8
Ellijay, Géorgie du Nord, samedi 3 février, 2 h 15
— Luke, réveille-toi, on est arrivés.
Luke battit des paupières. L’agent spécial Talia Scott avait arrêté la voiture sur le bas-côté d’une route en terre bordée d’arbres qui, d’après leur carte, menait à la cabane du juge Walter Borenson.
— Je ne dormais pas, dit-il. Je reposais simplement mes yeux.
— Tu en es sûr ? Parce que tu as ronflé à réveiller les morts. Pas étonnant que tu ne puisses pas garder une petite amie.
— J’ai peut-être un peu somnolé, admit-il.
Il jeta un coup d’œil au rétroviseur. Chase était derrière eux et deux camionnettes fermaient la marche. L’une transportait une équipe d’intervention rapide et l’autre des techniciens de la police scientifique.
— Nous avons un mandat signé ? demanda Luke.
— Oui, répondit Talia. Chloe a râlé parce qu’on la réveillait en pleine nuit. Elle avait un rendez-vous tôt demain matin et elle craignait pour sa mine, mais elle nous a tout de même obtenu le mandat.
Elle avait rendez-vous, oui... Avec Susannah. Avant de s’endormir, il avait failli parler à Talia de la déposition de Susannah. Talia avait interrogé les autres victimes du cercle de Simon et de Granville, et si Susannah était appelée à témoigner, Talia en serait informée. Pourtant, il avait tenu sa langue, car tant que rien n’était signé, il n’avait pas le droit de dévoiler la vie privée de Susannah.
— Chloe ne refuse jamais un service, dit-il en sortant de la voiture. Si l’associé de Granville est ici, nous le coincerons.
Talia balaya le chemin de terre avec le faisceau de sa lampe de poche.
— Pas de traces de pneus, commenta-t-elle. Mais le sol est très sec, donc ça ne veut rien dire.
Elle huma l’air.
— Personne ne fait du feu dans les parages, ajouta-t-elle.
Chase approchait en nouant les lanières de son gilet pare-balles.
Il tenait à la main deux paires de lunettes à infrarouge et des écouteurs.
— C’est pour vous deux, dit-il. Je propose d’approcher en coupant sous les arbres. Je passe à gauche. Talia, tu prends à droite. Luke, tu fais le tour et tu surveilles l’arrière de la cabane. S’ils sont à l’intérieur, je ne veux pas qu’ils nous voient arriver.
Luke songea au carnage qu’ils avaient découvert dans le bunker, aux yeux vides des cadavres, à ce petit trou rouge au milieu de leur front. Lui aussi voulait surprendre ces salauds et ne leur laisser aucune chance de s’échapper.
— Allons-y, murmura-t-il.
Ils partagèrent l’équipe d’intervention en trois groupes et se mirent en route, en se glissant silencieusement à travers les arbres. Luke eut la sensation que la cabane était vide ; elle n’était pas éclairée et, même de loin, elle avait l’air abandonnée.
Il émergea de dessous les arbres en même temps que Chase et contourna la maison. Il s’approchait lentement, en silence, quand il entendit un grognement sourd.
Un gros chien, un bulldog atrocement laid, se leva péniblement et avança en boitillant sur le porche, en montrant les dents.
— Nous sommes en position, murmura la voix de Chase à son oreille.
Luke continua à approcher.
— Du calme, mon chien, dit-il doucement.
Le chien montrait toujours ses dents et grognait, mais il n’avait pas l’air de vouloir attaquer; au contraire, il reculait à mesure que Luke avançait.
Nous sommes prêts, Chase, fit Luke.
Luke poussa la porte et s’arrêta net, saisi par la puanteur.
— Seigneur..., murmura-t-il.
Police, ne bougez pas, cria Chase depuis la porte d’entrée.
Mais la cabane était vide.
Luke actionna un interrupteur et fut aussitôt rassuré sur l’origine de l’odeur. Quatre poissons pourrissaient sur le comptoir, dont un à moitié évidé, et un long couteau fin gisait sur le sol, couvert de sang coagulé.
— Rien dans la chambre, cria Talia.
Chase contempla le poisson en faisant la grimace.
— Bon, ce ne sont que des poissons, dit-il. J’ai cru un moment que cette effroyable odeur provenait du corps en putréfaction de Borenson.
— On dirait qu’il a été interrompu en plein travail, commenta Luke, et que quelqu’un a fouillé ici.
L,es tiroirs de la salle à manger étaient ouverts et en désordre. On avait lacéré le canapé dont le rembourrage s’était répandu un peu partout dans la pièce, et on avait aussi vidé les étagères de leurs livres et ôté les tableaux accrochés au mur — les cadres brisées jonchaient le sol.
— Hé, Papa, appela Talia depuis la chambre. Viens par ici.
Luke fit la grimace en découvrant le lit souillé de sang. Il se pencha sur une photo qui traînait sur un petit tas de verre brisé, elle représentait un vieil homme tenant une canne à pêche, avec un chien à ses pieds.
— C’est le chien que nous avons vu sur le porche, commenta Luke. Je suppose que l’homme, c’est Borenson.
— Talia, tu restes ici avec les gars du labo, ordonna Chase. Luke et moi, nous allons fouiller les alentours, des fois que quelqu’un aurait abandonné le cadavre de Borenson dans un fourré. Ensuite, nous irons interroger les gens en ville. De toute évidence, les filles ne sont pas ici, et ça m’étonnerait qu’elles y soient passées. Mais nous ne sommes pas venus pour rien. Apparemment, le juge Borenson a été agressé et j’ai l’impression que ç’a un rapport avec notre affaire.
Un gémissement attira leur attention, le chien venait de se laisser tomber aux pieds de Luke.
— Quest-ce qu’on fait avec le chien ? s’inquiéta Talia.
— Donne-lui à manger, répondit Luke. Ensuite, demande aux gars du labo de l’embarquer à Atlanta. Il a peut-être mordu un suspect ; il faut analyser sa denture.
Il se pencha vers le chien.
— Tu attendais ton maître, tu es un bon garçon, murmura-t-il. Ou plutôt une bonne fille, corrigea-t-il.
Son téléphone sonna. Il vérifia l’identité de l’appelant et son cœur fit un bond.
— Alex ? Que se passe-t-il ?
— Daniel va bien, s’empressa de répondre Alex. Mais on vient de transférer Ryan Beardsley dans le service de soins intensifs.
— Beardsley est en réanimation, fit Luke à Talia et à Chase. Comment ça se fait ? reprit-il dans le téléphone. Je croyais qu’il était définitivement hors de danger.
— Le personnel ne veut rien dire, mais M. Beardsley assure que l’on venait de changer la perfusion de son fils quand il a été pris de convulsions.
— Merde... Vous croyez qu’on l’a empoisonné ?
— Je l’ignore. En tout cas, je voulais vous prévenir, d’autant plus qu’il parait que Beardsley a tenté de vous joindre il y a une heure. Il vous a même laissé un message sur votre répondeur.
La mâchoire de Luke se crispa. Beardsley avait dû l’appeler pendant qu’il dormait dans la voiture et il n’avait pas senti son téléphone vibrer. Pas de chance...
— Je suis à une heure et demie d’Atlanta. Je vous envoie Pete Haywood qui travaille dans l’équipe de Chase et à qui on peut faire confiance.
— Dites à l’agent Haywood de récupérer le flacon de l’intraveineuse pour en faire analyser le contenu. Dépêchez-vous de rentrer, Luke. Ils ont dû le ranimer avec les spatules et sa vie ne tenait qu’à mi fil.
— J’arrive le plus vite possible, dit-il en raccrochant.
Il se tourna vers Talia et Chase.
— On dirait que quelqu’un a tenté de tuer Ryan Beardsley, annonça-t-il.
— A l’hôpital ? s’étonna Chase.
— Oui, à l’hôpital, confirma tristement Luke. Je dois y aller.
— Allez-y tous les deux, proposa Talia. Je m’occupe de la scène du crime et ensuite j’irai interroger les voisins. Ne vous inquiétez pas.
— Merci, répondit Luke.
Il se dirigea vers la porte et la chienne le suivit.
— Toi, ma fille, tu restes ici, dit-il d’un ton ferme.
La chienne obéit.
— C’est entendu, fit Talia d’une voix souffreteuse. Je m’occuperai aussi de la chienne.
Luke monta dans la voiture de Chase.
-— Ça va de mal en pis, fit-il en grimaçant. Et en plus, je pue.
— Oui, j’ai remarqué. Un mélange de sueur, de fumée et de poisson pourri. Les filles adorent.
Luke ricana.
— Aucune femme n’accepterait de s’approcher à plus d’un mètre de moi.
Susannah s’était pourtant approchée. A quelques centimètres, En se concentrant, il parvenait presque à sentir les effluves de son parfum. Doux et frais. Oublie...
-— Je vais appeler Pete, dit-il. Un de nos hommes monte la garde devant l’unité de soins intensifs, mais je vais demander à ce qu’on poste quelqu’un devant la chambre de Bailey. Merde. J’espérais qu’on avancerait un peu en venant ici. Ça fait déjà dix heures et nous n’avons toujours pas la moindre idée de l’endroit où se trouvent les filles.
— C’est l’associé de Granville qui tire les ficelles, dit posément Chase.
Luke contempla les arbres qui défilaient.
— Eh bien, je suis fatigué d’être sa marionnette.
Dutton, samedi 3 février, 3 heures
— Dis-moi tout, articula Charles.
Il s’exprimait posément, d’une voix tranquille. Le scalpel que Toby Granville lui avait offert pour Noël ne tremblait pas dans ses mains, mais il était sur le point d’exploser de rage.
— Tu vas me dire où se trouve le coffre qui correspond à cette clé, menaça-t-il.
Le juge Borenson secoua la tête.
— Non.
— Tu es un vieil homme stupide et borné. Mais je vais te découper en lanières pour te délier la langue, et j’envisage même de t’enlever des parties que tu préférerais conserver. Je sais que cette clé ouvre un coffre-fort. Je sais aussi que Toby t’a posé la même question que moi et qu’il n’a pas réussi à te faire parler. Mais je ne suis pas Toby. Avec moi, tu parleras.
Borenson ferma les yeux.
— Le coffre est dans une banque, en enfer. Tu ne le trouveras jamais.
— Ce n’est pas la bonne attitude, ça, monsieur le Juge. J’ai besoin de cette déclaration. Tu vois ce que je veux dire ? Celle qui pourrait tous nous détruire si elle tombait en de mauvaises mains.
— Je m’en fous, que tu en aies besoin.
Charles pinça la bouche.
— Tu aimes souffrir ?
Borenson gémit quand le scalpel s’enfonça dans sa chair, mais il ne dit rien.
— Je me demande combien de temps tu vas tenir le coup, ironisa Charles.
— Tu n’as qu’à poser la question à ta boule de cristal, siffla Borenson entre ses dents.
Charles rit.
— Ma boule me dit que tu seras mort d’ici demain midi. Et je m’arrangerai pour que ma prédiction se réalise, comme toujours. Tu préfères une mort lente et douloureuse ou une mort rapide et indolore? Dis-moi tout et je cesserai de te torturer. Tu mourras, bien sûr, mais tu savais bien que ça arriverait. Tu as fait autrefois un pacte avec le diable et tu voudrais changer les termes du contrat? Trop tard, mon ami... Sache que c’est toujours le diable qui gagne à ce petit jeu.
Atlanta, samedi 3 février, 3 heures
Susannah repoussa les draps d’un geste rageur et alluma sa lampe de chevet. Le sommeil ne venait pas. Inutile de s’obstiner. Elle s'installa à son bureau et démarra son ordinateur.
Elle avait des dossiers à traiter, du travail à rattraper, mais tout cela lui paraissait lointain et terriblement abstrait.
Elle songeait à Luke Papadopoulos. Avait-il découvert la cabane de borenson ? Il n’avait sûrement pas trouvé les filles, sinon il l’aurait prévenue.
Elle ne parvenait pas à oublier le regard éloquent qu’il lui avait lancé avant de quitter sa chambre. Elle lui plaisait, c’était une évidence. Il ne lui déplaisait pas non plus, mais elle n’aurait pas su dire ce qu’elle ressentait vraiment pour lui.
Mais elle ne voulait pas y réfléchir pour l’instant. Ce soir, Luke était loin, occupé ailleurs, et elle, elle se sentait désœuvrée et inutile.
Elle sortit son téléphone portable de son attaché-case et contempla la photo de l’inconnue qu’elle avait prise à l’hôpital.
Mary? Maxine? Mona? Si seulement elle avait pu obtenir la deuxième et la troisième lettre de son prénom... M. avait-elle été enlevée ou s’était-elle enfuie de chez elle ? Est-ce qu’on t’attend quelque part, M. ? La pauvre enfant avait appelé sa mère, juste avant qu’on l’installe dans l’hélicoptère. Elle avait donc probablement une mère qui l’aimait et qui la cherchait...
Susannah tapa l’adresse du site qui recensait les mineurs disparus et sélectionna la base de données pour les filles. Elles étaient des centaines. Elle limita sa recherche à celles dont le prénom commençait par la lettre M et il n’en resta plus qu’une cinquantaine. Le cœur lourd, elle contempla les visages qui s’affichaient à l’écran.
Elle avait eu une adolescence difficile, mais, comparé à ce qu’avait vécu cette pauvre enfant enlevée par des monstres, elle n’avait connu le pire qu’une seule fois... La nuit où Simon et ses amis l’avaient enlevée pour... Pour me violer... Elle avait encore du mal à accepter le mot. Elle se demanda si elle l’accepterait un jour.
Elle avait passé les cinquante visages en revue et soupira de découragement; leur inconnue n’était pas répertoriée dans cette base de données.
Elle se demanda si elle avait fugué, puis elle songea brusquement aux sites partagés par les parents de fugueurs. Elle en visita un et soupira de nouveau ; aucun moyen d’effectuer une recherche par critères. Elle s’adossa à son siège, songeant qu’il ne lui restait plus qu’à regarder toutes ces photos une par une.
La nuit promettait d’être longue.
Charlotte, Caroline du Nord, samedi 3 février, 3 h 15
Rocky s’engagea dans le parking. Après le rendez-vous avec l’infirmière, elle n’était pas repassée par Ridgefield. Pas question d’affronter Bobby tant que je n’ai pas réglé le problème. Elle était venue ici pour chercher une fille qui calmerait la colère de Bobby.
Cette fille allait leur assurer le silence de Monica Cassidy tant qu’elle demeurait dans l’unité de soins intensifs et, ensuite, Bobby le chargerait d’obliger l’infirmière à faire le nécessaire.
Rocky ne savait pas comment elle allait s’y prendre pour capturer cette fille, mais elle la capturerait. Elle n’avait pas le choix.
Elle lâcha le volant auquel elle s’agrippait pour palper la bosse de son revolver dans sa poche.
Ne sois pas stupide. Tu n’es pas une débutante. Ce n’était pas la première fois qu’elle enlevait une fille, mais elle n’avait encore jamais eu à agir seule. Elle avait accompagné Mansfield à deux reprises, dans son pick-up, mais c’était lui qui s’était chargé du boulot et elle s’était contentée de tenir le volant.
Aujourd’hui, elle œuvrait en solo. Seigneur, la voilà... Une adolescente venait de surgir de l’ombre et avançait dans sa direction. Tu y es. Ne fais pas de bêtises.
Hidgefield House, samedi 3 février, 3 h 15
La sonnerie du téléphone tira brutalement Bobby d’un profond sommeil et il lui fallut plusieurs battements de paupières pour lire le nom qui s’affichait sur l’écran de son téléphone. «Paul».
— Ouais? Où es-tu?
— Dans le parking d’un restaurant ouvert toute la nuit, à Charlotte, fit Caroline du Nord.
— Qu’est-ce que tu fais là ?
— J’ai suivi Rocky et c’est là qu’elle s’est arrêtée. Elle est dans sa voiture, tous feux éteints. Je me demande ce qu’elle attend, le parking est désert... Une seconde... Quelqu’un s’approche.
— On peut te voir ?
Il eut un rire étouffé.
— Je sais me rendre invisible... C’est une gamine qui avance en direction de la voiture de Rocky. Elle n’a pas plus de quinze ans.
— Elle est blonde ?
— Comment?
— Je te demande si elle est blonde, répéta lentement Bobby.
— Oui, on dirait.
Bobby bâilla.
— Ça veut dire que Rocky est en plein boulot. Elle m’a dit qu’elle avait plusieurs blondes en vue. Je devais me débrouiller pour les récupérer, mais on dirait qu’elle veut faire amende honorable en se chargeant de tout. Je verrai ça avec elle quand elle rentrera.
— Je laisse tomber? Je rentre?
— Tu laisses tomber, mais tu ne rentres pas. J’ai encore du boulot pour toi.
Paul soupira.
— Bobby, je suis crevé.
— Inutile de gémir. Je veux qu’on trouve un cadavre demain matin.
— Je le connais ? demanda Paul.
— C’est la sœur de l’infirmière. Arrange-toi pour que ça ressemble à une banale agression. J’ai déjà envoyé son adresse et sa photo sur ton adresse e-mail, et elle quittera sa maison vers 8 heures. Sois sur place un peu avant. Vas-y carrément.
— Bobby ne prend plus de gants, plaisanta Paul.
— Exactement. Je tiens mes promesses. Et la prochaine fois, l’infirmière suivra mes instructions à la lettre. Comment ça se passe, Rocky et la blonde ?
— Pas mal. La gamine se débat un peu, mais Rocky s’y attendait et je crois qu’elle l’a assommée. Elle a un fameux crochet du droit. Je comprends pourquoi on la surnomme Rocky.
Bobby rit doucement.
— Ce n’est pas pour ça qu’on la surnomme Rocky. Merci, Paul. Tu seras grassement payé pour ton service de ce soir.
— C’est toujours un plaisir de travailler pour vous, Bobby.
— Fais-moi signe quand tu en auras terminé avec la sœur, j’aurai un message à envoyer à l’infirmière.
Atlanta, samedi 3 février, 4 h 30
La voiture s’arrêta devant l’entrée du parking du bureau de Géorgie.
— Nous y sommes, fit Léo.
Luke ouvrit les yeux ; il se sentait revigoré après avoir un peu dormi. Il tendit sa carte magnétique à Léo et celui-ci la glissa dans l’appareil, puis la barrière se leva en silence.
— Merci de m’avoir ramené jusqu’à ma voiture, mon pote, dit Luke.
Léo haussa les épaules.
— Je n’avais rien de précis à faire, de toute façon.
Luke grogna en se redressant, puis exécuta des mouvements de tête pour se délier la nuque.
— C’est bien dommage, répondit-il.
Léo posa sur lui un regard inquiet.
— Tu te sens bien ? demanda-t-il.
— Pas terrible mais je fais aller, murmura-t-il.
Il n’allait tout de même pas mentir à Léo. De toute façon, ça n’aurait servi à rien.
— Au moins, tu ne sens plus le poisson pourri, commenta Léo.
— Tu as raison. Et j’ai beaucoup apprécié le petit déjeuner.
Il n'avait pas été surpris quand Léo était brusquement apparu dans son salon, quelques minutes après son arrivée. Léo avait suivi la conférence de presse de Chase et il s’était douté que son frère serait épuisé et affamé. Il était très doué pour anticiper les besoins des autres, et Luke espérait sincèrement qu’il pensait aussi à prendre soin de lui.
— Tu as de la chance, répondit Leo. Il restait deux œufs dans ton réfrigérateur.
— Ça fait un moment que je n’ai pas mis les pieds dans un supermarché, avoua Luke.
A dire vrai, il n’avait plus songé à faire les courses depuis jeudi, depuis qu’ils avaient trouvé les corps de ces trois enfants.
— Je crois que même le lait était périmé, ajouta-t-il.
— Périmé, c’est peu dire. Il s’était transformé en crème. Demain, je m’arrêterai pour t’acheter le minimum vital et je donnerai ton costume à nettoyer chez Johnny. J’espère qu’il le sauvera.
Leur cousin Johnny possédait une petite entreprise de nettoyage à sec.
— Dis-lui d’y aller doucement avec la chemise, commenta Luke, Celle qu’il m’a rendue la dernière fois était si raide qu’elle m’égratignait la nuque.
Leo sourit.
— Il le fait exprès.
— Je sais, répondit Luke.
Il aurait voulu sortir de la voiture, mais son corps refusait de coopérer.
— Je suis fatigué, se plaignit-il.
Il n’avait pas besoin d’en dire plus, Leo comprenait.
— Ouais, répondit tranquillement Leo.
— Ces filles peuvent se trouver absolument n’importe où et Dieu seul sait ce que ces salauds leur font subir en ce moment.
— Tu ne dois pas t’investir comme s’il s’agissait de tes nièces, reprocha Leo. Arrête.
Luke repoussa de son esprit les visages pleins de fraîcheur de ses nièces.
— Je suis un être humain, rétorqua-t-il. Je ne peux pas les oublier. Ça me ronge.
Et un peu de toi-même meurt chaque jour. Susannah Vartanian avait raison...
— C’est comme une mer de visages, poursuivit-il. Ils sont toujours là, et parfois, j’ai l’impression que je perds la tête.
— Tu ne perds pas la tête et tu es un être humain, oui. Mais tu dois oublier la compassion quand tu mènes une enquête. Car si tu partages la souffrance des victimes, ça t’affaiblit et tu n’es plus bon à rien.
— Et comment dois-je m’y prendre pour oublier la compassion et cesser de penser à la souffrance des victimes ?
Leo eut un petit rire dénué de joie.
— Je n’en ai pas la moindre idée. Je ne fais que répéter ce qu’on nous disait quand on frappait aux portes des maisons de Bagdad. Personnellement, je n’ai jamais réussi.
Léo songea à son frère cherchant les insurgés dans Bagdad. Quand il était rentré — enfin —, ils s’étaient tous réjouis, mais il suffisait de sonder le regard de Léo pour comprendre qu’une partie de lui-même il était morte là-bas. Il n’en parlait jamais. Pas même avec moi.
— Et donc tu as préféré quitter l’armée? demanda Luke.
— Tu songes à quitter le bureau de Georgie? s’inquiéta Léo.
— J’y songe tous les jours. Mais tu vois, je n’ai pas encore donné ma démission.
Léo tambourina légèrement sur son volant.
— Et ça fait de toi quelqu’un de bien, dit-il.
— Léo.
Léo secoua la tête.
— Je t’en prie, laisse tomber. Pas aujourd’hui. Tu n’as pas besoin de porter ma croix en plus de la tienne.
Il s'adossa à son siège et Luke comprit que le sujet était clos.
— Parle-moi plutôt d’elle, reprit Léo.
— De qui ?
— De Susannah Vartanian, répondit Léo en lui jetant un regard en coin. Et ne cherche pas à nier. J’ai bien vu comment tu la regardais le jour de l’enterrement de ses parents. Tu ne pensais tout de même pas que ça m’avait échappé.
Rien n’échappait au regard d’aigle de Léo...
— Non, en effet... Elle est...
Superbe.
— Elle tient le coup, acheva-t-il.
— Qu’est-ce qu’elle est venue faire à Dutton ?
— Je ne peux pas te le dire. Je suis désolé.
Léo eut l’air songeur, puis il secoua la tête.
— Non, murmura-t-il enfin. C’est impossible.
Luke soupira.
— Quoi?
— Pendant la conférence de presse, Chase a dit que tu avais résolu l’affaire des viols, ceux de Dutton... Susannah faisait partie des victimes ?
— Je ne peux pas te répondre.
Mais ne pas répondre revenait à confirmer comme ils le savaient tous les deux.
— Je suis désolé, ajouta-t-il.
— Ce n’est pas grave. Et toi, tu tiens le coup ?
Luke battit des paupières.
— Moi?
— Tu t’intéresses à une femme qui porte un lourd fardeau. Tu es sûr que tu peux assumer ?
— Je n’en sais trop rien.
— Si tu as besoin de te défouler, n’hésite pas à venir à mon stand de tir, même en dehors des jours et des heures d’ouverture.
— Merci.
Luke avait plusieurs fois abattu des mannequins de papier dans le stand de Léo. Certains jours, c’était le seul moyen pour lui de ne pas perdre les pédales.
— Mais pas tout de suite, poursuivit-il, j’ai beaucoup trop à faire.
Il devait d’abord rendre visite à Beardsley à l’hôpital, puis passer à la morgue pour se tenir au courant des résultats des autopsies. Et tout cela avant la réunion de 8 heures.
— Tu as quelques atouts dans ta manche, pour Susannah, fit Léo au moment où Luke descendait de voiture.
Luke ramassa sur le siège arrière le sac contenant ses vêtements de rechange.
— Lesquels ?
Léo sourit.
— Elle plaît à maman et elle est catholique. Le reste, c’est du détail.
Luke jeta le sac dans le coffre de sa propre voiture tout en ricanent.
— Merci. Je me sens beaucoup mieux maintenant que je sais ça.
Atlanta, samedi 3 février, 4 h 40
Quand Monica se réveilla, elle était dans le noir et elle ne pouvait pas bouger. Elle tenta d’ouvrir les yeux et... Impossible.
A l’aide! A l’aide! Qu’est-ce qui m’arrive?
Je suis morte. Oh, Seigneur... Je suis morte. Maman! Susannah!
— Docteur, appela une voix angoissée.
Elle voulut inspirer et se rendit compte qu’elle avait toujours ce tube dans la gorge. Non, elle n’était pas morte, songea-t-elle en essayant de se rassurer ; elle était à l’hôpital et elle venant d’entendre une infirmière qui allait l’aider.
— Que se passe-t-il ? demanda une voix grave.
Une voix d’homme. Celle d’un médecin.
Il ne fallait pas s’inquiéter; celui-ci était un vrai médecin qui n’était pas là pour lui faire du mal. Mais son cœur accéléra tout de lui-même.
— Son pouls et sa pression sanguine ont augmenté, fit l’infirmière.
— Mettez-la dans une position confortable et appelez-moi si ça ne baisse pas, répondit le médecin.
Je n’y vois rien. Je suis paralysée. Aidez-moi. Elle entendit un cliquetis d’instrument, sentit une piqûre d’aiguille. Ecoutez-moi. Mais son cri ne sortit pas de sa bouche et résonna longuement dans son crâne. Susannab, où êtes-vous ?
Elle se laissa flotter et tenta de se calmer. Puis elle entendit de nouveau une voix, basse et tendue, tout près de son oreille. D’homme ou de femme ? Impossible à dire...
— Je vous ai administré une drogue qui vous paralyse, ne vous en faites pas, vous n’êtes pas en train de mourir, fit la voix.
Une drogue pour me paralyser... Seigneur... Elle essaya d’ouvrir les yeux, pour voir à qui appartenait cette voix, mais c’était décidément impossible. Rien. Elle ne pouvait rien faire et rien dire.
— Chut..fit la voix. Ne vous agitez pas, ils vous injecteraient encore une dose de sédatif. Ecoutez-moi. Dans quelques heures, l’effet du produit paralysant s’estompera et vous pourrez de nouveau voir et bouger. Et quand les flics viendront vous interroger, vous leur direz que vous ne vous souvenez de rien, pas même de votre nom. De la même façon, vous serez incapable de leur parler du bunker. Car ils tiennent votre sœur et vous devinez aisément ce qu’ils lui feront subir, si vous ouvrez la bouche.
Elle sentait un souffle chaud contre son oreille.
— Par contre, si vous gardez le silence, elle sera libérée. Sinon... elle deviendra leur putain. C’est à vous de choisir.
Le souffle chaud cessa et Monica entendit des pas feutrés qui s’éloignaient. Un filet humide coula le long de ses tempes. Elle pleurait.
Genie. Ils tenaient Genie. Elle n’a que quatorze ans. Seigneur... Qu’est-ce que je dois faire ?
* * *
Atlanta, samedi 3 février, 4 h 50
Pete Haywood attendait dans le hall de l’hôpital quand Luke entra.
— Des nouvelles ? fit Luke.
— Beardsley est réveillé et parfaitement lucide. Il réclame « Papa »... On pensait qu’il parlait de son père, mais en fait c’est toi qu’il veut. Il tient à s’adresser à toi et à personne d’autre. Il refuse de répondre à mes questions.
— Vous avez vérifié ce qu’il y avait dans son intraveineuse ?
— J’ai envoyé le produit au labo et je n’ai pas eu de nouvelles depuis. Les médecins ont fait une scanographie axiale et des prélèvements sanguins pour rechercher des drogues. Pour l’instant, la scanographie n’a rien donné, mais le résultat des prélèvements n’est pas encore arrivé. J’ai aussi interrogé l’infirmière qui a changé l’intraveineuse ; elle a malheureusement jeté le sac précédent. Tous les médecins et les infirmières du service m’assurent qu’on peut lui faire confiance, mais j’ai demandé à Leigh de vérifier ses comptes en banque, on ne sait jamais, mais je ne pense pas qu’elle soit coupable. Le personnel prépare les intraveineuses deux heures à l’avance et n’importe qui a pu entrer dans la chambre pour ajouter quelque chose à la préparation.
— Merveilleux.
— Ce n’est pas si catastrophique que ça. L’hôpital possède un système de surveillance très élaboré. Tu vois ces antennes bleues ?
Pete montra deux stalactites bleues qui sortaient du plafond de la boutique de cadeaux.
— Il y en a partout et elles permettent de localiser les membres du personnel par le badge qu’ils portent en permanence.
— Merci, Big Brother, murmura Luke.
Pete ricana.
— Le service de sécurité est en train de dresser la liste des personnes qui sont entrées dans la chambre de Beardsley et ils devraient avoir terminé dans quelques minutes. Les médecins soupçonnent un acte criminel, mais ils ne veulent pas l’admettre.
— On en saura plus quand le labo nous aura transmis les résultats de l’analyse de la perfusion. Où vas-tu?
— Je viens de recevoir un appel de l’expert en incendie qui a fouillé les décombres de la maison de Granville. Il a trouvé le détonateur de la bombe. Puisque tu es là, je file à Dutton, mais je serai de retour pour la réunion de 8 heures.
Pete sortit et Luke monta à l’étage. En sortant de l’ascenseur, il trouva un homme qui montait la garde.
— Je suis l’agent Papadopoulos, fit-il en montrant son badge.
— Marlow. Je viens de contacter Haywood qui m’a dit que vous montiez.
— Que se passe-t-il, encore ?
— Notre jeune inconnue a, elle aussi, été victime d’une sorte d’attaque. Sa pression sanguine a fait un bond et ils ont dû lui administrer un sédatif. D’après le médecin, il pourrait s’agir d’un simple choc opératoire, mais j’ai pensé que je devais vous prévenir tout de même.
— Merci.
Alex l’attendait devant la porte de Beardsley.
— Il vous réclame, dit-elle.
— Je sais. Il vous a dit quelque chose?
— Non, c’est vous qu’il attend.
— Et la fille ?
— Elle s’est réveillée très agitée. Ça arrive parfois après une opération quand les patients ouvrent les yeux dans un endroit qu’ils ne reconnaissent pas. On peut aussi supposer qu’elle a fait un cauchemar, ce qui n’aurait rien d’étonnant, après tout ce qu’elle a vécu. Moi-même, je me suis assoupie et j’ai rêvé du bunker... Elle se repose maintenant. Son infirmière, c’est Ella, la grande, là-bas, avec les cheveux gris. Elle pourra aussi vous en dire un peu plus au sujet de Beardsley.
— Et Daniel ?
— Il dort toujours et il va bien. Je vous appellerai dès qu’il sera réveillé.
En passant, Luke jeta un coup d’œil dans le box où se trouvait le lit de Daniel et se demanda ce que son ami savait au sujet du juge Borenson — en admettant qu’il sache quelque chose. Du côté de Talia, il n’y avait rien de nouveau; impossible pour le moment de savoir si Borenson était mort ou vivant.
Luke s’approcha de l’infirmière nommée Ella.
— Excusez-moi, fit-il. Je suis l’agent spécial Luke Papadopoulos. Je viens voir Ryan Beardsley. Comment est-il?
— Son état s’est stabilisé. L’équipe qui s’occupait de lui l’a tout tic suite monté chez nous, réflexe qui lui a sauvé la vie. De plus, c’est un homme en excellente condition physique. Mais nous le gardons tout de même en observation.
— Je suppose qu’il sera transféré dans un autre service dès qu’il ira mieux.
Elle acquiesça.
— C’est exact. Mais vous en serez le premier prévenu, soyez-en sûr.
— Merci. Et je vous en prie, appelez-moi si vous constatez le moindre changement dans l’état de santé des patients en rapport avec l’affaire dont je m’occupe.
Il s’éloigna et entra dans la chambre de Beardsley.
— Ryan, je suis Luke Papadopoulos. Vous m’entendez ?
Beardsley ouvrit les yeux et Luke constata avec soulagement qu’il avait un regard clair et lucide.
— L’agent Haywood m’a dit que vous vouliez me parler, pourvuivit-il. Je suis là, mais vous auriez pu vous adresser à lui, c’est un homme de confiance.
— Je ne le connaissais pas, fit Beardsley.
Sa voix était si faible que Luke dut se pencher pour entendre.
— On a essayé de me tuer, poursuivit Beardsley. Mettez-vous à ma place, je ne me fie pas à grand monde.
Luke se pencha un peu plus.
— Je comprends. Si vous m’avez fait venir, c’est que vous vous êtes souvenu de quelque chose. De quoi s’agit-il ?
— D’un coup de téléphone reçu par Granville le troisième jour de ma captivité. Ce coup de téléphone émanait d’un certain Rocky.
— Rocky ? murmura Luke. Comme le boxeur ?
— Oui. Rocky donnait des ordres à Granville qui n’avait pas l’air content.
Le pouls de Luke s’accéléra.
Enfin... Il tenait peut-être une piste pour le maître...
— Granville n’était pas content de recevoir des ordres de Rocky?
— Non. Après le coup de fil, il était très en colère et il s’est défoulé sur moi.
— Quels étaient ces ordres, vous le savez ?
— Non. Mais Granville a raccroché en grommelant qu’il en avait assez d’obéir à une petite merde.
— Très bien. Merci, Ryan. Ce renseignement pourrait nous être utile. Autre chose ?
— Oui, répondit tristement Beardsley. Le jour de mon arrivée dans le bunker, j’ai été réveillé par des bruits provenant de l’extérieur et j’ai eu l’impression qu’ils creusaient un trou dans la terre.
Luke lutta contre la nausée.
— Pour enterrer quoi ?
— Quelqu’un, répondit Beardsley en détournant le regard. Je les ai entendus parler d’une fille nommée Becky.
— Bon sang, soupira Luke. Rien d’autre?
— Non, c’est tout ce dont je me souviens.
— Je peux vous apporter quelque chose ? Faire quoi que ce soit pour vous ?
Beardsley ne répondit pas tout de suite. Puis, au moment où Luke pensait qu’il s’était rendormi, il murmura :
— Je rêve d’un sandwich barbecue. J’ai tellement faim que je pourrais manger un cochon entier.
— Quand vous serez sorti de ce service, je vous apporterai tout ce que vous serez autorisé à manger.
Il se leva, mais Beardsley le saisit par le bras.
— Comment va Bailey? demanda-t-il.
— Elle va bien. J’ai posté un de mes hommes devant sa porte pour la protéger, alors ne vous en faites pas pour elle.
Il lui pressa la main et alla rejoindre l’infirmière.
— Il voudrait un sandwich barbecue, dit-il.
Ella acquiesça.
— Quand ils commencent à réclamer à manger, c’est plutôt bon signe.
— Vous sauriez où je pourrais trouver le chef de la sécurité ?
Elle le conduisait vers l’ascenseur, quand Luke entendit son téléphone sonner.
— C’est Chase. Nous avons trouvé les empreintes d’une des filles danss le fichier. Kasey Knight. Seize ans. Rousse.
Il hésita.
— Celle qui pesait tout juste quarante kilos.
Celle qui perdait ses cheveux et que Malcolm avait étiquetée en pleurant. Luke se racla la gorge.
— Tu as prévenu ses parents ?
— Oui. Je viens d’avoir le père au téléphone, répondit Chase d’une voix rauque. Je lui ai demandé de nous apporter sa brosse à cheveux, ou n’importe quoi permettant de prélever des éléments pour une analyse ADN. Les parents veulent... Hum... Ils veulent la voir.
— Bon sang, Chase ! Il ne vaudrait mieux pas. Vraiment pas.
— Ça les aidera à franchir le cap, répondit Chase. Tu le sais aussi bien que moi. Ils ont besoin de la voir. Ça fait deux ans qu’ils la cherchent.
Deux ans à espérer tout en redoutant le pire.
— Je me rendais justement à la morgue, dit Luke. Je demanderai à Felecity Berg de rendre Kasey un peu plus présentable. De mon côté, j’ai aussi des nouvelles et nous avons peut-être un meurtre de plus sur les bras.
— Seigneur, murmura Chase. Qui ?
— Je n’ai qu’un prénom : Becky. Demande à l’équipe d’Ed de chercher un cadavre autour du bunker, à peu près à hauteur de l’ex-cellule de Beardsley.
Chase soupira.
— Tu es sûr que nous ne trouverons qu’un seul cadavre ?
— J’ai eu la même idée que toi. Il vaudrait sans doute mieux qu’ils sondent le terrain avant de se mettre à creuser.
— La situation empire d’heure en heure, se plaignit Chase. Moi aussi, j’ai un mort de plus à t’annoncer.
— Merde. Qui ça ?
— Zach Granger.
Luke sentit l’air quitter ses poumons.
— Mais je croyais qu’il ne souffrait que d’une légère blessure à l’œil ?
— Il est mort d’une hémorragie cérébrale il y a une heure. Sa femme était près de lui.
— Mais... je sors de l’hôpital et personne ne m’a rien dit.
— Nous n’en avons parlé à personne.
— Pete est au courant ?
— Non, pas encore. Ne lui en parle pas; je me charge de le lui annoncer.
— Il est en route pour Dutton. Il doit rencontrer l’expert en incendie.
— Dutton... J’aurais préféré ne jamais mettre un pied dans cette maudite ville, murmura Chase.
— Bienvenu au club, répondit Luke. Nous avons une piste pour le partenaire de Granville ; Beardsley l’a entendu parler au téléphone avec un certain Rocky.
— C’est vague, fit Chase d’un ton amer.
— Mais c’est toujours mieux que rien. On se retrouve à 8 heures pour la réunion. En attendant, je file à la morgue.