CHAPITRE IV

— Là, dit Jaina en relâchant son contrôle mental sur une grosse pelote de fils et de câbles emmêlés.

En un tas plus ou moins ordonné, celle-ci se posa sur une des boîtes de composants électroniques empilées dans la chambre.

— Ça devrait aller, ajouta la jeune fille, l’air satisfait.

— On peut aller prendre le petit déjeuner, maintenant ? demanda Jacen. Tu as passé la moitié de la nuit à faire ça.

— Je veux que papa soit vraiment impressionné.

Jacen éclata de rire.

— Lui, il ne range jamais ses affaires ! Enfin, pas aussi proprement.

— Je suppose que je me suis un peu laissé emporter, concéda Jaina. Il nous reste encore plusieurs heures avant son arrivée.

Jacen, qui était assis en tailleur sur le sol à côté de sa sœur, se releva. Il épousseta sa combinaison de vol et passa ses doigts dans ses boucles brunes.

— Alors, à quoi je ressemble ?

Jaina haussa un sourcil, l’air critique.

— À quelqu’un qui a passé une nuit blanche.

Son frère se dirigea vers le miroir qu’elle avait suspendu au-dessus de son petit réservoir et se regarda. Jaina réalisa qu’il était aussi excité qu’elle à l’idée de revoir leur père.

— Ne t’inquiète pas, tu n’es pas si mal, le rassura-t-elle. Sans les brindilles et les feuilles que tu as toujours dans les cheveux, ça va tout de suite mieux. Tiens, mets ça !

Elle ouvrit un coffre à côté de son lit et lui tendit une combinaison propre.

— Ça te donnera un air plus présentable.

Jacen passa dans sa chambre pour se changer et Jaina prit sa place devant le miroir. Elle n’était pas coquette, mais elle aimait avoir l’air propre et soigné.

Elle passa un peigne dans ses cheveux bruns et observa son reflet. Puis, après avoir jeté un coup d’œil par-dessus son épaule pour s’assurer que son frère ne la regardait pas, elle rejeta quelques mèches en arrière et les tressa. Jamais elle ne se serait donné autant de mal pour un ambassadeur ou un dignitaire, mais son père valait bien quelques efforts. Elle espéra que Jacen ne le remarquerait pas, ou qu’il s’abstiendrait de tout commentaire.

Lorsqu’elle eut terminé, elle sortit de sa chambre et passa la tête dans celle de son frère.

— Tu as nourri tes bestioles ?

— Depuis un bon moment déjà, répondit-il en poussant un soupir de martyr. Comme ça au moins, quelqu’un aura mangé ce matin…

Jaina se mordit la lèvre, sondant anxieusement le ciel avec l’espoir d’apercevoir le Faucon Millenium. Jacen et elle se tenaient à la lisière de la jungle, devant l’Académie, à l’endroit où le monstre était apparu la veille. L’herbe de la piste – en fait une modeste clairière – avait été piétinée au fil des atterrissages et des décollages.

Jaina respira la riche odeur de végétation qui émanait de la jungle. Le feuillage bruissait au souffle du vent, et une profusion de cris animaux s’élevaient à quelques mètres derrière eux, leur rappelant que la vie pullulait dans la forêt.

Jacen sautait nerveusement d’un pied sur l’autre ; un pli de concentration barrait son front. Jaina soupira. Pourquoi les choses qu’on attend mettent-elles tant de temps à se produire, alors que celles qu’on redoute arrivent toujours trop tôt ?

Comme s’il avait capté sa tension, Jacen se tourna vers elle, un éclair de malice dans les yeux.

— Tu sais pourquoi les chasseurs Tie hurlent dans l’espace ?

Jaina hocha la tête.

— Bien sûr. C’est parce que leurs moteurs ioniques…

— Non ! coupa Jacen en agitant la main. C’est parce que leur vaisseau-mère leur manque.

Jaina sourit pour lui faire plaisir. Au fond, elle était bien contente de cette diversion.

Un bourdonnement familier s’éleva autour d’eux, comme si les vibrations de leurs nerfs, tendus à craquer, étaient soudain devenues perceptibles.

— Regarde ! s’exclama Jaina, un index pointé vers une tache argentée qui venait d’apparaître au-dessus des arbres.

Le scintillement disparut pendant quelques secondes. Jaina retint son souffle. Le Faucon Millenium descendait vers la clairière.

L’ovale familier de sa proue resta suspendu au-dessus de leurs têtes pendant un moment qui leur parut interminable. Puis le vaisseau se posa doucement. Son système de refroidissement s’activa au moment où le bruit des moteurs mourait. Une odeur d’ozone vint chatouiller les narines de Jaina.

La jeune fille connaissait bien la procédure d’atterrissage du vaisseau corellien, mais elle se surprit à espérer qu’on puisse accélérer la manœuvre. Au moment où elle allait exploser d’impatience, la rampe d’accès du Faucon s’abaissa vers le sol avec un sifflement.

Leur père se précipita à terre, serra les jumeaux dans ses bras, leur caressa les cheveux et essaya de les embrasser tous les deux à la fois, comme il avait l’habitude de le faire depuis leur petite enfance.

Yan Solo fit un pas en arrière pour mieux contempler ses rejetons.

— Eh bien ! dit-il avec un de ses célèbres sourires en coin, votre mère mise à part, je dirai que c’est le meilleur comité d’accueil que j’aie jamais vu.

— On n’est pas un comité ! protesta Jaina.

Pendant que son père éclatait de rire, elle le détailla de la tête aux pieds et fut soulagée de voir qu’il n’avait pas changé depuis leur séparation, un mois plus tôt. Il portait un pantalon noir moulant, des bottes, une chemise blanche au col ouvert, et une veste sombre et confortable : des vêtements qu’il appelait toujours « mon uniforme de travail ». La silhouette familière du Faucon Millenium, elle aussi, était toujours la même.

— Comment tu nous trouves ? demanda la jeune fille. Différents ?

— Maintenant que tu m’y fais penser…, dit-il en les regardant tour à tour. Jacen, tu as grandi, on dirait même que tu as rattrapé ta sœur. Quant à toi, Jaina, si je n’étais pas persuadé que tu m’assommerais pour ça, je dirais que tu es encore plus jolie qu’il y a un mois.

Jaina rougit et poussa un grognement fort peu distingué pour montrer ce qu’elle pensait de ce genre de compliments. En réalité, elle était ravie.

Un rugissement venu de l’intérieur du vaisseau lui épargna l’embarras de chercher une réponse. Une grande silhouette descendit la rampe d’accès ; de longs bras poilus se saisirent de Jaina pour la propulser en l’air.

— Chewie ! protesta la jeune fille en riant. Je ne suis plus une gamine !

Le Wookie la rattrapa au vol, la posa et répéta le même cérémonial avec son frère. Les effusions ainsi accomplies, Jaina posa la question qui les tourmentait, son frère et elle, depuis la veille.

— C’est bon de te revoir, papa, mais qu’est-ce qui t’amène à l’Académie ?

— Ne me dis pas que maman t’a envoyé voir si nous avions assez de sous-vêtements propres, ajouta Jacen en grimaçant.

— Non, rien de ce genre, rassurez-vous. Pour tout dire, c’était sur notre route. Chewie et moi allons aider mon vieil ami Lando Calrissian à lancer une nouvelle affaire.

Jaina avait toujours beaucoup aimé Lando, un homme à la peau sombre et aux manières charmeuses, mais elle le connaissait assez pour savoir qu’il était toujours impliqué dans une histoire incroyable ou une autre. Elle leva la main pour arrêter son père.

— Attends, laisse-moi deviner. Il va diriger un nouveau casino et il avait besoin que tu lui livres une cargaison de cartes de sabacc.

— Non, je sais, coupa Jacen. Il ouvre un ranch et il veut que tu l’aides à bâtir le corral.

Chewbacca rejeta la tête en arrière et éclata de son rire tonitruant de Wookie.

— Vous n’y êtes pas du tout, répondit Yan. Il veut se lancer dans l’exploitation minière. Il paraît que la géante gazeuse contient des tas de gemmes, dit-il en levant les yeux vers Yavin. Il nous a demandé de venir l’aider à tout organiser.

— Par mon blaster ! lança Jacen en claquant des doigts. J’hésitais entre les deux possibilités.

Un autre grognement jaillit de l’intérieur du Faucon Millenium. Chewbacca fit demi-tour et remonta dans le vaisseau.

— Qu’est-ce que c’était ? demanda Jaina.

— Oh, j’allais oublier, répondit Yan. Quand Luke a su que nous passions par ici, il nous a demandé de nous arrêter sur Kashyyyk pour prendre un nouvel étudiant et le lui amener.

Chewbacca réapparut, suivi par un Wookie plus petit que lui, mais qui dépassait quand même les jumeaux d’une bonne tête. Son épaisse fourrure bouclée avait la couleur du gingembre, sauf pour une bande noire large comme la main qui courait depuis son sourcil gauche jusqu’au milieu de son dos en passant par le sommet de son crâne. Pour tout vêtement, il portait une ceinture tissée avec des fibres que Jaina ne put identifier.

— Les enfants, je vous présente Lowbacca, le neveu de Chewie. Lowbacca, voici mon fils Jacen et ma fille Jaina.

Le jeune Wookie hocha la tête et émit un grognement amical en guise de salut. Il était plutôt maigre, même pour un membre de sa race. Chewbacca aboya une question en agitant un bras dans la direction du temple.

— Bien sûr, acquiesça Yan. Vas-y, amène-le à Luke. Les enfants et lui auront tout le temps de faire connaissance plus tard.

Pendant que les deux Wookies s’éloignaient, le père des jumeaux poursuivit :

— Attendez-moi ici, j’ai quelque chose pour vous.

Il remonta dans son vaisseau et en revint quelques instants plus tard, chargé d’un étrange assortiment de paquets.

— D’abord, dit-il en lançant un petit disque-message à chacun des enfants, voilà les holo-lettres que votre mère a enregistrées pour vous. Il y en a une autre de votre petit frère. Il est impatient de vous rejoindre à l’Académie.

Jaina serra le disque dans sa main. Elle avait hâte de le visionner. En attendant, elle le glissa dans une poche de sa combinaison de vol.

— Et maintenant…, dit Yan en brandissant un gros bouquet de pousses vertes, semées de fleurs blanc et pourpre en forme d’étoile.

— Oh, papa, tu t’en es souvenu ! s’exclama Jacen avec un sourire ravi. C’est la nourriture favorite de mon lézard-souche. Je vais aller la lui donner tout de suite. À plus tard !

Il partit au pas de course vers le temple.

Jaina resta avec son père, curieuse de savoir ce que contenait le dernier paquet. Yan le posa sur le sol de la clairière et recula pour que sa fille puisse défaire les chiffons qui l’enveloppaient.

— Joli paquet-cadeau, papa, dit Jaina en souriant.

— Hé, c’est l’intention qui compte !

La jeune fille ôta l’emballage et poussa un cri ravi.

— Une unité hyperdrive !

Yan Solo haussa les épaules d’un air détaché.

— Oh, elle n’est plus en état de marche, et elle date déjà un peu. Je l’ai récupérée dans la carcasse d’une vieille navette impériale de classe Delta qu’on démantelait sur Coruscant.

Jaina se souvint avec tendresse du temps où elle aidait son père à réviser les systèmes du Faucon Millenium pour le maintenir dans une condition optimale.

— Oh, papa, rien n’aurait pu me rendre plus heureuse !

Elle sauta au cou de Yan pour le gratifier de remerciements enthousiastes. Légèrement embarrassé, son père baissa les yeux sur elle en haussant un sourcil.

— J’ai encore quelques pièces à bord. Si tu veux bien m’aider à les décharger, je te montrerai comment les assembler.

En moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, Jaina se mit à fouiller la soute.