11
Atlanta, samedi 3 février, 9 h 20
— Vous n’avez rien oublié ? demanda Chloe.
Al Landers était assis près de Susannah. Il n’avait pas dit un mot et il lui prit la main.
— Je ne pense pas, répondit Susannah. Donnez-moi un stylo, que je signe avant de changer d’avis.
— Il n’est pas trop tard, Susannah, murmura Al.
Elle lui sourit.
— Je sais. Mais ça ne concerne pas que moi, Al. On recherche toujours cinq filles. Je n’ai pas le droit de reculer.
— Merci, fit Chloe. Je me doute que ça n’a pas été facile pour vous de prendre cette décision.
Susannah laissa échapper un petit rire sec.
— Pas facile, c’est le moins qu’on puisse dire, commenta-t-elle.
— Combien de temps avant que la presse s’empare de l’affaire? demanda Al.
— Nous n’avons pas l’intention de parler de ça aux journalistes, répondit Chloe, mais il y aura tout de même des fuites. Gretchen French, l’une des victimes, a déjà prévu une conférence de presse. Comme elle ne veut pas se laisser dépasser par les médias, elle préfère prendre les devants.
— Je ne la connais pas, fit Susannah. Mais je suppose que je ne vais pas tarder à la rencontrer.
Elle se leva et tira sur sa jupe trop courte.
— Il est temps de libérer le bureau de l’agent Papadopoulos. De plus, je dois partir si je veux arriver à temps pour l’enterrement de Sheila Cunningham. Dommage qu’il ait lieu si tôt, les magasins n’ouvrent qu’à 10 heures et je n’aurai pas le temps de m’acheter des vêtements convenables.
Chloe fronça les sourcils.
— Je vous trouve très bien, dit-elle.
— Je suis habillée comme une adolescente, mais je n’ai rien d’autre à me mettre. J’aurais préféré une tenue plus sobre. Pour un enterrement...
Chloe la contempla fixement pendant quelques secondes.
— Je suis plus grande que vous, mes tailleurs ne vous iraient pas... Mais j’ai une robe de cocktail noire, courte pour moi, qui vous couvrirait les genoux. Avec une ceinture, ça devrait passer. J’habite tout près d’ici et je peux aller la chercher.
Susannah ouvrit la bouche pour décliner poliment l’offre, puis elle se ravisa.
— Merci beaucoup, dit-elle. Ce serait vraiment formidable.
— J’y vais tout de suite, répondit simplement Chloe.
Elle sortit et Susannah se tourna vers Al.
— Merci d’être venu, murmura-t-elle.
— Je t’aurais soutenue plus tôt, si j’avais su.
— Excusez-moi, fit Luke en passant sa tête à la porte. Je viens de voir partir Chloe. Vous avez terminé ?
— Oui, répondit Susannah en se levant. Luke, je vous présente mon supérieur, Al Landers. Al, voici l’agent spécial Luke Papadopoulos, un ami de mon frère Daniel.
— Je vous ai croisé hier soir dans le couloir de l’hôtel, dit Al tout en serrant la main de Luke. Que comptez-vous faire pour coincer l’homme à la berline noire ?
— Nous allons surveiller la foule qui assiste à l’enterrement, en espérant qu’il se montrera, fit Luke. Et s’il ne se montre pas, nous interrogerons l’homme qui a été condamné pour le meurtre de Darcy Williams.
— Je peux vous arranger une visite, proposa Al.
Il se tourna vers Susannah.
— L’homme qui t’a agressé, il connaissait l’assassin de Darcy? demanda-t-il.
Susannah rougit.
— Non.
— Comment pouvez-vous en être sûre ? demanda Luke.
— Seigneur..., murmura Susannah. Vous avez raison... Nous étions vraiment stupides et naïves...
— C’est le moins qu’on puisse dire, approuva Al.
Elle détourna le regard et croisa ses bras sur sa poitrine.
— Quand j’ai rencontré Darcy, je venais d’arriver à New York. Elle était serveuse dans West Village. Un soir, nous avons discuté et nous nous sommes découvert des points communs, notamment des parents qui n’avaient pas su nous protéger. Darcy s’était enfuie de chez elle à l’âge de quatorze ans, elle s’était droguée, et elle était un peu perdue...
— Qui a eu l’idée de draguer à deux? demanda Al.
De nouveau, Susannah rougit.
— C’est Darcy. Elle haïssait les hommes autant que moi et elle voulait une rencontre où elle aurait eu le dessus, pour une fois, où ce serait elle qui serait partie en plein milieu de la nuit sans un au revoir. Au début, l’idée m’a scandalisée... Et puis je l’ai fait.
La deuxième fois avait été plus facile. La troisième carrément excitante. La quatrième... elle avait encore honte rien que d’y penser.
Al et Luke échangèrent un drôle de regard.
— Qu’est-ce qu’il y a? demanda-t-elle.
— Et si votre rencontre avec Darcy n’avait pas été un hasard ? demanda Luke d’une voix douce.
Susannah eut l’air abasourdie.
— Mon Dieu... Je n’y avais jamais...
Elle laissa retomber ses bras le long de son corps.
— Non. C’est une idée complètement dingue...
— Tu n’as pas trouvé bizarre que vous tombiez toutes les deux sur un tordu, justement le même soir? insista Al.
Susannah soupira.
— Bien sûr, mais... je suis allée de mon plein gré dans cet hôtel.
A ce moment-là, les rencontres d’un soir étaient devenues pour elle une sorte de nécessité.
— Et j’avais choisi la date. C’était supposé être ma déclaration d’indépendance. Plus tard, je me suis demandée si je n’avais pas cherché une punition. Je m’étais égarée... Il fallait que j’en paye le prix. La date était comme un défi. Ça paraît idiot quand je le dis, mais pourtant, c’était ce que j’avais en tête.
— Vous ne réfléchissiez plus comme un procureur, mais comme une victime, répondit Luke. Comme quelqu’un qui doit trouver du sens à ce qu’il a subi. Mais il arrive des choses terribles à des gens bien, et il ne faut pas chercher plus loin.
Je n’étais pas quelqu’un de bien.
Mais elle acquiesça.
— Je sais.
Les yeux sombres de Luke lancèrent des éclairs et elle comprit qu’il n’était pas dupe de ce trop rapide assentiment.
— Pourriez-vous décrire l’homme qui vous a violée?
— Bien entendu. Je n’oublierai jamais son visage. Mais à quoi cela vous servirait-il ? Ça remonte à six ans, vous ne risquez pas de retrouver sa trace.
— Vous passerez quand même par un de nos dessinateurs pour un portrait-robot, répondit Luke. On ne sait jamais.
Il se tourna vers Al.
— Comment dois-je procéder pour rencontrer l’assassin de Darcy Williams ? lui demanda-t-il.
— Michael Ellis, murmura Susannah.
— Qu’est-ce que vous dites ? s’exclama Luke.
— Michael Ellis, répéta Al. C’est le nom de l’assassin de Darcy.
Luke passa une main sur son visage mal rasé.
— Nous avons trouvé deux passeports dans un coffre chez Granville. Les deux avec sa photo, mais à des noms différents : Michael Tewes et Toby Ellis.
— Le salaud, murmura Al. Ce serait donc lui qui aurait commandité le double viol.
— Avec l’homme à la berline noire, proposa Luke.
Susannah éprouva le besoin de s’asseoir, car elle avait le cœur au bord des lèvres.
— Ils avaient tout préparé, murmura-t-elle d’une voix sans timbre en baissant les yeux. Ils m’ont piégée. Ils se sont moqués de moi.
Luke vint s’accroupir devant elle et lui prit les mains. Elles étaient glacées.
— Granville a payé, dit-il. L’autre paiera aussi. Est-ce que le prénom Rocky vous dit quelque chose ?
— Non, répondit-elle. Il devrait ?
— Nous pensons que Rocky est l’associé de Granville, fit Luke.
Elle releva brusquement la tête. Elle venait soudain d’avoir une idée, encore plus saugrenue que celle de Luke.
— Simon a passé un certain temps à me suivre et à m’espionner à New York.
— De quoi parlez-vous ? s’étonna Luke.
— Daniel ne vous a rien dit à ce sujet ? demanda-t-elle.
Il secoua la tête.
— Quand nous étions à Philadelphie, les inspecteurs avaient fait dresser plusieurs croquis de Simon, ou plutôt de des personnages qu’il simulait... Il piégeait ses victimes en se faisant entre autres passer pour un vieil homme inoffensif. J’ai reconnu le portrait de ce vieil homme; j’avais plusieurs fois échangé quelques mots avec lui en promenant mon chien dans le parc, en face de chez moi sans me douter qu’il s’agissait de mon frère.
— Mais Simon ne peut pas être l’homme que nous recherchons, protesta Luke. Je vous rappelle qu’il est mort.
— Je sais... Pourtant...
Elle soupira.
— Je n’y comprends rien.
— Ce n’est pas grave, murmura Luke. Détendez-vous. Pendant l’enterrement, je serai là pour vous protéger.
Il se tourna pour jeter un coup d’œil à Al.
— Vous venez aussi ?
— Bien entendu.
— Parfait. Une paire d’yeux de plus nous sera utile.
Ridgefield House, samedi 3 février, 9 h 45
Bobby raccrocha. Sa nouvelle recrue de l’équipe du bureau de Georgie était maintenant opérationnelle, mais les informations qu’elle venait de lui transmettre n’étaient pas des plus encourageantes Non seulement Beardsley avait survécu à son attaque cardiaque, mais il avait parlé. La police savait donc pour Rocky et ça, c’était la goutte qui faisait déborder le vase.
— M. Charles est arrivé, fit Tanner depuis le seuil de la porte.
Ce vieil emmerdeur... Toujours à fouiner.
— Fais-le entrer, Tanner, merci.
Charles fit son apparition, vêtu d’un costume noir, sa boîte en ivoire sous le bras.
— J’ai eu envie de m’arrêter en passant pour faire une petite partie d’échecs, dit-il en tapotant la boîte.
— Je ne suis pas vraiment d’humeur à jouer aux échecs, répondit Bobby en lui désignant un fauteuil. Mais assieds-toi, je t’en prie.
Charles eut une moue condescendante.
— On dirait que quelque chose te contrarie, fit-il remarquer.
— DRC119, lança Bobby.
Charles tressaillit, mais il se reprit aussitôt.
— Comment le sais-tu? demanda-t-il avec son plus charmant sourire.
— J’ai une source dans l’équipe qui enquête sur l’incident du bunker.
La source en question ne lui avait probablement pas dit tout ce qu’elle savait, mais elle en avait lâché suffisamment pour lui permettre d’établir un plan d’action.
— Mon meilleur élève, commenta Charles d’un ton tranquille.
— N’essaye pas de détourner la conversation. C’était toi qui conduisais cette berline ?
— Evidemment. Je n’aurais manqué pour rien au monde l’expression de son visage.
— Et si on t’avait arrêté ?
— Pourquoi m’aurait-on arrêté ? Je roulais lentement et prudemment.
Bobby fronça les sourcils.
— Tu as pris un risque inacceptable.
Le visage de Charles arbora soudain une expression glaciale.
— Tu te conduis comme une vieille femme timorée, Bobby. J’attendais mieux de toi.
Bobby détourna le regard, avec l’impression d’être un enfant de cinq ans qui se fait gronder par son papa.
— Qu’est-ce qu’elle t’a appris d’autre, ta source du bureau de Georgie ? reprit Charles en s’adossant à son siège d’un air satisfait.
— Beardsley a entendu Granville prononcer le nom de Rocky, répondit Bobby d’un ton résigné.
Je te hais, vieille raclure.
— Juste Rocky, pas son vrai nom ?
— Juste Rocky, mais c’est déjà beaucoup trop.
— Je suis d’accord. Que comptes-tu faire ?
Exactement ce que tu ferais à ma place. Eliminer Rocky.
— Je n’en sais rien encore.
Charles opina du menton avec une expression désapprobatrice.
— Je suis passé devant la maison de Randy Mansfield. Elle est toujours debout.
Le salaud. Il appuie là où ça fait mal.
— Oui, je suis au courant.
— Et pourquoi est-elle toujours debout ? insista Charles avec un air de reproche, tout en haussant un sourcil. Tu n’aurais tout de même pas oublié un détail de ce genre.
Bobby dut se contrôler pour ne pas frétiller sur sa chaise.
— Je n’ai rien oublié, mais mon homme n’a pas fait son travail correctement.
Et Chili Pepper allait le payer cher; les hommes du bureau de Georgie le recherchait. Il fallait qu’il le trouve avant eux, car Dieu seul savait ce que Chili serait capable de leur dire.
— Bref, tu as commis une erreur, conclut Charles.
Bobby détourna le regard.
— Sans doute.
— Et comment se fait-il que cet homme n’ait pas fait son travail correctement? demanda Charles avec le ton qu’on prend pour s’adresser à un chien qu’on veut rassurer après l’avoir grondé.
Je te hais.
— M. Pepper a voulu accomplir des prouesses techniques. Il a placé une bombe à retardement dans chacune des maisons, plus un second dispositif censé se déclencher quand on ouvrirait la porte, au cas où les flics arriveraient avant que la première bombe explose. Les flics ont actionné le déclencheur chez Granville, et du coup ils se sont méfiés chez Mansfield et ils ont appelé des démineurs.
— La maison de Mansfield était en effet investie par les flics quand je l’ai vue.
— Ils ne trouveront que sa collection de flingues et ses photos pornos.
— Quand je pense que le père de Randy était si intelligent, se lamenta Charles, et qu’il a eu un fils aussi bête.
— Je sais... La maison de Granville, elle, a entièrement brûlé. Ils n’ont pu mettre la main que sur son coffre-fort, lequel contenait ses faux passeports.
— Pourquoi ton type n’a pas utilisé la bonne vieille méthode de l’essence et de l’allumette?
— Je l’ignore. Mais je ne manquerai pas de lui poser la question, tu peux me croire.
— Et tu sais où le trouver, bien sûr, dit Charles.
Non, mais je ne suis pas disposé à l’admettre devant toi.
— Bien entendu, que je sais où le trouver. Et je sais aussi où se cache la femme de Toby.
Ça, au moins, c’était vrai.
— Les flics comptent sur elle pour remonter jusqu’à Rocky. Ils sont persuadés que Rocky est l’associé de Granville et que c’est un homme.
Charles haussa les épaules.
— Nous sommes dans un monde dirigé par les hommes, Bobby.
— Je suppose.
— Quoi d’autre ?
Bobby hésita.
— Tu savais que Susannah Vartanian avait été violée par le club de Simon ?
Charles haussa de nouveau les épaules.
— Disons qu’il s’agissait... d’une fête privée.
— Elle vient de signer une déclaration accusant Garth Davis de viol.
— Intéressant, répondit Charles. Rien d’autre ?
— Tu es visiblement déjà au courant de l’incident avec Darcy Williams.
— Je suis au courant, oui. Autre chose ?
— Non. Rien.
Bobby songea avec angoisse que sa taupe du bureau de Georgie ne lui avait peut-être pas tout dit.
J’ai peur.
Il y avait trop de complications inattendues dans cette affaire. Bobby commençait à avoir l’impression qu’un iceberg dérivait lentement dans sa direction et que l’impact était certain et imminent.
Charles se leva avec une moue écœurée.
— Bon, il faut que j’y aille.
— Où vas-tu ?
— On enterre aujourd’hui la fille Cunningham. Ce serait incorrect de ma part de ne pas l’accompagner dans sa dernière demeure.
Il s’approcha et son ombre s’étendit au-dessus du fauteuil de Bobby.
— Tu me déçois, Bobby. Tu as peur, je le sens. Et ça, plus que tout le reste, ça fait de toi une merde.
Bobby en resta sans voix et Charles eut un rire amer.
— Ce n’est pas ton « homme » qui a commis une erreur chez Mansfïeld. Ce n’est pas ton « personnel » qui a raté son coup à l’hôpital. Ce n’est pas ton « assistante » qui accumule les gaffes. Tu es là, les bras croisés, dans une maison en ruines, une relique, et tu t’imagines que c’est toi qui tires les ficelles.
Sa voix débordait de mépris.
— En ce moment, tu te caches, des autres et de toi-même. Tu n’as même pas le courage de te battre pour faire reconnaître ta filiation.
Il se pencha encore plus près.
— Tu n’es que l’ombre de ce que tu aurais pu devenir. Tout ce que tu diriges, c’est une chaîne de prostitution pour routiers. Tu te vantes de proposer de la « chair fraîche d’excellente qualité ». Tu parles... Tu m’intéressais beaucoup plus quand tu étais toi-même une pute de luxe.
Le cœur de Bobby battait. Dis quelque chose. Défends-toi. Mais les mots ne venaient pas.
— Tu sais pourquoi Susannah est revenue? Non, bien sûr, tu ne le sais pas. La dernière fois, tu l’as laissée repartir, sans bouger le petit doigt. Et New York, c’est tellement loin...
Il avait traîné sur les derniers mots, d’un ton moqueur.
— Tu aurais pu aller jusque-là-bas pour te venger, mais tu ne l’as pas fait. Apparemment, ça n’est pas suffisamment important pour toi.
Charles recula et Bobby le suivit des yeux, comme un oiseau qui attend une miette.
Je te hais.
Charles reprit sa boîte d’ivoire et la glissa sous son bras.
— Je ne reviendrai plus te voir tant que tu ne m’auras pas prouvé que tu mérites mon respect.
Il partit, laissant Bobby fulminer de rage... Pourtant, Charles n’avait pas tort sur toute la ligne. Je m’isole trop. Je me protège. En quelques secondes, sa décision fut prise.
— Tanner! J’ai besoin de toi! Je sors. Viens m’aider à m’habiller.
Tanner fronça les sourcils.
— Vous croyez que c’est une bonne idée ?
— Oui. Charles a raison. Je me terre ici depuis deux jours, à tirer des ficelles qui ne cessent de m’échapper des mains. Je n’ai plus de temps à perdre. Où se trouve la malle avec les vieux vêtements ?
— Vous allez porter les vêtements de votre mère ? Bobby, ce n’est pas bien.
— Bien sûr que non, je ne vais pas porter les vêtements de ma mère. Elle était beaucoup plus petite que moi.
— Et elle n’avait aucun goût.
— Aussi. Mais ma grand-mère était plus grande et ses affaires devraient m’aller. Où est Rocky ?
— Elle lèche ses blessures, je suppose.
— Trouve-la. Elle vient avec moi. Une merde... C’est ce qu’on va voir... Je vais faire ravaler ses paroles à ce vieux crétin de Charles. Mais il a raison, j’ai donné trop de pouvoir à Rocky et je vais commencer par rectifier ça. Je veux qu’elle me montre ce qu’elle trafique sur internet.
Les yeux de Tanner brillèrent.
— Je connais ses mots de passe et ses pseudonymes, dit-il.
Bobby battit des paupières.
— Comment ça se fait ?
Tanner haussa les épaules.
— Je ne suis qu’un voleur, mais je me tiens au courant des avancées de la technique et j’ai installé un cheval de Troie sur son ordinateur. Je sais tout sur les filles qu’elle a contactées au cours des six derniers mois, y compris où elles habitent.
— Tu es rusé comme un renard. Je t’ai toujours sous-estimé.
— C’est vrai, vous me sous-estimez, répondit Tanner en souriant.
Bobby grimpa quelques marches de l’escalier, puis s’arrêta et se tourna vers Tanner.
— Tanner, réponds-moi franchement. Est-ce que tu me préférais quand j’étais une pute de luxe?
— On pourrait dire ça, oui. Mais vous ne pouvez plus être une pute, alors vous êtes passée à autre chose.
— Tu as raison. Vérifie que les filles sont bien attachées au mur. Qui les surveille, aujourd’hui ?
— Ç’aurait dû être Jesse Hogan, mais...
Tanner haussa les épaules.
— Beardsley l’a tué..., acheva Bobby à sa place. Hogan était suffisamment bête pour se laisser surprendre par un prisonnier. Appelle Bill. S’il se plaint à cause des heures supplémentaires, dis-lui que je les lui payerai double.
Les gardes, Bobby savait les mener.
— Il faut engager quelqu’un pour remplacer Hogan, ajouta-t-il après quelques secondes de réflexion.
— Je m’en charge. Autre chose?
Bobby jeta un regard circulaire.
— Charles dit que cette maison est une relique.
— Il a raison. Elle est pleine de courants d’air et plus rien ne fonctionne correctement. Le pire, c’est la cuisinière. On ne peut pas faire du bon thé quand l’eau met des heures à bouillir.
— Trouvons une autre maison et faisons sauter la relique. J’ai suffisamment d’argent.
Tanner haussa un sourcil coquin.
— J’ai entendu dire que la maison Vartanian était vide.
Bobby éclata de rire.
— Chaque chose en son temps, Tanner. Pour l’instant, aide-moi à m’habiller pour cet enterrement et vérifie que mon revolver est bien chargé.
Charles démarra tout en jetant un coup d’œil dans son rétroviseur. Tanner n’aimait pas qu’on s’en prenne à Bobby et il l’avait regardé d’un œil mauvais en le raccompagnant, mais il ne regrettait rien ; Bobby avait mérité ce coup de semonce. Et il songea au chemin qu’il lui avait fait parcourir depuis le jour de leur rencontre. Il avait tout de suite compris que Bobby avait des possibilités, une soif de pouvoir qui ne demandait qu’à s’exprimer.
Bobby avait eu une éducation très stricte, pour ne pas dire écrasante. Son père était mort pour avoir utilisé une fois de trop son poing américain, et tant qu’à faire, Bobby avait aussi éliminé sa mère. Tanner avait été mêlé à ça, mais de quelle manière, Charles n’avait jamais pu le déterminer précisément. Tout ce qu’il savait, c’était que Tanner avait été accusé et que Bobby l’avait aidé à s’enfuir. Depuis, ces deux-là étaient inséparables.
Mais Tanner était vieux et aussi miteux que cette maison.
Bobby avait besoin d’avancer, de réclamer son droit de filiation. Les origines de Bobby étaient évidentes, pourtant, personne n’avait rien remarqué. Sauf moi. Il lui avait suffi de regarder le bleu des yeux de Bobby.
Ce bleu était une marque de fabrique.
A propos de marque, il avait été surpris par la réaction de Susannah. Elle avait parlé à la police de Darcy Williams. Incroyable... Mais elle n’avait sûrement pas tout dit. Six ans plus tôt, il l’avait entraînée jusqu’au bout de la perversion; pas une fois, mais plusieurs. Jusqu’à ce qu’elle ne puisse plus prétendre que ça ne venait pas d’elle. Jusqu’à ce qu’elle se méprise.
C’est là que Bobby et Susannah sont différentes. Bobby se battait pour qu’on reconnaisse ses origines. Susannah les avait reniées. Mais les deux poursuivaient leur but avec la même passion.
L’ennui, c’était que la passion vous rendait vulnérable. Charles l’avait appris à ses dépens. Mais il avait beau le savoir, il se laissait encore piéger ; ce matin, il était allé trop loin avec Susannah et elle avait réagi en se confessant. Il aurait dû s’en douter. Après l’épisode Darcy, elle avait cherché à s’amender, elle s’était consacrée à sa carrière, elle avait maîtrisé ses pulsions. C’est du moins ce qu’elle croyait. Mais Charles savait qu’il n’en était rien : celui qui avait goûté à l’interdit y revenait toujours.
Susannah y avait goûté et ça lui donnait envie de s’amuser encore un peu avec elle, histoire de tester son pouvoir une dernière fois, avant qu’elle meure.
Mais il s’occuperait de ça plus tard.
Pour l’instant, il attendait de voir si Bobby allait se débarrasser de Rocky, comme il l’espérait. Rocky était trop sensible, ça l’empêchait de progresser et ça la rendait dangereuse.
Si Bobby ne l’élimine pas, je serai obligé de m’en charger.
* * *
Atlanta, samedi 3 février, 10 h 15
Réveille-toi...
Monica entendit un murmure à son oreille et fit un effort pour obéir. Elle remua son bras et fut soulagée de sentir la piqûre de l’aiguille de la perfusion. Je suis toujours sous respiration artificielle, mais je peux bouger.
Elle battit des paupières et un visage se précisa. Une infirmière. Son pouls s’accéléra.
— Ecoutez-moi bien, dit l’infirmière d’une voix rauque.
Elle avait les yeux rouges et gonflés, comme quelqu’un qui a pleuré.
— Ils tiennent votre sœur et j’ai là une photo qui le prouve.
Elle mit son téléphone devant les yeux de Monica.
Seigneur... C’était donc vrai... C’était bien Genie, roulée en boule, bâillonnée, les mains attachées. Elle se trouvait dans le coffre d’une voiture. Elle est peut-être morte... Seigneur...
— Elle est en vie, reprit l’infirmière. Mais ils ont l’intention de la faire travailler, ne vous faites pas d’illusions. Si vous parlez, elle est fichue. Ils ne plaisantent pas, vous savez? Je ne leur ai pas obéi et ils ont tué ma sœur. A présent, ils menacent mon fils, je n’ai pas le choix.
Elle essuya ses larmes.
Monica ne put que contempler avec des yeux horrifiés la seringue qui s’approchait de l’intraveineuse.