NOCTURNE
Toute la journée, les visites se sont succédé. Puis la nuit tombe, et il n’y a plus personne. Me voilà seul jusqu’à demain. Avec une joie mêlée d’angoisse, je me prépare à cette traversée de la nuit qui aura ses illuminations, ses pleurs, ses longs glissements dans la paix du corps, les fantasmagories des rêves et la douceur meurtrie des rêveries. C’est un voyage immobile – la tête à l’est, les pieds à l’ouest – où tout peut arriver, l’ange de la mort et celui qui donne l’étincelle créatrice, la lourde et noire déesse Melancholia et l’appel au secours d’un ami ou d’un voisin. Ma solitude nocturne est l’autre nom d’une immense attente qui est celle aussi bien du dormeur que du veilleur.
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Cette nuit, je sens contre mon corps endormi des frôlements d’ailes, des battements furtifs. Je dis : il y a des oiseaux dans mon lit. Des oiseaux ou des chauves-souris. Une voix répond : non, ce sont les âmes des morts du cimetière. Depuis des siècles, elles attendent par milliers derrière le mur.
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J’ai bien dormi, car mon malheur a dormi lui aussi. Sans doute a-t-il passé la nuit couché en boule sur la descente de lit. Je me suis réveillé avant lui, et j’ai eu quelques secondes de bonheur indicible. J’étais le premier homme ouvrant les yeux sur le premier matin. Puis mon malheur s’est réveillé à son tour, et aussitôt il s’est jeté sur moi et m’a mordu au foie.