UNIQUEMENT SUR RENDEZ-VOUS

 

Ce matin-là, à 11 h 14 précises, M. Pangborn entra chez le coiffeur. Wiley leva les yeux de son Journal des turfistes. « Bonjour », dit-il. Il jeta un coup d’œil à sa montre-bracelet et sourit. « Vous êtes pile à l’heure. »

M. Pangborn ne lui rendit pas son sourire. Il retira péniblement son veston et l’accrocha au portemanteau. Traînant les pieds sur le sol impeccablement balayé, il se dirigea vers le fauteuil du milieu où il s’affala. Wiley posa son journal et se leva. Il s’étira en bâillant. « Ça n’a pas l’air d’être la grande forme, dites donc.

— Non, c’est pas la grande forme.

— J’en suis désolé. » Wiley fit remonter le fauteuil et le bloqua. « Comme d’habitude ? »

M. Pangborn acquiesça de la tête. « Banco ! » fit Wiley. Il préleva une pièce de toile propre sur son étagère et la déplia d un coup sec. « Qu’est-ce que vous avez donc fait pour être dans cet état ? »

M. Pangborn soupira. « Pas grand-chose.

Vous êtes un peu à plat, c’est ça ? demanda Wiley en plaçant du papier absorbant autour du cou de son client. C’est le mot. Et vous, qu’est-ce que vous avez fait ?

— Rien de terrible. » Wiley attacha le peignoir. « Je me suis payé une virée à Las Vegas la semaine dernière. » Moue de dépit. « J’ai perdu un paquet.

— Pas de chance.

— Bah, l’argent est fait pour être dépensé. » Wiley prit la tondeuse électrique et la mit en marche. « Maria ! » lança-t-il.

L’interpellée marmonna une vague question dans l’arrière-boutique.

« M. Pangborn est là.

— J’arrive. »

Wiley s’attaqua à la nuque de M. Pangborn, qui ferma les yeux. « C’est ça, lui dit Wiley. Détendez-vous. »

L’autre changea laborieusement de position.

« Sûr que ça n’a pas l’air d’être la grande forme », commenta Wiley.

Nouveau soupir de M. Pangborn. « Je ne sais pas, dit-il. Je ne sais vraiment pas.

— Qu’est-ce qui ne va pas ?

— La jambe. Le dos. Mon bras droit de temps en temps. L’estomac.

Doux Jésus ! s’exclama Wiley, impressionné. Vous avez vu votre médecin ?

— Il n’y comprend rien, dit M. Pangborn d’un ton méprisant. Je ne m’embête plus à aller le consulter. Tout ce qu’il sait faire, c’est m’envoyer chez les spécialistes. »

Wiley laissa échapper un gloussement. « Vous parlez d’une vacherie ! »

M. Pangborn poussa un soupir. « Le docteur Rand est le seul qui me fasse du bien, dit-il.

— Vraiment ? » Wiley semblait ravi. « Ça me fait plaisir ce que vous me dites là. Je ne savais pas si je devais vous le recommander ou pas, vu qu’il n’est pas docteur en médecine. Mais mon frère m’a juré ses grands dieux qu’il était bien plus que ça.

— C’est vrai, confirma M. Pangborn. Je me demande ce que je ferais sans lui…

— Bonjour, M. Pangborn », lança Maria.

Celui-ci jeta un regard de côté et parvint à sourire. « Maria, dit-il.

— Comment allez-vous aujourd’hui ?

— On fait aller. »

Maria installa sa table et son tabouret de manucure près du fauteuil. Quand elle s’assit, sa poitrine tendit un peu plus son sweater. « Vous avez l’air fatigué », dit-elle.

M. Pangborn opina. « Je le suis. Je ne dors pas très bien.

— C’est vraiment moche », compatit-elle. Elle commença à lui faire les ongles.

« Enfin, je suis content que ça marche avec Rand, dit Wiley. Il faudra que je l’essaye un de ces jours.

— Il est bien, approuva M. Pangborn. C’est le seul qui me soulage.

— À la bonne heure », fît Wiley.

Un ange passa tandis que Wiley coupait les cheveux de son client et que Maria lui faisait les ongles. Puis M. Pangborn demanda : « C’est une journée creuse aujourd’hui ?

— Non, répondit Wiley. Je travaille uniquement sur rendez-vous à présent. » Il sourit. « C’est la meilleure solution. »

Après le départ de M. Pangborn, Maria emporta ses cheveux et ses rognures d’ongles dans l’arrière-boutique. Elle ouvrit un placard et en retira la poupée étiquetée PANGBORN. Wiley acheva de composer le numéro de téléphone qu’il appelait et la regarda remplacer les cheveux et les ongles de la poupée par ceux qu’elle venait de récupérer.

« Rand ? » dit-il quand on décrocha à l’autre bout du fil. « C’est Wiley. Pangborn sort d’ici. Quand est-ce qu’il doit vous revoir ? » Silence. « Très bien. Donnez-lui quelque chose pour son dos et on ôtera cette épingle pour une quinzaine de jours. D’accord ? » Nouveau silence. « Au fait, Rand, votre chèque est encore arrivé en retard ce mois-ci. Faites gaffe. »

Il raccrocha et rejoignit Maria. Tandis qu’elle s’affairait, il glissa ses mains sous son sweater et les referma sur ses seins. Maria se pressa contre lui avec un soupir, les traits tendus. « À quand le prochain rendez-vous ? » demanda-t-elle.

Wiley sourit de toutes ses dents. « Pas avant une heure et demie. »

Le temps pour lui de fermer la porte à clé, d’y accrocher l’écriteau ABSENT POUR LE DÉJEUNER et de retourner dans l’arrière boutique, Maria l’attendait sur le lit. Wiley se déshabilla, parcourant des yeux le corps brun qui se tortillait sur le matelas. « Petite salope d’Haïtienne », marmonna-t-il avec un grand sourire.

À 1 h 20, M. Waters pénétra dans la boutique. Il enleva sa veste, la suspendit au portemanteau et s’assit dans le fauteuil du milieu. Wiley posa son Journal des turfistes et se leva. Il laissa échapper un petit bruit de gorge. « Hé, ça n’a pas l’air d’être la grande forme, M. Walters.

— Non, c’est pas la grande forme. »

La Touche Finale
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