CHAPITRE V
Quand Joe s’éveilla, il lui sembla qu’il se passait quelque chose d’insolite. Il regarda immédiatement sa montre. Deux heures dix du matin !
Il s’extirpa de son duvet. Au-dehors, de l’autre côté du cockpit, la nuit noire, épaisse, blanchie de neige fraîche. Un ciel sans étoiles, sans lune.
— Tolby ! Où diable est-il passé ? grommela le reporter, inquiet.
Joan ouvrit les yeux à son tour. L’absence de Sam produisait une impression pénible, un vide irremplaçable, un malaise extrême. Depuis deux heures, Tolby aurait dû réveiller son camarade.
— Il a disparu avec le fusil, nota la journaliste du Star Tribune. Je n’aime pas ça du tout.
— Moi non plus !
Maubry boucla la fermeture-éclair de son anorak et coiffa son bonnet de fourrure. Ainsi vêtu, il ressemblait à un trappeur. Du coffre à bagages, il tira une seconde carabine.
— J’avais prévu le cas où nous serions assiégés par les loups. Deux hommes, deux fusils. C’est normal.
— Ce qui ne l’est plus, Joe…, haleta Joan Wayle, c’est l’absence de Tolby.
— Je sais. Il a dû lui arriver quelque chose. Il a quitté le cockpit avec le minimum de bruit. Dommage ! Car, si je m’étais éveillé à ce moment-là, je l’aurais empêché de s’éloigner.
— Tu crois qu’il aurait décelé quelque chose de suspect ?
— Possible. Pourquoi n’a-t-il rien dit ? Viens avec moi, Joan. Il a dû laisser des traces sur la neige.
Ils s’armèrent de deux grosses lampes électriques et sortirent dans la nuit glaciale. Ils frissonnèrent. La différence de température entre l’intérieur du cockpit et le dehors opérait une transition pénible.
Le double foyer lumineux des lampes imprima le sol de jaune. Les reporters ne cherchèrent pas longtemps, ni loin. Ils découvrirent rapidement les traces de pas. Ceux de Tolby. Ils les suivirent jusqu’à l’orée des arbres. Là, ils hésitèrent.
— Retournons, conseilla Joan, agrippée au bras de son fiancé. Ne nous aventurons pas sous les frondaisons. Non seulement nous pourrions nous égarer ou tomber dans une fondrière, mais…
— Mais ? insista Maubry, l’oreille tendue.
— N’oublions pas. Les auteurs du brouillard artificiel nous guettent et, peut-être, cherchent à nous capturer.
— Il n’y a plus de brouillard, constata Joe.
Il appela, mains en coquille sur la bouche.
— Tolby ! Tolby !
La neige, les arbres étouffaient sa voix. Le silence glacial répondait. Même pas un écho. Rien. Un silence mordant, sépulcral, qui donnait la nausée, le frisson.
— Tolby ! répéta-t-il, plus fort, à la cantonade.
— Viens ! supplia Joan, tirant Maubry par le bras. Ne restons pas ici. L’hélicoptère offre une certaine sécurité. Illusoire, peut-être, mais psychologiquement, c’est réconfortant.
Il se rangea à cet avis et fit demi-tour. La neige, durcie par le gel, craquait sous les pas. L’intérieur du cockpit leur apparut comme une oasis, un havre chaud, douillet.
— Fais du café, suggéra Joe.
— Si tu veux. Nous ne pourrons pas nous rendormir après ce qui s’est passé. Que crois-tu qu’il soit arrivé à Sam ?
Assis, le reporter de la T.V. plissa le front, sombre, préoccupé. Après ce sale brouillard, hier soir, Tolby maintenant. Ça faisait beaucoup de coïncidences. Trop. C’était anormal et, surtout, anormalement inquiétant.
— Il a pu s’égarer. Il n’aurait pas dû s’éloigner. Je n’ai pas pensé à le lui dire. Pourtant…
Il soupira.
— Pourtant, s’il s’était égaré, il aurait eu l’intelligence d’appeler, de crier.
Ils attendirent le jour avec anxiété et, lorsqu’il se leva, pâle, blafard, ils éprouvèrent un certain soulagement. La grisaille du ciel annonçait de nouvelles chutes de neige.
Joe s’installa aux commandes. Il avait déjà piloté un hélicoptère et, s’il manquait d’habileté, il se débrouillait quand même assez bien. Il décolla.
Il volait dangereusement au ras des arbres, mais les deux reporters n’aperçurent pas la moindre silhouette. Des forêts s’étendaient à perte de vue, alternant avec des plateaux rocailleux.
— Sam avait une carabine, dit Joe. Les coups de feu, ça s’entend de loin. Or, plus les heures tournent, plus les chances de retrouver Tolby s’amenuisent.
Joan sondait la grisaille avec anxiété.
— S’il neige, ça ne sera pas plus facile.
— Rentrons à Fairbanks et alertons la police. Elle mettra en œuvre des moyens plus importants.
Maubry, s’il ne pilotait pas aussi bien que son collègue, s’orienta parfaitement et rallia sans incident la grande cité. Il posa l’hélicoptère sur le toit-terrasse du vaste bâtiment abritant les locaux de la police, au moment même où les premiers flocons commençaient à tomber. La décision de regagner hâtivement Fairbanks se révélait donc pleine de sagesse.
Un policier recueillit la déposition des reporters.
Il se retourna vers une carte murale représentant l’Alaska et localisa très vite le mont Mac Kinley.
— Hum ! Sale endroit !… Que fabriquiez-vous dans le coin ?
— Heu !…, mentit Joe. Un reportage sur les loups et les rennes. Nous en avons rencontré pas mal.
— Je ne vous demande pas vos pellicules. Je vous crois sur parole. Mais qu’est-ce qui a pu pousser votre compagnon à quitter le cockpit ?
— Nous l’ignorons, expliqua Joan Wayle. Nous avons dû passer la nuit dans la montagne parce que nous nous étions trop attardés.
— Ouais ! grogna le type en uniforme. Nous effectuerons des recherches, mais, avec la neige qui recommence à tomber, les difficultés augmenteront et les traces seront recouvertes. Je crois qu’il ne faut pas vous faire trop d’illusions sur le sort de votre camarade.
Maubry et sa fiancée baissèrent la tête. Ils auraient peut-être dû mieux chercher, cette nuit, alors qu’il était encore possible de sauver Tolby. Pauvre Sam ! Gisait-il, raidi, sous un linceul de neige ou dans quelque crevasse ? Bon sang ! Pourquoi avait-il quitté l’hélico ?
Les deux reporters regagnèrent la terrasse de l’immeuble. Des rafales de neige les aveuglèrent.
— Quel sale temps ! proféra Joe. Les sauveteurs attendront une accalmie pour commencer les recherches.
Ils remontèrent dans l’appareil. Des chenilles blanches collaient au plexiglas et gelaient à mesure. Fort heureusement, le dégivrage rendait rapidement la visibilité.
— Joe… Pourquoi n’as-tu pas dit au policier que nous recherchions les inventeurs du « neutroson » ?
— D’abord, parce que tout le monde ignore le « neutroson » et que les autorités n’y croient pas. Ensuite… Tu sais, j’ai idée que nous ferions bien de passer certains détails sous silence. Je n’aime pas les questions embarrassantes, et je compte bien retourner vers le Mac Kinley. Sans témoins. Tu comprends ?
Il lança la turbine. Celle-ci rugit. Une poussière blanche noya l’hélicoptère qui s’éleva progressivement.
— Tu veux travailler seul. C’est ça ?
Il haussa les épaules.
— Il fait un temps à se casser la g… ! gronda-t-il. Je me demande si je ne raterai pas la plate-forme de l’hôtel. On file aux studios, d’accès plus facile. Puis nous prendrons un taxi.
L’engin se déplaça vers la périphérie de la ville. Les buildings se rabotaient et les maisons basses apparurent. Joe repéra l’immense antenne de Radio-Fairbanks. Puis le petit héliport.
*
* *
Allongé sur la couchette, au centre d’un laboratoire, Sam Tolby ne bougeait pas. On pouvait le croire mort, tant son immobilité était parfaite. Mais si on s’approchait davantage, on constatait que la poitrine se soulevait et s’abaissait régulièrement, indice d’une respiration ralentie.
Tolby dormait, artificiellement, grâce à un anesthésique. Conor le contempla en hochant la tête, avec une sorte de curiosité empreinte d’espérance. La phase 3 du Plan n’avait pas présenté de difficultés, contrairement aux suppositions.
Conor écrivit sur l’ardoise qu’il présenta à Héphar :
— Nous avons psycho-capté littéralement cet habitant de S.03, sans résistance de sa part. Son cerveau n’a même pas lutté C’est décevant.
— Non, rectifia Héphar. Cela prouve la parfaite efficacité de nos faisceaux, de notre technique. L’habitant de S.03 était une proie facile. Notre brouillard artificiel l’a contraint à se poser, avec ses deux autres compagnons.
— Oui, les deux autres…, s’inquiéta le promoteur du Plan.
— Ils sont partis, le jour venu, expliqua Réglus qui, à cet instant, entrait dans le labo. D’ailleurs, nous n’avions pas à nous en occuper.
— Exact, convint Conor. A cette période du projet ne figure la capture que d’un Terrestre. Le but est atteint.
Jamais les Yors n’avaient vu un homme d’aussi près. Aussi, ils ne se lassaient pas de le contempler. L’analogie entre les deux races était frappante.
— Si, résuma Héphar. Ils ont au moins un organe de plus que nous. Un organe essentiel. C’est justement pourquoi nous sommes ici, sur cette planète, à cinq années de lumière de Phodis.
Les créatures rouges quittèrent le laboratoire, confiant Tolby à des gardiens électroniques. Ils se rassemblèrent dans la cabine centrale et Conor entra en communication avec la base lunaire.
— PZ.27. Regardez bien. Nous vous adressons une image inhabituelle.
Une caméra se trouvait au-dessus de la couchette où reposait Sam Tolby. L’image, relayée, parvint sur la Lune.
— Parfait, approuva le technicien avec satisfaction. Le Plan se déroule selon les normes et le calendrier prévus. Pour le moment, nous n’enregistrons aucun retard.
— Même une certaine avance, rectifia Conor. Nous avions prévu un temps beaucoup plus long pour la capture d’un habitant de S.03. Nous envisageons maintenant la phase suivante. Vous pouvez donner l’ordre.
— Ordre donné ! dit PZ.27. Nous vous attendons et nous préparons votre arrivée.
Le chef de l’expédition coupa l’émission. Jamais il n’avait éprouvé autant d’anxiété car, à mesure que le Plan se déroulait, avançait, les difficultés s’accroissaient. Le succès dépendait entièrement de la phase suivante. C’est dire l’importance que présentaient les heures futures.
Aussi, les visages des quatre savants venus de Phodis s’assombrissaient-ils. Conor et ses compagnons devenaient taciturnes et leur confiance les abandonnait un peu, inexplicablement, comme un athlète moins sûr de lui au moment de la compétition que lors de l’entraînement.
— Parés au départ ! apprit Irès, occupée devant les claviers.
Le mouvement antigravitationnel arracha l’astronef à sa gangue de neige, de glace. Sans bruit, à une vitesse fulgurante, l’engin gagna les hautes couches atmosphériques, plongea dans le vide et mit le cap vers la Lune.
Sur la plus grande partie de l’Alaska, il neigeait. De ce fait, pas un observateur terrestre ne décela l’envol des Yors. Et cette neige poudreuse, fine, froide, recrouvrit rapidement les traces, au sol, laissées par le véhicule en forme d’entonnoir.
*
* *
Le lendemain, la neige s’arrêta et, si le ciel resta gris, maussade, le temps se prêta à des recherches organisées. Plusieurs hélicoptères quittèrent Fairbanks et, parvenus au-dessus des montagnes, patrouillèrent sur une zone établie à l’avance.
Le capitaine Mac Komer, de la police fédérale, dirigeait les secours. C’était un homme très expérimenté dans ce genre d’exercice. Il avait quadrillé la région du Mac Kinley et chaque hélicoptère se cantonnait à son périmètre. On était certain que pas un pouce de terrain n’échapperait à l’investigation. Ce procédé de ratissage donnait toujours de bons résultats.
Mac Korner avait emmené les reporters avec lui et, pour la bonne bouche, il s’était réservé la zone où, l’autre nuit, Sam Tolby avait disparu.
— Vous dites qu’il a quitté l’hélico sans motif ? interrogea-t-il.
— Sans motif, je ne sais pas, dit Maubry. Je crois plutôt qu’il avait des raisons. Seulement, il ne nous a pas prévenus.
L’appareil de Mac Korner se posa à l’endroit même où l’hélicoptère de la T.V. avait passé la nuit. Les policiers cherchèrent immédiatement des traces, mais la neige avait naturellement tout recouvert.
Joe conduisit le capitaine jusqu’à l’orée du bois de mélèzes et de sapins.
— Ses traces continuaient à travers les arbres.
— Vous n’avez pas poursuivi vos recherches ?
— Il faisait nuit. Nous avions peur de nous égarer.
— Ouais ! grommela le capitaine. Vous aviez peur tout court ! Admettons… N’avez-vous pas déclaré, au cours de votre déposition, que Sam Tolby possédait une carabine ? S’il s’était senti en danger, ou s’il s’était égaré, il aurait dû tirer. Logique, non ?
— Oui, glissa Joan. Mais a-t-il pu tirer ?
Mac Komer haussa les épaules. Il s’aventura de quelques mètres sous les mélèzes, mais, comme les traces de Tolby avaient complètement disparu, il revint rapidement sur le plateau, auprès de l’hélicoptère.
— Vous savez, résuma-t-il, nous aurons du mal à retrouver son corps, probablement enfoui sous la neige. D’autant que…
Il s’arrêta, conscient qu’il poussait trop loin son imagination. Certaines vérités n’étaient pas agréables à exprimer. Mais Maubry insista :
— D’autant ?
— Eh bien ! soupira Mac Korner, les loups n’épargnent guère les cadavres. Vous comprenez ?
Joan détourna la tête, écœurée. Son visage se crispa. Pourtant, le policier avait raison et cette éventualité s’envisageait, même très sérieusement. En ces régions, un homme seul, perdu, fatigué ou blessé était la proie des carnassiers, dont les dents ne pardonnaient pas.
— Je suis désolé, assura le capitaine, la main posée sur l’épaule de Joe. Nous aurons fait le maximum.
Par radio, il se mit en communication avec chacun des hélicoptères participant à l’opération. Les rapports négatifs sapaient toute espérance. Pourtant, toute la journée, les appareils patrouillèrent au-dessus du Mac Kinley et de ses environs. Pas un indice ne fut laissé au hasard. Malheureusement, la dernière chute de neige n’apportait aucune chance.
— Votre camarade était marié ? demanda Mac Korner.
— Non, apprit Maubry. Sa vieille mère habite aux Etats-Unis. Aux studios, ils vous donneront son adresse exacte.
— Nous la préviendrons. Je suppose que cet accident ne vous incitera plus guère à filmer les loups.
Les policiers rentrèrent à Fairbanks à la nuit tombante. A son hôtel, Joe trouva un câble de son patron, le priant de l’appeler d’urgence.
Quand Robeson apparut sur l’écran, Maubry lui reconnut le visage des mauvais jours.
— J’exige que vous rentriez immédiatement. Vos frais de déplacement ne paient même pas les bobines que vous m’expédiez !… Eh bien ! ça ne vous impressionne pas ?
Joe, accablé par la tragique disparition de Tolby, affichait un pâle visage. Il expliqua à Robeson ce qui se passait. Du coup, la colère du gros homme tomba comme par enchantement.
— Excusez-moi, Maubry. C’est un sale coup. Vous pensez qu’il existe une corrélation avec les divers phénomènes qui s’abattent sur Fairbanks ?
— Je le crois.
— Alors, restez sur place et essayez d’élucider cette affaire. Je préviendrai la mère de Tolby. Si jamais nous le retrouvons vivant, nous aurons de la veine.
— Je garde confiance, patron, car Sam a disparu dans des circonstances trop mystérieuses. Un conseil : avertissez sa mère, mais laissez-lui un espoir.
— D’accord. Pour les bobines, j’y compte ?
— O.K., approuva Joe avec un pâle sourire. Mieux vaut quand même ne pas ébruiter la disparition de Tolby. Nous conservons la piste, avec Joan.
Il raccrocha. Puis il rejoignit sa fiancée, dans sa chambre. Il se jeta sur le lit et alluma une cigarette, fumant un moment en silence, les yeux mi-clos. Il pensait naturellement à Sam Tolby.
— Tu sais, je ne partage pas le pessimisme de Mac Komer, expliqua-t-il. Je crois sérieusement que Sam est vivant.
Joan, lasse de marcher inutilement, s’assit dans un fauteuil. Par la baie, on distinguait les lumières du building d’en face.
— On l’aurait capturé ?
— Oui, après nous avoir contraints d’atterrir. Tu te rappelles, ce petit brouillard ? J’ai demandé à un expert en chimie. Il est possible de créer des brouillards artificiels en répandant certaines substances dans l’atmosphère. Le contact avec l’air vaporise ces produits.
— Eh bien ! tu es rassuré, dit Joan. Ça sent la main de l’homme, et non d’extra-terrestres.
— Doucement. N’oublie pas. Le nuage nous a accompagnés tout au long de notre descente vers le sol. De plus, il s’est volatilisé d’un seul coup.
Deux performances au-dessus des techniques actuelles, toujours d’après mon expert en chimie. Le brouillard se forme au-dessus d’une zone délimitée et s’effiloche lorsque les substances se sont décomposées. Tu vois la différence.
La journaliste du Star Tribune hocha la tête.
— Où veux-tu en venir ?
— A ceci : Sam est vivant, et nous devons le retrouver coûte que coûte, sans l’aide de Mac Korner. Des étudiants esquimaux suivent des cours à Fairbanks. J’en ai contacté quelques-uns. Ils sont d’accord pour nous aider à construire un igloo.
— Tu es fou ! nota Joan.
— Non, prévenant. Si nous restons ici, les bras croisés, nous ferons un mauvais reportage. Le mystère se situe sur le petit plateau où nous avons passé la nuit.
— Tu veux y retourner ?
— Dans des conditions meilleures que la première fois. Un igloo nous permettra de mieux supporter la rigueur de la température. Nous expliquerons que nous construisons ça pour étudier et filmer le comportement des loups. Au besoin, nous prendrons quelques pellicules des carnassiers, à l’appui.
— Ça ne m’enchante pas ! grimaça la jeune fille.
Joe se dressa d’un bond, écrasa sa cigarette dans un cendrier et se planta devant sa fiancée, persuasif.
— J’irai seul, si tu te dégonfles.
— Bon, ne te fâche pas. Je t’accompagnerai.
Il serait quand même prudent de prévenir Mac Komer.
— Laisse Mac Komer tranquille. Nous aurons la radio.
Profitant d’une belle journée, Joe emmena sur place deux Esquimaux. Il posa l’hélicoptère de la T.V. sur le plateau et les trois hommes se mirent au travail. Rapidement, ils édifièrent l’igloo, ce qui n’exigeait guère de temps, avec un peu d’habileté.
Puis Maubry ramena les deux étudiants à Fairbanks, les remercia et les gratifia d’un généreux pourboire. Enfin, avec Joan, il prit possession de l’habitation.
Ils vécurent ainsi plusieurs jours, isolés du monde et, s’ils réussirent à filmer des loups, ils cherchèrent en vain Sam Tolby. Ils fouillèrent le bois où il avait disparu, mais le sol ne portait plus aucune trace.
Ils se résolurent à attendre d’improbables événements. Chaque jour, ils multipliaient leurs sorties en hélicoptère, au-dessus des forêts, des vallées ou des plateaux. Bref, ils manifestaient leur présence et, en aucun cas, ils ne se cachaient.
C’est ce que remarquait Joan avec inquiétude.
— A force de virevolter, de tournoyer, nous attirerons bien l’attention. De qui ? Je n’en sais rien. Mais je pense à Sam Tolby.
— Justement, approuva Joe. J’espère que ses ravisseurs montreront le bout de leur nez. Alors, nous pourrons les filmer.
La jeune journaliste aux yeux verts haussa les épaules. L’enthousiasme de son fiancé l’amusait.
— Tu t’illusionnes, mon pauvre chou. Nous ne reverrons jamais Sam. Nous nous gelons pour rien. Figure-toi que je commence sérieusement à regretter de t’avoir accompagné dans cette aventure.
— Tu n’as plus confiance ?
Ce matin-là, après une chute de neige pendant la nuit, le temps s’éclaircissait. Des pans de ciel bleu maculaient la grisaille. Le soleil filtrait à travers un voile. Le froid mordait, vif.
Dans l’igloo régnait une chaleur douce, presque confortable. Le chauffage au gaz donnait toute satisfaction. Les deux reporters buvaient du café mélangé à du lait en tube.
Brusquement, Joe se dressa, rampa et parut au seuil de l’habitation. Il fronça les sourcils. Un épais brouillard enveloppait le plateau.
— Joan ! appela Maubry.
Sa fiancée le rejoignit. Elle observa la brume avec méfiance.
— On dirait…
Comme elle hésitait, il acheva sa pensée :
— Brouillard artificiel. Je n’aime pas beaucoup ça !
Ils tentèrent de sortir de la zone opaque. Ils n’y réussirent pas. Ils étaient parvenus jusqu’à l’orée des mélèzes sans se débarrasser de cette inexplicable purée de pois qui collait à eux, et se déplaçait probablement à la même vitesse.
Joan s’accrocha, tremblante, au bras de son fiancé. Pâle, elle balbutia :
— Comme Sam Tolby, nous…
Elle s’arrêta, figée, les yeux dilatés. Joe aussi, restait immobile, pétrifié comme une statue. Dans la brume, ils discernèrent une vague silhouette qui s’orientait vers l’igloo.