclut Ferngraum. Maintenant, personne ne veut l’approcher à aucun prix. Les équipages spatiaux refusent de s’y poser. Et je ne sais toujours pas ce qui a pu se passer.

Il poussa un profond soupir et regarda Gregor.

— Elle est à vous, si vous la voulez.

 

Gregor et Arnold s’excusèrent et allèrent s’isoler dans l’antichambre. Arnold laissa éclater sa joie :

— Enfin, nous avons un travail !

— Oui, dit Gregor, mais quel travail !

— Si nous nous en tirons bien, notre réputation sera faite, fit remarquer Arnold. Sans parler du profit.

— Tu sembles oublier quelque chose, dit Gregor. C’est moi qui débarquerai sur la planète. Tout ce que tu auras à faire, ce sera de demeurer ici et d’interpréter les données que je te transmettrai.

— C’est ainsi que nous avons conclu notre « arrangement », lui rappela Arnold. Je suis le Département des Recherches – tu es celui qui s’occupe des questions matérielles. Tu t’en souviens ?

Gregor s’en souvenait. Même pendant leur enfance, il avait toujours le nez dehors, tandis qu’Arnold demeurait chez lui et lui disait pour quelles raisons il avait toujours le nez dehors.

— Je n’aime pas ça, dit-il.

— Tu ne crois pas aux fantômes, je pense ?

— Non, je suppose que non.

— Eh bien, nous ne pouvons rien faire d’autre. De toute façon, les cœurs faibles n’ont jamais fait beaucoup de profit.

Gregor haussa les épaules. Ils revinrent vers Ferngraum.

Une demi-heure plus tard, le contrat était rédigé. Un important pourcentage des profits rapportés par le futur développement leur revenait s’ils réussissaient ; une clause les pénalisait s’ils échouaient.

Gregor accompagna Ferngraum jusqu’à la porte.

— À propos, monsieur, demanda-t-il, pourquoi vous êtes-vous adressé à nous ?

— Personne n’a voulu s’occuper de mon affaire, répondit Ferngraum, l’air très content de lui. Bonne chance !

 

Trois jours plus tard, Gregor se trouvait à bord d’un cargo spatial délabré qui faisait route vers Fantôme V. Il avait passé le temps du voyage à étudier les rapports concernant les deux tentatives de colonisation et à lire des ouvrages se rapportant aux phénomènes surnaturels, ce qui ne lui avait été d’aucune aide. Aucune trace de vie animale n’avait été découverte sur Fantôme V et aucune preuve de l’existence de créatures surnaturelles dans la galaxie n’avait été apportée. Gregor médita là-dessus, puis il vérifia ses armes tandis que le cargo spiralait autour de Fantôme V. Gregor transportait un arsenal suffisant pour commencer une petite guerre et la gagner.

À condition, bien sûr, qu’il découvrît quelque chose sur quoi tirer.

Le capitaine du cargo amena la nef à quelques centaines de mètres de la riante surface verte de la planète, mais pas plus près. Gregor parachuta son équipement à l’emplacement des deux camps précédemment installés, serra la main du capitaine et sauta lui-même en parachute.

Il atterrit sain et sauf et jeta un regard autour de lui. Le cargo fonçait déjà vers l’espace comme si toutes les furies déchaînées étaient à sa poursuite.

Il était seul sur Fantôme V.

Après avoir vérifié le bon état de son équipement, il lança un message-radio à Arnold pour lui annoncer qu’il était bien arrivé. Puis, son paralyseur à la main, il inspecta le camp des adorateurs du soleil.

Ils s’étaient installés à la base d’une montagne, à proximité d’un petit lac à l’eau claire comme du cristal. Les bâtiments préfabriqués étaient en parfait état.

Aucune tempête ne les avait jamais endommagés car le climat de Fantôme V était merveilleusement tempéré. Mais ils donnaient une impression pathétique de solitude.

Gregor en visita précautionneusement un. Des vêtements étaient toujours soigneusement rangés dans les placards, des tableaux étaient fixés aux murs et il y avait même un rideau à une fenêtre. Dans un coin de la pièce, une caisse de jouets avait été ouverte à l’intention des enfants qui devaient arriver avec le groupe principal.

Un pistolet à eau, une toupie et un sac de billes gisaient sur le sol.

Le soir tombait ; aussi Gregor rangea-t-il son équipement dans le bâtiment préfabriqué avant de faire ses préparatifs. Il installa un système d’alarme et l’ajusta si minutieusement que même un grillon l’aurait déclenché. Il installa une alarme radar pour inspecter les environs immédiats. Il déballa son arsenal, posant les lourds fusils à portée de sa main, mais garda un paralyseur léger à sa ceinture. Puis, satisfait, il avala son souper sans se hâter.

À l’extérieur, le crépuscule devint la nuit. La chaude et poétique planète devint obscure. Une brise légère rida la surface du lac et fit bruire les hautes herbes.

Tout était paisible.

Les pionniers étaient sans doute des types nerveux, se dit-il. Ils avaient été probablement pris de panique et s’étaient entretués.

Après avoir vérifié une dernière fois son système d’alarme, il jeta ses vêtements sur une chaise, éteignit les lumières et se mit au lit. La pièce était illuminée par la lueur des étoiles, plus forte que le clair de lune sur la Terre. Il avait glissé le paralyseur sous son oreiller. Tout allait pour le mieux.

Il commençait juste à s’endormir lorsqu’il prit conscience qu’il n’était pas seul dans la pièce.

C’était impossible. Son système d’alarme ne s’était pas déclenché. Quant au radar, il ronronnait paisiblement.

Et pourtant, chaque nerf de son corps vibrait. Il empoigna le paralyseur et regarda autour de lui.

Un homme se tenait dans un angle de la pièce.

Ce n’était pas le moment de chercher à découvrir comment il avait pu entrer. Gregor leva le paralyseur et dit : « Allez, les mains en l’air », d’une voix tranquille et résolue.

L’apparition ne bougea pas. Le doigt de Gregor se crispa sur la détente, puis soudain la relâcha. Il reconnaissait l’homme. Ce n’étaient que ses propres vêtements jetés sur une chaise et que la lumière des étoiles et sa propre imagination transformaient.

Il sourit et abaissa le paralyseur. Le tas de vêtements commença à bouger faiblement. Gregor sentit le faible courant d’air qui venait de la fenêtre et continua à sourire.

Alors, le tas de vêtements se souleva, s’étira et se mit à marcher vers Gregor dans un but déterminé.

Frissonnant dans son lit, il regarda le tas de vêtements vides qui prenait grossièrement une forme humaine tandis qu’il s’avançait vers lui.

Quand il eut atteint le centre de la pièce et que les manches vides se tendirent vers lui pour le saisir, il commença à tirer.

Mais, tandis qu’il tirait, les vêtements continuaient à s’approcher de lui comme si une vie propre les animait ; des morceaux de tissu enflammés volèrent vers son visage et une ceinture essaya de s’enrouler autour de ses jambes. Il lui fallut tout réduire en cendre pour que l’attaque cessât.

Quand ce fut fini, Gregor alluma toutes les lampes qu’il put trouver. Puis il se prépara une tasse de café qu’il mélangea en quantité égale avec du brandy. Il résista à l’impulsion qui lui commandait de réduire en pièces son système d’alarme inutile. Au lieu de cela, il lança un message-radio à son associé.

— C’est très intéressant, dit Arnold quand il lui eut raconté ce qui s’était passé. L’animation ! C’est très intéressant.

— Je pensais que cela t’amuserait, répondit amèrement Gregor. Après plusieurs rasades de brandy, il commençait à se sentir abandonné et trompé.

— Rien d’autre ?

— Pas pour le moment.

— Eh bien, fais attention. Je crois que j’ai une théorie. Il faudra que je fasse quelques recherches là-dessus. À propos, un bookmaker fou te donne à cinq contre un.

— Vraiment ?

— Oui. J’ai pris moi-même un pari.

— Tu as parié sur moi ou contre moi, demanda Gregor d’un ton soucieux.

— Sur toi, naturellement, répondit Arnold avec indignation. Ne sommes-nous pas associés ?

Ils coupèrent le contact et Gregor avala une autre tasse de café. Il n’avait pas l’intention de se recoucher cette nuit-là. Il était réconfortant de savoir qu’Arnold avait parié sur lui. Malheureusement, c’était un mauvais joueur notoire.

 

Au lever du jour, Gregor put prendre quelques heures d’un repos bien gagné. Au début de l’après-midi, il s’éveilla, trouva quelques vêtements et commença à explorer le camp des adorateurs du soleil.

À la fin du jour, il découvrit quelque chose. Sur le mur d’un bâtiment préfabriqué, le mot Tgasklit avait été hâtivement griffonné. Tgasklit. Cela ne signifiait rien pour lui, mais il communiqua aussitôt sa découverte à Arnold.

Il fouilla minutieusement le bâtiment dans lequel il s’était installé, plaça d’autres sources d’éclairage, vérifia le système d’alarme et rechargea son paralyseur.

Tout semblait en ordre.

À regret, il regarda le soleil se coucher, espérant qu’il vivrait suffisamment pour le voir réapparaître. Puis il s’installa lui-même dans un fauteuil confortable et essaya d’avoir quelques idées constructives.

Il n’y avait pas de vie animale sur ce monde – pas plus qu’il n’existait de plantes animées, de rochers intelligents ou de cerveaux géants se dissimulant au centre de la planète. Fantôme V n’avait même pas une lune pour que quelqu’un s’y dissimule.

Et il n’arrivait pas à croire aux fantômes et aux démons. Il savait que les phénomènes surnaturels tendaient à se transformer en événements parfaitement naturels sous l’effet d’un examen détaillé. Ce qui ne se transformait pas cessait. Les fantômes ne se contentaient pas d’attendre jusqu’à ce qu’un non-croyant les examine ; le fantôme du château était invariablement en vacances quand un savant apparaissait avec des appareils photo et un magnétophone.

Il y avait une autre possibilité. À supposer que quelqu’un désirât cette planète sans vouloir en payer le prix à Ferngraum, ce quelqu’un n’aurait-il pu se cacher ici, effrayer les pionniers, les tuer même ?

Cela semblait logique. On pouvait même expliquer de cette manière l’histoire des vêtements. L’électricité statique, correctement utilisée, pouvait…

 

Quelque chose se tenait en face de lui. Comme la veille, le système d’alarme n’avait pas fonctionné. Gregor leva lentement les yeux. La chose qui se trouvait en face de lui avait environ trois mètres de haut et une forme vaguement humaine, à l’exception de la tête qui était celle d’un crocodile. Cela était d’un rouge brillant avec des rayures violettes qui couraient tout au long du corps. Dans une de ses griffes, cela tenait une grosse boîte de conserve de couleur brune.

— Hello ! dit l’apparition.

— Hello ! répondit Gregor en avalant sa salive. Son paralyseur était placé sur une table, à cinquante centimètres de sa main. Il se demanda si la chose allait attaquer au moment où il essaierait de s’en emparer.

— Quel est votre nom ? demanda Gregor, avec le calme que cause un grand choc.

— Je suis l’Accrocheur à rayures violettes, répondit la chose. J’accroche des choses.

— C’est très intéressant. La main de Gregor commença de ramper vers l’arme.

— J’accroche des choses nommées Richard Gregor, continua l’Accrocheur d’une voix claire et candide. Et habituellement, je les mange avec une sauce au chocolat.

L’apparition souleva la boîte brune et Gregor vit que son étiquette portait : Chocolat Smig – La Sauce Idéale à utiliser avec les Gregors, Arnolds et Flynns.

Les doigts de Gregor touchèrent la crosse du paralyseur. Il demanda :

— Avez-vous l’intention de me manger ?

— Oh oui ! répondit l’Accrocheur.

Gregor serrait maintenant la crosse de l’arme. Il dégagea le cran de sûreté et tira. Les radiations explosives cascadèrent le long du corps de l’Accrocheur et roussirent le sol, les murs et les sourcils de Gregor.

— Ceci ne peut pas me faire de mal, expliqua l’Accrocheur. Je suis trop grand.

Le paralyseur échappa aux doigts de Gregor. L’Accrocheur s’approcha de lui.

— Je ne vais pas vous manger maintenant, dit-il.

— Non ? réussit à prononcer Gregor.

— Non, je ne pourrai vous manger que demain, le 1er mai. C’est la règle. Je suis seulement venu vous demander une faveur.

— Laquelle ?

L’Accrocheur sourit d’un air engageant.

— Voudriez-vous être assez aimable pour manger quelques pommes ? Elles donnent à la chair une saveur si agréable.

Ayant dit ces mots, le monstre à rayures violettes disparut.

 

Avec des mains tremblantes, Gregor brancha la radio et raconta à Arnold tout ce qui venait de se passer.

— Hmm ! dit Arnold. Un Accrocheur à rayures violettes, n’est-ce pas ? Je crois que tout s’imbrique parfaitement maintenant.

— Qu’est-ce qui s’imbrique ? Qu’est-ce que c’est ?

— Tout d’abord, fais ce que je vais te dire. Je veux être certain.

Obéissant aux instructions d’Arnold, Gregor déballa son appareillage de chimie et étala un certain nombre de tubes à essai, de cornues et de produits chimiques. Il mélangea, brassa, ajouta et retira des produits conformément aux instructions qu’il recevait et, finalement, mit le mélange à chauffer sur son réchaud.

— Maintenant, dit-il en revenant à la radio, dis-moi ce qui se passe.

— Certainement. J’ai cherché le mot Tgasklit. C’est de l’opalien. Cela veut dire : Fantôme à dentition multiple. Les adorateurs du soleil venaient d’Opale. Qu’est-ce que cela évoque en toi ?

— Ils ont été tués par un fantôme importé de chez eux ! répliqua hargneusement Gregor. Il devait être caché à bord de leur vaisseau. Peut-être y avait-il un sort et…

— Du calme, dit Arnold. Il n’y a pas de fantôme dans cette histoire. La solution est-elle en train de bouillir ?

— Non.

— Préviens-moi quand elle le fera. Maintenant, prenons le cas de ces vêtements animés. Cela ne te rappelle rien ?

Gregor réfléchit.

— Eh bien, dit-il, quand j’étais enfant… non, c’est ridicule.

— Continue, insista Arnold.

— Eh bien, quand j’étais enfant, je ne posais jamais mes vêtements sur une chaise. Dans l’obscurité, ils ressemblaient toujours à un homme ou à un dragon ou à quelque chose d’inquiétant. Je pense que chacun de nous a eu cette expérience. Mais ceci n’explique pas…

— Si, cela explique tout ! L’Accrocheur à rayures violettes ne te rappelle-t-il toujours rien ?

— Non. Pourquoi cela devrait-il me rappeler quelque chose ?

— Parce que c’est toi qui l’as inventé ! Tu te rappelles ? Nous devions avoir huit ou neuf ans, toi, moi et Jimmy Flynn. Nous avions inventé les monstres les plus horribles auxquels nous pouvions penser – et l’Accrocheur était ton monstre personnel. Tout ce qu’il désirait, c’était te manger, ou moi ou Jimmy – enrobé de sauce au chocolat. Mais seulement le 1er de chaque mois, quand nous apportions à la maison nos carnets de notes. Il fallait que tu te serves du mot magique pour te débarrasser de lui.

 

Alors Gregor se rappela et se demanda comment il avait pu oublier. Combien de nuits avait-il passées sans dormir dans la crainte de voir apparaître l’Accrocheur ? Cela faisait paraître le carnet de notes bien peu important.

— Est-ce que la solution bout ? demanda Arnold.

— Oui, répondit Gregor en regardant docilement vers le réchaud.

— Quelle est sa couleur ?

— Une sorte de bleu verdâtre. Non, c’est plus bleu que…

— Parfait. Tu peux la verser. Je vais faire quelques tests complémentaires, mais je crois que nous avons gagné.

— Quest-ce que nous avons gagné ? Veux-tu me donner quelques explications ?

— C’est l’évidence même. La planète n’a pas de vie animale. Il n’y a pas de fantômes – du moins, il n’y en a pas d’assez solides pour tuer un groupe d’hommes armés. La réponse est : hallucinations ; aussi ai-je cherché ce qui pouvait les provoquer. J’ai trouvé des tas de choses. Si l’on choisit parmi toutes les drogues qui existent sur la Terre, il y a environ une douzaine de gaz générateurs d’hallucinations qui figurent dans le Catalogue des Traces d’Éléments Étrangers. Il y a des déprimants, des stimulants, des produits qui vous donnent l’impression d’être un génie ou un ver de terre ou un aigle. Cette drogue particulière correspond à Longstead 42 dans le Catalogue. C’est un gaz puissant, incolore et sans odeur et physiquement sans danger. C’est un stimulant de l’imagination.

— Tu veux dire que j’ai eu des hallucinations ? Mais je t’ai dit…

— Ce n’est pas si simple, coupa Arnold. Le Longstead 42 agit directement sur le subconscient. Il te débarrasse de tes peurs subconscientes les plus fortes, des terreurs enfantines qu’on essaie d’oublier. Mais cela les anime. Et c’est cela que tu as vu.

— Alors, il n’y a en réalité rien ici ? demanda Gregor.

— Rien de physique, mais les hallucinations sont réelles pour celui qui en est la victime.

Gregor tendit le bras pour prendre une autre bouteille de brandy. Ceci méritait d’être arrosé.

— Il ne sera pas difficile de décontaminer Fantôme V, poursuivit Arnold avec confiance. Nous pouvons neutraliser le Longstead 42 sans difficulté et ensuite – nous serons riches, mon cher associé !

Gregor suggéra un toast, puis pensa à quelque chose d’inquiétant.

— Si ce ne sont que des hallucinations, alors qu’est-il arrivé aux pionniers ?

Arnold demeura silencieux durant un moment.

— Eh bien, dit-il finalement, le Longstead a tendance à stimuler le morbide – l’instinct de la mort. Les pionniers ont dû devenir fous, et s’entretuer.

— Et il n’y a pas eu de survivants ?

— Les derniers ont dû se suicider ou mourir de leurs blessures. Mais ne t’inquiète pas de cela. Je vais fréter immédiatement un vaisseau et venir te rejoindre pour procéder à ces tests. Détends-toi. Je serai là dans un jour ou deux.

Gregor coupa le contact.

Il s’autorisa à vider le reste de la bouteille de brandy cette nuit-là. Cela semblait maintenant amusant. Le mystère de Fantôme V était résolu et il allait devenir riche. Avant longtemps, il serait capable de louer un homme qui se poserait sur les planètes étranges pour son compte tandis que lui demeurerait tranquillement assis chez lui, à donner des instructions par radio.

 

Il s’éveilla tard le lendemain matin, toujours légèrement soucieux. Le vaisseau d’Arnold n’était pas encore arrivé ; aussi entreprit-il d’emballer son matériel et attendit. Quand vint le soir, il n’y avait toujours pas de vaisseau. Il s’assit dans l’entrée du bâtiment préfabriqué et regarda un coucher de soleil flamboyant. Ensuite, il rentra à l’intérieur du bâtiment et se prépara de quoi souper.

Le problème des pionniers le tracassait toujours, mais il décida de ne plus s’inquiéter à ce sujet. Sans aucun doute, cela comportait une réponse logique. Après dîner, il s’allongea sur un lit. Il avait à peine fermé les yeux qu’il entendit quelqu’un tousser timidement.

— Hello ! dit l’Accrocheur à rayures violettes.

Son hallucination personnelle était revenue pour le manger.

— Hello ! mon vieux, dit joyeusement Gregor, sans l’ombre d’une crainte ou d’une inquiétude.

— Avez-vous mangé les pommes ?

— Oh ! Je suis désolé, j’ai oublié.

— Tant pis. – L’Accrocheur essaya de cacher son désappointement. – J’ai apporté la sauce au chocolat.

Il montra la boîte.

Gregor sourit.

— Vous pouvez vous en aller maintenant, dit-il. Je sais que vous n’êtes qu’un produit de mon imagination. Vous ne pouvez pas me faire de mal.

— Je n’ai pas l’intention de vous faire du mal, dit l’Accrocheur. Je suis seulement venu pour vous manger.

Il marcha vers Gregor. Gregor se leva et sourit tout en pensant qu’il eût désiré que l’Accrocheur n’apparût pas si solide et si réel.

L’Accrocheur se pencha sur lui et mordit son bras avec une grande expérience.

Gregor fit un bond en arrière et regarda son bras. On y voyait des marques de dents et du sang coulait – du vrai sang – son sang.

Les colons aussi avaient été mordus, déchirés et ensanglantés.

À ce moment précis, Gregor se rappela une séance de spiritisme à laquelle il avait un jour assisté. L’hypnotiseur avait dit au sujet qu’il allait toucher son bras avec le bout d’une cigarette allumée, puis il avait touché le bras avec un crayon.

Au bout de quelques secondes, une vilaine marque rouge était apparue sur le bras du sujet, car il croyait vraiment avoir été brûlé. Si votre subconscient pense que vous êtes mort, alors vous êtes mort. S’il ordonne la marque de dents sur votre bras, alors il y a des marques de dents.

Il ne croyait pas à la réalité de l’Accrocheur.

Mais son subconscient, lui, y croyait.

Gregor essaya de courir vers la porte. L’Accrocheur se plaça sur son chemin. Il le saisit avec ses griffes et essaya d’atteindre son cou.

Le mot magique ! Vite ! Quel était-il ?

Gregor cria :

— Aphoisto !

— Ce n’est pas le bon mot, dit l’Accrocheur. Cessez donc de gigoter.

— Regnastikio !

— Ça ne vaut rien non plus. Cessez de bouger et cela va vous revenir.

— Voorshpellhappilo !

L’Accrocheur poussa un cri de douleur et lâcha Gregor. Il fit un bond en l’air et disparut.

 

Gregor s’effondra sur une chaise. Il était temps, grand temps. Cela aurait été une façon particulièrement stupide de mourir – déchiré par son propre désir subconscient de mourir, tué par sa propre imagination et par sa propre conviction. Il était heureux qu’il se fût rappelé le mot Maintenant, si Arnold voulait bien se presser…

Il entendit un petit gloussement amusé.

Cela provenait d’un placard sombre dont la porte était à demi ouverte, et cela lui rappela un souvenir presque oublié. Il avait de nouveau neuf ans, et le Suiveur – son Suiveur – était une créature étrange, maigre, et ayant vaguement l’apparence d’un ours, qui se cachait derrière les portes, dormait sous les lits et n’attaquait que dans l’obscurité.

— Éteignez les lumières, dit le Suiveur.

— Certainement pas, répondit Gregor en levant son paralyseur. Tant que les lumières étaient allumées, il serait en sécurité.

— Vous feriez mieux de les éteindre.

— Non !

— Très bien. Egan, Megan, Degan !

Trois petites créatures apparurent dans la pièce. Elles coururent vers la lampe électrique la plus proche, sautèrent dessus et commencèrent à la dévorer voracement.

La pièce commença à s’assombrir.

Gregor tira sur elles chaque fois qu’elles s’approchaient d’une lampe. Les ampoules éclataient, mais les agiles petites créatures réussissaient chaque fois à s’échapper.

Alors, Gregor comprit ce qu’il était en train de faire. Les créatures ne mangeaient pas réellement les lampes. L’imagination ne peut avoir d’effet sur la matière inanimée. Il avait imaginé que la pièce s’assombrissait et…

Il avait tiré et éteint lui-même ses lampes ! Son propre subconscient destructeur lui jouait des tours. Maintenant, le Suiveur s’approchait, sautant d’une ombre à l’autre. Il s’approcha de Gregor.

Le paralyseur n’eut aucun effet. Gregor essaya frénétiquement de se rappeler le mot magique – et se souvint avec terreur qu’aucun mot magique ne pouvait arrêter le Suiveur.

Il recula et le Suiveur avança jusqu’à ce que Gregor fût arrêté par une caisse de matériel. Le monstre se pencha au-dessus de lui. Gregor s’écroula sur le sol et ferma les yeux.

Sa main toucha quelque chose de froid. Il était couché contre la caisse d’emballage qui contenait les jouets destinés aux enfants des pionniers. Et il tenait à la main un pistolet à eau. Gregor le brandit. Le Suiveur recula en fixant l’arme avec appréhension.

Vivement, Gregor alla au robinet et remplit le pistolet, puis il dirigea un jet d’eau mortel vers la créature.

Le Suiveur poussa un cri d’agonie et disparut.

Gregor eut un léger sourire et glissa le pistolet vide dans sa ceinture.

Un pistolet à eau était l’arme idéale pour lutter contre un monstre né de l’imagination.

Le jour se levait quand le vaisseau atterrit et Arnold en sortit. Sans perdre de temps, il s’attaqua à ses tests. À midi, tout était terminé et l’élément définitivement identifié comme étant du Longstead 42. Lui et Gregor emballèrent immédiatement leur matériel et décollèrent. Lorsqu’ils furent dans l’espace, Gregor raconta à son associé tout ce qui s’était passé.

— Ça a été de mauvais moments, dit doucement Arnold d’une voix pleine de sollicitude.

Maintenant, Gregor pouvait sourire avec un modeste héroïsme car il était en sécurité, loin de Fantôme V.

— Ça aurait pu être pire, dit-il.

— Comment cela ?

— Suppose que Jimmy Flynn ait été là. C’était un garçon qui pouvait réellement imaginer. Tu te souviens du Grogneur ?

— Tout ce que je me rappelle, c’est les cauchemars qu’il m’a donnés, dit Arnold.

Ils étaient sur le chemin du retour. Arnold griffonna quelques notes ; un article intitulé : « L’Instinct de mort sur Fantôme V : Une Étude de la Stimulation Subconsciente, de l’Hystérie et de l’Hallucination de Masse dans la Production des Stigmates Physiques ». Puis il alla jusqu’à la salle de contrôle pour régler le pilotage automatique.

Gregor se laissa tomber sur une couchette, décidé à prendre sa première vraie nuit de sommeil depuis qu’il avait atterri sur Fantôme V. Il venait à peine de s’assoupir quand Arnold revint précipitamment, le visage pâle de terreur.

— Je crois qu’il y a quelque chose dans la salle de contrôle, dit-il.

Gregor s’assit.

— Ce n’est pas possible. Nous ne sommes plus sur…

De la salle de contrôle leur parvint un grognement sourd.

— Mon Dieu, gémit Arnold. Il se concentra furieusement durant plusieurs secondes. Je sais. J’ai laissé les sas ouverts quand j’ai atterri. Nous sommes toujours en train de respirer l’air de Fantôme V.

Alors ils virent, s’encadrant dans le chambranle de la porte, une immense créature grise à la peau tachée de points rouges. Elle avait un nombre étonnant de bras, de jambes, de tentacules, de griffes et de dents, plus deux petites ailes dans le dos. Elle s’approcha lentement d’eux en murmurant et en grognant.

Ils reconnurent tous deux le Grogneur.

 

Gregor bondit en avant et lui ferma la porte au nez.

— Nous serons en sécurité ici, dit-il en haletant. Cette porte est hermétique. Mais comment allons-nous pouvoir piloter le vaisseau ?

— Nous ne le pouvons pas, dit Arnold. Il faut que nous fassions confiance au robot-pilote – à moins que nous puissions découvrir le moyen de nous débarrasser de cette chose.

Ils remarquèrent qu’une faible fumée commençait à filtrer par les interstices de la porte.

— Qu’est-ce que c’est que ça ? demanda Arnold avec une légère panique dans la voix.

Gregor fronça les sourcils.

— Tu te rappelles, n’est-ce pas ? Le Grogneur peut pénétrer dans n’importe quelle pièce. Il n’y a aucun moyen de l’en empêcher.

— Je ne me rappelle rien à son propos. Est-ce qu’il mange les gens ?

— Non. Attends que je me rappelle. Il se contente de les déchiqueter.

La fumée commençait à se solidifier en prenant l’immense forme grise du Grogneur. Ils battirent en retraite dans le compartiment voisin et fermèrent hermétiquement la porte. Au bout de quelques secondes, la mince fumée commença à s’infiltrer dans le local.

— C’est ridicule, dit Arnold en mordant sa lèvre inférieure. Être hantés par un monstre imaginaire… Attends ! Tu as toujours ton pistolet à eau ?

— Oui, mais…

— Donne-le-moi !

Arnold bondit vers un réservoir d’eau et remplit le pistolet. Le Grogneur commençait de nouveau à prendre forme. Il marcha vers eux en se dandinant avec un grognement coléreux. Arnold l’atteignit avec un long jet d’eau.

Le Grogneur continua d’avancer.

— Maintenant, tout me revient, dit Gregor. Un pistolet à eau ne peut pas arrêter le Grogneur.

Ils se réfugièrent dans la pièce voisine et claquèrent la porte. Derrière eux, il n’y avait plus qu’une salle de repos et, au-delà, le vide mortel de l’espace.

Gregor demanda :

— N’y a-t-il rien que tu puisses faire au sujet de l’atmosphère ?

Arnold secoua la tête.

— Elle s’est dissipée. Mais il faudra au moins trente heures pour que le Longstead 42 ne fasse plus d’effet.

— As-tu un antidote ?

— Non.

 

Le Grogneur se matérialisa une fois de plus et ce ne fut ni silencieusement ni agréablement.

— Comment pouvons-nous le tuer ? demanda Arnold. Il doit y avoir un moyen. Des mots magiques ? Et si nous utilisions une épée de bois ?

Gregor secoua la tête.

— Je me rappelle maintenant le Grogneur, dit-il d’un air malheureux.

— Qu’est-ce qui le tue ?

— Il ne peut être détruit ni par le pistolet à eau, ni par les pistolets à amorces, ni par les pétards, ni à coups de fronde, ni par les boules puantes, ni par aucune arme enfantine. Le Grogneur est absolument invulnérable.

— Ce Flynn et sa damnée imagination ! Pourquoi avions-nous besoin de parler de lui et comment allons-nous pouvoir nous débarrasser de ce monstre maintenant ?

— C’est impossible, je te l’ai dit. Il faudra qu’il s’en aille de lui-même.

Le Grogneur s’était maintenant complètement reconstitué. Gregor et Arnold se précipitèrent dans la petite cabine derrière eux et claquèrent leur dernière porte.

— Réfléchis ! implora Arnold. Il n’y a pas un gosse qui imagine un monstre sans inventer quelque chose pour s’en débarrasser. Réfléchis !

— On ne peut pas tuer le Grogneur, répéta Gregor.

Le monstre taché de rouge reprenait de nouveau forme.

Gregor passa en revue toutes les horreurs qu’il avait connues au milieu de ses nuits enfantines. Étant enfant, il devait avoir fait quelque chose pour neutraliser la puissance de l’inconnu.

C’est alors – presque trop tard – qu’il se souvint.

 

Sous le contrôle du pilote automatique, le vaisseau fonçait vers la Terre, mais c’était le Grogneur qui en était maître. Il marchait de long en large le long des coursives vides et flottait à travers les parois d’acier, dans les cabines et dans les soutes, grognant et jurant parce qu’il ne pouvait atteindre ses victimes.

Le vaisseau atteignit le système solaire et se plaça sur une orbite automatique autour de la Lune.

Gregor regarda précautionneusement, prêt à se jeter en arrière si c’était nécessaire. Il n’y avait aucun bruit de pas traînant, aucun grognement, aucune fumée dévorante filtrant sous les portes ou à travers les cloisons.

— Tout va bien ! cria-t-il à Arnold. Le Grogneur est parti.

Sains et saufs grâce à l’ultime défense contre les horreurs nocturnes – enveloppés dans des couvertures qui leur couvraient la tête – ils sortirent de leur abri.

— Je t’avais bien dit que le pistolet à eau ne servirait à rien, dit Gregor.

Arnold lui adressa un sourire étriqué et mit le pistolet dans sa poche.

— Je le garde, dit-il. Si jamais je me marie et si j’ai un enfant, ce sera son premier cadeau.

— Pas pour les miens, répondit Gregor. Il donna une tape affectueuse à la couchette. Il n’y a rien de tel qu’une couverture sur la tête pour se protéger.

 

Traduit par Marcel Battin.

Ghost V