LES FOLLES AMOURS
Longtemps les naturalistes se sont interrogés sur le mode de fécondation des batraciens. Ils voyaient bien la grenouille mâle chevaucher la femelle et s’agripper durement de ses petites mains à son ventre, la pénétration du sperme demeurait énigmatique. Il fallut attendre la fin du XVIIIe siècle et un prêtre italien, Lazzaro Spallanzani, pour que le mystère se trouvât éclairci. Il convenait d’abord de mettre hors de cause les mains du mâle que l’on voyait masser vigoureusement l’abdomen de la femelle, au point qu’on en arrivait à se demander si le sperme ne sourdait pas au bout de chaque doigt. Spallanzani confectionna des gants minuscules à l’intention de ses bestioles. Les grenouilles mâles dûment gantées devenant papa aussi bien que celles qui travaillaient à mains nues, il fallait chercher ailleurs. Le mérite de Spallanzani fut de démontrer que le mâle accouchait bien la femelle par le mouvement mécanique de ses bras, mais qu’il inondait de semence les œufs au moment de leur expulsion. En somme, cette fécondation se situe très harmonieusement à mi-chemin entre l’injection du sperme in utero pratiquée par les mammifères et l’ensemencement exécuté par certains poissons qui recouvrent de laitance les œufs abandonnés par la femelle au fond de l’eau.
Dans l’ordre des divers modes de reproduction, la nature manifeste une inventivité véritablement confondante. Pour rester chez les poissons, l’épinoche construit un nid très comparable à celui des oiseaux en assemblant des fragments d’algues à l’aide d’un fil visqueux qu’elle tire de son orifice urinaire.
D’autres – de la famille des osphronémidés – font des nids d’écume, entièrement composés de bulles d’air, technique d’une rare élégance.
La femelle du cératias – poisson des grandes profondeurs – porte soudés à ses flancs deux ou trois mâles cent fois plus petits qu’elle. Le parasitisme de ces mini-maris est total : fixés au corps de la femelle par leur orifice buccal, ils entretiennent une communication directe entre les deux systèmes circulatoires, faisant en quelque sorte sang commun. Rapidement leur tube digestif, leurs dents, leurs branchies et leur cœur s’atrophient et disparaissent. Le seul organe qui subsiste est un énorme testicule, leur unique raison d’être.
Les animaux hermaphrodites – conçus pour se reproduire seuls – n’en rêvent pas moins d’amours partagées et se donnent parfois beaucoup de mal – comme les oursins – pour réaliser des accouplements que la nature, visiblement, n’a pas prévus. Plus subtils encore, les escargots – eux aussi hermaphrodites – jouent les mâles pendant la première partie de leur vie pour adopter sur le tard le rôle moins fatigant de femelles.
On a longtemps cru que c’était par gloutonnerie que la mante religieuse dévorait son mâle au cours de l’accouplement. On a récemment découvert qu’il n’en était rien. La vérité, c’est que le cerveau du mâle exerce une action inhibitrice sur l’éjaculation du sperme. Si elle veut être fécondée, la femelle n’a donc pour ressource que de broyer entre ses dents la boîte crânienne du malheureux inhibé qui éjacule alors en toute liberté. Un traitement à coup sûr radical de l’impuissance sexuelle.
En regard de tant d’exubérance inventive, les mammifères font figure de tristes benêts. Qu’un éléphant manifeste du goût pour les rhinocéros, et sa photo fera aussitôt l’admiration de tous. Ne parlons même pas des humains murés dans leurs étroits rituels nuptiaux. En dehors de la pilule et de l’avortement, toute fantaisie érotique est à leurs yeux abominable perversion. Comme l’écrivait un écolier : « Les lapins sont d’excellents pères de famille. Ils s’arrachent des poils du ventre pour confectionner un nid à leurs petits. Bien peu d’hommes en feraient autant. »