CHAPITRE IX
L’astronef à forme d’entonnoir planait à cinq cents kilomètres de la Terre. Les écrans extérieurs ne montraient aucune image. En revanche, Conor était en communication avec la base lunaire. Son visage trahissait la déception.
— Je suis navré, PZ.27. Vingt habitants de S.03 se trouvaient à portée de nos mains. Nous les aurions emmenés sur le satellite. Mais des policiers en cagoule sont intervenus. Immédiatement, Joe Maubry et Joan Wayle se sont portés à leur rencontre, avec l’intention de leur ôter leurs vêtements étanches. Ils sont parvenus à dévêtir l’un d’eux, que nous avons immobilisé par rayonnement IT.102. Mais les deux Terriens ont succombé sous le nombre.
Conor s’était fait greffer la voix d’un Hindou, et il parlait sur un ton un peu aigrelet. Réglus et Irès disposaient aussi de cette faculté d’expression, et ils avaient rapidement établi un dialecte commun, celui qu’ils utilisaient déjà précédemment sur les ardoises. Un vocabulaire assez riche, purement conventionnel, créé pour les besoins, et que tous les Yors comprenaient.
Naturellement, au début, la parole sortait avec difficulté des lèvres des Yors. Mais ceux-ci s’adaptaient très vite et accomplissaient d’énormes progrès.
Osteh, encore aphone, montra son ardoise à la caméra.
— Faisons-nous oublier momentanément, et rentrez à la base.
— Très bien, PZ.27.
Conor coupa la communication. Il haussa les épaules et se tourna vers Héphar.
— Vous avez entendu ? Ou plutôt, vous avez lu ? Puisque Osteh ne possède pas encore un organe vocal. Nous rentrons.
— Vous semblez déçu, Conor. Terriblement déçu. Je comprends.
— Lorsque j’ai suggéré à Osteh d’utiliser les organes vocaux de Joan Wayle et de Joe Maubry, il a imaginé autre chose. S’il m’avait écouté, Réglus et Irès auraient la voix des deux Terriens. Sans doute est-ce là une considération bien mineure sur laquelle je ne m’attarde pas. Par contre, l’idée de collaboration ne m’a jamais emballé.
— Pourtant, argua Héphar, Maubry et Joan Wayle se sont montrés précieux, en plusieurs circonstances. Leurs conseils ont grandement facilité notre tâche. Ces excellents auxiliaires étaient dévoués à notre cause.
— Oui, grâce à la psycho-induction. Ils agissent par servitude, par force, non par gré. Nous nous serions passés d’eux. Ils ont été capturés par leurs semblables, et vous ignorez qu’ils n’ont subi aucun lavage de cerveau. Ils en savent donc long sur notre compte, et leur capture signifie la fin de notre incognito. Désormais, toute la planète S.03 apprendra notre existence.
Héphar tenta de minimiser les craintes de Conor.
— Bah ! Qu’importe ? De toute manière, les Terriens restent incapables d’entraver notre Plan. Nous pouvons nous poser sur n’importe quel point de la planète sans qu’ils puissent nous en empêcher. Vous le savez bien.
— Vous avez probablement raison. N’empêche. C’est dommage. Osteh nous a toujours recommandé la plus extrême prudence, la discrétion absolue.’ Et voilà qu’à cause de deux Terriens, notre sécurité, si elle ne reste pas compromise, devra faire l’objet de précautions encore plus accrues.
— Je pense que vous n’envisagez pas le retour prématuré sur Yor ? dit Héphar, d’une voix angoissée. Le Plan, votre Plan donne actuellement son plein succès, son plein rendement. Un contingent de savants est reparti pour Phodis, doté d’un organe de la parole. Notre langage est né. Nous ne pouvons pas abandonner.
— Vrai, reconnut Conor. La langue yor existe, désormais. Elle existait déjà écrite. Abandonner le Plan signifierait notre suicide. Nous avons un besoin impérieux de nous exprimer. Mais Osteh nous rappelle, sans doute pour de nouvelles consignes. Rentrons.
L’engin cosmique perdit son immobilité et, à une allure prodigieuse, il fonça vers la Lune.
*
* *
— Ah ! Enfin, vous vous réveillez ! s’exclama Manuel Robeson, penché au-dessus du lit de Joe Maubry.
Tolby était là aussi, avec Mac Korner. Joe constata qu’il se trouvait dans une chambre seule, neuve, où flottait un discret parfum d’antiseptique. Par la vaste baie, il apercevait les terrasses de Fairbanks, recouvert par un ciel gris.
— Où suis-je ? demanda le reporter. J’ai un affreux mal de tête.
— A l’hôpital, apprit Mac Korner. Vous avez dormi toute la nuit, grâce au soporifique administré par l’un de mes hommes. Vous vous souvenez ? Dans la forêt. Vous étiez agressif. Je suis désolé, j’ai dû sévir.
— Oui, je me souviens vaguement : des corps étendus… Le brouillard. Mais Joan ?
Un large sourire illumina le visage du gros Robeson.
— Rassurez-vous. Elle dort dans une chambre à côté. Je pense que je ne repartirai pas pour Washington les mains vides : Tolby a amené sa caméra.
— Ah ! Sam ! dit Joe, serrant la main de son collègue. Pauvre vieux ! Les Yors vous ont amoché.
— Les Yors ? répéta Mac Komer, le cou tendu.
Le chef des services d’informations générales, à la T.V. américaine, donna un grand coup de coude dans les côtes de Tolby.
— La caméra ! Grouillez-vous.
Sam déballa son outil de la sacoche qu’il portait en bandoulière. Il braqua l’objectif sur le lit et le ronronnement du moteur apprit que le film était commencé. Gros plan sur Joe. Puis un léger recul. Vue de trois quarts, avec Robeson et Mac Komer dans le champ.
Maubry tenait le micro et retrouvait toute sa verve. Son mal au crâne s’apaisait.
— Oui. Ces gars-là ressemblent comme deux gouttes d’eau aux Terriens. Seulement, ils ont la peau épaisse, lardée, d’un rouge écrevisse. Ils sont télépathes, ou plutôt, ils l’étaient. Car leurs facultés se sont émoussées au cours des années et, maintenant, ils en sont arrivés à s’exprimer par écrit. Ils écrivent, au lieu de parler, comme vous le faites, Tolby. Parce que la nature n’a pas donné aux Yors un organe de la parole.
— Comment savez-vous tout cela ? s’étonna Mac Komer.
— Joan et moi avons passé sous une machine à psycho-induction. Nous étions privés de volonté. Avant de nous relâcher, les Yors auraient lavé de notre cerveau tout ce que nous avions appris sur eux. Par bonheur, capitaine, vos hommes nous ont soustraits au rayonnement et, de ce fait, ce que nous avons appris subsiste.
Tolby prit un nouveau gros plan et saisit une expression de Maubry. En vitesse, la caméra effectua le tour de la chambre, se posant sur des objets divers, familiers : une boîte de gâteaux, des fruits, apportés par Robeson.
Ce dernier écrasa son corps sur une chaise.
— Quelles intentions ces créatures nourrissent-elles ?
— Elle espèrent toutes se doter d’un organe de la parole. Cela signifie que des milliers, ou des millions de Terriens seront capturés, emmenés sur la Lune, opérés, et rendus complètement aphones, définitivement. Tout cela, pour satisfaire une imperfection de la nature.
— Monstrueux ! hoqueta le patron de Joe, à bout de souffle. Qu’est-ce qu’on peut faire ?
— Pas grand-chose. Conor et son équipe peuvent se poser sur n’importe quel point de la planète, sans que nous y puissions rien, et capter psychologiquement autant d’individus qu’ils le désirent. Au début, ils se sont contentés de capter des sons, puis des voix humaines, afin de les étudier minutieusement. Leur Plan s’échelonne sur un temps considérable et, pour le réaliser, ils ont édifié sur la Lune une base permanente, véritable centre de la greffe. Leurs biochirurgiens travaillent en équipes, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, et les implants, prélevés chez les Terriens, sont conservés par réfrigération jusqu’à ce qu’ils soient greffés sur leurs destinataires.
— Donc, résuma Mac Korner, sidéré par la nouvelle, tous les Yors transiteront sur la Lune ?
— Oui, tous, sans exception. Ils possèdent une extraordinaire civilisation aux côtés de laquelle la nôtre fait piètre figure.
— Mais enfin ! s’emporta le policier, il existe bien une faille dans leur système de défense ! Une faille par où nous pourrions nous introduire. Nous ne pouvons demeurer les bras croisés !
La main de Joe se crispa sur le micro.
— Ne comptez pas battre les Yors sur le plan purement militaire, capitaine. Notre puissance de feu ne peut s’opposer à la technique, à la science. Certes, si nous pouvions rencontrer les Yors, nous les détruirions. Mais ils resteront invisibles, hors de portée de nos armes. C’est là le drame. Or des millions d’individus vont devenir infirmes et nul ne sait où Osteh frappera. La Chine, l’Inde, l’Amérique, l’Europe… Des réservoirs d’hommes, il en existe partout.
Le téléreporter se leva et passa une robe de chambre. Il donna le micro à Robeson et mangea quelques gâteaux. La satisfaction éclaira son visage.
— Fameux ! C’est vous qui avez pensé à moi, patron ?
Tolby stoppa sa caméra. La séquence n’intéressait plus les téléspectateurs. Joe, d’un coup, semblait étranger à tout ce qui se passait autour de lui, aux conséquences de l’arrivée des Yors sur la Lune. Un désir s’insinua en lui.
— Vous permettez ? J’aimerais prendre des nouvelles de Joan.
— Porte à côté ! grommela Mac Korner qui aurait aimé en savoir davantage sur les créatures extra-terrestres.
Maubry sortit dans le couloir et pénétra dans la chambre voisine. Il se pencha vers Joan et l’embrassa.
— Oh ! chérie… Nous avons vécu un cauchemar.
— Joe ! pleurnicha la jeune fille. Scriber vient de sortir. Crois-tu que nous ne serons plus inquiétés par Conor ?
— Non. Réalises-tu la gravité des conséquences qu’entraînera nécessairement le Plan des Yors ?
Joan se voila la face de ses mains. Elle sanglota, car ses nerfs craquaient.
— C’est affreux !
— J’ai peut-être une idée. Une idée qui seule doit réussir. L’épreuve de force, même à l’échelle mondiale, montrerait notre faiblesse. Mais, pour la réaliser, j’ai besoin de Climber.
Au même moment, Manuel Robeson recevait des mains de Tolby le film tourné dans la chambre de Maubry. Il ne perdait pas de vue qu’il dirigeait le service des informations générales et qu’une émission d’actualités ne se réalisait pas sans documents.
— Je file poster la bobine par exprès, dit-il, fébrile. Aux studios, ils l’auront avant mon arrivée. D’ailleurs, je ne resterai pas une minute de plus dans ce pays. Il fait un temps de chien !
Des flocons de neige heurtaient silencieusement les vitres et ensevelissaient Fairbanks. Malgré sa jovialité apparemment retrouvée, Robeson restait préoccupé. Non pour son reporter, récupéré en bonne santé. Mais pour l’avenir de la Terre. Cette chère vieille Terre, à la merci d’Osteh et de Conor.
*
* *
La fusée américaine, porteuse du satellite, atteignit parfaitement son objectif. L’engin orbita entre quatre cents et cinq cents kilomètres de la Terre. Au sol, les détecteurs habituels suivaient parfaitement sa course.
Le lancement de ce nouveau satellite passa inaperçu du grand public. Les journaux, la radio et la télévision n’en parlèrent pas, car les promoteurs de cette expérience gardaient le secret.
Harold Climber apprit la réussite du lancement. Aussitôt, il se rendit au quartier général de la police fédérale, à Fairbanks. Mac Korner, en compagnie de Maubry et de Joan Wayle, y tenait un conseil de guerre permanent. C’est-à-dire que ses hommes étaient en état d’alerte vingt-quatre heures sur vingt-quatre.
— Ça y est ! triompha le physicien, débouchant en trombe dans le bureau de Mac Korner. Mes appareils détecteurs, logés dans le satellite, tournent autour de la Terre. Je viens d’en recevoir confirmation par la base de lancement de Floride.
— O.K., dit le capitaine. Répartis sur la surface du globe, des centres d écouté restent aux aguets, et dès que vos appareils décèleront la fameuse vibration émise par les Yors, nous serons immédiatement prévenus.
— Je crois, assura Maubry, que nous pouvons avoir confiance. Conor se posera à nouveau quelque part sur un point de la planète. Car, sur la Lune, les biochirurgiens de Phodis ont absolument besoin d’implants.
— Nous sommes prêts à partir pour n’importe quelle région du globe, fit Mac Korner. Prévenus des dangers qui menacent les peuples, tous les gouvernements sont décidés à nous faciliter la tâche. D’ailleurs, une séance de travail ultra-secrète s’est déroulée au siège de la Confédération des Nations. Il y était question des Yors, et le problème abordé réunit aussitôt l’unanimité chez les membres de la C.N. La lutte s’organise et, dans chaque pays, même le plus petit Etat, des équipes sont prêtes à se porter sur n’importe quel point de leur territoire national. Nous rencontrerons partout de la bonne volonté et une collaboration sans limite. Pour un certain temps, les affaires courantes semblent reléguées au second plan.
L’attente commença, fébrile. A Fairbanks, quartier général de la lutte, l’anxiété atteignait son paroxysme, car on redoutait toujours une riposte inattendue des Yors. Quelque chose d’imprévisible.
Joe avait su décider Harold Climber. Il n’était plus possible de laisser impunément Conor exercer des ravages parmi les masses populaires. Les Yors capturaient des individus en parfaite santé et ils rendaient des infirmes. Des infirmes incurables. Or, des gens sensés ne pouvaient permettre que des millions d’hommes, de femmes soient ainsi livrés aux mains d’une race extra-terrestre. Il convenait de réagir.
L’idée de Maubry avait finalement convaincu Climber et celui-ci, fort de son appartenance à l’Académie des Sciences, avait trouvé un écho favorable auprès du gouvernement américain. Le feu vert avait été donné pour qu’un satellite soit lancé, porteur d’appareils de détection.
Après plusieurs jours d’attente, la nouvelle arriva d’Union Soviétique. Le centre d’écoute de Iakoutsk signalait que le satellite décelait une onde de fréquence inhabituelle, au-dessus de la Sibérie orientale.
Immédiatement, Climber se mit en rapport avec le centre, où les techniciens russes lui donnèrent toutes les précisions indispensables.
— Aucun doute, affirma le savant. Il s’agit de la même vibration que j’avais captée à Fairbanks.
— Rayonnement IT.102 ! murmura Joan, très pâle, évoquant de douloureux souvenirs. Les malheureux ! Combien sont-ils, atteints par les ondes bio-psychiques, rassemblés en troupeau, guidés, captés, amenés jusqu’à l’astronef à forme d’entonnoir ? Arriverons-nous à temps ?
Mac Korner donna des ordres :
— Prévenez l’aéroport. Nous partons dans dix minutes pour la Sibérie !
Un stratocruiser spécial attendait Maubry et ses compagnons depuis des jours. La perte de temps se limitait donc au minimum. L’engin quitta Fairbanks et fonça vers le continent asiatique.
— Dommage que nous ne puissions repérer l’astronef des Yors ! soupira Mac Korner. Car nos avions l’auraient bombardé.
— Il est indétectable au radar, rappela Joe. D’autre part, Conor s’arrange toujours pour poser son engin dans un endroit inaccessible à la vue. Au cœur d’une forêt, par exemple. Il prend d’élémentaires précautions.
— Evidemment ! grogna le capitaine. Il se méfie. C’est donc qu’il ne se sent pas aussi invulnérable que nous le supposons.
Le stratocruiser, très rapidement, après avoir survolé l’Europe à très haute altitude, se posa sur l’aéroport international d’Irkoutsk, près de la frontière chinoise. Là, des hélicoptères de la police soviétique attendaient nos amis.
Le capitaine Ordamski commandait le détachement, et il parlait parfaitement l’américain.
— Je suis à votre entière disposition, messieurs. Mes hommes possèdent tout le matériel nécessaire et mes hélicos sont munis de projecteurs supplémentaires qui leur permettraient éventuellement d’effectuer des recherches, la nuit, en toute efficacité.
Maubry et ses camarades apprécièrent la corpulence des policiers russes. Tous de solides gaillards, vêtus de fourrure et armés jusqu’aux dents.
— Eh bien ! décida Maubry, en route pour le centre d’écoute d’Iakoutsk.
Les six hélicoptères s’élevèrent dans les airs et, de toute la vitesse de leurs turbines, ils filèrent vers le nord. Ils survolèrent des steppes gelées. Des plaines immenses, couvertes de neige, où l’on ne décelait pas la moindre habitation, la moindre ville. Un désert vertigineux.
Enfin, les engins arrivèrent à Iakoutsk, centre de télécommunications spatiales. Les techniciens donnèrent les dernières nouvelles. Ils captaient toujours la vibration émise par l’émetteur IT.102 que leur retransmettait fidèlement le satellite. Ils avaient même localisé exactement le foyer d’émission : Verkhoïansk, à sept cents kilomètres plus au nord.
— Dépêchons-nous ! clama Maubry. Malgré notre rapidité d’action, j’ai toujours peur que Conor ne prévienne nos intentions et ne s’échappe en direction de la Lune. Il est évident qu’il se trouverait hors de portée, et si Osteh a décidé d’installer la base sur la Lune, il savait bien pourquoi.
Les hélicoptères prirent le chemin du nord. Mais la nuit les surprit alors qu’ils étaient encore à deux cents kilomètres de Verkhoïansk.
Ordamski parut contrarié.
— Nous ne pourrons guère commencer les recherches que demain matin.
— Des heures de perdues ! gémit Joe. Vous ne connaissez pas Conor et Héphar. Ils regagneront la Lune sitôt chargé le contingent de Sibériens. Or, demain matin, il sera peut-être trop tard.
Mac Korner, qui partageait la fébrilité du téléreporter, essaya de contaminer le Soviétique :
— Comprenez, capitaine, la nécessité d’une action immédiate, quelles que soient les conditions atmosphériques. L’occasion ne se représentera pas avant plusieurs jours. Or, vingt ou cinquante Sibériens vont être déportés sur la Lune. Vos compatriotes ! Ils reviendront infirmes, muets. Acceptez-vous cela ? Nous pouvons les sauver.
Les arguments semblaient assez convaincants pour qu’Ordamski se rangeât à l’avis de son collègue américain.
— Comme vous voudrez ! Mais la nuit va gêner notre action.
— Au contraire, rectifia Joe. Je sais exactement ce qui va se passer. Je connais le processus habituel, puisque j’y ai assisté, avec Joan. Les ténèbres ne peuvent que faciliter notre tâche. Voilà ce que nous allons faire…
Le reporter développa son plan qui fut aussitôt accepté par Mac Korner et Ordamski. A moins de cinquante kilomètres de Verkhoïansk, les policiers, Climber et les journalistes revêtirent tous, sans exception, des combinaisons antiradiations. Ils s’abritaient ainsi du rayonnement IT.102, certains de l’efficacité de cette méthode.
Les hélicoptères poursuivirent leur route vers la cité sibérienne, mais il avançaient au radar, tous feux éteints. Lorsqu’ils survolèrent l’immense forêt, au nord de la ville, ils s’éparpillèrent.
Climber, en communication avec le centre d’écoute d’Iakoutsk, assura que l’astronef des Yors se trouvait toujours au cœur de la forêt, du moins l’émetteur du rayonnement IT.102, ce qui revenait au même.
Un doute s’insinua chez Ordamski.
— Les étrangers doivent déceler le bruit de nos turbines.
— Possible, admit Maubry, mais Conor ne s’attend sûrement pas à une entreprise d’envergure de notre part. Il croit à une patrouille de routine, d’autant que, avec les ténèbres, il ignore la véritable origine des bruits qu’il capte. Enfin, il sait que, en cas de nécessité, son astronef l’emportera vers la Lune sans que nous puissions l’en empêcher. Son assurance l’emmène même à la limite de la prudence.
Les échelles de corde pendaient au bout des hélicoptères, et, comme des singes, les policiers soviétiques descendirent vers le sol, dans la nuit complète, sans lune. Curieux spectacle que ces hommes en cagoule, suspendus entre ciel et terre.
Environ une cinquantaine d’hommes se répandirent à travers la forêt, selon un plan établi. Ils avaient l’ordre de se rabattre vers le centre et de signaler immédiatement la moindre anomalie.
Mac Komer, Maubry, Joan Wayle, Climber et Ordamski, tapis dans un hélicoptère, attendaient un signal pour se porter au point névralgique. Enfin, un renseignement parvint à Ordamski, émanant d’un de ses hommes.
— Nappe de brouillard décelée ! apprit l’officier russe.
Le visage de Joe s’anima. Il tenait sa chance.
— Allons-y. Nous n’avons pas une minute à perdre.
L’engin se porta au-dessus de la nappe de brume, un homme, au sol, guidant le pilote par phonie. Nos amis, immédiatement, descendirent par l’échelle de corde et rejoignirent le policier qui avait découvert le précieux indice.
— N’éclairez pas encore vos lampes, décida Maubry.
Ils avancèrent donc dans les ténèbres, dans l’épais brouillard. Ils butèrent contre les premiers corps étendus, des Sibériens de Verkhoïansk. Puis, brusquement, ils découvrirent les Yors.
Héphar et Réglus passèrent près d’eux sans les déceler. Ils ne portaient aucun scaphandre, puisque l’atmosphère terrestre convenait à leurs poumons.
Ils se penchaient sur les corps inanimés, endormis, et ils les soulevaient légèrement. Mystérieusement, les masses de chairs amollies par le sommeil demeuraient suspendues, comme par un fil invisible. Puis, lentement, très lentement, elle perdaient leur immobilité et se déplaçaient, rigides, à quelques centimètres du sol, toutes vers un point commun, central.
— Ondes porteuses ! expliqua Joe à Mac Korner qui ouvrait un regard démesuré et croyait rêver. Les corps s’acheminent vers l’astronef où Irès et Conor les réceptionnent… Vous êtes prêt, capitaine ?
— O.K.
Les silhouettes se mouvaient dans le brouillard et s’apparentaient à des fantômes. Ensemble, Maubry, Mac Korner, Ordamski et plusieurs policiers venus les rejoindre, bondirent.
Héphar et Réglus, surpris par l’attaque, hurlèrent. Le premier, Héphar se trouva renversé, écrasé par le poids des hommes. Mais Réglus, plus agile, s’extirpa des mains qui s’agrippaient à lui. Il s’échappa et disparut dans les ténèbres, la brume.
Une voix, celle de Joe, cria :
— Lumière, bon Dieu ! Lumière !
Toutes les lampes frontales des combinaisons étanches s’allumèrent en même temps. Le brouillard et la niait reculèrent, et la clarté inonda le théâtre du combat fantomatique. Le combat de la dernière chance. Mais rien, encore, n’était joué.