CHAPITRE VIII
Manuel Robeson et Scriber, le rédacteur en chef du Star Tribune, se démenaient comme de beaux diables. D’ordinaire, ils se regardaient comme chien et chat, c’est-à-dire avec hostilité, car ils dirigeaient chacun un organisme d’informations. Ils se faisaient une concurrence sans pitié.
Mais, aujourd’hui, un point commun les unissait. Leurs deux meilleurs reporters avaient mystérieusement disparu dans le massif du mont Mac Kinley et ils n’avaient pas hésité à venir de Washington tout exprès pour diriger les secours.
Les patrouilles héli-portées se succédaient au-dessus des montagnes, sans succès. Depuis plusieurs jours, des centaines d’hommes, policiers et volontaires, ratissaient les forêts, les plateaux, les vallées.
Engoncé dans des vêtements de fourrure trop étroits, Robeson fumait néanmoins son éternel cigare, alors que, à côté de lui, le rédacteur en chef du Star Tribune mâchait du chewing-gum. Deux hommes très différents, physiquement et de caractère.
— Voyez-vous, Scriber, Maubry et Joan Wayle nous réservent une surprise monumentale. Ils sortiront un jour de leur cachette et ils nous apprendront des choses sensationnelles. Je connais Maubry. Lorsqu’il flaire une piste, c’est la discrétion même. Au point que je dois me mettre en colère pour qu’il m’adresse des bobines filmées.
Scriber faisait preuve de moins d’optimisme. Il affichait un visage pâle, inquiet.
— D’habitude, Joan ne me laisse pas aussi longtemps sans nouvelles. Elle m’adresse un papier régulièrement. Ne l’oubliez pas, mon cher Robeson, mon envoyée spéciale se trouvait avec Maubry lorsqu’elle a disparu.
— Vous n’ignorez pas les rapports affectifs qui lient les deux jeunes gens.
— Je sais. Raison de plus. S’ils le pouvaient, l’un ou l’autre donnerait signe de vie. S’ils le pouvaient !
A ce moment, l’hélicoptère de Mac Korner se posa auprès des deux hommes, qui attendaient devant l’igloo, point de départ de toutes les recherches. Mac Korner arriva en courant, les traits fatigués, les yeux cernés. Il patrouillait au-dessus de la montagne depuis douze heures, sans interruption.
— L’espoir s’amenuise, apprit-il. Ne vous illusionnez plus. Vos deux reporters ont été enlevés comme Tolby. Et, comme ce dernier, j’ai peur qu’ils ne réapparaissent un beau jour avec leurs organes vocaux en moins !
Robeson expulsa une énorme bouffée de cigare. Il gelait copieusement, et la neige craquait de froid au moindre contact.
— C’est terrible ! Je ne savais pas qu’on opérait aussi facilement des cordes vocales.
— En fait, dit Mac Komer en buvant une tasse de café bouillant, tiré d’une thermos, les spécialistes reconnaissent volontiers qu’aucun chirurgien de la Terre ne serait capable de pratiquer une opération semblable. Tout l’organe a été extrait, d’un bloc, comme si on avait voulu le transplanter sur un autre individu.
— Une greffe ? sursauta Scriber.
— Exactement. En tout cas, les chirurgiens qui ont opéré Tolby ont procédé avec un art inhabituel, en respectant l’intégrité des tissus environnants, et surtout en ne laissant aucune cicatrice, extérieure ou intérieure.
Robeson jeta son cigare dans la neige. Il y perdait son latin, dans cette histoire.
— On gèle ! Vous avez raison, capitaine, rentrons à Fairbanks.
Sam Tolby était découragé. Depuis qu’il avait perdu l’usage de la parole, il ne s’inquiétait pas pour sa propre personne, mais pour ses camarades, Maubry et Joan Wayle. Il les plaignait car, de toute évidence, les deux envoyés spéciaux subiraient l’ablation de leurs organes vocaux et deviendraient à leur tour des infirmes, sans que la science terrestre pût quelque chose pour eux.
Dans son bureau, Mac Komer contemplait Tolby avec une espèce de pitié. Mais il se disait que ce qui arrivait à Sam, à Joe et à sa fiancée, pourrait arriver à d’autres. Personne n’était à l’abri. La sécurité de tous les individus semblait menacée et les pouvoirs publics ne prenaient aucune disposition. Sans doute attendaient-ils que l’« épidémie » s’aggravât.
— Je suis navré, Tolby. Mais nous avons fait tout ce qui est possible pour vos amis.
Le visiophone sonna, et la figure de Climber s’encadra sur l’écran.
— Capitaine Mac Komer ?
— Oui, c’est moi.
— Je suis Harold Climber, le physicien. Vous ne me connaissez pas, mais Joan Wayle était venue m’interviewer bien avant qu’elle ne disparaisse. Au début de toute cette histoire.
Mac Komer esquissa un mouvement d’humeur. Il n’avait pas de temps à perdre.
— Alors ?
— Je suis les événements dans la presse ou à la T.V. Je pourrais peut-être vous aider. Il faudrait que vous passiez immédiatement à mon laboratoire. Tolby connaît mon adresse. Je suis discret et je ne veux pas de publicité.
— Mais enfin…
— Dépêchez-vous, sinon il sera trop tard. Je vous expliquerai sur place.
Le physicien coupa la communication. Tolby avait tout entendu. Il griffonna hâtivement sur un papier :
— Climber ? Un type très sérieux. Il aurait décelé, paraît-il, l’origine de ces ondes magnétiques qui perturbaient, tout récemment encore, la vie de Fairbanks. Joan Wayle l’avait interviewé, c’est vrai. Rappelez-vous l’article sur le « neutroson ».
— Ah ! oui, opina Mac Korner en s’habillant. Venez, Tolby. Je vous emmène chez ce toqué. Je me demande bien ce qu’il peut m’apprendre.
Les deux hommes sortirent du bureau, empruntèrent l’ascenseur ultra-rapide et débouchèrent sur le toit-terrasse de l’immeuble abritant les locaux de la police. Le capitaine avisa un planton qui surveillait les hélicoptères.
— Si on me demande, je suis chez Climber, dans la banlieue sud.
— Bien, capitaine, salua le gardien.
Mac Korner et Sam sautèrent dans un hélico. Ils refermèrent le cockpit.
— Pilotez, Tolby. Vous avez l’habitude.
Le correspondant local obéit. Il dirigea l’engin vers le sud et se posa à proximité de la villa du professeur. Ce dernier attendait impatiemment les visiteurs.
— Vite ! invita-t-il. J’ignore si ça durera longtemps.
— Quoi donc ? demanda Mac Komer, passablement intrigué depuis qu’il savait que Harold Climber orientait ses travaux sur les ondes hertziennes et électro-magnétiques.
Dans le laboratoire du savant, un appareil crépitait. Sur un écran de contrôle, des points lumineux suivaient des lignes brisées. Des électrodes, portées à incandescence, émettaient des étincelles rouges.
Captivé, Climber tourna un rhéostat. Une aiguille se déplaça sur un écran gradué. Il tendit un casque à écouteurs au policier.
— Ecoutez donc, capitaine.
Mac Komer plaça les écouteurs sur ses oreilles. Il perçut des sons bizarres. Comme la vibration d’une corde de violon.
— Qu’est-ce que ça représente ?
— Une onde, expliqua le physicien. Une onde hertzienne, mais d’une fréquence inhabituelle. Je la capte beaucoup mieux sur l’écran récepteur que sur l’amplificateur ultra-sonique. J’ai déjà capté une telle vibration et le hasard m’en fournit encore aujourd’hui la possibilité. Depuis exactement trente-cinq minutes. C’est pour cela que j’ignore si ça durera longtemps.
Le policier quitta le casque et hocha la tête. Pour lui, ça ne lui apprenait pas grand-chose et il se demandait si Climber ne se fichait pas de sa figure.
— Au visiophone, vous prétendiez m’aider. Quel rapport ?
— Vous cherchez Joe Maubry et Joan Wayle, les deux reporters ? J’ai lu ça dans la presse. Or, il s’avère que cette onde, de fréquence inhabituelle, serait de même nature que celle captée au moment où le stratocruiser de Hipson s’envolait de Fairbanks… Vous vous souvenez de Hipson ?
— Oui, approuva le capitaine, se remémorant l’histoire. Hipson ne constitue qu’un maillon de la chaîne et, depuis, des événements plus importants, plus graves, se sont produits. Témoin, Sam Tolby…
— Je sais, dit le savant. Mais je puis, approximativement, localiser le pôle émetteur de ce rayonnement, qui s’abat actuellement sur la cité. J’en ignore les conséquences.
— La localisation ? s’impatienta Mac Korner.
Au travers des lunettes, le regard de Climber brilla. Il parvenait enfin à intéresser son visiteur, et il vérifia sur un ordinateur électronique.
— Moins de vingt kilomètres séparent le pôle émetteur de la ville. Orientation : Nord-Ouest.
— On va vérifier ça, décida le capitaine… Ah ! J’aimerais, professeur, que vous restiez en contact avec nous. Ne bougez pas de votre bureau.
— Mais… j’ai mes cours, à l’université…
— Eh bien ! prévenez le recteur et faites-vous remplacer ! Dites-vous qu’il s’agit d’un problème autrement plus grave que vos leçons de physique. Un problème qui risque d’empoisonner la planète entière.
— Diable ! s’épouvanta le savant.
Mac Korner et Tolby sortirent en coup de vent. Le policier inspecta le ciel, nuageux, d’un gris acier.
— Il reste trois heures avant la nuit. Je vais alerter les patrouilles. Grouillons-nous !
Ils montèrent dans l’hélicoptère qui rejoignit immédiatement le bâtiment de la police fédérale. Mac Korner donna des ordres, et un véritable branle-bas de combat anima les bureaux. Des hommes s’équipaient et montaient même en hâte des projecteurs supplémentaires sur les hélicos. Puis, un à un, les engins à pales décollèrent et se dirigèrent vers le Nord-Ouest. Ils franchirent la rivière gelée.
Les appareils volaient à basse altitude, séparés les uns des autres par une centaine de mètres. On aurait dit un essaim d’énormes papillons, et le bruit des turbines brisait l’habituel silence blanc de la steppe.
— Vous prévenez Robeson et Scriber ? écrivit Tolby.
Un policier pilotait. Mac Korner haussa les épaules avec une grimace.
— Je me passe d’eux. Je les avertirai si j’ai du nouveau. Franchement, Tolby, vous croyez à l’histoire de Climber ? Il me fait l’effet d’un vieux bonhomme qui travaille trop, et qui radote un peu.
Une nappe de brouillard traînait au ras du sol dans la forêt, sur une superficie de quelques mètres carrés. C’était inexplicable, car le temps, dans l’ensemble, restait clair, avec absence de brume généralisée.
Tolby désigna l’immense forêt de sapins et de mélèzes, aux abords mêmes de Fairbanks. Un certain tremblement l’anima lorsqu’il écrivit :
— Le brouillard ! capitaine. Moi aussi, j’ai connu ça. Je suis certain qu’il se passe quelque chose d’anormal en dessous de nous.
— Vraiment ? fit Mac Korner en passant la paume de sa main sous le menton.
Il entra en communication avec Climber et attendit que l’image se précisât avec netteté.
— Professeur ? Je vois que vous avez suivi mon conseil et prévenu votre recteur. Comment a-t-il pris la chose ?
— Bah ! grimaça le physicien. Je lui ai expliqué que j’étais souffrant.
— Bravo ! Vous captez toujours la vibration ?
Climber se gratta la tête. Il ôta ses lunettes et les essuya. Il évita la caméra du visiophone qui le filmait et disparut un instant du champ. Puis il revint en hâte.
— Oui, je la capte. Mais elle modifie sans cesse sa fréquence, sur de courtes variations que je ne m’explique pas.
— Nous donnons tous notre langue au chat, professeur ! plaisanta le capitaine. Je vous rappellerai.
Dans l’hélicoptère, plafonnant à point fixe au-dessus de la forêt, l’écran s’éteignit. Mac Korner fixa un gros Colt à sa ceinture.
— Pilote ! ordonna-t-il. Descendez au ras des arbres, à l’aplomb de cette nappe de brouillard. Préparez l’échelle.
Tolby griffonna sur le carnet qu’il tenait constamment à la main :
— Un moment, capitaine. Possédez-vous des vêtements protecteurs, parfaitement étanches ?
— Des combinaisons anti-radiations, oui.
— Eh bien ! endossons-les, si nous ne voulons pas succomber au sommeil, en arrivant en bas.
L’hélicoptère frôlait la cime des mélèzes, mais il était impossible de percer le brouillard noyant le sous-bois. Mac Korner tira deux uniformes blancs d’un coffre.
— Ça ?
— Oui, ça ira, opina Tolby.
— Ah ! oui, je me souviens, maintenant. Vous avez succombé à un sommeil irrésistible, et vous avez perdu conscience. Je comprends. Des ondes hypnotiques. Vous voulez les éviter grâce à ces vêtements.
Les deux hommes revêtirent les combinaisons, presque transparentes. Ils ajustèrent une cagoule, munie d’un masque respiratoire. Une courte an-tenne-radio permettait les communications phoniques. Ainsi vêtus, ils ressemblaient à des chrysalides dans leurs cocons.
Le policier donna un revolver au journaliste.
— Tenez, par précaution… On y va ?
Sam approuva, glissant l’arme dans sa poche. Puis, ouvrant le cockpit, il jeta l’échelle de corde dans le vide. Le premier, il posa le pied sur les échelons et descendit avec une certaine habileté. Il disparut dans les frondaisons et toucha le sol.
Mac Korner le rejoignit aussitôt. L’épais brouillard les environna, limitant la visibilité à moins d’un mètre. Le capitaine parla par phonie :
— On n’y voit goutte. S’il se passe quelque chose, j’alerterai mes hommes.
Ils avancèrent côte à côte, pour ne pas se perdre de vue. Très rapidement, ils butèrent sur un corps allongé. Un homme assez jeune, vêtu d’une pelisse et une toque de fourrure sur la tête.
Il semblait dormir, comme le constata Mac Korner. Mais leur surprise commençait à peine, car ils découvrirent d’autres corps inanimés. Des hommes et des femmes, couchés dans la neige, immobiles, les yeux fermés. Tout ça au milieu du brouillard très dense.
Tolby écrivit :
— C’est ce que je craignais. Ils sont victimes d’un rayonnement. Si nous n’avions pas nos vêtements protecteurs, nous subirions aussi les effets du phénomène.
Mac Korner se pencha sur le papier que lui tendait Sam.
— Je n’y vois rien ! grommela-t-il.
Il alluma la lumière de son casque, et lut plus commodément.
— Sans vous, nous étions fichus. Mais comment ces gens se trouvent-ils là, dans cette forêt, loin de la ville ? Pourquoi ?
Ils comptèrent une vingtaine de personnes inanimées, gisant sur le sol, apparemment mortes. Toutes ne dépassaient pas quarante ans.
— Psycho-guidage, écrivit Tolby.
— Hein ? Du charabia, ça !
— Non. C’est ce qui m’est arrivé. Quand je me suis éloigné de l’hélicoptère, je n’appréciais plus les distances, le temps. J’étais attiré vers un point de la forêt et ma volonté fléchissait.
— Je comprends. Un rayonnement qui prive de volonté. Un autre qui endort. Ces gens, ils sont tous venus là contre leur gré, fascinés, captés… Mais qui les attire ?
Au-dessus des arbres, à des altitudes variables, les hélicoptères de la police poursuivaient leur ballet. On percevait le sifflement des turbines, et les hommes cherchaient un indice insolite.
Brusquement, deux silhouettes surgirent du brouillard, sans bruit. Mac Komer les avait décelées grâce au faisceau de sa lampe frontale. Mais il crut devenir fou. Son regard s’exorbita, et Tolby fut pris d’un tremblement convulsif. Non, ce n’étaient pas des Yors qui surgissaient devant eux, mais un homme et une femme.
— Maubry ! Joan Wayle ! hurla Mac Korner.
Un moment pétrifié, Sam sortit de son immobilité. Ses lèvres remuèrent vainement, puis il s’élança vers ses camarades. Il tomba dans les bras de Maubry.
Or, contrairement à ses espérances, il reçut un accueil froid. Joe immobilisa les bras de son collègue et cria à sa fiancée :
— Vas-y, Joan, ôte-lui son masque et sa cagoule !
La jeune fille obéit. Elle se précipita sur Sam et lui arracha littéralement son casque, malgré les efforts désespérés du pauvre Tolby. D’ailleurs, Maubry avait une poigne de fer et il agissait naturellement sous l’emprise d’une volonté extérieure à la sienne. La volonté des Yors qui, de leur astronef, surveillaient l’opération avec un extrême intérêt.
Sam devint un pantin dans les bras de Joe. Celui-ci lâcha son camarade qui s’écroula sur le sol, mêlant son corps chaud à ceux déjà endormis, victime du rayonnement hypnotique. Miraculeusement, Joan et son fiancé étaient épargnés, malgré l’absence de tout vêtement protecteur.
La scène s’était déroulée en quelques secondes, et Mac Korner mit un certain temps à reprendre son sang-froid. Il avait reconnu les deux reporters. Leur subite et bizarre intervention créait un climat nouveau, malsain, dont il fallait absolument s’extirper.
Homme de décision, le capitaine ne réfléchit pas longtemps. Il dégaina son Colt et le braqua sur les deux journalistes. Le minuscule haut-parleur, logé au sommet de son casque, amplifia ses paroles :
— N’avancez pas, sinon je vous descends proprement. Je sais que vous êtes contaminés.
La menace n’effraya pas Joe et Joan, ou du moins ne produisit aucun effet sur leur volonté. Ils avancèrent lentement vers Mac Korner.
— Tiens, capitaine ! dit Maubry. On se retrouve. Seulement, nous sommes dans l’autre camp… Ces vêtements qui vous soustraient au rayonnement, c’est une idée de Tolby ?
— Oui. Mais, un conseil ; n’avancez pas davantage !
— Je pensais bien que Sam aurait l’idée de se protéger avec des combinaisons anti-radiations. Du bon sens. Vous n’y auriez pas pensé, capitaine !
Pendant qu’il parlait, Maubry progressait insensiblement, se glissant entre les corps étendus. Trois mètres le séparaient maintenant du policier, qu’il espérait maîtriser. Mais Mac Korner recula, hurlant :
— Dernière sommation !
Il tira une balle en direction de Joe. Volontairement, il manqua le reporter. Cela lui répugnait d’abattre froidement un homme sans défense. Mais cette mesure d’intimidation suffirait-elle ?
— Ecartez-vous, Maubry !
— Vous ne m’effrayez pas, capitaine, malgré votre arme, répliqua Joe, très calme. Je sais que vous ne me viserez pas, ou alors vous deviendriez un assassin, et le remords vous poursuivrait.
Mac Korner supprima le son dans le haut-parleur de son casque et parla par ondes courtes, la voix un peu haletante :
— Ted ?
— Oui, chef, dit le pilote de l’hélicoptère. Ça va, en bas ?
— Pas tellement. Tolby est amoché. Préviens les gars, et grouille-toi. Surtout, qu’ils endossent les combinaisons anti-radiations. Sans quoi, ils ne tiendraient pas une minute sur leurs jambes.
Il refit fonctionner son haut-parleur et gagna du temps. Il écouta le sifflement des réacteurs au-dessus de lui. Par l’interstice des arbres, à cause de la brume artificielle, il ne discernait évidemment pas les appareils, mais il savait qu’ils étaient là, et cette présence le rassurait. Il se sentait même le plus fort.
— Je comprends, Maubry. Vous cherchez à m’ôter ma combinaison étanche. Votre cerveau ne vous appartient pas, et vous n’êtes pas responsable de vos actes. Pour qui travaillez-vous ? Nous comptions vous retrouver en mauvais état, avec vos organes vocaux en moins.
Joe enjamba un homme allongé à terre.
— Vous ne lutterez pas contre eux. C’est impossible.
— Eux ? Qui ? Parlez donc, Maubry. Mon désir est de vous tirer du pétrin. Mes gars vont arriver d’une seconde à l’autre.
Comme il prononçait ces paroles, un policier apparut, vêtu de plastique, masqué, comme un fantôme. Il surgit du brouillard en grommelant :
— Vous êtes là, patron ? On n’y voit rien.
Deux, trois, quatre, dix silhouettes en vêtements étanches tombèrent du ciel, par les échelles de corde. Mac Korner désigna Joan Wayle et son fiancé.
— Emparez-vous d’eux ! N’ayez pas peur de cogner, car ils résisteront.
Cinq policiers marchèrent sur Maubry et se jetèrent sur lui. Ils le renversèrent et appliquèrent sur son visage un coton imbibé d’un produit soporifique. Immédiatement, Joe sombra dans un profond sommeil. Joan subit un sort analogue.
Le capitaine désigna les corps étendus.
— Embarquez-moi ça dans les hélicos. Il doit y en avoir une vingtaine, plus Tolby et les deux reporters.
Les corps furent hissés dans les appareils qui prirent aussitôt la direction de Fairbanks. Mac Korner resta le dernier sur le terrain et, lorsqu’il rejoignit Ted, son pilote, il était assuré que ses hommes avaient bien exécuté leur travail.
La nuit tombait et il se mit en relation avec Climber.
— Vous aviez raison, professeur. Nous avons retrouvé Maubry et Joan Wayle. Très intéressant. Mais nous aimerions fouiller la forêt plus profondément. Je me demande si les projecteurs suffiront.
— Ne vous donnez pas cette peine, capitaine, apprit le physicien. La vibration ne se capte plus. Je suppose que ses auteurs ont quitté les lieux.
— A moins qu’ils ne se terrent ! grommela Mac Korner.
Les projecteurs de l’hélicoptère inondèrent la cime des arbres. Le policier sursauta. Le brouillard artificiel avait entièrement disparu, comme par enchantement.
— Climber ne radote pas autant que je le croyais ! La forêt est sûrement vide. Mais, demain, je reviendrai. En attendant, Ted, regagnons Fairbanks. Nous avons du monde à interroger, là-bas.