CHAPITRE II
Jaina se glissa dans sa chambre pendant que Jacen courait remettre le serpent-cristal dans sa cage. Elle se dirigea vers le petit réservoir fixé au mur et s’aspergea d’eau froide.
Le visage encore humide, elle sortit dans le couloir.
— Dépêche-toi, ou on va être en retard, dit-elle comme Jacen la rejoignait.
Ensemble, les jumeaux se précipitèrent dans l’ascenseur, qui les emmena vers les niveaux supérieurs du temple en forme de pyramide, et pénétrèrent dans l’immense salle où Luke Skywalker donnait une conférence tous les matins.
La lumière faisait jouer sur les dalles polies un reflet orangé dû à la géante gazeuse qui obscurcissait la moitié du ciel : la planète Yavin, autour de laquelle orbitait la petite lune.
Des dizaines d’autres apprentis Jedi de tous âges et de toutes races étaient déjà assis sur les gradins disposés en arc de cercle autour de l’estrade.
Un concert de sons variés parvint aux oreilles de Jaina. La riche odeur de la jungle monta à ses narines. La jeune fille inspira, mais ne put identifier les parfums que son frère connaissait probablement par cœur. En revanche, elle savait isoler l’odeur corporelle des autres étudiants : fourrure mouillée, écailles chauffées par le soleil ou phéromones douces-amères.
Passant devant des étudiants à poil rose qui conversaient à grand renfort de grognements, Jacen suivit sa sœur jusqu’à deux sièges vides. En s’asseyant sur la pierre froide, Jaina leva les yeux vers le plafond et admira sa mosaïque aux formes et aux couleurs étranges.
— Chaque fois que nous venons ici, je pense aux vieux holofilms de la cérémonie où maman a décoré papa et oncle Luke. Elle était si jolie, dit la jeune fille en portant machinalement une main à ses cheveux.
— Oui, et papa ressemblait vraiment à… à un pirate, commenta Jacen.
— C’est ce qu’il était, à l’époque, lui rappela sa sœur.
Elle songea aux Rebelles qui avaient survécu à l’attaque de la première Étoile Noire. Ces héros avaient combattu l’Empire pour détruire cette arme formidable. Vingt ans plus tard, Luke Skywalker avait transformé la base abandonnée en centre d’entraînement. Il était fermement décidé à restaurer l’ordre des Chevaliers Jedi.
Luke avait commencé à instruire des jeunes gens quand les jumeaux avaient à peine deux ans. À présent, il passait beaucoup de temps dans la galaxie, laissant les meilleurs de ses anciens élèves assurer la plupart des cours.
Certains étudiants n’avaient presque pas de potentiel et se contentaient d’apprendre l’histoire et les traditions des Chevaliers Jedi. D’autres possédaient de grands talents, qu’ils n’avaient pas encore commencé à exploiter. Selon Luke, tous, forts ou faibles, jeunes ou vieux, avaient quelque chose à apprendre de leurs voisins.
Leia avait envoyé les Jacen et Jaina se former sur Yavin 4. Leur jeune frère, Anakin, était resté à la maison, sur Coruscant, mais il les rejoindrait tôt ou tard.
Tout au long de leur enfance, Luke Skywalker avait aidé les jumeaux de Yan Solo et de la princesse Leia à développer leurs pouvoirs. Ici, sur Yavin 4, ils n’avaient rien d’autre à faire qu’étudier, s’entraîner et apprendre. Jusque-là, leurs cours s’étaient révélés beaucoup plus intéressants que ceux des droïdes-enseignants de Coruscant.
— Où est Tenel Ka ? demanda Jaina en étudiant l’assistance.
Mais elle ne vit pas trace de leur amie de la planète Dathomir.
— Elle devrait être là, dit Jacen. Tôt ce matin, je l’ai vue partir faire ses exercices dans la jungle.
Tenel Ka était une étudiante sérieuse qui travaillait dur pour réaliser son rêve. Elle ne s’intéressait guère aux livres, aux histoires et à la méditation. En revanche, c’était une excellente athlète qui préférait l’action à la réflexion. Une qualité précieuse pour un Chevalier Jedi, lui avait dit Luke, à condition de savoir quand s’en servir.
Tenel Ka était impatiente, motivée et quasiment dépourvue d’humour. Les jumeaux pariaient souvent qu’ils arriveraient à la faire rire, et ils échouaient presque à chaque fois.
— Elle ferait mieux de se dépêcher, dit Jacen tandis que les conversations mouraient peu à peu dans la salle. Oncle Luke ne va pas tarder à commencer.
Captant un mouvement du coin de l’œil, Jaina leva les yeux vers une des hautes fenêtres qui se découpaient dans les murs de la salle. La silhouette mince et souple d’une jeune fille venait d’apparaître sur le rebord.
— Ah, la voilà !
— Elle a dû escalader le temple par la façade arrière, commenta Jacen. Ça fait un bout de temps qu’elle en parlait, mais je ne pensais pas qu’elle le ferait.
— Bof, il y a des tas de lianes, répondit Jaina comme si faire de la varappe sur les monuments était un passe-temps favori des Jedi.
Pendant qu’ils la regardaient, Tenel Ka attacha ses longs cheveux roux avec une lanière de cuir. Puis elle fixa un grappin argenté sur l’appui de la fenêtre et déroula la corde qu’elle portait à la ceinture.
Elle se laissa glisser comme une araignée sur sa toile, descendant gracieusement le long de la surface polie du mur intérieur.
Les autres étudiants l’observaient ; certains applaudirent, d’autres admirèrent en silence. Tenel Ka aurait pu utiliser ses pouvoirs Jedi pour se faciliter la descente, mais elle préférait ne compter que sur son corps, et faire appel à la Force en dernier recours. Elle pensait qu’agir autrement eût été un signe de faiblesse.
Tenel Ka atterrit souplement sur ses bottes d’écailles, fléchit les bras pour décontracter ses muscles et saisit la corde à deux mains. D’une « pichenette » de Force, elle détacha le grappin et l’attrapa au vol.
Puis elle enroula la corde autour de sa taille, se tourna vers l’amphithéâtre, défit la lanière de cuir qui retenait ses cheveux et laissa ses longues mèches rousses encadrer de nouveau son beau visage.
Tenel Ka s’habillait comme toutes les femmes de Dathomir, avec des vêtements assez sommaires coupés dans la peau de reptiles écarlates et émeraude. Sa tunique lui laissait les bras et les jambes nus. Pourtant, les morsures d’insectes ne semblaient pas la gêner lors de ses nombreuses expéditions dans la jungle.
Jacen lui fit un signe de la main. Tenel Ka hocha la tête et se fraya un chemin jusqu’aux jumeaux. Elle se laissa tomber sur le siège voisin de celui de Jacen.
— Salutations, dit-elle d’un ton brusque.
— Bonjour, répondit Jaina.
Elle sourit à la jeune Amazone, qui la regarda calmement de ses yeux gris, les traits impassibles. Elle ne se comportait pas ainsi par grossièreté, mais simplement parce que c’était dans sa nature. Tenel Ka ne riait presque jamais.
Jacen lui flanqua un coup de coude et dit à voix basse :
— J’en ai une nouvelle pour toi ; je crois qu’elle te plaira. Comment appelle-t-on la personne qui apporte son dîner à un rancor ?
La jeune fille le dévisagea, l’air perplexe.
— Je ne comprends pas.
— C’est une blague ! Allez, essaie de deviner.
— Ah, une blague, répéta Tenel Ka en hochant la tête. Ça veut dire qu’il faut que je rie ?
— De toute façon, tu ne pourras pas t’en empêcher. Allez, comment appelle-t-on la personne qui apporte son dîner à un rancor ?
— Je ne sais pas.
Jaina aurait parié que leur amie n’avait même pas cherché.
— Un apéritif ! gloussa Jacen.
Jaina pouffa, mais Tenel Ka ne se départit pas de son sérieux.
— Il faudra m’expliquer en quoi c’est drôle. Mais plus tard ; le cours va commencer.
Jacen leva les yeux au ciel.
Raynar sortit de l’ascenseur au moment où Luke Skywalker apparaissait sur l’estrade. Haletant, les joues rouges, il se rua vers les premiers rangs de l’amphithéâtre en cherchant du regard une place libre. Jaina nota qu’il portait un costume très différent du premier, mais aux couleurs aussi éclatantes et mal assorties. Raynar s’assit et leva les yeux vers le Maître Jedi, visiblement désireux de l’impressionner.
Debout sur l’estrade, Luke Skywalker parcourut l’assemblée du regard. Tous se turent comme si une chaude couverture venait de les envelopper.
Luke avait toujours le même air juvénile que sur les holofilms des cours d’histoire. Mais il se dégageait de lui une impression de puissance sereine et maîtrisée. Les épreuves l’avaient rendu plus sage et plus fort. Il avait restauré l’ordre des Chevaliers Jedi pour protéger la Nouvelle République des derniers assauts du Mal.
— Que la Force soit avec vous, dit-il d’une voix douce qu’on entendit néanmoins dans chaque coin de la salle.
Un frisson parcourut Jaina. Cette phrase lui faisait toujours la même impression. À côté d’elle, Jacen sourit, et Tenel Ka resta immobile, le dos bien droit, comme pour un salut muet.
— Je vous ai déjà expliqué que ce n’est pas en assistant à des cours magistraux que vous vous perfectionnerez. Je veux vous enseigner à apprendre, à faire des choses, pas seulement à réfléchir. « Agis, ou n’agis pas. Essayer ne veut rien dire », répétait mon maître Yoda…
Un éclair coloré jaillit, au premier rang. Raynar avait levé la main et l’agitait pour attirer l’attention de Luke. Un grognement parcourut l’assemblée. Jacen poussa un soupir et Jaina attendit en se demandant ce que Raynar allait inventer.
— Maître Skywalker, je ne comprends pas ce que vous entendez par « Essayer ne veut rien dire ». Il a bien dû vous arriver de tenter quelque chose et d’échouer. Personne ne réussit systématiquement.
Luke dévisagea le jeune garçon, l’air calme et compréhensif. Jaina ne comprenait pas comment son oncle pouvait supporter les incessantes interruptions de Raynar. Elle supposa que c’était la marque d’un vrai Maître Jedi.
— Je n’ai pas dit que je n’échouais jamais. Aucun Jedi ne saurait être parfait. Mais parfois, ce que nous réussissons à faire n’est pas exactement ce que nous avions en tête. Concentrez-vous sur ce que vous accomplissez, plutôt que sur ce que vous espériez accomplir. Et si vous échouez, sachez identifier ce que vous avez perdu. Regardez les événements sous un autre angle, et vous verrez que vous avez gagné quelque chose de différent.
Luke croisa les mains sur sa poitrine et arpenta l’estrade sans jamais quitter Raynar des yeux. Pourtant, chaque étudiant avait le sentiment que c’était lui qu’il regardait et que c’était à lui qu’il parlait.
— Je vais vous donner un exemple. Il y a quelques années, j’avais un étudiant nommé Brakiss qui faisait montre d’un immense potentiel. Il semblait gentil, prévenant, et fasciné par ce que je pouvais lui enseigner. C’était surtout un excellent acteur.
Luke prit une profonde inspiration ; ce souvenir était toujours douloureux.
— Lorsque la nouvelle de la création d’une Académie Jedi s’est répandue dans la galaxie, les seigneurs de la guerre survivants de l’Empire ont chargé leurs propres étudiants de l’infiltrer. Les premières fois, j’ai tout de suite repéré les espions. Ils étaient maladroits et dépourvus de talent.
« Mais Brakiss était différent. Pourtant j’ai su pour qui il travaillait dès l’instant où il a posé le pied sur Yavin 4 et regardé la jungle. Son masque d’enthousiasme ne parvenait pas à dissimuler l’ombre tapie en lui. Pourtant, il était extrêmement doué. Mais l’Empire avait corrompu son cœur longtemps auparavant.
« Plutôt que de le rejeter, j’ai décidé de l’accueillir et de lui montrer l’autre côté de la Force. De le guérir. Parce que si mon père, Dark Vador, avait encore eu en lui une étincelle de Bien, quelqu’un d’aussi jeune que Brakiss ne pouvait être totalement perdu.
Luke leva les yeux vers le plafond, puis les posa à nouveau sur l’auditoire.
— Il est resté ici de nombreux mois, et j’ai pris un intérêt tout particulier à son éducation. J’ai essayé de l’orienter vers le Côté Lumineux de la Force de toutes les façons possibles et imaginables. Au fil du temps, il sembla s’adoucir… Mais il était plus froid et plus perfide que je ne l’avais soupçonné.
« Son entraînement impliquait une quête illusoire au cours de laquelle il devrait s’affronter lui-même – un combat qui lui semblerait réel. Il fallait qu’il plonge dans son cœur, pour se voir comme personne d’autre ne le pourrait jamais.
« J’espérais que cette épreuve le guérirait, mais il perdit le combat. Peut-être n’était-il pas prêt à accepter ce qu’il avait découvert. Il s’enfuit de Yavin 4, et je suis à peu près certain qu’il retourna directement chez ses maîtres, pour leur livrer tout ce que je lui avais enseigné ici.
Plusieurs étudiants poussèrent des hoquets de surprise. Jaina échangea avec son frère un regard alarmé. Ils n’avaient jamais entendu parler de cette histoire.
Raynar leva de nouveau la main, mais Luke le regarda en plissant les yeux. Le jeune garçon rentra la tête dans les épaules et se fit tout petit.
— Je sais ce à quoi vous pensez, poursuivit Luke. J’ai essayé de rallier Brakiss au Côté Lumineux de la Force, et j’ai échoué. Mais, comme je le disais il y a quelques instants, j’ai réussi autre chose.
« J’ai eu de la compassion pour Brakiss. Je lui ai appris les secrets de la lumière. Enfin, je l’ai obligé à regarder en lui-même et à réaliser quel était son degré de corruption. Après, le choix ne m’appartenait plus. Seul Brakiss pouvait le faire.
Il parcourut l’assemblée du regard. Jaina sentit une décharge électrique, comme si une main invisible venait de l’effleurer.
— Pour devenir des Jedi, vous devrez faire de nombreux choix. Certains seront faciles mais fastidieux, d’autres constitueront de terribles épreuves. À l’Académie, je vous donnerai les outils nécessaires pour faire face. Mais personne ne pourra prendre de décision à votre place. Vous devrez réussir seuls, à votre façon.
Avant qu’il puisse continuer, une alarme sonna, indiquant une urgence. D2-R2, le petit droïde qu’il emmenait partout avec lui, pénétra dans la salle en émettant une série de sifflements et de bips inintelligibles. Mais Luke, qui semblait le comprendre, sauta de l’estrade.
— Un problème sur la piste d’atterrissage, dit-il en courant vers l’ascenseur, ses robes flottant derrière lui. Réfléchissez à ce que je vous ai dit et allez vous entraîner.
Des murmures étonnés coururent dans l’assistance. Jacen, Jaina et Tenel Ka se regardèrent, la même pensée leur traversant l’esprit.
— Allons voir ce qui se passe !