CHAPITRE VII
— Je me demande pourquoi Lowie n’est pas venu dîner, dit Jacen.
Il était assis dans la salle d’audience entre Jaina et Tenel Ka. Luke Skywalker avait convoqué les étudiants pour leur faire une annonce. Le crépuscule rougeoyait comme du métal en fusion dans les étroites meurtrières, au-dessus de leurs têtes, mais les panneaux blancs lumineux dissipaient les ombres du vaste amphithéâtre.
— Il s’amusait tellement qu’il a dû oublier de rentrer, chuchota Jaina. J’en aurais sans doute fait autant à sa place.
— Peut-être n’avait-il pas faim, dit très sérieusement Tenel Ka.
Jacen lui jeta un regard incrédule.
— Un Wookie qui n’aurait pas faim ? Ah ! Et tu dis que je fais des blagues idiotes ?
La jeune Amazone haussa les épaules.
— C’était juste une suggestion.
— Bon, écoutez, je ne rigole pas. Supposez que la navette ait eu une défaillance et que Lowie se soit écrasé quelque part dans la jungle.
— Impossible, répliqua Jaina sur un ton péremptoire. J’ai tout vérifié moi-même avant qu’il parte.
Tenel Ka haussa les sourcils.
— Ah ! Et tu penses vraiment que tu es infaillible ?
Jacen aurait juré voir l’ombre d’un sourire se dessiner au coin de ses lèvres.
— Peu importe : voilà Lowie, dit-il, soulagé, avant d’agiter une main pour attirer l’attention de leur ami.
— Vous voyez ? Je vous avais bien dit qu’il n’avait rien pu lui arriver, pavoisa Jaina.
Jacen fit comme s’il n’avait rien entendu.
— Tu arrives juste à temps, dit-il à voix basse quand le Wookie les rejoignit. Maître Skywalker ne va plus tarder.
Dans la salle, nul ne connaissait la raison de cette réunion, mais l’événement était hautement inhabituel. Toutes les personnes qui vivaient, travaillaient ou s’entraînaient à l’Académie étaient présentes, et les suppositions allaient bon train dans les gradins.
— Où étais-tu passé ? chuchota Jacen.
Lowbacca marmonna quelque chose (les jumeaux n’avaient encore jamais entendu un Wookie faire aussi peu de bruit en parlant). Puis la voix pointue de DTM s’éleva de sa ceinture :
— Maître Lowbacca vous informe que son expédition a connu un vif succès, et…
Il s’interrompit au milieu de sa phrase car le Wookie plaqua une grosse main poilue sur le micro qui lui tenait lieu de bouche.
— Chut ! siffla Jaina.
— Tu ne pourrais pas l’éteindre ? suggéra Jacen.
Des regards curieux se tournèrent vers eux.
Lowbacca se laissa tomber sur un siège l’air chagriné. Il se tordit le cou pour regarder le petit droïde dans ses senseurs optiques, et émit une série de brefs grognements.
— Oh, pauvre de moi ! gémit DTM un ton plus bas. J’implore votre pardon. Je n’avais pas compris que vous ne vouliez pas partager votre découverte avec toutes les personnes présentes.
— Découverte ? répéta Jacen. Quelle découverte ?
Luke Skywalker choisit cet instant pour faire son entrée ; les questions durent être remises à plus tard. La foule se tut pendant que le Maître Jedi gravissait les marches de l’estrade, suivi par une femme mince aux longs cheveux argentés et aux grands yeux opalescents.
— Merci d’avoir répondu à mon appel malgré sa soudaineté, commença Luke. Une affaire urgente m’appelle ailleurs dans la galaxie…
Un murmure étonné parcourut l’audience. Jacen se demanda si ce départ précipité était en rapport avec les nouvelles apportées par Chewie et son père. Mais le regard bleu du Jedi, d’une sagesse si étonnante pour quelqu’un d’encore jeune, ne livrait pas la moindre indication à ce sujet.
— J’ignore combien de temps je serai absent. J’ai donc demandé à une de mes anciennes élèves, Tionne, de me remplacer jusqu’à mon retour, dit-il en désignant la femme qui l’accompagnait. Elle connaît mes cours presque aussi bien que moi, et elle est très calée sur l’histoire de la Chevalerie Jedi. Vous découvrirez rapidement à quel point elle est intéressante.
Ce petit discours intrigua Jacen. Le jeune garçon avait entendu dire que Tionne n’était pas une Jedi particulièrement douée. À en juger par le sourire chaleureux qu’elle échangea avec Luke, il comprit que son oncle lui faisait une totale confiance.
Tandis que Luke descendait de l’estrade, la femme aux cheveux argentés sortit de ses robes un curieux instrument composé de deux boîtes de résonance placées chacune à une extrémité d’un mince tube sculpté, et reliées par des cordes posées en éventail.
Tionne s’assit sur un siège bas et posa son instrument sur ses genoux.
— Je vais vous raconter l’histoire d’un Jedi qui vécut il y a bien longtemps, annonça-t-elle. Voilà la ballade de Maître Vodo-Siosk Baas.
Comme elle commençait à chanter, Jacen dut se ranger à l’avis de son oncle : Tionne valait la peine qu’on l’écoute. Sa voix pure et claire emplissait la salle d’audience, transportant les auditeurs vers un passé qu’ils n’avaient pas connu. La musique les enveloppait, les faisait danser sur des vagues d’excitation, de courage, de triomphe et de sacrifice.
La chanson parlait des événements survenus quatre mille ans plus tôt, lorsqu’un étrange Maître Jedi avait été détruit par Exar Kun, un de ses étudiants rallié au Côté Obscur de la Force. Maître Vodo avait supplié ses confrères de ne pas lutter contre le renégat, qu’il avait tenté de raisonner seul. Mais ses efforts lui avaient valu une fin tragique.
Dans le silence qui suivit la chanson, Jacen eut la brusque intuition qu’il fallait écouter Tionne, et pas seulement parce qu’elle possédait une voix magnifique.
La jeune femme se leva ; toute l’assistance poussa un soupir. Jacen n’avait pas réalisé qu’il retenait aussi son souffle.
— J’ose croire que mon premier cours n’a pas été trop pénible pour vous, dit Tionne, un éclat malicieux dans ses yeux couleur de perle. Le prochain aura lieu demain matin, après le petit déjeuner.
Les étudiants se dispersèrent, seuls ou par petits groupes. Quelques-uns restèrent assis, comme paralysés, ou se dirigèrent vers Tionne pour lui parler.
Jacen, Jaina, Tenel Ka et Lowbacca purent enfin discuter à loisir de la découverte du Wookie. DTM se chargea de la traduction ; cette fois, il avait réglé son volume sonore à un niveau approprié.
Les quatre jeunes gens avancèrent diverses hypothèses sur la nature de l’objet trouvé dans la jungle. Pour finir, une conclusion s’imposa à eux : ils devaient aller voir sur place au plus tôt.
Le chant matinal de Tionne tomba sur ses auditeurs comme une fine brume musicale qui faisait pleuvoir sur eux des gouttelettes de légende. Assis au deuxième rang, Jacen écoutait les yeux fermés afin de mieux se concentrer sur la musique – pour l’absorber et en tirer ce qu’elle avait à lui apprendre. De toute façon, c’était ce qu’il avait de mieux à faire : les robes colorées de Raynar, assis juste devant lui, lui auraient bouché la vue.
Le jeune garçon rouvrit les paupières au moment où mouraient les dernières notes, et surprit le regard amusé de sa sœur. En revanche, ni Tenel Ka ni Lowie ne semblaient s’être aperçus de l’intérêt qu’il portait à la musique. La voix de Tionne s’éleva à nouveau, ramenant sur elle l’attention des jeunes Jedi.
— La véritable puissance d’un Jedi ne provient ni de sa taille ni de sa force physique, dit la jeune femme. Elle découle de sa compréhension de la Force, et de la confiance qu’il a en elle. Au cours de vos études, vous développerez votre foi en la Force. Sans cela, vous échouerez aux moments cruciaux. Écoutez donc cette histoire.
« Il était une fois une jeune fille qui vivait près d’un lac. À force de regarder les gens nager, elle crut qu’elle saurait elle aussi. Un jour, pendant que sa famille était occupée, elle plongea à un endroit où elle n’avait pas pied. Elle bougea les bras et les jambes comme elle l’avait vu faire, mais elle ne réussit pas à maintenir sa tête hors de l’eau.
« Heureusement pour elle, une pêcheuse qui se trouvait non loin de là sauta dans la mare et la sauva. Cette femme, qui avait l’habitude de nager, n’avait plus besoin de réfléchir à ses mouvements. La jeune fille, qui avait seulement regardé les autres, n’était pas capable de flotter. Quand toutes les deux eurent regagné la rive, la pêcheuse dit à la jeune fille : « Viens près du bord, je vais t’apprendre à nager. »
Tionne marqua une pause, comme si elle était perdue dans ses pensées.
— C’est la même chose avec la Force. Il faut mettre en pratique ce qu’on apprend, si on veut pouvoir y recourir en cas de besoin. C’est pourquoi cette Académie est également appelée un praxeum. Ce n’est pas seulement un lieu où on apprend, mais un lieu où on s’entraîne. Comme pour la natation : plus on pratique, plus on a confiance en ses possibilités. Et finalement, nos pouvoirs deviennent pour nous une seconde nature.
« Au cours de la semaine qui vient, j’aimerais que les étudiants débutants s’essaient à l’un des exercices les plus fondamentaux : utiliser la Force pour soulever quelque chose. Commencez par un objet très léger… pas plus lourd qu’une feuille.
— Comment développer nos pouvoirs si vous nous donnez des exercices pour enfants de quatre ans ? protesta Raynar.
Jacen leva les yeux au ciel, exaspéré par l’impolitesse de son camarade. Mais il se posait la même question.
Tionne sourit au jeune garçon.
— Je vais te donner un exemple. Si tu veux te muscler les bras, tu peux soulever beaucoup de pierres une seule fois, ou une seule pierre plusieurs fois. C’est la même chose avec tes pouvoirs. Pour aujourd’hui, fais ce que je t’ai demandé. Ce n’est pas le seul moyen de t’exercer, mais c’en est un quand même. Il existe toujours des alternatives. Je te promets de vous apprendre à soulever bien plus qu’une simple feuille.
Elle déclara que le cours était terminé. Tandis qu’ils quittaient l’amphithéâtre et se dirigeaient vers les escaliers de pierre, Jaina fit signe à ses trois compagnons de s’arrêter. Ses yeux brillaient d’impatience.
— Vous pensez à ce que je pense ?
Jacen, qui n’avait pas la moindre idée de ce qu’elle voulait dire, secoua la tête.
Sa sœur haussa les épaules, l’air dédaigneux.
— Allons ! Quel meilleur endroit que la jungle pour soulever des feuilles ?