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Dutton, samedi 3 février, 15 h 45
Charles jeta un mauvais regard du côté de ce téléphone qui sonnait pour la dixième fois en une heure. Fichus journalistes... Ils voulaient absolument des commentaires sur l’échange de coups de feu au cimetière, mais il ne leur donnerait pas une miette. Rien.
Pourtant, après avoir vérifié la provenance de l’appel, il jugea bon de décrocher.
— Paul ? Où es-tu ?
— A Raleigh, répondit Paul d’une voix tendue. Bobby a complètement perdu les pédales.
— Et que fais-tu à Raleigh ?
— C’est là qu’habite le père de la fille qui s’est échappée du bunker. Rocky a kidnappé la petite sœur et elle s’est arrangée pour qu’on pense qu’elle était venue ici rejoindre son père.
— Bobby essaye de réparer les bévues de Rocky, fit tranquillement Charles. C’est une manière d’assumer ses responsabilités.
— C’est une manière de perdre les pédales, fit sèchement Paul. Bobby vient de tuer le Dr Cassidy.
— Je vais faire un tour à Ridgefield House pour lui parler.
— Tant mieux, parce que je suis fatigué et que j’en ai marre de faire les quatre volontés de ton élève. Bobby pense que je travaille pour de l’argent et j’ai été à deux doigts de lui dire que c’était pour toi que je travaillais. J’en ai marre de cette situation, Charles, sache-le.
Charles eut un petit sourire indulgent. Il connaissait Paul depuis l’enfance ; Paul devenait mauvais quand il était fatigué.
— Tu n’es pas mon employé, Paul. Tu es ma main droite, Détends-toi. Trouve un hôtel et dors un peu. Rappelle-moi quand tu seras de retour à Atlanta.
— Ça me va. Mais il faut remettre Bobby dans le droit chemin.
— Ne t’en fais pas pour ça, répondit Charles.
Il se tut, songeur...
— Merci, Paul.
Paul soupira.
— De rien... Excuse-moi d’avoir été si brusque.
— Excuses acceptées. Va te reposer.
Charles raccrocha. Rater Susannah à moins d’un mètre de distance, c’était un peu fort... Mais gaspiller l’énergie d’un type précieux comme Paul. Je croyais pourtant que Bobby était un bon élément.
Le bon élément avait besoin d’une remise à niveau.
Atlanta, samedi 3 février, 16 heures
Monica avait réussi à ouvrir un œil et contemplait le plafond. Un œil, c’était suffisant pour voir l’infirmière qui entrait, la seringue à la main. Cette dernière n’avait plus les yeux rouges et gonflés, mais elle paraissait tendue. Elle caressa doucement l’œil fermé de Monica.
— Je n’ai pas l’intention de vous tuer, lui murmura-t-elle à l’oreille. Je vais vous injecter une dernière fois ce produit, pour vous empêcher de parler, le temps de mettre mon fils à l’abri. Je n’ai pas le choix.
Elle soupira.
— Quand l’effet se sera dissipé, je serai loin. Ne faites confiance à personne car je ne suis pas la seule dans cet hôpital à travailler pour ceux qui vous ont séquestrée. Hier, quelqu’un a tenté de tuer l’homme qui s’est échappé du bunker.
Beardsley...
C’était grâce à Beardsley qu’elle avait pu s’enfuir avec Bailey. Monica avait entendu des infirmières parler de lui; on l’avait admis dans l’unité de soins intensifs en pleine nuit, mais il s’en était sorti.
— Dès que vous serez sortie de ce service, vous serez en danger, poursuivit l’infirmière. J’ai fait de mon mieux pour vous garder en vie le plus longtemps possible, mais ils menacent mon fils. Je suis désolée, je ne peux plus vous aider.
Raleigh, Caroline du Nord, samedi 3 février, 16 h 45
L’agent spécial Harry Grimes contempla d’un œil attendri les locaux du bureau d’investigation de Raleigh, en Caroline du Sud. Grimes avait été transféré à Charlotte l’année précédente. Ses collègues de Raleigh lui manquaient, et en particulier Steven, qui lui avait tant appris.
Récemment promu chef de division, Steve trônait devant son nouveau bureau. Quand Harry frappa à sa porte, il leva la tête et son visage s’éclaira d’un grand sourire.
— Harry Grimes ! s’exclama-t-il. Comment vas-tu ? Entre, entre.
— J’espère que je ne te dérange pas, fit Harry tandis que Steven se levait pour l’accueillir, la main tendue.
— Non, répondit Steven en faisant la moue. Je faisais de la paperasse.
— La paperasse qui va avec le nouveau bureau, c’est ça ?
— Oui. Mais je suis plus souvent à la maison, et Jenna est contente, d’autant plus que nous avons un bébé en route.
Il désigna un fauteuil à Harry.
— Comment ça se passe à Charlotte ?
Harry s’assit.
— Très bien. Ce n’est pas comme ici, mais je m’y fais.
Steven le contempla fixement.
— Tu n’es pas venu me rendre une simple visite de politesse, n’est-ce pas ?
— J’aurais bien voulu, mais non. J’ai reçu ce matin un coup de fil d’une mère désespérée. Sa fille de quatorze ans a disparu de sa chambre pendant la nuit.
— Elle pense plutôt à un enlèvement ou à une fugue ?
— En l’absence de signes d’effraction dans la maison, les flics locaux avaient commencé par classer le dossier dans les fugues.
— Et ils ont changé d’avis ?
— Oui. Il a fallu les secouer un peu, mais ils ont fini par rechercher activement la fille.
— En quoi puis-je t’aider ?
— La sœur aînée de cette fille a disparu il y a six mois.
Il sortit une photo de son attaché-case et la tendit à Steven.
— Beatrice Monica Cassidy, lut Steven.
— Son nom usuel est Monica. Elle avait avec sa mère une relation normale, incluant les conflits habituels au sujet des vêtements, des sorties et des résultats scolaires. Pas du tout un profil de fugueuse. Et puis un beau jour, il y a six mois, elle a prétendu qu’elle allait rendre visite à une amie et elle n’est pas rentrée. L’amie en question a avoué que Monica lui avait demandé de mentir pour la couvrir ; elle avait rendez-vous avec un garçon. Mais c’était trop tard et Monica s’était évaporée sans laisser de traces. Pourtant, la mère est formelle. Elle assure que sa fille n’aurait jamais fugué.
— Comme tous les parents, rétorqua tranquillement Steven.
— Je sais. Apparemment, Monica passait beaucoup de temps sur son ordinateur.
— Laisse-moi deviner... Sur son ordinateur, donc sur internet, donc sur les salons de chat ou sur des messageries instantanées.
— Exactement. Malheureusement, impossible de récupérer les conversations. Mais pour la sœur, c’est différent... Le proviseur du lycée de Monica m’a demandé il y a quelques semaines de présenter aux parents d’élèves un logiciel espion qui permet d’enregistrer les échanges passant par des chats ou des messageries instantanées. Et j’y suis allé avec un lot de logiciels pour le vendre à ceux que ça intéressait.
— Tu as bien fait, il faut battre le fer tant qu’il est chaud.
— Exactement. Mme Cassidy assistait à cette présentation, et elle a acheté un de ces logiciels pour surveiller son autre fille, Eugenie Marie, dite Genie.
— Et Genie a disparu.
— Mme Cassidy a appelé toutes les amies de Genie. Puis la police, qui est venue pour enregistrer une déposition. Ensuite, la mère a pensé à vérifier les conversations online de Genie. Et là, elle a découvert que sa fille communiquait par messagerie instantanée avec un certain Jason prétendant être un étudiant.
— Tu penses qu’il pourrait s’agir d’un pédophile et qu’il l’aurait enlevée ?
— Oui, je le pense. Parce que le garçon avec lequel Monica avait eu rendez-vous s’appelait lui aussi Jason, et qu’elle l’avait rencontré sur internet.
Steven battit des paupières.
— En effet, c’est une drôle de coïncidence.
— C’est bien ce que j’ai pensé.
— Genie avait pris rendez-vous avec le Jason en question ?
— On n’en sait rien. Il n’y avait pas de conversations enregistrées aujourd’hui ou hier, mais elle a pu communiquer avec lui par textos. Je suis allé à la gare routière de Charlotte pour interroger le personnel, et ils se souviennent d’une jeune fille portant un sweat à capuche à l’effigie du lycée de Genie qui aurait acheté un ticket pour Raleigh. C’est pour ça que je suis là.
— On t’a officiellement confié cette affaire ? demanda Steven d’un air méfiant.
Harry eut un sourire agacé.
— Je ne suis pas un cow-boy, Steven. Bien sûr que ma démarche est officielle. Mme Cassidy vit dans une zone rurale, à environ quarante-cinq kilomètres de Charlotte et la police locale nous a délégué l’affaire quand Mme Cassidy a découvert la « coïncidence » Jason. Comme je connaissais un peu le contexte, le patron m’a désigné.
— Et pourquoi viens-tu à Raleigh ?
— Parce que le père de Monica y habite. Il ne répondait pas au téléphone, alors je me suis déplacé, mais il n’est pas chez lui.
— Il a pu sortir, Harry.
— Il est médecin. Hier, il ne s’est pas présenté à l’hôpital dans lequel il travaille et il paraît que ça ne lui était jamais arrivé. C’est un type d’une régularité et d’une droiture qui frisent l’obsession.
— Tu as un mandat pour fouiller sa maison ?
— On est en train de me le signer. Tu veux venir avec moi ?
Steven acquiesça tristement.
— Le temps d’aller chercher mon manteau, dit-il.
Ridgefield House, samedi 3 février, 16 h 55
— Où est Tanner ? demanda Charles tout en tendant son manteau à Bobby.
Il est en train de rentrer de Savannah.
Mais Charles n’avait pas besoin de savoir ça.
— Il termine un boulot pour moi, répondit Bobby en s’installant derrière son bureau. Qu’est-ce qui t’amène ?
— Tu aurais pu te faire coincer, au cimetière, répondit Charles en prenant un fauteuil.
Bobby sourit.
— Je sais. C’est ça qui était excitant.
— Où as-tu dégoté cette épouvantable robe ?
— Elle appartenait à ma grand-mère. Tu m’as reproché de me comporter comme une vieille femme alors... J’ai mis une robe de vieille femme.
— Mais tu as raté ta cible, rétorqua Charles.
Bobby haussa un sourcil.
— Je ne rate jamais ma cible, tu devrais le savoir. N’oublie pas que c’est un tireur d’élite de l’armée qui m’a appris à tirer.
— Je sais, je sais, répondit Charles d’un ton irrité. J’ai assisté à ces leçons d’un insupportable ennui.
— Donc tu sais que j’atteins la personne que je vise.
Charles parut perplexe.
— Tu as visé intentionnellement Gretchen French ?
— C’était Gretchen French ! s’exclama Bobby en riant. Excellent. Je l’ignorais.
— Tu l’ignorais?
— J’ai tout simplement visé la personne la plus proche de Susannah Vartanian. J’aurais bien voulu tirer sur l’agent Papadopoulos, mais il n’était plus là. Et finalement, Gretchen French, vu les circonstances, c’est presque mieux.
— Et le coup que Rocky a tiré ?
— Son arme était chargée à blanc. Je ne voulais pas qu’elle tue qui que ce soit, je voulais simplement qu’elle meure en m’obéissant.
— Elle est morte en pensant qu’elle avait raté sa cible.
— Encore mieux. Elle est morte en pensant que je la tuais parce qu’elle avait raté sa cible.
— Très bien, approuva Charles, presque à regret. Et que comptes-tu faire au sujet de Susannah Vartanian ?
— Je compte y aller à petits pas. Quand j’en aurai terminé avec elle, elle sera plus seule que jamais, elle aura peur de son ombre et elle sera dégoûtée de la vie au point de me supplier de la tuer.
— Tu commences quand ?
Bobby prit le temps de réfléchir. Les nouvelles n’étaient pas bonnes et il était urgent de passer à l’action.
— Dans une heure et je vais t’emprunter ta voiture. La noire, avec les plaques au nom de Darcy.
— Quel est ton plan ?
— L’infirmière a l’intention de parler de moi au bureau de Georgie.
— Tu en es encore à réparer les bêtises de Rocky ?
Le ton désapprobateur déplut à Bobby.
— Je sais que tu dois te débarrasser des encombrants, poursuivit Charles. Mais tout de même, tu pourrais t’y prendre autrement. Tous ces meurtres, ça va finir par attirer l’attention. Il me semblait t’avoir appris que...
— Je sais, coupa Bobby. Celui qui veut conserver le pouvoir s’arrange pour rester discret. Je veux seulement montrer à l’infirmière que ce n’est pas très judicieux de me désobéir et donner en même temps un petit coup de semonce à Susannah Vartanian. Fais-moi confiance.
Charles parut réfléchir.
— D’accord. Si c’est ça, je te prête ma voiture.
Atlanta, samedi 3 février, 16 h 55
— Luke, réveille-toi. Réveille-toi.
Luke leva la tête. Il s’était endormi devant son bureau.
— Seigneur, murmura-t-il.
Leigh se tenait devant lui. Elle paraissait inquiète.
— Il est presque 17 heures. Les autres arrivent dans la salle de conférences.
Elle lui tendit une tasse de café.
— Ça va te requinquer, dit-elle.
Il en avala la moitié en une gorgée.
— Merci, Leigh. Il s’est passé quelque chose d’important pendant que j’avais quitté cette Terre?
— Les appels sur le numéro Vert commencent à s’espacer. Et pour l’instant, rien de concluant de ce côté.
— Une piste pour le bateau?
— Plusieurs centaines. Mais je n’ai gardé que ceux qui étaient suffisamment grands pour transporter cinq filles.
Elle lui tendit une feuille de papier.
— Je viens de dresser la liste définitive.
— Bon travail, Leigh. Je sais que tu devrais être en week-end et j’apprécie le temps que tu passes ici pour cette enquête. J’espère que tout ça sera bientôt terminé.
Il se frotta la joue et sa barbe lui râpa la main.
— Il faut que je me rase pour retrouver un peu de ma dignité d’être humain. Dis à Chase que j’arrive dans cinq minutes.
Cinq minutes plus tard, il se laissait tomber dans un fauteuil, entre Chase et Ed. Pete et Nancy étaient déjà là, Chloe et Nate aussi. Talia Scott était revenue de la cabane d’Ellijay. Mary McCrady paraissait la moins fatiguée de tous.
— Nous pouvons commencer, Chase ? demanda-t-il.
— Oui. Germanio ne viendra pas, il s’occupe d’Helene Granville. Nous n’attendions plus que toi.
Luke se redressa.
— Nous avons identifié Kasey Knight et peut-être une deuxième fille, Ashley Csorka, qu’ils auraient emmenée dans le bateau. Son père vit en Floride, il est en route pour la Georgie, avec des échantillons pour une analyse ADN.
— Je vais demander qu’on accélère les analyses des urines prélevées sur les matelas, fit Ed. Je m’occuperai personnellement et tout de suite des échantillons de M. Csorka. Demain, à cette heure-ci, vous aurez les résultats.
— Parfait, dit Chase. Autre chose, Luke ?
— Daniel a aperçu une partie de l’immatriculation du bateau qui a emmené les filles. Leigh a fait des recherches : une douzaine d’embarcations pourraient être concernées.
Chase prit la liste.
— Nous vérifierons. Quoi d’autre?
— Nat et moi, nous avons découvert des dossiers très intéressants dans l’ordinateur de Mansfield.
— Des catalogues de filles à vendre, fit Nat, au nom d’une société s’appelant Jeunes et Fraîches Américaines et comportant un svistika comme logo. Trois des filles exposées dans ces catalogues étaient dans le bunker.
— On peut remonter la piste des photographies trouvées dans l’ordinateur de Mansfield?
— Un bon tiers du personnel de notre section y travaille, répondit Nate. Mais deux cent cinquante gigas de photos, ça fait beaucoup.
— Les plus intéressantes sont celles que Mansfield avait prises en douce, fit Luke.
Nate acquiesça.
— Elles sont floues, ça va nous prendre du temps de cerrer les détails. D’ailleurs, si vous n’avez plus besoin de moi, j’aimerais y retourner.
— Ed ? demanda Chase quand Nate eut refermé la porte derrière lui. On passe à l’expertise balistique ?
— Jamais vu un truc pareil, soupira Ed.
Il déposa sur la table deux revolvers dans des sacs en plastique.
— Celui-ci a été trouvé dans les mains de Kate, expliqua-t-il en tapotant un des sacs. L’autre se trouvait dans l’herbe.
Il se leva pour tracer un triangle sur le tableau blanc.
— Kate était placée à la pointe du triangle.
Il montra un point à gauche.
— Là, nous avons ramassé la deuxième arme, un semi-automatique muni d’un silencieux. Et là, il y avait Mlle French.
— C’est la suite que j’adore, commenta Chase d’un ton sarcastique.
— La balle qui a traversé le bras de Gretchen French est tombée ici, poursuivit Ed en désignant un endroit sur la droite du triangle, l’extérieur.
— Vous suivez ?
Luke fronça les sourcils.
— Comment est-ce possible ? s’étonna Luke. A moins d’avoir ricoché, cette balle n’a pas pu provenir du revolver de Kate.
— Exact. La balle qui a blessé Gretchen French ne provenait pas de l’arme de Kate, mais d’une autre, placée ici...
Il montra l’emplacement du semi-automatique.
— C’est donc ce semi-automatique qui a blessé Gretchen Irench?
— Non, fit Ed. Il y avait trois armes. Celle de Kate, le semi-automatique qui a tué Kate, et une troisième qui a atteint Gretchen et qui demeure introuvable. Kate Davis n’a touché personne.
Pete secoua la tête.
— J’ai la migraine.
— Bienvenu au club, lança Chase. D’après les experts en balistique, l’arme de Kate a tiré à blanc.
Chloe battit des paupières.
— A blanc ? Mais pourquoi ?
— Et qui a tiré sur Gretchen ? renchérit Talia Scott.
— Nous n’en savons rien encore, répondit Ed. Nous passons et repassons les films de la scène, mais il y avait du monde et c’est très difficile de tout voir.
— Si Kate n’a pas voulu tuer Gretchen, pourquoi a-t-elle dit : « J ai loupé mon coup » ?
— Quand nous avons compris que Kate avait tiré à blanc, nous avons visionné au ralenti le passage où elle pointe son arme, juste avant de tirer. Elle ne visait ni Gretchen ni Susannah. Elle visait de ce côté.
Il montra l’endroit marquant l’emplacement de l’arme semi automatique.
— Elle visait celui ou celle qui l’a abattue, conclut-il
— Et au cas où vous auriez encore des doutes..., ajouta Chase eu faisant glisser une photographie sur la table, voici une photographie de l’autopsie de Kate.
Il y eut des petits cris de surprise autour de la table.
— Le svastika, fit Chase.
— Je sens que j’ai besoin d’un complément d’informations à propos de Kate Davis, fit Luke. Il est temps de rendre visite à M. le maire. Tu veux venir avec moi, Chloe ?
— Bien sûr. On a des nouvelles de sa femme ?
— Non, répondit Pete. Et l’avis de recherche sur le minivan Chrysler n’a rien donné non plus. Tout ce qu’on sait, c’est qu’elle se déplace. Elle roule vers l’ouest et, aujourd’hui, elle était à Reno. J’ai ici le relevé de ses appels téléphonique. Depuis jeudi, elle a contacté Kate Davis à plusieurs reprises et elle lui a encore parlé à 14 heures tout à l’heure, pendant cinq minutes.
Luke fronça les sourcils.
— A 14 heures? Mais Kate était déjà morte.
— Je sais. On a trouvé un téléphone portable sur le cadavre de Kate?
— Non, répondit Chase. Mais quelqu’un a décroché, sinon le répondeur se serait mis en route. Chloe, pourrait-on transférer les appels reçus par ce portable sur l’une de nos lignes ?
— Oui, répondit Chloe. C’est une procédure qui réclame un certain délai, mais je vais m’arranger pour l’écourter au minimum.
— Merci. Pete, est-ce que la femme de Davis a de la famille dans l’Ouest?
— Non. Elle a une tante qui vivait à Dutton, mais qui a déménagé après son mariage. Personne ne sait où elle est allée et je la cherche.
— Tu as posé la question à Angie Delacroix ? intervint Luke. C’est la coiffeuse. D’après Susannah, elle sait tout ce qui se passe en ville.
— Non, mais je vais le faire.
Pete caressa son crâne chauve.
— J’aurais besoin d’une bonne coupe, dit-il.
Tout le monde sourit, mais tristement.
— J’ai vérifié la carte de crédit de Mme Davis, poursuivit Pete. Elle s’en est servie plusieurs fois ces jours-ci dans des stations-service. J’ai réclamé les enregistrements des caméras de surveillance et si elle a changé de véhicule, nous le saurons.
— Parfait, approuva Chase. Nancy?
— Je cherche toujours Chili Pepper, l’artificier, répondit Nancy. Ses parents ne veulent plus entendre parler de lui et ses voisins évitent de le fréquenter. J’ai trouvé sa petite amie, mais elle a nié être au courant de ses activités : elle soutient qu’on le surnomme Chili parce qu’il est chaud au lit.
Elle fit la grimace.
— C’est vulgaire.
— Charmant individu, commenta Chloe. Il n’a pas des habitudes, des addictions ?
— Il y avait des seringues chez la petite amie. J’ai demandé à utiliser les toilettes, et j’en ai profité pour jeter un coup d’œil dans l’armoire à pharmacie.
Chloe lui jeta un regard indigné.
— Je sais, je sais..., marmonna Nancy. Mais ça m’a permis de trouver un flacon d’insuline marqué au nom de Clive Pepper.
— Elle s’appelle comment, la petite amie ? demanda Chloe en secouant la tête.
— Lulu Jenkins, répondit Nancy. Et je précise que je n’ai rien touché dans la salle de bains.
— Oui, fit Chloe d’un air contrarié. Mais si nous trouvons Chili, ce sera grâce à une fouille illégale.
— Mais qui va le lui dire ? s’exclama Nancy d’un ton exaspéré. Vous?
Chloe tourna vers Chase un regard étincelant de colère.
— Ton équipe cherche les sanctions, ou quoi ?
— Ne recommence pas ce genre de manœuvre, Nancy, fit Chase. Chloe, Nancy ne le fera plus.
— Il est donc diabétique, dit Luke. Il va bien falloir qu’il se montre pour sa dose d’insuline.
— Tant mieux! s’exclama Chase. Ed, où en est le sondage du terrain, autour du bunker ?
Becky... Luke l’avait presque oubliée...
— Les spécialistes devaient venir à 15 heures, mais j’étais occupé avec la scène du crime du cimetière, répondit Ed. Désolé, Chase, c’est reporté à demain.
— On ne peut pas être partout, fit Chase d’un ton conciliant. Et justement, j’ai une bonne nouvelle à vous annoncer : j’ai réussi à obtenir quatre agents de plus pour cette enquête.
— Ils commencent quand ? demanda Luke.
— Certains ont déjà commencé. L’un d’eux a réussi à localiser Isaac Gamble, l’infirmier dont le badge a été repéré dans la chambre de Beardsley. Mais à l’heure du signalement, Gamble était dans un bar, la vidéo de surveillance et le barman confirment son alibi.
— C’est donc quelqu’un d’autre qui a tenté de tuer Beardsley, conclut Pete. Quelqu’un qui portait le badge de Gamble.
— On dirait. Deux autres agents visionnent le film du cimetière pour tenter de repérer l’assassin de Kate dans la foule. Rien que ça, c’est un boulot à plein temps.
Mary McCrady, la psychologue, se pencha en avant pour intervenir.
— Je me demande pourquoi il a jeté son revolver, dit-elle.
— Il l’a jeté dans l'affolement, proposa Ed, ou bien il ne voulait pas qu’on le trouve sur lui.
Mary haussa les épaules.
— Tu as peut-être raison. Mais il a été capable de réagir à la seconde près pour tirer sur Gretchen au moment où Kate appuyait sur la détente. Bien entendu, ça suppose qu’il savait que Kate allait tirer, mais tout de même... Un type qui fait preuve d’un tel sang-froid ne jette pas son arme parce qu’il s’affole. Je pense plutôt qu’il voulait que vous la trouviez.
— Il s’amuse avec nous, proposa Luke.
— Je le pense, oui, répondit Mary. Est-ce que Kate Davis savait que son revolver était chargé à blanc, d’après vous?
— Il n’était pas chargé à blanc, corrigea Ed. Il était chargé d’une balle à blanc; les autres étaient des vraies.
— Cette affaire est un vrai casse-tête, soupira Chase. Tu as raison, Mary, si Kate avait eu l’intention de tuer Gretchen, elle n’aurait pas ni de balle à blanc. Si elle avait seulement eu l’intention de l’effrayer, elle n’aurait eu que des balles à blanc. Et si elle ne visait pas Gretchen,
Il nous manque une pièce maîtresse du puzzle pour comprendre.
On frappa à la porte et la tête de Leigh apparut.
— Chase, c’est Germanio. Il est à Savannah. Il dit que c’est urgent.
Chase prit l’appel dans la salle de conférences et mit le haut-parleur.
— Hank, on est tous là, on t’écoute. Que se passe-t-il ?
— J’ai trouvé Helene Granville, fit Germanio. Mais elle est morte.
Chase ferma les yeux.
— Comment?
— Elle s’est pendue. Quand je suis arrivée chez sa sœur, où elle s'était réfugiée, la police locale était déjà là.
— Tu as appelé le légiste du bureau de renseignement de Savannah ? demanda Chase.
— Il sera là dans quelques minutes. Helene Granville est arrivée ici hier, complètement affolée, au point que sa sœur a hésité ce matin à la laisser seule. Mais elle est tout de même partie travailler et, quand elle est rentrée, elle l’a trouvée pendue à une poutre du plafond.
— Elle pense qu’elle a pu se suicider ? demanda Luke.
— Non, elle dit que non. Mais c’est difficile de l’interroger car elle est très secouée ; je vais attendre qu’elle se calme un peu.
— Tiens-moi au courant, fit Chase.
Il raccrocha en soupirant.
— Sale journée, commenta-t-il. Finissons cette réunion, nous avons tous besoin de dormir. Talia, qu’est-ce que tu nous rapportes d’Ellijay ?
— Les chiens n’ont rien trouvé, pas même une piste.
Elle se tourna vers Luke.
— Les dents de l’affreuse chienne de Borenson n’ont apporté aucun renseignement au gars du labo. Tu veux la prendre ?
— Moi ? Pourquoi moi ?
— Parce que sinon elle ira dans un refuge. Je m’en serais volontiers chargée, mais j’ai déjà quatre chiens et ma colocataire dit que ça suffit.
— J’ai donné mon dernier chien à Daniel, protesta Luke. C’est te dire...
Elle haussa les épaules.
— Dommage... Elle est gentille, cette chienne. J’espère que quelqu’un voudra bien d’elle au refuge.
Comme personne ne bougeait, Luke soupira.
— Je prendrai cette fichue chienne, bougonna-t-il.
Talia sourit.
— Je savais que tu avais un cœur tendre.
— En échange, tu m’accompagneras à Poplar Bluff demain. Je dois interroger des adolescentes au sujet de la disparition de Kasey Knight et tu es meilleure que moi quand il s’agit d’interroger des filles.
— D’accord, fit Talia. Je viens, à condition que tu apportes un plat préparé par ta mère.
— Attendez, intervint Nancy. Vous avez bien dit Poplar Bluff?
— Oui, répondit Luke. C’est environ à deux heures d’ici, vers le sud.
Nancy sortit une liste de sa poche.
— L’endroit est marqué sur le guide routier de Mansfield.
Chase se pencha en avant.
— Tu peux nous donner d’autres noms marqués sur ce guide ?
Nancy le regarda droit dans les yeux.
— Panama City, en Floride.
— Ashley Csorka, murmura Luke.
Nancy acquiesça.
— Ce que je tiens là, c’est la liste des endroits où il est allé chercher les filles, conclut Nancy.
— Nous allons la comparer avec la base de données des mineures disparues, fit Luke avec un regain d’énergie, ainsi qu’avec l’Etat d’origine des filles du catalogue. C’est de l’or, ta liste.
— Nous ne savons pas encore s’il les enlevait ou s’il les attirait dans un piège, fit remarquer Talia. Il faudrait déterminer comment il procédait ; ça nous permettrait peut-être de remonter jusqu’à Rocky.
— Et donc de retrouver les filles qu’il séquestre, acheva Luke.
— Bon travail, les enfants ! s’exclama Chase. Maintenant, j’insiste, nous avons besoin de repos. Je vais demander à des secrétaires de travailler sur cette liste pendant la nuit. Et une fois que nous aurons des noms, nous pourrons commencer à informer les parents. Rendez-vous ici, demain matin à 8 heures.
Tout le monde s’était levé quand Leigh ouvrit de nouveau la porte, avec un air pincé.
— Un appel pour toi sur le numéro Vert, Luke, d’une femme qui prétend détenir des informations sur l’inconnue.
Luke se tourna vers Chase.
— Personne n’est censé être au courant de son existence. Leigh, elle est toujours en ligne ?
— Non. Elle veut te rencontrer devant l’entrée des urgences de l’hôpital dans vingt minutes et elle a insisté pour que tu viennes seul.
— J’y vais. Mais j’avais rendez-vous avec le père d’Ashley Csorka, ici, à 18 heures.
— Je m’en charge, fit Talia. Je le recevrai et j’apporterai au labo les échantillons pour l’ADN.
— Merci, dit Chase. Les autres, allez dormir. Je vous ferai signe s’il se passe quoi que ce soit.