Au-delà des monts dentelés de roches blanches, Guillaume de Gasquet débouche dans la garrigue sauvage et les landes parsemées de thym. Il peut y enlever le capuchon qui aveugle son faucon en équilibre sur son épaulière de cuir. Il adore chasser seul avec ce rapace, dans ces solitudes brûlées, aux heures matinales. Son faucon s’élève dans le ciel, repère sa proie, un lapin, un lièvre, une perdrix ou un serpent, et fond sur elle pour la crocher entre ses serres et l’assommer de coups de bec. Son maître se plaît souvent à rêver de pouvoir faire comme lui, autant avec les bêtes qu’avec les hommes. En suivant sa course dans les airs, il lui semble alors que son oiseau de proie et lui ne font qu’un.
Ce matin, son plaisir est gâché. Depuis deux semaines, il enrage contre le résultat de la dispute nocturne à la chapelle d’Arques. Le jugement de Dieu et la consumation du parchemin des cathares n’ont réussi qu’à opérer la conversion d’une trentaine d’entre eux. Une misère au regard des dizaines de milliers d’adeptes que compte l’hérésie. Guillaume espérait aussi qu’un tel succès ébranlerait les convictions, sinon de Philippe de Paunac, tout au moins de quelques parfaits, mais rien de tel n’est arrivé. Quant à ce frère Dominique qui semble avoir une emprise de plus en plus grande sur l’évêque d’Osma, il n’a pas voulu non plus reconnaître dans ce petit prodige la manifestation d’une volonté divine, mais un simple phénomène naturel qu’il ne parviendrait simplement pas à s’expliquer. Gasquet regrette que l’Église catholique soit toujours si frileuse et si lente à reconnaître les miracles. Il fulmine contre le fait que, loin d’avoir mis un terme à ces débats publics entre catholiques et hérétiques, l’épisode du vallon d’Arques n’ait fait que les relancer. Ce moinillon de frère Dominique, fort de quelques victoires sur des chefs cathares dans des joutes verbales contradictoires, croit toujours pouvoir reconquérir les âmes perdues par le raisonnement théologique et l’exemple d’une vie de pauvreté. Depuis plusieurs semaines, Gasquet le voit parcourir le pays en prêchant à pied, sans attirail fastueux ni argent, et en ayant recours à la charité, à la manière des apôtres ou des Parfaits cathares eux-mêmes. Protégé par l’évêque d’Osma, et, d’après ce que certains disent, par le pape Innocent III lui-même, il profite seulement, à son avis, des insuccès précédents des cisterciens face aux prédicateurs cathares.
Le seigneur se souvient encore de l’un de ces premiers débats, à l’abbaye de Fontfroide, qui avait vu la déconfiture des prélats du pape, maître Raoul de Fontfroide et le légat Pierre de Castelnau, envoyés en mission par Rome pour scier la branche sur laquelle poussait l’hérésie. Les théologiens cathares – « les pauvres du Christ », comme ils se nommaient alors – avaient eu beau jeu de critiquer le luxe et la concussion de l’Église romaine, et à faire huer par la populace les envoyés du Latran. Par-dessus le désordre et l’énorme brouhaha qui s’en était suivi, Gasquet avait clairement entendu des vilains clamer : « Ce n’est pas Dieu qui fait les belles récoltes, mais le fumier qu’on met dans la terre. » Et aussi : « Pourquoi se prosterner devant une sainte statue ? C’est un homme qui l’a taillée d’un morceau de bois avec un outil en fer. »
Furieux, le seigneur s’était levé et avait violemment pesté contre « cette engeance de vipères, ces apostats du crime, ce mal absolu, ennemi de la Croix, cette boue gluante qui souille le comté de Toulouse ». Mais ses invectives n’avaient servi à rien. Peu de temps après, Dominique et son évêque étaient arrivés d’Espagne. Au cours d’une réunion tenue à Pamiers entre catholiques, les deux religieux avaient déclaré aux seigneurs occitans prêts à en découdre, comme Guillaume, qu’ils allaient reprendre différemment les débats avec les hérétiques et que l’heure n’était pas à la force et à la fermeté, mais à l’indulgence et à la compréhension. Frappés par le contraste entre l’image apostolique qu’offraient les parfaits et celle des prêtres catholiques, Dominique et l’évêque avaient décidé d’employer les propres armes de ces derniers en prêchant dans l’humilité et surtout dans la pauvreté.
Deux jours plus tard, à l’aube, alors qu’il trottait sur son cheval comme aujourd’hui, son faucon préféré posé sur son gant de cuir à l’affût d’une proie, Gasquet avait aperçu Dominique, seul et vêtu désormais de blanc, en palabres dans un champ avec quelques-uns de ses vilains. La transformation du religieux était impressionnante. Il avait quitté sa grande cape de lin noir pour une robe en drap grossier, remplacé sa ceinture de cuir par une simple corde de chanvre, et poussé les signes d’humilité jusqu’à oublier ses chaussures de cuir cousues pour ne porter que de simples sandales. Guillaume ne s’était pas approché, mais il avait su par ses espions que le moine n’avait cessé d’abonder dans le sens de certains paysans à propos des injustes privilèges et des compromissions du haut clergé et des seigneurs.
« Un personnage dangereux, avait jugé Guillaume. Se prendrait-il pour un saint et chercherait-il à se faire canoniser ? Voilà ce que nous envoie Rome pour mettre de l’ordre dans notre monde ! » C’est à partir de là, pour se débarrasser de l’ivraie semée par l’ennemi, qu’il avait décidé de former sa petite armée clandestine de la Confrérie Blanche. Son but était d’éradiquer la racine d’amertume et de combattre les membres de l’Antéchrist. Frayeur et épouvante lui semblaient de bien meilleurs arguments que débats et indulgences, pour empêcher la populace de sombrer dans l’hérésie. Il était clair à ses yeux que, de privations en discussions, Dominique s’épuisait et qu’il prêchait de plus en plus dans le vide. Quant à l’évêque d’Osma, épuisé par son grand âge, il ne résisterait pas longtemps à leurs incessants voyages en terre hostile. La charité chrétienne avait des limites face aux forces du Malin. Pour que l’ordre des choses revienne en pays d’Oc, Gasquet jugeait désormais inévitable que des charniers d’infidèles nourrissent les corbeaux.
Débarrassant son faucon de sa cagoule, le seigneur de Puech détache sa laisse et, de son bras tendu, l’incite à s’envoler. L’oiseau monte dans le ciel et décrit des cercles de plus en plus rapprochés autour d’une tourterelle repérée derrière un bois. Gasquet le voit plonger sur elle, mais brusquement remonter sans sa victime et regagner le poing de son maître. Intrigué par ce comportement inhabituel, curieux de savoir ce qui a pu effrayer son chasseur, Gasquet galope vers le bois et le traverse sans rien y découvrir. Toutefois, en débouchant sur la garrigue en contrebas, il aperçoit les silhouettes de deux hommes affairés au pied d’une charrette : Stranieri et son compagnon au teint olivâtre, penchés, pelle et pioche à la main, devant un grand trou qu’ils viennent de creuser entre deux roches blanches. D’où il est, il distingue parfaitement la tourterelle arrachée des griffes de son faucon, accrochée à la ceinture de Stranieri. Les deux hommes ouvrent un tonnelet, déposent dans la terre un petit sac de cuir rebondi, puis écartent la charrette de l’endroit d’une trentaine de pas avant de revenir vers le trou.
Intrigué, Gasquet s’avance sans se faire voir. Les deux hommes sont tellement concentrés sur leur ouvrage qu’ils ne se soucient pas qu’on puisse les découvrir. Descendant de cheval et laissant son faucon sur le pommeau de sa selle, il approche doucement vers eux pour mieux les observer cependant que le moine asiatique met le feu à une mince cordelette qui dépasse du sac. Aussitôt, les deux hommes courent se mettre à l’abri de rochers. Apercevant soudain le seigneur, Stranieri lui crie de les rejoindre au plus vite. Gasquet ne comprend pas et les regarde avec surprise se jeter à plat ventre. Ignorant leur appel, il préfère marcher vers ce mystérieux sac posé au fond du trou. Il n’a pas fait plus de trois pas qu’un énorme fracas soulève le sol. Un nuage de fumée l’enveloppe, un souffle terrible le renverse, et des blocs de terre retombent sur lui.
Le calme revenu, lorsqu’il parvient à se relever, le visage noirci, ses vêtements déchirés, encore à demi assommé, il titube jusqu’au trou où était posé le sac diabolique. La simple cavité creusée par les deux moines s’est transformée en véritable cratère.
Stranieri se demande bien pourquoi Gasquet, après un interrogatoire serré sur leur expérience explosive, les a forcés, Yong et lui, à marcher une journée entière sous un soleil accablant, Mais, arrivé au faîte d’une colline, il s’émeut de ce qu’il découvre au fond du vallon devant eux. Dans la lumière du couchant, il a tout de suite deviné qu’il s’agissait de cette abbaye silencieuse et secrète dont il a tant entendu parler et qu’il n’a encore jamais vue, Fontfroide ! Nichée au creux d’un terrain peuplé de cyprès, une majestueuse sérénité émane de la flammée ocre et rose des rochers de grès qui l’entourent, comme des pierres de son édifice. Stranieri en est si saisi qu’il s’assied sur une souche d’olivier pour admirer la haute tour carrée et les voûtées d’ogives qui dépassent des courtines. Derrière ses murs, il devine les cloîtres, les cours fleuries et l’élégante simplicité de l’église construite par les cisterciens. Frère Yong, à son côté, semble, lui aussi, impressionné. Gasquet leur déclare :
— L’abbaye de Fontfroide, résidence de Pierre de Castelnau, légat du pape. Une dispute entre catholiques et cathares doit avoir lieu ici dans les prochaines semaines. Suivez-moi, mais n’adressez la parole à personne. Ici, en dehors des prêches et des prières, le silence est de rigueur.
Gasquet semble connu des lieux. Les gardes et les rares moines qu’ils croisent sous les allées couvertes du cloître ne font pas attention à eux. Ils traversent à sa suite un dédale de galeries, de jardins, d’allées et de toits en terrasse. Et, comme Stranieri s’étonne de voir si peu de gens d’Église dans un lieu aussi vaste. Gasquet lui lance un regard triomphant.
— Un effet de plus de l’hérésie cathare : les apôtres de Satan embrument les esprits, détournent les vocations et vident nos abbayes.
Du sommet de la tour carrée où il les a conduits, tout en haut du cloître, le seigneur désigne à leurs pieds une allée qui traverse un jardin.
— En sortant de la salle des convers pour rejoindre la salle capitulaire, le frère Dominique et l’évêque d’Osma passeront par cette allée. C’est de cette coursive que vous jetterez votre « bombe » sur eux.
Yong reste impassible. Stranieri se contente de remarquer :
— Tu te crées des complications inutiles, quand il te serait si simple de faire tuer Dominique sans témoin.
— J’y ai déjà pensé, mais l’effet ne serait pas le même. L’assassiner ici, à Fontfroide, dans un lieu sacré, voilà l’idée de génie ! On en parlera dans toute la chrétienté. Les cathares seront mis au ban du genre humain. Nous aurons les mains libres pour les anéantir du premier jusqu’au dernier. Il ne faut pas qu’un seul d’entre eux subsiste et puisse rappeler leur souvenir. Leurs enfants aussi sont dangereux. Ils ne nous pardonneraient jamais d’avoir exterminé leurs parents. Il faut donc les détruire, eux aussi. Qu’en penses-tu ?
— Ce n’est pas mal vu, en effet. Mais comment expliqueras-tu la bombe ? Il y a fort à parier que personne ne comprendra ce qui est advenu.
Le visage de Gasquet s’éclaire d’un sourire.
— Cela passera pour une sorcellerie des cathares qui n’en paraîtront que plus habités par le Malin.
Il fixe de nouveau les deux hommes quelques secondes, puis demande à Stranieri :
— Puisque ton acolyte ne peut pas parler, tu vas jurer pour lui et pour toi, sur Dieu, le Saint-Esprit, Jésus Christ et la Vierge Marie, que vous obéirez à mes ordres, et que le pape n’en saura rien.
— Comment un homme d’Église pourrait-il jurer ? tergiverse Stranieri.
Gasquet se saisit de Yong et le pousse soudain dans le vide, en le maintenant seulement par un bras. Stranieri esquisse un mouvement, mais il se fige, sentant qu’il vaut mieux ne pas bouger, de peur que Gasquet lâche sa prise. Le seigneur le regarde ironiquement.
— Je m’impatiente, frère Stranieri.
— Je le jure, se résigne celui-ci.
— Sur Dieu !
— « Sur Dieu ».
— Le Saint-Esprit !
— « Le Saint-Esprit. »
— Jésus-Christ !
— « Jésus-Christ. »
— Et la Vierge Marie !
— « Et la Vierge Marie. »
Gasquet, satisfait, remonte Yong sur la coursive et se tourne vers Stranieri :
— Tu vois, quand tu veux ! lui lance-t-il.
Les trois hommes traversent à présent, avant de ressortir, une succession de salles obscures à peine éclairées par la faible lueur des bougies, et dans lesquelles prient des frères en robe noire. Stranieri s’attarde sur des mimiques que lui fait Yong. Gasquet, qui la surprend, s’en agace.
— Que dit ton homme jaune ?
— Que, si nous jetons notre bombe de là-haut sur le frère Dominique et l’évêque d’Osma, ils ne seront pas les seuls à être tués.
— Encore mieux ! Plus le carnage sera grand, plus vite le pape sera obligé de déclarer la guerre aux hérétiques.
Ils pénètrent dans le scriptorium, où trois moines, penchés sur leurs écritoires de bois, bésicles sur le bout du nez, la plume à la main, recopient et enluminent des écrits saints. Gasquet s’arrête derrière l’un d’entre eux et observe un moment son travail.
— N’est-ce pas magnifique ? demande-t-il à Stranieri, plein d’une admiration non feinte.
Stranieri hoche la tête affirmativement et continue de regarder la main du moine emplir d’une fine couche d’or le creux d’une majuscule. Gasquet semble plongé dans la contemplation de ce travail. Son regard suit les lettrines majuscules, aux couleurs chatoyantes rehaussées d’or, qui s’étirent sur toute la hauteur de la page. À côté de l’enlumineur, un autre moine s’affaire avec un pinceau à humecter la colle passée la veille sur une feuille de parchemin, puis à y poser une feuille d’or et à la presser fermement, avant d’en détacher les fragments inutiles à l’aide d’une brosse douce. Gasquet se glisse derrière le troisième moine qui, sur une feuille achevée, polit une enluminure d’or avec une dent de loup fixée sur un pinceau. Le seigneur de Puech murmure, comme pour lui-même :
— Notre devoir de chrétien n’est-il pas d’empêcher ces hérétiques de détruire ces vérités sacrées ?
L’espion du pape ne répond pas. Ce seigneur ne serait donc pas une brute pure et simple, mais éprouverait de l’émotion en face de ce qu’il considère comme une « vérité sacrée » ? De nouveau, comme pendant l’épreuve du feu subie par son parchemin truqué, le dégoût envahit Stranieri. La « vérité sacrée » ! Il pense soudain que le pouvoir que l’homme a d’adorer est le plus grand responsable de ses maux. Et en tout cas de ses méfaits, de ses trahisons, de ses crimes, de ses plus épouvantables massacres. Car celui qui aime d’un amour fou va nécessairement obliger tous les autres à le suivre. Et s’ils s’y refusent, que fera-t-il ? Saisi de la peur de s’être trompé, il préférera les exterminer. Décidément, rien n’est pire que l’enthousiasme ou la passion. Seules la froideur et l’indifférence peuvent éviter à l’homme de devenir une bête sauvage. On ne fait que tuer, au nom de la Vérité, et probablement encore plus lorsqu’on la dit « sacrée ». Gibets et cachots fleurissent à son ombre, et les gémissements des mystiques en extase ressemblent un peu trop à ceux des victimes de leurs autodafés. Les esprits hésitants sont moins pernicieux que ceux emplis de certitude, et les languides moins dangereux que les volontaires. Car les sceptiques ou les fainéants ont au moins l’avantage de ne rien proposer. Au fond, contrairement à ce que l’Église enseigne, le doute et la paresse ne seraient-ils pas des vices plus nobles que toutes les vertus ? s’interroge l’espion du pape.
Il sent une main se poser sur son épaule et sursaute. Gasquet lui sourit.
— La vraie finesse serait, bien sûr, que le « bon homme » que nous accuserons d’avoir commis cet attentat se déclare lui-même coupable.
Interrompu dans ses réflexions, Stranieri met quelques secondes à réagir.
— Tu demandes vraiment l’impossible ! soupire-t-il.
Suivi de Guiraud, Guillaume de Gasquet franchit la dernière marche de l’étroit escalier des caves du château de Puech et s’enfonce avec lui dans l’obscurité humide des oubliettes creusées dans le roc, là où l’on enferme des prisonniers de droit commun ou quelque baron adverse défait dans une de ces petites guerres intestines du pays. Guiraud peste intérieurement de salir ses habits aux plaques de salpêtre qui suintent du roc. Une odeur insolite monte vers eux, une odeur poivrée, étonnante dans un tel lieu. Une faible lueur s’échappe d’un soupirail barré de montants de fer, à côté d’une porte solidement cloutée et verrouillée.
— L’avantage de cet endroit, fait remarquer Gasquet, c’est qu’on n’est pas obligé d’y poster un homme d’armes pour garder ceux qu’on y enferme. Ainsi les secrets y sont-ils bien gardés. Jette un coup d’oeil.
Guiraud s’agenouille pour regarder à travers le soupirail.
— J’ai mis à la disposition de ces « hôtes » dont tu te méfies tant tout ce qu’il faut pour réaliser cette chose diabolique dont je t’ai parlé, qu’ils appellent leur « bombe » et qui te stupéfiera.
Guiraud constate que, dans la salle souterraine, l’étrange moine à la face de lune travaille à la lueur de torches, mélangeant méticuleusement sur un long plateau de bois des petits tas de salpêtre à d’autres, de poudre noir et jaune, sur lesquels il effrite des brins de charbon de bois. Près de lui, le faux troubadour, qui a quitté son costume de baladin, semble absorbé dans une série de calculs qu’il consigne sur un parchemin.
Guiraud se relève et époussette ses chausses.
— Je veux bien croire à la réussite de leur « bombe », mais comment peux-tu espérer produire devant l’opinion un cathare qui se laisserait accuser d’un tel forfait ?
— Stranieri m’a déjà posé la question, et j’y ai réfléchi. Une fois leur travail terminé, c’est à lui que je demanderai de s’introduire chez les hérétiques et de nous trouver un individu assez excité et stupide pour entrer dans notre affaire.
— Pourquoi lui ?
— Parce que aucun des nôtres ne réussira aussi bien à tromper nos adversaires en se faisant passer pour l’un d’eux.
— Et qu’est-ce qui te fait croire qu’il le pourra ?
— J’ai pris mes renseignements sur lui. Il est bien l’homme auquel je pensais. C’est un espion d’Innocent III. Il a réussi des missions bien plus difficiles que celle-là.
— Qui t’assure qu’il ne nous trahira pas ?
— Je l’ai fait jurer devant Dieu, le Saint-Esprit, Jésus et la Vierge Marie.
Le visage de Guiraud affiche une moue de dédain amusé.
— Crois-tu vraiment que ce soit une garantie suffisante ?
— Non. Mais je garderai son Chinois en otage. Il a l’air de tenir à lui.
Guillaume de Gasquet dégaine sa dague et, avec un geste éloquent, passe la lame devant sa gorge.
— Cette lame ne s’est pas désaltérée au sang d’un félon depuis longtemps. Ce Stranieri sait que je ne suis pas homme à plaisanter. Il ne voudra sûrement pas que j’ajoute une autre bague à l’un de mes doigts.