CHAPITRE XII
Lowbacca luttait contre les commandes du T-23 pour contrôler sa trajectoire erratique au-dessus des frondaisons.
Derrière lui, son moteur crachait un épais nuage de fumée nauséabonde. Le jeune Wookie jeta un coup d’œil sur sa droite pour évaluer les dommages. Pas de flammes, mais c’était bien le seul point positif. Le vent s’était levé, et il menaçait de faire basculer la navette.
Le T-23 plongeait et remontait alternativement. Une fois, il effleura la cime d’un bosquet. Des branches crissèrent sous la carlingue, faisant grincer des dents le jeune Wookie. Heureusement, celui-ci parvint à reprendre de l’altitude. Il se savait bon pilote : il réussirait à atteindre l’Académie et à ramener des secours, quelle que soit la difficulté de la tâche.
Mais il ignorait ce qu’était devenue Tenel Ka, si elle allait bien ou si le pilote du chasseur Tie l’avait elle aussi capturée. Dans tous les cas, il était sans doute le seul espoir des jumeaux.
Son cœur cognait douloureusement dans sa poitrine, et les gaz d’échappement lui piquaient les yeux. Une odeur chimique lui chatouilla les narines ; il sentit sa tête tourner.
— Maître Lowbacca, intervint DTM, mes senseurs indiquent qu’une importante quantité de fumée a pénétré dans le cockpit.
Lowie poussa un grognement excédé. Le droïde le croyait-il incapable de s’en rendre compte tout seul ?
— Ce n’est pas ce que je voulais dire, se hâta de rectifier DTM. Mais si nous perdons encore de la vitesse, les toxines stagneront ; elles risquent d’atteindre un niveau mortel, même pour un Wookie.
La navette eut un soubresaut et manqua s’écraser sur la cime d’un arbre. Lowbacca fit une grimace et tira sur les commandes. À chaque seconde, le T-23 devenait plus difficile à diriger, et il n’était plus si certain de tenir jusqu’à l’Académie.
Pourtant, il le fallait. Il ne pouvait pas abandonner ses amis.
Le T-23 vibra de plus belle et plongea vers la jungle. Lowbacca prit une inspiration. L’air devenait de plus en plus nauséabond. Comme en réponse à son effort, le moteur cracha et toussa.
Puis cala.
Faisant appel à ses talents de pilote, Lowie lutta pour contrôler sa chute. Les frondaisons se précipitèrent à sa rencontre, et il s’écrasa dans un nuage de feuilles et de brindilles.
Comme un oiseau blessé, le T-23 gisait dans une fourche d’arbre, son aile droite inférieure disparaissant dans le feuillage. De la fumée s’élevait du moteur endommagé et pénétrait directement dans le cockpit.
La tête de Lowie le faisait horriblement souffrir, mais il savait qu’il devait sortir du vaisseau à tout prix. Il défit maladroitement son harnais de sécurité. La fumée âcre brouillait sa vision et le faisait tousser.
Finalement, il réussit à sortir du T-23 en se tortillant. Toujours pas de flammes, remarqua-t-il en s’éloignant le plus vite possible dans la lumière du couchant. Il aspira de longues goulées d’air humide. Un de ses genoux avait heurté le tableau de bord et il serrait les dents à chaque pas pour ne pas crier.
Peu importait la douleur. Sa première tentative de sauvetage avait échoué, mais il refusait de s’avouer vaincu. Il pouvait encore faire quelque chose pour ses amis, à condition de rejoindre l’Académie.
Dans sa précipitation, il ne remarqua pas que la fixation de DTM, endommagée lors de l’accident, s’ouvrait un peu plus à chaque pas. Avec un gémissement métallique, le droïde miniature tomba vers le sol, des dizaines de mètres plus bas.
Dans la jungle, le crépuscule céda bientôt la place à l’obscurité. Des essaims d’insectes nocturnes s’éveillèrent et se mirent en chasse.
Lowbacca cheminait toujours. Il avait été forcé de descendre à un niveau où les branches étaient suffisamment longues, solides et nombreuses pour lui permettre d’avancer à bonne allure. Parfois, lorsqu’il se sentait fatigué ou que son genou le faisait trop souffrir, il se balançait de liane en liane comme un singe, utilisant sa vision de Wookie pour se diriger dans les ténèbres.
Mais jamais il ne s’arrêtait pour se reposer. Il aurait tout le temps plus tard.
Pour le moment, tous ses sens étaient en alerte, aussi précis que le rayon laser d’un droïde médical. Ses plantes de pieds sensibles et son odorat développé lui permettaient d’éviter les endroits glissants ; son ouïe fine l’aidait à distinguer le sifflement du vent de celui des créatures nocturnes. Il n’avait plus alors qu’à faire un détour pour les éviter.
Lowie ne craignait ni l’obscurité ni la jungle. Celle de Kashyyyk, son monde natal, cachait des dangers bien plus terribles. Il les avait déjà affrontés plusieurs fois, et il avait survécu. Souvent, en pleine nuit, il jouait avec ses cousins et ses amis dans la forêt : courses à pied ou à la nage, compétitions de saut, expéditions dans les branches basses pour tester leur courage, sans oublier le rite initiatique qui marquait le passage de l’enfance à l’âge adulte chez les Wookies.
En traversant un épais fourré, Lowie accrocha sa ceinture à une petite branche et tira dessus pour se dégager. Le contact des fibres tressées lui rappela la nuit où il les avait gagnées.
Il se souvint…
Son cœur battait à tout rompre tandis qu’il descendait vers le sol. Il ne s’était aventuré aussi bas que deux fois, pour accompagner des amis qui accomplissaient leur rite de passage. L’union faisait la force, et la force était toujours bienvenue lorsqu’il s’agissait de cueillir les longues fibres poussant au centre des buissons de syren.
Lowbacca, lui, avait choisi d’y aller seul, d’affronter la plante carnivore avec sa cervelle plutôt qu’avec l’aide de muscles étrangers.
Cette nuit-là, sur Kashyyyk, l’air était froid et humide. Les cris des animaux composaient une véritable cacophonie. Lorsqu’il atteignit les branches les plus basses, Lowie rajusta la bandoulière de son havresac et se mit en chasse.
Les sens en alerte, il se déplaça souplement parmi les feuilles jusqu’à ce que les effluves parfumés de la syren lui parviennent aux narines. Se fiant à son instinct, il suivit la piste jusqu’à une branche située à l’aplomb du buisson.
La fleur de syren comptait deux énormes pétales ovales d’un jaune brillant, soutenus par une tige rouge sang deux fois plus épaisse que la branche où était assis le jeune Wookie. De son cœur jaillissait une touffe de longues fibres blanches duveteuses qui émettaient des phéromones lui permettant d’attirer les créatures imprudentes.
Mais la beauté de cette fleur était un piège cruel. Quiconque approchait suffisamment pour la toucher déclenchait un réflexe mortel. Les mâchoires-pétales se refermaient sur l’imprudent, et la syren entamait son cycle digestif.
Lowbacca, lui, avait résolu d’arracher les fibres blanches sans toucher les pétales. En principe, quelques jeunes Wookies musclés les maintenaient ouverts pendant que le candidat rampait jusqu’au centre de la fleur pour couper ses fibres avant de battre en retraite. Mais le résultat n’était pas garanti. Parfois, on perdait un bras ou une jambe dans l’opération.
Ayant choisi d’agir seul, Lowbacca devait se montrer d’autant plus prudent. Il ôta le havresac de son dos et en sortit un masque, une épaisse corde, une autre plus fine et une vibrolame rétractable. Il plaça le masque sur son nez et sa bouche pour neutraliser les émanations de la plante. Il savait qu’une seule bouffée lui donnerait le désir impérieux de la toucher à mains nues et il ne pouvait pas se le permettre.
De ses mains habiles, il confectionna un nœud coulant à l’aide de la corde la plus mince. Puis, dans la longueur de l’autre, il forma une boucle qui lui servirait de siège. Il fit passer l’extrémité libre par-dessus la branche et, à la force des bras, se laissa glisser vers la plante mortelle.
Il approcha autant qu’il l’osa des pétales ondulant au gré de la brise. Coinçant l’extrémité de la corde entre ses dents pour libérer ses mains, il sortit le nœud coulant qu’il avait préparé et s’en servit pour entourer la touffe de fibres qui s’agitait au-dessous de lui. Puis il se pencha légèrement et, d’un mouvement vif, trancha l’ensemble avec sa vibrolame. Après un grondement triomphant, il remonta le bouquet de fibres et l’enfourna dans son havresac.
Mais tout à son excitation, il laissa la corde lui glisser entre les dents. L’extrémité libre vint effleurer un des pétales de la fleur. Terrorisé, Lowie tira de toutes ses forces sur ses bras. Les mâchoires de la syren se refermèrent au-dessous de lui, frôlant son pied droit.
Le jeune Wookie avait bien mérité ses fibres, et il en possédait assez pour se tisser une ceinture. Il décida qu’il la porterait toujours en souvenir de cette nuit.
Les muscles presque tétanisés, Lowbacca continuait à sauter d’un arbre à l’autre.
Il n’avait plus aucune notion de la distance parcourue ; seule comptait sa destination. Il devait atteindre l’Académie Jedi. Le bruit de sa respiration haletante résonnait dans ses oreilles ; sa jambe blessée manquait céder à chaque pas. La fatigue brouillait sa vision, et sa fourrure était constellée de brindilles. Mais il continuait à avancer.
Il regarda autour de lui, désorienté. Il avait levé le bras pour chercher une branche, une liane, mais sa main s’était refermée sur le vide. Il leva péniblement la tête. La piste d’atterrissage s’étendait à ses pieds. Un peu plus loin, des torches vacillant dans la lueur de l’aube éclairaient la silhouette du Grand Temple.
Hagard, Lowie se laissa tomber sur le sol et traversa la clairière, le regard fixé sur la forme bienveillante de l’Académie. Il poussa un rugissement sonore, puis un autre et encore un autre, jusqu’à ce qu’un régiment de Jedi vêtus de robes de chambre dévalent les marches de pierre et se précipitent vers lui.
Les efforts de la nuit passée eurent raison du Wookie, qui sentit son genou se dérober et s’effondra sur le sol en gémissant.
Lorsqu’il roula sur le dos, un cercle de visages inquiets emplit son champ de vision. Tionne se pencha sur lui et écarta une masse de poils emmêlés de son visage.
— Lowbacca, nous nous faisions du souci pour toi, dit-elle gravement. Es-tu blessé ?
Le jeune Wookie poussa un grognement, mais son interlocutrice ne parut pas comprendre. Elle s’agenouilla à côté de lui.
— Jacen et Jaina étaient-ils avec toi ? Et Tenel Ka ?
Lowie gémit à nouveau.
— Que s’est-il passé ? insista Tionne en le dévisageant de ses yeux couleur de perle. Peux-tu me dire où ils se trouvent ?
Lowbacca réussit enfin à expliquer que ses amis étaient dans la jungle, et qu’ils avaient besoin d’aide. Tionne fronça les sourcils, l’air inquiet.
— Désolée, Lowbacca, mais je ne comprends pas ce que tu dis.
Lowie porta une main à sa ceinture pour activer DTM et réalisa que le petit droïde avait disparu.