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Dutton, lundi 5 février, 13 h 20

 

Charles Grant s’était installé sur sa chaise pliante, les deux mains sagement croisées sur sa canne. Il contemplait de loin la tombe de Janet Bowie. A l’enterrement de Sheila, lui et ses compagnons avaient trouvé une place aux premières loges, mais cette fois ils avaient été relégués à l’arrière. Au fond, ce n’était pas plus mal car d’ici, ils voyaient tout et on ne les voyait pas. Aussi, quand son téléphone se mit à vibrer, il le sortit discrètement de sa poche sans craindre d’être remarqué.

Un texto ! Il espéra que Paul lui annonçait que Daniel Vartanian et Alex Fallon l’attendaient dans le sous-sol de sa maison. Mais il fut déçu car le message provenait du portable jetable qu’il avait procuré la veille à Bobby. Mais le contenu du message le consola. C’est l’heure du grand final...

Bobby tenait Susannah. Il faut que je file d’ici. Il fit la grimace et serra le pommeau de sa canne.

— Ma sciatique murmura-t-il au Dr Fink, le dentiste, qui se trouvait à sa droite.

Il se leva avec difficulté, toujours en grimaçant de douleur.

— J’ai besoin de marcher un peu, ajouta-t-il.

Il s’éloigna lentement de ses compagnons, tout en murmurant des excuses.

L’heure de mourir était venue pour Susannah.

Mais ensuite, il aurait à s’occuper de Bobby ; il ne la contrôlait plus et il allait devoir la tuer. Il caressa le pommeau de sa canne.

Comme j’ai tué Darcy il y a six ans.

 

Dutton, lundi 5 février, 13 h 30

 

— Merde ! s’énerva Luke.

Il venait de fouiller la maison de Charles Grant, et Bobby n’était pas là.

Pete balaya le salon du regard.

— On s’attaque aux murs ? demanda-t-il.

— Pas encore, répondit Luke. Charles Grant est au cimetière pour le moment et il ne se doute de rien.

Germanio venait de le lui confirmer par téléphone.

Ils étaient entrés sans se faire remarquer — un exploit avec tous ces médias qui avaient envahi Dutton pour couvrir l’enterrement de Janet Bowie. Ils avaient songé à appeler le shérif de la ville en renfort, mais Charles et Bobby avaient peut-être encore des hommes dans l’équipe... Luke s’était donc adressé au shérif Corchran d’Arcadie. En ce moment, il montait la garde devant la maison, posté dans une voiture banalisée.

Corchran avait montré à Luke comment rejoindre le quartier de Grant en évitant les embouteillages. Luke avait franchi le seuil le cœur battant, avec l’espoir de débusquer Bobby. Mais pas de Bobby. Et il ne restait plus qu’à espérer que la maison elle-même recelait quelque secret.

Autour de lui, son équipe piaffait d’impatience.

— Continuez à fouiller, mais n’oubliez pas que notre mandat concerne uniquement Bobby et tout ce qui touche au bunker, annonça-t-il.

Chloe n’avait pas pu faire mieux.

Pete monta à l’étage, Nancy descendit à la cave. Luke resta dans le salon.

Grant avait animé l’atelier théâtre du lycée pendant de nombreuses années et l’un des murs était recouvert d’affiches de théâtre. Luke remarqua celle de Blanche-Neige, avec Bobby dans le rôle principal, et il songea à Kate Davis, qui y avait gagné son surnom en jouant un écureuil.

Les étagères de Grant croulaient sous les livres et Luke entreprit de les passer en revue, un par un. Homère, Plutarque, Dante... Tout semblait indiquer que cet homme était bien ce qu’il prétendait être — à savoir un professeur d’anglais à la retraite.

Luke soupira.

— Luke ! appela la voix angoissée de Nancy. Viens voir !

Il dégringola l’escalier pour la rejoindre.

— Tu as trouvé Bobby ?

Nancy se tenait devant une porte blindée installée dans un mur en béton.

— Mêmes matériaux de construction que dans le bunker et la cave de Mansfield, fit-elle remarquer. Voyons ce qu’il cache là-dedans...

Elle ouvrit la porte et, aussitôt, une odeur épouvantable les assaillit.

Il s’agissait d’une chambre de torture, avec des chaînes au mur et des étagères couvertes d’objets pointus et de couteaux. Au milieu, on avait construit une dalle surélevée et Luke ne put s’empêcher de penser au laboratoire de Frankenstein. Sur cette dalle, il y avait un homme ou plutôt ce qu’il en restait.

— C’est Borenson ! s’exclama Luke.

En entrant, il remarqua un confortable fauteuil, près d’une table agrémentée d’un joli napperon et d’une lampe.

— Seigneur, murmura-t-il. Grant s’installait ici pour se régaler du spectacle.

Nancy montra un appareil.

— Tout en écoutant du Mozart, compléta-t-elle.

Luke contempla le corps de Borenson d’un air atterré.

— Je me demande quelle information pouvait détenir cet homme pour que Grant lui réserve un tel traitement... Il a été torturé pendant plusieurs semaines...

Il sortit de la pièce.

— Referme bien cette porte derrière toi, Nancy, dit-il. Qu’on puisse respirer. Bon travail.

— Merci, répondit Nancy. Regarde...

Elle fit coulisser un pan de mur qui vint recouvrir l’accès au bunker.

— C’est le même système que chez Mansfield, j’ai tout de suite reconnu le béton... Il y a peut-être d’autres pièces dissimulées dans cette maison.

— Il n’est donc pas exclu que Bobby soit cachée quelque part, en train de nous observer.

Il grimpa l’escalier avec l’intention d’appeler Chase à l’étage, mais son portable sonna avant qu’il eût atteint le haut des marches. C’était Chase justement. Il était en voiture.

— Nous n’avons pas trouvé Bobby pour l’instant, annonça Luke. Mais le corps de Borenson est ici. Il a été torturé. Germanio peut arrêter Charles Grant.

— Contacte tout de suite Germanio pour le lui dire. Rien du tout sur Bobby ?

— Non, mais nous continuons à fouiller, répondit Luke.

Chase paraissait tendu. Le pouls de Luke s’accéléra.

— Tout va bien pour Susannah ?

L’idée quelle se trouvait de nouveau chez les Vartanian lui donnait la chair de poule. Mais Chase avait donné son autorisation et Tania espérait trouver là-bas des éléments permettant d’établir le lien entre l’affaire Darcy et celle d’aujourd’hui.

— Tout va bien, répondit Chase. Je m’occupe de Paul Houston, l’agent que Grimes a repéré à Charlotte. Nous avons sa photo. Luke... Houston est le type que Susannah a décrit à notre dessinateur.

— Quoi ? Tu es en train de me dire que c’est un flic d’Atlanta qui a violé Susannah à New York?

— On dirait bien. Mais ce n’est pas tout. Ce matin, Paul Houston s’est porté volontaire pour surveiller la maison de Daniel.

Le sang de Luke se glaça.

— Seigneur...

— Daniel va bien, s’empressa de le rassurer Chase. Je l’ai prévenu dès que j’ai su. Figure-toi qu’il a eu un problème avec son chien qui a sali son salon et que ta mère a appelé un de tes cousins à la rescousse.

Luke soupira de soulagement.

— Nick. Il possède une entreprise de nettoyage. Il va bien ?

— Très bien. En attendant que le nettoyage soit terminé, Daniel et Alex se sont réfugiés chez ta mère. Ta mère aussi va bien. Tout le monde va bien sauf moi. Je suis en contact avec le service interne de la police d’Atlanta, mais je suis allé chez Daniel pour surveiller le type de près, tout de suite. Il y a cinq minutes, il a reçu un appel sur son portable et il a démarré. Je le suis. Il roule vers l’ouest. Il a l’air pressé.

— Vers Dutton...

— Peut-être. On va me relayer pour la filature, pour qu’il ne se doute de rien. J’espère qu’il va rejoindre Bobby. Appelle Susannah pour la mettre au courant. Termine ta fouille, mais sans outrepasser aux limites de ton mandat; je ne voudrais pas que Charles nous échappe pour vice de forme. Je t’appellerai dès que je saurai où va Paul Houston.

 

Dutton, lundi 5 février, 13 h 30

 

Bobby n’arrivait pas à s’arrêter de sourire. Susannah était à genoux devant elle et, le comble, près des liasses de billets qu’elle venait de sortir du coffre de son père.

— Où est l’agent Scott ? demanda Susannah d’un ton glacial.

Bobby dut reconnaître qu’elle avait du cran.

— Elle n’est pas morte, si c’est ce que tu veux savoir. Je ne l’ai pas encore tuée.

Susannah l’observa attentivement.

Elle a les yeux gris, pas les yeux bleus des Vartanian.

— Il y a combien de fric dans ce coffre ?

Susannah haussa les épaules.

— Plusieurs milliers de dollars. Peut-être plus. Prenez-les et partez.

Bobby sourit.

— Je vais partir. Mais d’abord tu vas ouvrir pour moi tous les coffres de cette maison.

Susannah la défia du regard.

— Vous n’avez qu’à les ouvrir toute seule.

La réplique lui valut un coup de pied sous le menton qui l’envoya à terre, sur le dos.

— Je t’ai demandé de le faire, râla Bobby en posant son pied sur sa gorge et le canon de son revolver sur sa tempe. A présent, lève-toi. Et la prochaine fois que tu me tiens tête, je récompense l’agent Scott d’une balle.

Sur ce, elle saisit Susannah par les cheveux pour la faire se lever. Susannah ne gémit pas et Bobby songea une fois de plus que cette femme était coriace et qu’il ne fallait surtout pas la sous-estimer. Elle la poussa hors du bureau et elles passèrent devant l’agent Scott, qui gisait, à moitié inconsciente après avoir reçu une décharge de Taser, bâillonnée, menottée et ligotée.

Elles grimpaient l’escalier, quand Bobby entendit une faible sonnerie. Susannah s’arrêta net.

— C’est mon portable, dit-elle. Il s’agit probablement de l’agent Papadopoulos. Si je ne réponds pas, il va s’inquiéter.

Bobby réfléchit. Une fois qu’elle aurait tué Susannah, elle s’intéresserait au cas Papadopoulos. Il était du genre à ne pas lâcher une proie, surtout si cette proie avait tué Susannah Vartanian. Ce qui n’allait pas tarder.

Mais elle préférait s’occuper de lui à un moment plus opportun car elle avait déjà deux femmes sur les bras. Papadopoulos était un grand gaillard et, s’il se déplaçait jusqu’ici, ce serait avec du renfort. Mieux valait le tenir à distance.

— Ton téléphone est équipé d’un haut-parleur ?

— Oui.

— Alors, réponds, fit Bobby en redescendant pour s’agenouiller près de l’agent Scott.

Elle la visa avec son revolver.

— Mais fais attention à ce que tu dis, petite sœur. Pense à ta copine.

Susannah pâlit.

— Ça ne sonne plus, murmura-t-elle.

— Rappelle-le. Dis-lui que tu as trouvé les dossiers que tu cherchais et que tu rentres à Atlanta avec ta copine. Tâche d’être convaincante.

Susannah allongea le bras vers son sac.

— Hé! cria Bobby. Je me méfie de ton sac; je n’ai pas oublié l’exploit d’hier.

— Je ne suis pas armée, répondit Susannah.

— Je préfère ne pas prendre de risque. Apporte ton sac ici et jette-le à terre devant moi. Tout de suite.

Susannah obéit et Bobby fouilla le sac.

— Très bien, fit-elle. Pas d’arme. Lève les mains.

Susannah jeta un coup d’œil à Talia Scott, puis leva les mains en silence. Bobby lui passa les menottes.

— Appelle ton mec, maintenant, dit-elle d’un ton satisfait. Et mets le haut-parleur.

Une fois de plus, Susannah obéit en silence.

— Luke, c’est moi. Désolée, je n’avais pas mon téléphone sur moi.

Luke soupira de soulagement.

— Je commençais à m’inquiéter, répondit-il. Où es-tu?

— Dans la maison de papa et maman. Nous avons trouvé les dossiers de papa et nous allons bientôt rentrer à Atlanta.

— Tu as trouvé des dossiers mentionnant Darcy Williams ?

— Oui. A tout à l’heure.

— Susannah... Attends... Tu as mis le haut-parleur ?

— Oui. J’ai les mains pleines, je ne peux pas tenir mon téléphone.

— Où est Talia?

— Dehors, dans la voiture, improvisa-t-elle.

Bobby acquiesça.

— Elle est en train de charger les dossiers ; il y a des registres et des journaux intimes.

— Pourquoi as-tu les mains pleines, si c’est Talia qui charge la voiture ?

Susannah hésita.

— Je... je transporte une boîte, fit-elle d’un ton qui se voulait joyeux. Avec des affaires de maman que je tiens à garder.

Elle hésita de nouveau.

— Je t’aime, Lukamou, ajouta-t-elle. A plus tard.

Elle raccrocha en tremblant.

— Comme c’est mignon, commenta Bobby en ricanant.

De son bras valide, elle traîna l’agent Scott et l’enferma dans un réduit qui se trouvait sous l’escalier. Puis elle se ravisa et rouvrit la porte pour lui tirer une balle dans la jambe. Le hurlement de Scott fut étouffé par son bâillon et Bobby jeta un coup d’œil amusé vers Susannah qui paraissait horrifiée.

— Leigh Smithson m’a dit que Talia Scott était une femme exceptionnelle, une véritable magicienne quand il s’agissait de s’échapper.

— Vous n’aviez pas besoin de tirer sur elle, protesta Susannah. Elle ne représentait aucune menace.

— Comme je te l’ai déjà dit, je ne veux pas prendre le moindre risque. Cette balle était destinée à la ralentir au cas où elle parviendrait à se détacher. A présent, grimpe cet escalier et commence à récapituler les dates de naissance de toute la famille Vartanian. Nous avons au moins quatre coffres à ouvrir.

— Six, fit tristement Susannah. Il y en a six.

Luke raccrocha en essayant de ne pas céder à la panique.

— Pete ! Pete !

Pete arriva en courant, avec un carnet relié dans les mains.

— Regarde ce que j’ai trouvé derrière l’armoire de la chambre de Grant, annonça-t-il d’un ton triomphant. Le mur coulissait, comme dans les films. Il y en a une centaine comme celui-ci. Qu’est-ce qui se passe ?

— Susannah, murmura Luke. Je viens de l’avoir au téléphone. Je crois qu’elle est avec Bobby.

Pete posa une main sur son épaule.

— Respire. Qu’est-ce qu’elle t’a dit ?

— Elle m’a dit qu’elle était « avec Talia dans la maison de papa et maman », qu’elles avaient trouvé les dossiers de « papa », qu’elle avait mis le haut-parleur de son téléphone parce qu’elle avait dans les mains une boîte contenant des affaires de sa « maman » qu’elle voulait emporter.

Pete avala sa salive.

— Merde.

Et ensuite elle m’a dit quelle m’aimait sur le ton de quelqu’un qui dit adieu.

— J’étais sur le point de lui parler de Paul Houston, mais j’ai préféré me taire.

— Tu as bien fait.

— Je file chez les Vartanian, dit Luke. Tout de suite.

— C’est risqué, protesta Pete.

Puis il soupira.

— Je t’accompagne.

Luke sortait déjà en courant, Pete le suivit.

— Appelle Germanio et dis-lui d’arrêter Charles Grant.

Pete claqua la portière de la voiture au moment où Luke démarrait.

— Quel est le motif?

— Commence par le meurtre du juge Borenson.

— On peut ajouter extorsion de fonds, fit Pete en tapotant le carnet qu’il tenait toujours à la main. Il faisait chanter presque toute la ville.

— Ça ne m’étonne pas, mais je ne pense pas qu’on puisse s’en servir tout de suite. Ce carnet n’est pas couvert par notre mandat. Pour l’instant, le meurtre de Borenson suffira.

Pete composa le numéro de Germanio.

— Hank, c’est Pete. Tu peux arrêter Charles Grant et l’embarquer. ..

Pete se tut et fronça les sourcils.

— Comment ça, tu l’as perdu?

Luke prit le téléphone des mains de Pete, tout en appuyant sur l’accélérateur.

— Où est-il ? hurla-t-il.

— Il a quitté le cimetière, répondit Germanio d’un ton piteux. Je crois qu’il a pris la direction opposée à la ville.

— Et tu ne m’as pas prévenu ?

— Je le suivais. Mais il a brusquement bifurqué et j’ai dû continuer mon chemin pour qu’il ne me repère pas. Quand je suis revenu en arrière, il avait disparu. Je suis désolé...

— Tu es désolé ? Désolé ?

Respire.

— Où es-tu ?

— A environ huit kilomètres du cimetière. Je rentre à Atlanta.

— Non. File chez le juge Vartanian. C’est en bordure de la ville, une très belle maison. La voiture de Talia est garée devant. Approche en silence et attends mon arrivée. Bobby est à l’intérieur avec Susannah et Talia.

— Entendu.

— Germanio... Ecoute-moi bien. Tu m’attends, c’est compris

Luke rendit le téléphone à Pete.

— Je me méfie de ce cow-boy.

— Il n’est pas le seul cow-boy, fit remarquer Pete.

Luke lui lança un mauvais regard.

— Que ferais-tu si un meurtrier séquestrait Ellie ?

Ellie était la femme de Pete. Elle était mignonne, petite et fragile et Pete était aux petits soins avec elle.

— Pourquoi crois-tu que je t’accompagne ? rétorqua Pete Concentre-toi sur la route. J’appelle Chase.

 

Dutton, lundi 5 février, 13 h 35

 

Charles était furieux. Un type du bureau de Georgie l’avait suivi. Il n’avait eu aucun mal à le semer, mais ça signifiait qu’il était démasqué. Ils savaient. Merde.

Il avait toujours pensé que ça arriverait un jour, mais il avait cru retarder l’échéance en aidant Daniel Vartanian à identifier Mac O’Brien.

Mais tout avait une fin. Inutile de se lamenter, il fallait maintenant songer à disparaître sans laisser de traces. Les objets de valeur il les transportait avec lui, dans sa boîte en ivoire, mais il restait les documents cachés dans sa maison.

— J’ai besoin de toi à Dutton, dit-il.

— Tant mieux, fit Paul, parce que j’y vais, justement. Ça fait un heure que j’essaye de te joindre.

— Je t’avais dit de m’envoyer un texto en cas d’urgence parce que je ne pouvais pas répondre pendant la cérémonie, répondit sèchement Charles. Même Bobby avait compris ça.

— Je ne peux pas taper un texto tout en conduisant, fit Paul blessé par la remarque. J’ai reçu un appel. Ton système d’alarme s’est déclenché et quelqu’un est entré chez toi.

Charles faillit s’étouffer.

— Quoi?

— Tu m’as bien entendu. J’ai réglé ton système d’alarme pour être prévenu directement, sans passer par la société qui le gère. Quelqu’un est entré par ta porte de derrière à 13 h 17.

— Je viens de me faire suivre par un gars du bureau de Georgie, fit Charles. Ils doivent être déjà en train de fouiller chez moi. Je voulais justement te demander de mettre le feu, mais c’est trop tard. Ils vont trouver mes registres, je n’ai plus qu’à disparaître.

— Où comptes-tu aller ? demanda Paul avec un zeste de panique dans la voix.

— A Mexico et ensuite en Asie du Sud-Est. Mais d’abord, je passe chez les Vartanian. Bobby est là-bas avec Susannah. Je vais les éliminer toutes les deux, comme ça elles ne pourront pas parler de toi. Ensuite, je t’attendrai derrière la maison. C’est toi qui m’emmènes au Mexique. Une fois là-bas, tu auras le choix entre revenir ici et me suivre.

— Je te suis, fit Paul sans hésiter.

Charles sourit. Il n’en avait jamais douté.

 

Dutton, lundi 5 février, 13 h 35

 

Pete referma son téléphone.

— On nous envoie des renforts. En attendant, il faut que tu saches ce qu’il y a dans ce carnet. Ça ne va pas te plaire et je te demande malgré tout de rester calme.

— D’accord, répondit Luke. Tu m’as dit que Grant faisait chanter presque toute la ville. J’attends la suite.

— La suite concerne deux juges que tu connais bien.

— Borenson et Vartanian, proposa Luke.

— Voilà. Les carnets de Grant sont rangés par ordre alphabétique. Il y en avait trois, rien que pour la lettre V. Un pour Simon et Arthur, un autre pour Daniel et sa mère, le troisième pour Susannah. Ecoute ça...

Luke écouta, les mains crispées sur le volant. C’était incroyable, impardonnable, inhumain... La vie de Susannah avait été ruinée parce que Grant et Vartanian s’étaient disputé le contrôle d’une ville paumée. Elle n’avait été qu’un pion.

— Seigneur, murmura Luke.

— Tu crois qu’on peut utiliser ces registres ? demanda Pete. Ça n’a rien à voir avec le bunker, mais...

— Il faut demander à Chloe, répondit Luke.

Il était tellement furieux qu’il avait l’impression de se consumer de l’intérieur.

— Bien sûr, si Charles mourait... La question ne se poserait plus...

Pete se tut.

— En effet... J’ai pigé. Tu peux compter sur moi.

Luke avala sa salive, ému.

— Je te le revaudrai un jour.

Pete eu un petit rire.

— Ça m’étonnerait que tu en aies l’occasion. Roule.

 

Dutton, lundi 5 février, 13 h 45

 

— Aucune date de naissance n’ouvre ce coffre, soupira Susannah.

— Ta gueule, petite sœur, fit Bobby en lui plantant le canon du revolver dans le dos. Essaye d’autres dates et tais-toi.

Susannah avait réussi à ouvrir trois coffres. L’un était vide, l’autre contenait des documents officiels, le dernier protégeait les bijoux en strass de Carol. Bobby s’était réjouie en croyant qu’il s’agissait de vrais diamants, et Susannah ne l’avait pas détrompée.

Bobby avait également comptabilisé dans son butin le service en argent de grand-mère Vartanian auquel elle semblait tenir tout particulièrement. Susannah n’avait même pas essayé de comprendre pourquoi.

Pour l’instant, elle cherchait à gagner du temps. Agenouillée sur le parquet de la chambre de ses parents, elle tenta de nouveau d’ouvrir ce coffre récalcitrant.

— Je ne suis pas ta petite sœur, protesta-t-elle. Et je t’assure que ce coffre est vide. Daniel l’a vidé il y a trois semaines.

— S’il l’a vidé, c’est qu’il connaissait la combinaison. Donc tu dois la connaître aussi. Si c’est bien une date de naissance...

Bobby enfonça le canon de son revolver sur la tempe de Susannah.

— Et tu es ma petite sœur.

Susannah chancela en grimaçant de douleur. Où es-tu, Luke? Elle était certaine qu’il avait compris le message. Elle n’aurait jamais appelé son père « papa » et jamais il ne lui serait venu à l’idée d’emporter des affaires de sa « maman ». Elle songea à Talia, qui perdait son sang sous l’escalier, et pria pour que Luke arrive à temps pour les sauver toutes les deux.

Débrouille-toi pour temporiser...

— Tu n’es pas ma sœur. Pas même ma demi-sœur. Nous n’avons aucun lien de parenté.

Bobby la gifla violemment.

— C’est donc si dur que ça à admettre? fit-elle avec des yeux brûlants de haine.

Susannah remua la mâchoire. Elle avait les larmes aux yeux.

— Ton père est bien Arthur Vartanian, mais il n’est pas le mien.

Elle avait espéré que cette révélation apaiserait un peu la colère de Bobby, mais celle-ci parut surtout déstabilisée.

— Tu mens, dit-elle.

— Pas du tout. J’ai un test de paternité pour le prouver. Mon père était Frank Loomis.

Bobby eut quelques secondes d’hésitation, puis elle renversa la tête en arrière et éclata de rire.

— Putain... La douce Suzie Vartanian était aussi une bâtarde...

Puis elle redevint sérieuse.

— Compose le code de ce coffre, Suzie. Ou je descends et je fais sauter la cervelle de ta copine.

Susannah avala sa salive.

— Je ne la trouve pas, c’est la vérité.

Bobby fronça les sourcils.

— Lève-toi.

Susannah obéit en poussant un soupir de soulagement. Puis elle se figea. Une voiture venait de s’arrêter devant la maison. Luke... Pourvu que ce soit Luke... Bobby aussi avait entendu la voiture. Elle avança lentement jusqu’à la fenêtre.

— Merde, murmura-t-elle. Nous avons de la compagnie. Qui est ce type ?

Susannah ne bougea pas, mais Bobby la tira violemment par les cheveux pour la faire venir près de la fenêtre. Hank Germanio approchait prudemment de la maison, le revolver à la main.

— Je ne sais pas, mentit-elle. Je ne l’ai jamais vu.

— Tu mens bien, murmura Bobby d’un ton doucereux. Heureusement que Leigh m’avait parlé de lui. C’est Hank Germanio, un gros benêt impulsif.

Elle poussa Susannah vers l’escalier.

— Appelle à l’aide, ordonna-t-elle.

— Non, protesta Susannah. Je refuse de l’attirer dans un piège. Vous pouvez me tuer, ça m’est égal.

— Oh, je te tuerai, ne t’en fais pas pour ça. Mais quand tu auras ouvert tous les coffres. Pour l’instant, je vais m’occuper de ce grand dadais.

Elle plaça Susannah devant elle, en bouclier, tout en haut des marches, et posa le canon de son arme sur sa tempe.

— A l’aide, hurla-t-elle. Elle est armée... Seigneur... Elle va tuer Susannah.

A travers la petite fenêtre de l’escalier, Susannah vit Germanio lever les yeux. Il l’aperçut et parut hésiter.

— N’entrez pas, cria-t-elle. C’est un piège.

Trop tard... Germanio franchissait déjà la porte d’entrée. Bobby tira tranquillement. Elle l’atteignit en pleine tête et il mourut avant même de toucher le sol.

Susannah ne se contrôlait plus.

— Va au diable, hurla-t-elle.

Elle projeta ses mains menottées sur le côté et frappa de toutes ses forces le bras blessé de Bobby. Bobby hurla de douleur et Susannah en profita pour la bousculer. Comme elle chancelait, elle se jeta sur elle et elles dégringolèrent ensemble l’escalier.

Bobby avait agrippé les cheveux de Susannah, laquelle se défendait en lui donnant des coups de pied. Elle tenta de remonter les marches, mais Bobby la retint par les chevilles.

Où est passé le revolver? Elle ne l’a plus, sinon elle aurait tiré.

Tout en continuant à lutter, Susannah chercha du regard l’arme de Bobby. Elle la vit juste en même temps que Bobby, sur la dernière marche.

Elle va l’atteindre avant moi. Elle va me tuer.

Dès que Bobby la lâcha pour ramper vers son arme, Susannah prit la direction opposée et grimpa l’escalier, hors d’haleine.

Sauve-toi. Sauve-toi.

* * *

 

Dutton, lundi 5 février, 13 h 50

 

Ils étaient presque arrivés. Luke s’efforça d’oublier sa colère et de ne plus penser qu’à Talia et Susannah qui se trouvaient à la merci de Bobby. Il allait s’occuper de Bobby et ensuite de Charles. Charles ne s’en tirerait pas comme ça.

Il sursauta quand son téléphone sonna.

— Papadopoulos.

— Luke, c’est Chase. Où es-tu ?

— A deux minutes de la maison du juge Vartanian. Et Paul Houston ?

— Il allait vers Dutton, puis il a bifurqué.

Luke comprit.

— Il fait un détour pour éviter les routes principales, mais il vient ici, chez les Vartanian. Pour aider Bobby, sans doute.

— Il ne vient pas aider Bobby, mais Charles. Mets ton haut-parleur, que Pete entende aussi. Michael Ellis a fini par craquer. Paul Houston est son fils. Ce n’est pas Ellis qui a tué Darcy, mais Paul Houston, commandité par Charles Grant.

Luke fronça les sourcils.

— Ellis a accepté d’endosser le meurtre pour sauver son fils ?

— Et Houston a fait porter le chapeau à son père ? renchérit Pete. Pourquoi ?

— Par vengeance, expliqua Chase. Ellis était dans un camp de prisonniers au Viêt-nam avec Charles Grant.

Luke secoua la tête.

— Il vous a menés en bateau... J’ai vérifié. Grant n’a pas fait le Viêt-nam.

— Il ne s’appelait pas Charles Grant, mais Ray Ludwa. C’était un tireur d’élite. Il a été capturé en 1967, il a rencontré Ellis et ils se sont évadés ensemble. Ellis voulait absolument rentrer chez lui.

A la même période, sa petite amie venait d’abandonner leur enfant, c’est-à-dire Paul. Quand Ellis et Ludwa se sont trouvés à court de vivres, Ellis a tiré sur Ludwa et l’a abandonné dans la jungle en le laissant pour mort.

— Le salaud, murmura Luke. Et ensuite ?

— D’après Ellis, Ludwa a refait surface dix-huit ans plus tard à Dutton, sous le nom de Charles Grant. Il avait choisi Dutton parce que c’était là que s’était installée la mère de Paul. Elle s’appelle Angie Delacroix et elle travaille aussi pour Charles Grant.

Luke poussa un cri de surprise.

— Bon sang... Mais pourquoi a-t-elle accepté de répondre à mes questions, je n’y comprends plus rien... Elle nous a mis sur la piste de Ridgefield House...

— Je ne sais pas. Je l’ai arrêtée, mais elle refuse de parler. Ellis, par contre, a tout déballé quand Al lui a dit que nous savions pour Paul. Charles a repéré Paul quand il avait huit ans. Il lui a donné des cours de soutien scolaire par l’intermédiaire d’une association de bénévoles et il en a profité pour le rallier à sa cause et le monter contre ses parents — les vrais et les parents adoptifs. D’après Ellis, Paul serait prêt à mourir pour Charles.

— Dans ce cas, pourquoi Ellis a-t-il accepté de payer pour son fils ? demanda Pete.

— Charles l’a menacé de demander à Paul de tuer Angie.

— On peut dire que Charles s’est bien vengé d’Ellis, commenta Luke. Il lui a pris son fils et il l’a envoyé en prison.

— Exactement, fit Chase. Je suis toujours derrière Paul Houston et nous sommes à vingt minutes de Dutton. Il a mis son gyrophare pour aller plus vite et il n’a pas l’air de se douter qu’il est démasqué. Je vous ai envoyé tous les agents qui se trouvaient au cimetière. Attendez-les.

— Nous arrivons sur place, répondit Luke.

Pourvu qu’elle soit toujours en vie...

Ils étaient déjà presque en vue de la maison Vartanian et ils étaient maintenant escortés de trois voitures de patrouille de la police d’Arcadie ainsi que d’une ambulance. Luke remercia mentalement le shérif Corchran.

— Nous avons déjà du renfort, dit-il. Nous n’aurons pas besoin d’attendre.

Chase soupira.

— Soyez prudents. Bonne chance.

— Merci.

Luke ralentissait pour expliquer la situation aux renforts, quand il entendit un coup de feu.

— Ça venait de l’intérieur de la maison ! s’exclama-t-il.

Susannah.

Il écrasa la pédale d’accélérateur et fonça dans l’allée, en s’arrêtant derrière la voiture de Germanio. Puis il sortit de sa voiture et se mit à courir, suivi de Pete.