CHAPITRE VII











Les Yors avaient édifié leur base au fond d’un cirque. Une base toute préfabriquée, construite par éléments. Plusieurs bâtiments hémisphériques, gonflables, reliés par des tubulures rigides. Les matériaux employés ressemblaient à du plastique, par leur légèreté, leur souplesse, leur opacité. En réalité, il s’agissait d’une substance découverte par les chimistes de Phodis. Une matière synthétique, résistante aux météorites, à la chaleur, au froid rigoureux, aux pressions.

Dans un laboratoire encombré d’appareils hétéroclites, Conor devisait avec le responsable de la sécurité, le chef de la base, celui qu’on appelait PZ.27, Osteh.

Il ne se différenciait guère des autres Yors, à qui on ne donnait pas d’âge. Il avait beaucoup de prestance, et ses gestes étaient lents, solennels. Sur lui pesait une lourde responsabilité.

Divers écrans, placés aux quatre coins de la pièce, montraient des vues extérieures. Un ciel noir, piqueté d’étoiles, et une grosse masse en suspension, légèrement bleuâtre : S.03.

Les deux Yors échangeaient leurs impressions à l’aide des ardoises habituelles. Pourtant, ils n’étaient pas d’accord.

— Il faudra des milliers, et même des millions d’habitants de S.03 pour parvenir à nos fins, écrivait Osteh. Ne l’oubliez pas.

— Cela ne modifie en rien nos projets. Nous avons pleinement réussi et, au lieu de vous réjouir, vous manifestez un pessimisme exagéré. Je ne vous comprends pas, Osteh.

— La phase 4 du Plan s’est achevée par un triomphe, reconnut le chef de la base. J’en conviens. Mais cette phase ne représente qu’une infime partie de notre but. Avez-vous songé à la difficulté de vous procurer des milliers, ou des millions d’individus ?

— Ah ! C’est cela qui vous préoccupe ! soupira Conor. Toutes les difficultés s’aplaniront, car nous possédons des techniques supérieures à celles des habitants de S.03. Avez-vous remarqué avec quelle facilité dérisoire nous avons capturé le couple que nous détenons actuellement, et qui permettra à Réglus et à Irès de s’exprimer autrement qu’en écrivant ?

Le promoteur du Plan s’avança devant un clavier et manipula des touches numérotées. Aussitôt, un écran du circuit intérieur s’éclaira. Il montra Joan et Maubry, allongés sur des couchettes, immobiles.

— Voyez, dit-il, extrêmement satisfait.

Osteh hocha la tête. Il imaginait les choses selon une optique plus large, à plus longue échéance. Le succès ne le grisait pas.

— Des cas isolés ne prêtent pas à conséquence dans une communauté de plusieurs milliards d’individus. Mais si ces cas se multiplient, l’attention sera attirée. Les habitants de S.03 réagiront.

— Par quels moyens ?

— Nous l’ignorons. Nous ne sommes jamais à l’abri d’une surprise.

— Alors, votre idée ? demanda Conor, amusé, légèrement ironique.

— Je pense au couple qui apparaît actuellement sur l’écran. Un appât de choix. Si nous lui ôtons le moyen de s’exprimer, il perdra toute son utilité.

— Vous comptez sur lui pour attirer ses semblables ?

— Exactement. Nous pouvons très bien, par induction mentale, lui dicter des ordres précis et utiliser ses compétences. Reste à mettre au point le projet définitif.

Rageur, Conor enfonça un bouton, et les deux reporters disparurent de l’écran. Il marcha de long en large dans le laboratoire, le front pensif. Visiblement, la contrariété l’assaillait.

— C’est fâcheux. J’ai promis à Réglus et à Irès qu’en récompense des services rendus, ils seraient les premiers opérés.

— Bah ! remarqua le chef de la base, ils ont attendu des années. Ils attendront quelques jours, même quelques heures de plus. D’ailleurs, rien n’empêche qu’ils soient opérés en priorité… Mais vous, Conor ?

— Moi ? Eh bien ?

— Je croyais que vous aviez hâte de subir la greffe. Auriez-vous des doutes sur des résultats plus lointains ?

— Nullement. La greffe équivaut à un succès remarquable et l’organe implanté donnera toute satisfaction. Je ne crains pas un échec à lointaine échéance. Mais, en tant que promoteur du Plan, je serai le dernier, ici, à me doter d’un organe de la parole. Comme le capitaine d’un navire en perdition qui n’abandonne son bord qu’à l’ultime seconde. Vous passerez avant moi, Osteh. Vous et tous vos techniciens.

— Admettons, dit le chef de la base lunaire. Je vous félicite pour cette abnégation. Mais le problème ne s’en pose pas moins avec acuité. Il faudra des millions d’habitants de S.03 pour doter tous les Yors d’un organe vocal.

— Prévenez Phodis, suggéra Conor. Le premier contingent peut se présenter sur le satellite. En attendant son arrivée, nous conserverons les implants. La conservation ne nuit en rien à la greffe.

— Bien. Mais pour le couple actuellement en notre pouvoir ?

— Décidez, Osteh. En définitive, vous pourriez parfaitement vous passer de mon avis. Je suis le promoteur du Plan S.03, mais c’est vous qui organisez l’expédition. Vous, le responsable de notre sécurité, de notre retour sur Yor. Vous, à qui incombent toutes les initiatives. Vous, le coordinateur.

Osteh leva les bras au ciel.

— Arrêtez, Conor. J’estime beaucoup vos capacités de biologiste. Je vous estime même sur le plan purement humain, affectif. J’aimerais que nous décidions ensemble.



*

* *



Maubry ouvrit les yeux. Il regarda autour de lui et, immédiatement, il aperçut Joan, immobile sur la couchette. Son cœur bondit dans sa poitrine, sa gorge se serra. Il se dressa pesamment, car il émergeait d’un long sommeil.

— Joan ! glapit-il, inquiet.

Il soupira, libéré d’une angoisse indescriptible. Sa fiancée remuait. Puis elle ouvrit aussi les yeux.

— Où sommes-nous ? balbutia-t-elle.

— Sais pas, dit Joe.

Ils se trouvaient dans une pièce étrange, où la luminosité tombait du plafond, où les murs réfléchissaient également une certaine luminescence. Au-dessus des couchettes, des miroirs, des loupes orientables. Dans les angles du laboratoire, des claviers surmontés d’écrans actuellement noirs. Dans des tubes à vide crépitaient des étincelles multicolores. Des points lumineux couraient sur des enregistreurs ou des oscillographes.

— Joe !…, hoqueta la journaliste du Star Tribune, posant le pied sur un sol caoutchouté. Aucune analogie avec un labo terrestre. Tu ne crois pas que…

— Sais pas, répéta Maubry. Je me souviens que nous nous sommes écroulés dans la forêt, victimes d’un irrésistible sommeil.

A ce moment, une cloison coulissa et Héphar apparut. Dans une salle contiguë, il guettait le réveil des deux reporters. Il annonça, en américain :

— Je répondrai à toutes vos questions, si vous le désirez. Mais, je vous en prie, ne soyez pas trop étonnés.

Pas trop étonnés ! Joan Wayle et son fiancé étaient suffoqués ! Héphar s’exprimait avec la voix de Tolby, une voix identique. Pendant quelques secondes, les reporters crurent que leur collègue se trouvait quelque part dans la pièce, invisible.

Ils cherchèrent vainement et reconnurent leur erreur. Les sons sortaient bel et bien de la bouche de cette bizarre créature rougeâtre, d’aspect pourtant humain.

— On m’a greffé l’organe vocal d’un habitant de votre planète, expliqua Héphar.

— Mais Sam… Sam, notre ami, vitupéra Joe. Il ne peut plus parler, lui ! Vous l’avez amputé d’un organe essentiel, et il est devenu infirme. Pourquoi ?

— Nous sommes désolés, s’excusa le Yor. Il le fallait. Vous saurez plus tard nos raisons. Mais avouez qu’il m’est facile de dialoguer avec vous.

Joan pâlit. Elle imagina les mobiles de sa capture, de celle de Joe.

— Et nous… nous. Vous allez prendre aussi nos cordes vocales, et nous rendre ainsi muets à jamais ?

Héphar ne ressentit pas tellement de pitié pour les habitants de S.03. Certes, beaucoup deviendraient infirmes, mais les sentiments des Yors laissaient de côté ce genre de considérations. Les créatures rouges opéraient sur la Terre une véritable opération de survie, comme le précisa volontiers l’adjoint de Conor.

— La nature ne nous a jamais dotés d’un organe de la parole. Croyez que, si nous nous donnons autant de mal, c’est que les circonstances nous y obligent. Sinon, nous n’aurions pas parcouru cinq ou six années de lumière dans l’espace.

— Où sommes-nous ? demanda Joe.

— Sur votre satellite.

— La Lune ? Vous êtes fou !

Héphar frôla la touche d’un clavier. Immédiatement, l’un des écrans s’éclaira, montrant le ciel noir clouté d’étoiles, et surtout une grosse boule lumineuse en suspension.

— La Terre ! reconnut Maubry, livide.

— Suivez-moi, invita le Yor. Je dois vous conduire dans la cellule M.14.

— Une prison ?

— Non. Une cellule, dans notre langage, cela veut dire un appartement, une pièce habitable. Venez.

Joan et son fiancé obéirent. Ils n’avaient du reste pas le choix. Comment pourraient-ils s’évader de la Lune ? Par une tubulure étanche, aux parois luminescentes, ils gagnèrent une cabine assez spacieuse, nimbée de clarté. Un mobilier réduit au strict minimum : deux fauteuils et deux couchettes. Au plafond, encore ces genres de loupes, de miroirs, sans doute des observateurs électroniques.

— Je vous apporterai de la nourriture, dit l’adjoint de Conor. Je suis spécialement chargé de votre surveillance. Ici, la nourriture est synthétique, sous forme de liquide sirupeux, concentré.

Il désigna les miroirs et les loupes, au plafond.

— Lorsque l’un des réflecteurs s’irradiera de mauve, ne craignez rien. Vous ressentirez un sommeil voisin du sommeil naturel. Chez nous, le repos aussi est synthétique, commandé à heures régulières.

Il recula et la cloison se referma devant lui. Aucun bruit extérieur ne parvenait dans la cellule. Joe songea que, peut-être, en ce moment même, Mac Korner était en possession de son message magnétoscopé.



*

* *



— Ecoutez, Conor, invita Osteh en présentant un casque au promoteur du Plan.

Celui-ci coiffa la sphère translucide, reliée par des fils à une sorte de cuve en plastique à l’intérieur de laquelle se trouvait une masse charnue à longues fibres sensitives. Ces fibres étaient tendues comme les cordes d’un violon et, sous l’insufflation d’une certaine quantité d’air, elles vibrèrent, donnant des sons discordants, en tout cas intraduisibles.

— Vous entendez ? s’enquit Osteh.

— Oui, écrivit Conor. Votre équipe a construit un organe artificiel analogue à l’organe vocal d’un habitant de S.03. Mais il restitue des sons informes.

— Pourtant, expliqua le chef de la base lunaire, au cours de la greffe tentée par les biochirurgiens sur la personne de Héphar, nous avons entrepris une étude très approfondie du viscère en question, avec enregistrement photoélectrique à l’appui, analyses, prélèvements. Je crois que nous sommes parvenus à reproduire synthétiquement les cellules vivantes constituant cet organe. Il s’agissait, en outre, de coordonner celui-ci avec un cerveau, une pensée. Des électrodes furent implantées dans l’encéphale d’un de mes collaborateurs. Vous constatez, malheureusement le résultat négatif.

Conor quitta le casque et observa l’organe synthétique, dans la cuve de plastique.

— A quoi tient votre échec ?

— La pensée, ou plus exactement le cerveau, commande l’organe. La difficulté n’est pas de créer des cellules passives, mais des cellules actives, nerveuses. Notre science ne va pas jusque-là, et nous devrons nous contenter d’implants, prélevés sur des organismes vivants.

— Franchement, espériez-vous un succès ?

— Non. J’ai tenté l’expérience parce que nous aurions disposé d’organes artificiels en quantité, sans les prélever sur les habitants de S.03. Une plus large facilité, si vous voulez, nous était offerte, car nous aurions pu rentrer directement sur Yor. Mais je ne me faisais guère d’illusions.

— Eh bien ! conclut Conor, puisque nous ne pouvons pas agir autrement, l’évidence dicte notre conduite. Je crois que nous ne sommes pas près d’abandonner cette base. C’est pourquoi, dans cette perspective, nous l’avons édifiée sur ce satellite, et non sur S.03. Nous y gagnons en tranquillité, et aussi en asepsie. Il n’existe ici, dans la rare atmosphère, aucun microbe pathogène. Les greffes peuvent se dérouler dans des conditions extrêmement favorables.

Osteh et son collègue se rendirent dans la tour d’où il était possible de contrôler l’ensemble de la base. Chaque écran correspondait à un laboratoire, à une cellule. Quand il le désirait, Osteh entrait en relation avec n’importe quelle partie des bâtiments. Une coupole, surmontée de grosses antennes, permettait de communiquer avec la lointaine planète Yor, à l’aide d’ondes accélérées.

— Un astronef, parti de Phodis, est en route, expliqua le responsable de l’expédition S.03. A bord, une cinquantaine de savants.

— Tiens ! s’étonna Conor. Des savants ! Les membres des centres qui nous dirigent ne profitent donc pas de leur priorité ?

— Non. Ils s’abstiennent volontairement, cédant leur place aux scientifiques. Ils pensent que ces derniers gèrent, en définitive, les structures, l’économie de notre planète. Ils constituent les pivots, les axes sans lesquels notre civilisation croulerait.

— Dans combien de temps seront-ils ici ?

— Dans quelques jours, après franchissement de la quatrième dimension.

— Bon. Je pars aujourd’hui même pour S.03. Prévenez les biochirurgiens. Dans quelques heures, je serai de retour avec un contingent d’autochtones.

Osteh resta pensif.

— Vous semblez sûr de vous, Conor. Un conseil : ne prenez pas votre mission à la légère. Il serait navrant que votre Plan ne se déroulât pas de façon satisfaisante jusqu’au bout. Navrant et catastrophique pour les Yors.

— Merci de me le rappeler ! dit le biologiste en quittant la tour de contrôle, les lèvres pincées, une flamme de supériorité et de dédain dans le regard.



*

* *



Joan et Joe avaient été placés sous des casques à psycho-induction. Ils avaient assimilé des consignes et, désormais, ils étaient soumis à la volonté des Yors.

L’astronef en forme d’entonnoir orbitait à dix mille kilomètres de la Terre. Dans la cabine centrale, un conseil réunissait Héphar et les deux reporters. Quant à Conor, Irès et Réglus, ils s’activaient à la conduite de l’engin.

— Vous connaissez votre planète mieux que moi, reconnaissait Héphar. Maintenant, vous travaillez pour notre cause et je vous signale qu’il ne vous est pas possible de sortir de cette orbite.

— Très bien, opina Joe. Nous vous écoutons.

— Existe-t-il un réservoir d’individus, sur votre planète, une région particulièrement peuplée ?

— Oui, dit Joan. L’Inde ou la Chine. L’Inde est un pays sous-développé et je pense qu’il pourrait fournir des milliers d’hommes, de femmes.

— Excellent, approuva l’adjoint de Conor, avec l’inimitable voix de Tolby. Le prélèvement que nous opérerons sur cette vaste communauté ne risquera donc pas de perturber l’économie de la région. Car, je vous le répète, nous sommes décidés à porter le moins de préjudice possible à votre race. C’est pourquoi nous comptons sur votre aide, sur vos conseils.

Malgré le passage sous le casque à psycho-induction, les deux reporters gardaient une certaine initiative. Aussi, Joe croyait qu’en désignant l’Inde comme objectif, il épargnait son pays, les Etats-Unis, puisque l’ancien Empire britannique possédait trop d’habitants pour son revenu national et qu’il traînait comme un boulet cette surpopulation. Une entaille de quelques milliers d’individus serait même salutaire.

L’astronef se posa donc quelque part au Cachemire, sur les hauts plateaux de l’Himalaya, non loin de Srinagar. Par télévision, les Yors examinèrent la foule grouillante de la ville. Ces hommes, ces femmes, à la peau légèrement plus tannée, plus foncée que celle des Blancs d’Amérique du Nord, attirèrent la méfiance de Héphar.

— Je ne comprends pas leur langage, dit-il, soucieux. Combien de dialectes parlez-vous, sur votre planète ?

— Des quantités, expliqua Joe. Nous n’avons jamais pu les dénombrer. Mais les organes vocaux se ressemblent tous. Ça signifie une chose : chaque organe vocal est susceptible de parler n’importe quel langage. Il s’adapte très bien. La preuve : certains de nos semblables parlent plusieurs langues, sans difficultés. Il s’agit de les apprendre, et tout se passe au niveau du cerveau.

— C’est que, expliqua Héphar, les Yors ne possèdent aucune langue spécifique. Nous étions jadis télépathes. C’est pour cela que la nature ne nous a pas dotés d’organes de la parole.

Joe hocha la tête.

— Depuis qu’on vous a greffé l’organe de Tolby, vous parlez très bien l’américain, alors que vous l’ignoriez auparavant. Votre pensée peut donc traduire instantanément n’importe quel dialecte. En conséquence, pour vous comprendre entre Yors, il sera naturellement indispensable que vous adoptiez une langue commune, ce qui facilitera vos rapports.

— Eh bien ! soupira Héphar, je vous crois. Il est temps d’expédier nos faisceaux de rayons IT.102 sur cette cité.

Réglus, qui guettait cet instant avec impatience, apparut dans la cabine centrale. Il écrivit sur son ardoise :

— J’espère que je pourrai bientôt m’exprimer comme vous, Héphar.

— Sans doute. Mais comme nous pouvons traduire notre pensée par une foule de langages, il conviendra d’adopter un dialecte commun. Système que nous appliquons actuellement, et que nous utilisons pour traduire notre pensée en écriture.

— Qu’importe ? dit Réglus. L’essentiel consiste à parler, à s’exprimer, à se comprendre sans être obligé d’avoir toujours une ardoise à portée de la main.

Conor et Irès rejoignirent à leur tour leurs camarades. Le premier contempla les Hindous déambulant dans les rues de Srinagar. Une lueur de convoitise brillait dans son regard. Ces individus grouillants mais inconscients de leur sort, c’étaient autant de Yors dotés d’un organe de la parole.

— Rayons IT.102, ordonna le promoteur du Plan.

Réglus enfonça des touches. Un cerveau électronique calcula des coordonnées, des distances. D’un pôle émetteur situé à la base de l’astronef – cette base effilée constituant l’extrémité du cône – des faisceaux s’échappèrent. Une multitude de rayons invisibles qui, avec une précision étonnante, frappèrent chacun un habitant de Srinagar actuellement dans les rues.

Cinquante Hindous se trouvèrent ainsi touchés par ce rayonnement et tous, ils eurent une réaction identique. Ils abandonnèrent l’endroit où ils déambulaient et gagnèrent la périphérie nord de la ville. Ils s’engagèrent sur la route, au plus grand étonnement des automobilistes, et, à pied, formèrent une procession.

La plupart s’ignoraient, ne se connaissaient pas. Ils avançaient en silence, agglutinés. Les Yors avaient choisi des sujets jeunes, ne dépassant pas la quarantaine. Des hommes, des femmes, à l’âge adulte. Certains portaient encore l’antique costume hindou, le turban et les pantalons larges. Mais la généralité était vêtue à l’européenne.

Rapidement, ils quittèrent la route et s’enfoncèrent dans la montagne, empruntant un étroit sentier. Guidés par les faisceaux IT.102, ils marchaient vers un but bien défini. Comme un troupeau, sans conscience.

Sur les écrans, les Yors assistaient à cette marche, voulue, désirée par eux. Joe et Joan admiraient avec quelle docilité cette troupe approchait de l’astronef, posé à la limite d’une forêt.

— Tu vois, constatait Maubry, avec la même satisfaction que Conor. Ils viennent, littéralement captés, psychologiquement. A proximité du vaisseau, ils s’écrouleront, victimes d’un irrésistible sommeil.

Réglus dirigea le cône d’un autre appareil en direction de la troupe. Des lignes lumineuses se brisèrent sur des écrans de contrôle alors qu’au même instant, un brouillard artificiel enveloppa les Hindous. De sorte que leur marche devint un long cheminement aveugle.

L’esprit obnubilé, ils ne discernaient même pas la brume qui les entourait.

— Pourquoi ce brouillard ? interrogea Joe, curieux.

— Par sécurité, expliqua Héphar. Aucun observateur ne remarquera ainsi cette troupe de cinquante individus qui se dirigent vers un coin précis de la mont ?gn« et, de ce fait, attirerait par trop l’attention. D’autre part, ces mêmes individus ne tarderont pas à succomber au sommeil artificiel et ignoreront, même revenus de la Lune, l’existence d’un astronef inconnu. Osteh exige de notre part de rigoureuses précautions. Notre passage sur votre planète doit rester secret.

La main de Joan se crispa dans celle de son fiancé. Sur l’écran, la scène changeait, alors que Réglus modifiait sensiblement le rayonnement IT.102. Les Hindous, incapables de tenir sur leurs jambes, s’effondraient sur le sol, pêle-mêle. Comme des morts. Et aussi comme Maubry et Joan Wayle, un certain matin, du côté du mont Mac Kinley, en Alaska…