Chapitre 21
Dissolution
Le Conquête, un Destroyer Stellaire de classe Secutor, flottait en orbite stationnaire au-dessus du chantier mobile impérial numéro deux de Carida, situé à un demi-million de kilomètres environ de la planète éponyme. Sur la passerelle, le vice-amiral Rancit écoutait le rapport du commandant du vaisseau.
— Monsieur, le Pic de la Charogne a regagné l’espace réel, au cap zéro-zéro-trois sur l’écliptique. La cible est acquise, les solutions de tir ont été calculées et toutes les batteries tribord sont prêtes à tirer.
Rancit lança un dernier regard vers la myriade de vaisseaux composant la force opérationnelle, puis se détourna de la baie d’observation de la passerelle.
— Préparez-vous à faire feu à mon commandement.
— Prêt à tirer…
— Différez cet ordre ! tonna une voix provenant du fond de la passerelle.
Rancit, le commandant ainsi que plusieurs des officiers et des techniciens qui se trouvaient à proximité se retournèrent comme un seul homme pour voir Dark Vador remonter à grands pas le pont surélevé, sa cape tournoyant derrière lui, une escouade de stormtroopers armés sur ses talons.
— Seigneur Vador, s’exclama Rancit, visiblement surpris. Je n’ai pas été informé que vous étiez à bord.
— À dessein, vice-amiral, rétorqua le Seigneur Noir avant de pivoter vers l’officier de pont. Commandant, ordonnez à vos techniciens de scanner la Pic de la Charogne pour vérifier la présence de formes de vie à bord.
Le commandant regarda Rancit, qui lui répondit par un hochement de tête dubitatif :
— Obéissez.
Vador s’arrêta au centre du pont et posa ses mains gantées sur ses hanches, les doigts orientés vers l’avant.
— Eh bien, commandant ?
L’homme se redressa après avoir jeté un œil à une console par-dessus l’épaule de l’un des techniciens.
— Les scanners ne détectent aucun signe de vie, répondit-il en regardant Rancit avec perplexité. Monsieur, la corvette est déserte et semble voler sur pilote automatique.
Rancit secoua la tête, incrédule.
— Mais ce n’est pas possible.
Vador le dévisagea.
— Vos complices ont abandonné le vaisseau avant qu’il passe la barre de l’hyperespace, vice-amiral.
Une expression de panique remplaça furtivement la perplexité de Rancit.
— Mes complices, Seigneur Vador ?
— Inutile de feindre la surprise, gronda le Sith. Toute cette mascarade était votre œuvre depuis le début.
Rancit serra les poings et fit jouer les muscles de sa mâchoire tandis que le commandant du cuirassé et ses hommes échangeaient des regards inquiets. Lorsqu’il esquissa un geste vers l’un des fauteuils situés à l’avant, Vador leva la main et agrippa l’air de son poing.
— Restez où vous êtes, vice-amiral, aboya-t-il avant de tendre l’index vers l’officier de pont. Ordonnez à tous les commandants de la force opérationnelle de quitter le quartier général.
L’officier de pont inclina la tête et s’éloigna vers la console comm.
— Tout de suite, Seigneur Vador.
Le Sith se tourna à nouveau vers Rancit.
— Vous avez conclu un marché avec vos anciens agents du Renseignement. Contrariés par certains événements qui s’étaient déroulés à la fin de la guerre, ils cherchaient un moyen de se venger de l’Empire, et vous leur en avez fourni un. Vous leur avez donné accès à des technologies confisquées et avez facilité le vol du vaisseau du gouverneur Tarkin après l’avoir entraîné malgré lui dans vos manigances à l’aide d’holotransmissions trafiquées. Vous leur avez fourni des informations tactiques tout du long et, en faisant cela, vous êtes rendu complice de la mort de milliers d’impériaux dans l’exercice de leurs fonctions ainsi que de la destruction de sites de l’Empire.
Vador s’approcha de la baie d’observation en quelques enjambées, puis fit volte-face pour se placer à un mètre de Rancit.
— Vous avez certifié à vos complices qu’ils auraient la possibilité de frapper Carida et de continuer à faire régner la terreur. Mais en réalité, vous aviez prévu de les trahir ici même, de façon à éliminer toutes les personnes au courant de votre perfidie. En parvenant à prédire le lieu de leur nouvelle cible et à mettre un terme à leur campagne sanglante, vous auriez gagné l’approbation de l’Empereur et… Et quoi, vice-amiral ? Qu’espériez-vous exactement obtenir ?
Rancit le dévisagea soudain avec aversion.
— Vous, plus que tout autre, devriez le savoir !
Vador ne répondit rien pendant un long moment, puis émit ce qui ressemblait à un reniflement de dédain.
— Du pouvoir, amiral ? De l’influence ? Peut-être vous êtes-vous simplement senti oublié, lorsque vous avez découvert que vous ne faisiez pas partie de la liste des Moffs ?
Rancit s’interdit de rétorquer ce qu’il avait en tête.
— Si seulement vous aviez eu un coup d’avance sur vos complices, plutôt qu’un coup de retard, poursuivit Vador en feignant de le plaindre. Imaginez jusqu’où vous auriez pu vous élever dans l’estime de l’Empereur si vous aviez été capable de prédire qu’ils vous trahiraient afin d’exécuter le plan qu’ils avaient à l’esprit depuis le début.
Un éclair de curiosité traversa l’expression rigide de Rancit.
— Quel plan ?
— Ils n’ont jamais envisagé de faire de ce système leur objectif final, vice-amiral. L’accord qu’ils ont passé avec vous leur a simplement laissé toute latitude pour mener à bien leur propre mission. Ils sont montés à bord d’un autre vaisseau et se rendent à présent vers leur véritable cible.
— Où ça ? exigea Rancit de façon plus insistante.
— Cela ne vous concerne pas. Sachez également, vice-amiral, que l’Empereur nourrissait depuis longtemps des soupçons à votre égard. Il a volontairement laissé votre plan se déployer dans l’optique de prendre au piège toutes les personnes impliquées dans votre complot.
Rancit sembla retrouver une once de courage.
— Quelle est la cible, Vador ? Dites-le-moi.
— Votre appréhension est bien malvenue, rétorqua Vador d’un ton calme et menaçant.
Il leva la main droite, commença à serrer le poing dans un mouvement d’étau, puis se ravisa.
— Non, vous avez vous-même déjà déterminé le mode de votre exécution.
Il pivota en direction de l’escouade de stormtroopers.
— Lieutenant Crest, veuillez escorter l’amiral Rancit jusqu’à une capsule de sauvetage. Une fois que vous l’aurez placé à l’intérieur, je transmettrai l’ordre de largage, et l’amiral Rancit, une fois suffisamment éloigné de ce vaisseau, ordonnera lui-même la mise à feu afin qu’elle soit détruite.
Le Seigneur Noir jeta un regard au condamné par-dessus son épaule.
— Est-ce que cela vous convient, vice-amiral ?
— N’attendez pas de moi que j’implore votre grâce, Vador ! répliqua Rancit d’une voix rageuse.
— Cela n’aurait aucune incidence sur ma décision, de toute façon.
D’un geste de la tête, Vador fit signe aux stormtroopers qui s’avancèrent pour entourer Rancit.
— Une dernière chose, vice-amiral, ajouta le Sith tandis que Rancit était entraîné le long du pont surélevé, le Moff Tarkin vous adresse ses hommages.
Un cuirassé patientait, tapi dans l’ombre d’une lune sans eau et criblée de cratères dans un système stellaire situé sur la frontière intérieure du Golfe de Tatooine.
Comme il n’était pas le produit d’un grand conglomérat de construction navale, l’appareil ne possédait ni nom ni signature déclarée. C’était en fait un farrago : un mélange disparate de modules, de composants, de turbolasers et de canons à ions que ses assembleurs avaient récupérés dans des entrepôts de surplus impérial, auprès de pilleurs d’épaves, de contrebandiers ou d’autres individus investis dans le commerce de pièces volées et d’armes illicites. Sans surprise, le cuirassé ressemblait surtout au porte-vaisseaux quarren de classe Providence du Corps des Ingénieurs Volontaires Libres de Dac. Mais deux fois plus petit, il paraissait trapu en comparaison et ne possédait pas de tour de communications à l’arrière. Ses entrailles abritaient plusieurs escadrons de chasseurs-droïdes et son arsenal était manipulé par des droïdes contrôlés par ordinateur. Le vaisseau devait néanmoins être commandé par des êtres doués de conscience – en l’occurrence, par un petit groupe constitué d’humains, de Koorivars, de Gotals ainsi que d’un ingénieur système mon calamarien. C’était le genre d’appareil qui allait devenir étroitement associé aux pirates de la Bordure Extérieure dans les années de l’après-guerre. Et pour tout dire, c’était le même vaisseau capital qui s’était brièvement dévoilé au-dessus de la Base Sentinelle des semaines plus tôt.
— La boucle est bouclée, disait Teller à Artoz dans le hangar des chasseurs.
Vêtu d’une combinaison de vol, un casque sous le bras, il se tenait à côté d’un Chasseur de tête vrombissant sur lequel avait été ajouté un hyperdrive rudimentaire : le modèle exact utilisé par Hask pour concevoir la fausse holovid qui avait été transmise à la Base Sentinelle.
S’adressant à Knotts et à la poignée de pilotes doués de conscience qui l’entourait, Artoz prit la parole :
— Le convoi va regagner l’espace réel à la frontière de ce système et poursuivre sa route en vitesse subluminique jusqu’à la station de triage impériale de Pii. De là, les vaisseaux de ravitaillement sont généralement escortés jusqu’à la Base Sentinelle, et enfin à Géonosis.
— Une destination que ne verra pas ce convoi, précisa Knotts.
Le courtier humain au visage las avait aidé à piloter le porte-vaisseaux-mosaïque depuis sa cachette près de Lantillies.
— Rancit nous a rendu un fier service en réaffectant l’escorte du convoi.
— Il nous a promis que la voie serait libre à Carida et c’est exactement ce qu’il nous a offert ici, ajouta Teller. Il n’avait aucune raison de penser que cela rendrait le convoi vulnérable. Cette valse de vaisseaux n’avait pour seul but que de faire de l’esbroufe.
— Des nouvelles de Carida ? demanda Knotts.
— Rien pour le moment, répondit Artoz.
— Les preuves qui le relient à nous forment une piste si tortueuse que personne ne pourra la remonter, affirma Teller. Des reproches fuseront en tous sens suite à l’échec de notre capture, mais l’hypothèse retenue sera que nous nous sommes contentés d’abandonner la lutte.
— Rancit ne sera pas content de se voir refuser la promotion qu’il attend, fit remarquer Knotts. Il se lancera à nos trousses pour l’avoir trahi.
Teller haussa les épaules et jeta un regard vers Artoz.
— La moindre suggestion que Rancit fera sur notre implication dans l’attaque du convoi ne fera qu’empirer sa situation puisque c’est lui qui a retiré l’escorte. Rancit aura déjà de la chance s’il est démis de ses fonctions au Renseignement Naval avec retraite complète, alors il ne risque pas d’être en position de nous menacer.
— Et Tarkin ? demanda le Mon Cal.
— Il récupère sa précieuse corvette, enfin ce qu’il en reste, répliqua Knotts avant que Teller puisse répondre.
— Tarkin ne sera tenu responsable de rien, ajouta Teller. C’est un Moff. Et puis, ce n’était pas son idée d’aller sur Murkhana.
Il secoua la tête avec fatalité et poursuivit :
— J’imagine qu’il sera maintenu au commandement de la Base Sentinelle.
Knotts approuva du chef.
— La vraie question, c’est : se lancera-t-il, lui, à notre poursuite ?
— Oh, vous pouvez compter là-dessus, affirma Teller. On aura intérêt à filer vite et loin. Le Secteur Corporatif est sans doute la destination la plus sûre.
Personne ne dit un seul mot pendant un long moment, puis Knotts demanda :
— Une fois que le convoi sera du passé, de combien de temps les aura-t-on ralentis ?
Artoz répondit :
— Le travail sur les seuls composants de l’hyperdrive était déjà engagé depuis trois ans quand je suis arrivé à la Station Désolation. Même avec des plans perfectionnés et des efforts redoublés, je pense qu’on va leur faire perdre quatre ans.
Teller esquissa un sourire.
— J’aurais aimé en savoir davantage sur ce qu’ils trament sur Géonosis, regretta-t-il.
— Une sorte de plate-forme d’armement, dit Knotts. A-t-on vraiment besoin d’en savoir plus ?
Teller le regarda.
— J’imagine que non. Si on peut continuer de les retarder par nos attaques… Lorsque la galaxie aura appris à connaître l’Empereur aussi bien que nous le connaissons, nous ne serons plus les seuls à nous battre.
Une expression de doute traversa les grands yeux brillants d’Artoz.
— Avec ces chantiers navals qui produisent des Destroyers Stellaires de classe Impérial à la chaîne, quelle que soit l’ampleur de la révolte, c’est tout juste si elle pourra érafler l’armure de l’Empereur. Même si on continue de retarder la construction de cette chose en orbite de Géonosis, quoi que ça puisse être, il faudra qu’un élément imprévu s’ajoute à l’équation pour espérer la victoire d’une rébellion. Oui, les gens vont commencer à entrevoir la vérité à propos de l’Empire, mais le nombre seul ne suffira jamais à faire la différence face à des adversaires du calibre de l’Empereur, de Vador ou de la force armée qu’ils sont en train d’amasser. Et ne va pas espérer que le Sénat fasse quelque chose pour les retenir, parce qu’il est devenu encore moins efficace qu’il ne l’était à l’époque de la République.
Teller secoua la tête d’un air de défi.
— On peut décider tout de suite que la situation est désespérée et s’arrêter là, ou continuer à garder espoir et faire tout ce qui est en notre pouvoir.
— Ce choix, je l’ai fait depuis longtemps et ne l’ai jamais mis en doute, affirma Artoz.
— Pour Antar IV alors, et dans l’espoir d’un avenir meilleur ! s’exclama Knotts.
Beaucoup approuvèrent d’un signe de tête.
Tandis que la foule des pilotes se dispersait en direction des chasseurs, Cala entra d’un pas pressé dans le hangar.
— Le convoi de ravitaillement vient de quitter l’hyper-espace. Les brouilleurs de l’HoloNet et des communications sont activés. Les systèmes d’armes sont prêts à faire feu.
Knotts tendit une main vers Teller.
— Bonne chance, là-dehors.
Teller serra la main de son vieil ami, enfila son casque, puis se tourna vers Cala :
— Préviens Anora et Hask qu’on attend d’elles rien de moins qu’une holovid de classe galactique.
L’attaque contre le convoi de la station de combat était déjà bien engagée lorsque l’Exécutrice quitta l’hyper-espace, émergeant si près d’une petite lune qu’il faillit en modifier l’orbite. Entouré de plusieurs officiers, Tarkin se tenait devant la baie d’observation lorsque les étoiles rétrécirent pour retrouver leur forme d’origine. Les jambes écartées, les mains jointes dans le dos, ses cheveux grisonnants comme balayés par le vent et projetés vers l’arrière de son grand front, le gouverneur aurait aussi bien pu être la figure de proue du cuirassé, défiant l’ennemi de l’affronter personnellement dans un combat à mort.
— Monsieur, ils ont brouillé le relais HoloNet local, l’informa un technicien derrière lui. C’est pour cela que nos messages d’alerte n’ont pas été reçus. Pour l’instant, nos contre-mesures permettent de maintenir ouverts le réseau de combat et le réseau tactique.
— Pouvons-nous communiquer avec l’un des transports du convoi ? demanda Tarkin sans se retourner.
— Négatif, monsieur. Il est possible que nous n’apparaissions même pas sur leurs scanners.
— Continuez d’essayer.
Les vaisseaux de marchandises et les transports aux lignes anguleuses qui constituaient le convoi s’étaient regroupés afin que les canonnières et les frégates d’escorte puissent former un cercle de défense autour d’eux, mais les lasers ennemis rognaient progressivement le périmètre, permettant aux chasseurs-droïdes de se faufiler dans les ouvertures créées et d’attaquer les plus gros appareils.
— Monsieur, l’analyse des combats met en évidence un vaisseau capital accompagné d’une frégate Nébulon-B, de multiples tri-chasseurs-droïdes et de trois, plutôt quatre, chasseurs stellaires. Côté amis, deux vaisseaux de remorquage, deux canonnières d’escorte et un peu plus d’une escadrille d’ARC-170 sont déjà hors combat.
Tarkin embrassa la scène du regard.
Même vaisseau-mosaïque de classe Providence, même nuée de chasseurs-droïdes et de vieux chasseurs stellaires. Seulement, cette fois, c’était lui qui commandait la contre-offensive, et il ne s’agissait plus de défendre la Base Sentinelle, mais les composants d’hyperdrive pour lesquels il s’inquiétait depuis son départ pour Coruscant.
Se détournant de la baie, il descendit dans la galerie d’observation pour étudier une simulation de l’attaque projetée au-dessus d’une holotable. La défense circulaire déployée par l’escorte impériale était en train de se disloquer sous le feu nourri des vaisseaux de guerre ; des fragments de canonnières et de frégates dérivaient à travers la nébulosité d’ARC-170 et de chasseurs-droïdes qui s’affrontaient dans d’intenses combats.
— Les chasseurs V-wings sont en route, indiqua le sous-officier qui l’avait suivi dans la galerie d’observation. Le réseau tactique est utilisable, et le commandant de l’escadre attend vos ordres.
— Qu’ils engagent le combat avec la frégate et le porte-vaisseaux, et laissent l’escorte du convoi se charger des chasseurs-droïdes.
Tarkin observa la simulation quelques instants supplémentaires, puis rejoignit les officiers devant la baie d’observation. En affectant des vaisseaux dans les systèmes menacés par le Pic de la Charogne, le commandement naval avait laissé le convoi sans défense ; tout comme Tarkin, victime de la ruse des dissidents. S’il n’avait pas été appelé sur Coruscant, il n’aurait jamais permis que l’escorte de protection du convoi soit redéployée ailleurs, et il s’en voulait terriblement de ne pas avoir suffisamment insisté pour rester à Sentinelle. Il ne lui restait plus qu’à espérer que l’Empereur avait fait le bon choix en laissant se déployer le plan de Rancit et des pirates, et que tous sans exception se trouvaient désormais pris dans leurs filets. Plissant les yeux, il scruta le porte-vaisseaux et se demanda si l’équipage qui avait dérobé le Pic de la Charogne se trouvait à bord, ou si les pirates étaient partis se cacher après avoir déserté la corvette.
— Le porte-vaisseaux ennemi change de position, indiqua l’officier de pont. Ils semblent vouloir placer le convoi entre eux et nous.
Tarkin hocha imperceptiblement la tête en regardant le vaisseau-mosaïque disparaître derrière le convoi et, se remémorant la tactique employée par les dissidents à la citerne de Phindar, songea : Oui, il s’agit bien du même équipage.
— Le commandant de l’escadre signale une forte résistance de la part des chasseurs ennemis, annonça quelqu’un derrière lui. Ils éprouvent des difficultés à atteindre les vaisseaux capitaux. Les scans d’évaluation indiquent que deux des transports du convoi ont subi des dommages importants.
Tarkin se tourna vers le technicien.
— Toujours pas de contact possible avec le chef du convoi ?
— Aucun, monsieur. On ne parvient pas à pénétrer le brouillage.
Ce n’était pas une nouvelle encourageante. Tarkin ne pouvait savoir avec certitude lesquels de ces transports contenaient du matériel de base, et lesquels charriaient des composants indispensables à la station mobile de combat.
La voix de Jova lui murmura à l’oreille : « Seule la gloire accompagne un homme dans sa tombe. »
— Commandant, dit-il en se tournant vivement vers l’un des officiers du groupe, calculez une trajectoire pour nous placer au cœur du combat.
Le commandant, un homme de grande taille avec une frange de cheveux bruns, se détourna de la baie d’observation pour s’approcher de lui.
— Si vous me le permettez, gouverneur Tarkin, nous n’avons aucun moyen d’avertir ceux de nos alliés qui seront sur la trajectoire.
Tarkin pinça les lèvres.
— Ils libéreront la voie, ou ils ne le feront pas, commandant.
— Sans conteste. Mais même si nous réussissons à pénétrer le cercle de défense sans incident, nous aurons à peine l’espace de nous faufiler entre les transports.
— Nous nous en inquiéterons quand le moment sera venu. Je refuse de laisser ce porte-vaisseaux me faire tourner en rond.
Tarkin plissa les yeux et ajouta :
— La mort ou la gloire, mesdames et messieurs !
— À vos ordres !
Alors que le commandant s’éloignait, Tarkin tourna son regard vers l’officier de pont.
— Nos batteries ne devront faire feu que lorsque j’en donnerai l’ordre. Prévenez le commandant de l’escadre que pour le moment ses pilotes et lui constituent notre artillerie. Les chasseurs-droïdes réagissent avec lenteur lorsque la situation devient chaotique. Je veux que nos chasseurs rompent leur formation et improvisent, en faisant feu à volonté.
— Bien reçu, monsieur.
Tarkin reprit sa posture. C’était ainsi que l’Empire allait conquérir et diriger la galaxie, songea-t-il : par la force et la peur.
L’Exécutrice s’avança pesamment à travers l’espace encombré de chasseurs et pénétra au cœur de la bataille, où les vaisseaux de marchandises et les transports se faisaient pilonner par les canons et les turbolasers de la frégate Nébulon-B et du porte-vaisseaux. L’éclat des explosions remplit la baie d’observation de lumières stroboscopiques éblouissantes.
— Que toutes les batteries avant concentrent leurs tirs sur la frégate, ordonna Tarkin.
L’espace s’illumina tandis que des dizaines de faisceaux d’énergie lâchés par le Destroyer Stellaire convergèrent sur le petit cuirassé. En quelques instants, les boucliers de la frégate se retrouvèrent saturés et les faisceaux commencèrent à faire des dégâts, pulvérisant l’appendice ventral faisant office de gouvernail, avant de sectionner l’espar reliant la partie principale du vaisseau au module de motorisation. Éventrée, la frégate déversa son contenu dans l’espace puis implosa, détruisant d’innombrables chasseurs-droïdes dans le souffle brûlant qui accompagna la détonation.
— Vitesse de combat, ordonna Tarkin.
L’Exécutrice bondit en avant, se faufilant à la manière d’une aiguille entre deux des plus gros transports, sa proue en pointe tendue vers le porte-vaisseaux ennemi qui sembla se cabrer en réaction à la charge implacable du Destroyer Stellaire.
L’officier de pont prit la parole :
— Le commandant de l’escadre signale que ses escadrilles se font réduire en pièces.
Tarkin garda les yeux fixés sur le porte-vaisseaux. Il ne battait pas en retraite comme il l’avait fait à la Base Sentinelle. C’était le moment où le scénario allait changer ; c’était le moment où les dissidents montreraient leur détermination inébranlable.
— Ordonnez aux chasseurs de se retirer sur notre passage, et de protéger le convoi à tout prix, finit-il par répondre.
— Le porte-vaisseaux change de vecteur ! cria presque le technicien dans son oreille gauche. Vitesse maximale en direction de l’appareil de tête du convoi.
Les yeux de Tarkin suivirent le brutal virage bâbord du cuirassé et sa soudaine accélération.
— Dix degrés à bâbord. Tir soutenu des canons à ions tribord. Et filez à la vitesse des lasers !
Si Teller ne faisait pas attention, tous ces retournements de situation allaient finir par le faire mourir d’une crise cardiaque. L’attaque surprise contre le convoi avait commencé sans incident : plusieurs vaisseaux d’escorte avaient été détruits et les transports eux-mêmes semblaient à leur merci, lorsqu’un Destroyer Stellaire – sans doute celui de Tarkin – avait émergé de l’hyperespace et fait basculer la bataille à son avantage. Des V-wings décimaient les chasseurs-droïdes, et un Chasseur de tête ainsi qu’un Tikiar avaient été pulvérisés, ne laissant plus que le vaisseau de Teller et un Tikiar piloté par un Koorivar qu’il avait formé sur Antar IV. Le cuirassé lui-même s’était jeté dans l’arène, comme déterminé à éperonner le Destroyer Stellaire, mais se trouvait en réalité sur une trajectoire de collision avec le plus imposant des vaisseaux de marchandises. Des traits d’énergie faisaient étinceler sa coque tandis qu’il poursuivait sa charge désespérée en direction du convoi.
Si l’objectif de Tarkin consistait à semer la confusion, sa réussite était totale. Les chasseurs V-wings créaient une telle zizanie qu’il était impossible de prédire ce que serait la prochaine action du Moff. Et alors qu’un commandant plus prudent aurait préféré contourner le chaos, Tarkin avait dirigé son cuirassé massif droit dedans, mettant non seulement sa vie, mais aussi celle de ses propres pilotes et de tout le monde en danger.
Teller avait essayé à plusieurs reprises mais sans succès de contacter Salikk et les autres sur le réseau de combat. Soudain, les interférences disparurent et le visage du Gotal apparut en vacillant sur l’écran du cockpit.
Teller alla droit au but :
— Sortez-vous de là et passez en hyperespace avant qu’il ne soit trop tard, ordonna-t-il à Salikk.
— Même conseil, Teller, répondit le Gotal à travers le voile de fumée qui flottait au-dessus de la passerelle du cuirassé.
— Éloignez-vous de ce Destroyer Stellaire !
Salikk secoua la tête.
— Notre décision est prise.
— Vous auriez plus de chance de vous en sortir en vous jetant dans une supernova !
Anora se pencha par-dessus le fauteuil du capitaine pour entrer dans le champ de la cam.
— Teller, est-ce que tu n’as jamais vu d’holofeuilleton ? C’est toi qui es censé survivre à ça pour faire en sorte que la lutte continue.
Teller grimaça.
— On n’est pas dans un holofeuilleton, là ! Ce que je vous dis, c’est du simple bon sens.
— Écoute-la, intervint Salikk. Pour ma part, je te serai toujours reconnaissant pour les années supplémentaires que tu m’as permis de vivre après Antar.
Les narines de Teller frémirent.
— Espèce d’imbécile de jockey de l’espace à la face plate !
Salikk ne releva pas l’insulte.
— Je transmets des coordonnées de saut à ton chasseur. Profite que Tarkin soit concentré sur nous pour quitter le champ de bataille. L’hyperdrive du Chasseur de tête s’occupera du reste.
Anora hocha sobrement la tête.
— Il semble qu’on soit destinés à finir en martyrs, au bout du compte, Teller.
— Terminé, conclut Salikk avant que leur chef puisse ajouter quoi que ce soit.
— Les boucliers du porte-vaisseaux faiblissent, indiqua un technicien.
— Sa structure est modulaire, déclara Tarkin. Si l’on ne parvient pas à le détruire, on peut certainement le démanteler. Ordonnez à l’artillerie de cibler les points d’assemblage.
La lumière qui jaillit des batteries turbolaser de l’Exécutrice stratifia l’espace et transperça le porte-vaisseaux à la manière d’une bête assaillie par des chasseurs armés de lances. Se déversant de la coque lacérée du cuirassé, des débris s’échappèrent en vrille et les systèmes d’éclairage se mirent à clignoter de la poupe à la proue. Deux modules sectionnés du reste de l’appareil s’éloignèrent dans une pirouette avant d’exploser. Les moteurs subluminiques flamboyèrent une dernière fois puis s’éteignirent.
— Les chasseurs-droïdes perdent de la puissance, indiqua le technicien. Le rapport signal/bruit de l’HoloNet dépasse les cinquante pour cent.
— Nos lasers ont dû trouver l’ordinateur de contrôle central, supposa l’officier de pont.
Sa proue arrondie sectionnée et ses boucliers déflecteurs parcourus d’étincelles, le porte-vaisseaux continua de se désagréger sous les yeux de Tarkin et des officiers, les chasseurs-droïdes tourbillonnant autour à la manière de feuilles mortes portées par le vent. Écartelé par les canons du Destroyer Stellaire, ce qui restait du vaisseau se mit à gîter sur tribord et présenta son flanc au vainqueur.
— Cessez le feu, ordonna Tarkin.
L’ordre avait à peine quitté ses lèvres que le technicien annonçait :
— Deux empreintes émergent de l’hyperespace.
L’espace d’un instant, Tarkin pensa qu’il était tombé dans un nouveau piège, mais le technicien ajouta :
— Des Destroyers Stellaires : le Conciliant et l’Exécutant en provenance de la station impériale de triage de Pii.
— Monsieur, nous avons un Chasseur de tête qui manque à l’appel, signala un second technicien. Les senseurs indiquent qu’il pourrait être passé en hyperespace.
— Nous le retrouverons, affirma Tarkin. En attendant, faites préparer une équipe d’abordage. Je veux que l’équipage du porte-vaisseaux soit capturé vivant.
***
Seul debout au sommet de la flèche du Palais, les yeux plissés, l’Empereur contemplait Coruscant se déployer à ses pieds comme une scène de théâtre. Le ciel se dégageait suite à un nettoyage du District Fédéral par le réseau de contrôle du temps, et les gratte-ciel comme les gigantesques monades brillaient comme des joyaux. La puissance du Côté Obscur lui parcourait le corps telle une transfusion de sang pur.
Dehors se trouvaient des gens qui souhaitaient sa mort, d’autres qui enviaient sa position, et d’autres encore qui ne désiraient rien de plus que d’être assez proches de lui pour se rassasier des miettes qui tombaient de sa table. Cette pensée était presque suffisante pour transformer son dégoût en pitié vis-à-vis de la situation désespérée du commun des mortels. Mais les pratiques misérables de la République perduraient : la corruption, la décadence, la soif de prestige. Un grand appartement dans un immeuble luxueux, une situation qui ouvrait toutes les portes du Noyau, des collections d’objets d’art hors de prix, la nourriture la plus fine, les domestiques les plus compétents… Il n’avait jamais eu besoin de tout cela, même lorsqu’il était Sénateur, même une fois devenu Chancelier Suprême, et n’avait adhéré au luxe que pour satisfaire ses rêves d’enfant et, bien sûr, parce que c’était ce qu’on attendait de lui. Désormais, il n’avait plus que le Côté Obscur à contenter et le Côté Obscur nourrissait un appétit pour des extravagances d’un tout autre ordre.
Un complot avait été déjoué, une distraction éliminée. Beaucoup d’énergie inutile avait été dépensée et des ressources gâchées. Un temps viendrait où le Côté Obscur lui procurerait une capacité de prédiction infaillible, mais d’ici là, les événements à venir ne lui apparaîtraient jamais clairement, voilés par les possibilités et les tourbillons incessants de la Force. Il pensait contrôler tout ce sur quoi portait son regard, mais il lui restait beaucoup à apprendre. Les actions cherchant à le renverser n’allaient pas s’arrêter avec le désamorçage réussi de ce récent fiasco. Mais il allait s’occuper de ceux qui le défieraient avec la même précision qu’il avait appliquée à exterminer les Jedi. Et il veillerait à ne pas se laisser détourner de l’objectif qu’il s’était donné : trouver le secret que nombre de Maîtres Sith avaient recherché avant lui, à savoir comment exploiter la puissance du Côté Obscur pour remodeler la réalité elle-même ; pour façonner un univers de ses propres mains. Pas la simple immortalité que Plagueis convoitait tant, mais l’influence dans sa forme la plus ultime.
À mesure que son Empire grandirait, attirant en son sein un nombre croissant de systèmes éloignés, sa puissance aussi se déploierait, jusqu’à ce que chaque être vivant de la galaxie se retrouve captif de son étreinte ténébreuse.
La fouille du dernier module intact du porte-vaisseaux avait permis de recenser treize membres d’équipage morts – humains, koorivar et gotals – et le double de survivants, composés du même mélange d’humains, d’humanoïdes et de non-humains. Lorsque Tarkin franchit l’un des sas du module, il vit les escouades de stormtroopers qui avaient capturé les prisonniers mener ces derniers dans une cabine saccagée avec minutie. Le sol était recouvert de mousse d’extinction d’incendie et l’air empestait d’une odeur de circuits grillés et de composants fondus.
Tarkin attendit que les captifs soient menottés et alignés sur deux rangées avant de procéder à une inspection. Il commença par la première rangée, s’arrêtant devant chaque individu pour l’observer avant de poursuivre. Alors qu’il se retournait pour parcourir la seconde rangée, un sourire suffisant détendit ses traits.
— Anora Fair, dit-il en s’immobilisant devant la seule femme humaine. Je vois que vous avez changé de coupe de cheveux.
Se penchant en arrière pour jeter un coup d’œil au reste de la rangée, Tarkin posa les yeux sur une Zygerrienne élancée à la fourrure rousse.
— Et vous devez être Hask Taff. J’imagine que vous avez trouvé le Pic de la Charogne à votre goût ?
Le regard fixé devant elles, aucune ne cilla ni ne prononça un seul mot. Il ne s’attendait pas à ce qu’elles le fassent, d’ailleurs. Un pas sur le côté le plaça nez à nez avec un homme d’âge mûr au regard chassieux.
— Ah, le tristement célèbre courtier de Lantillies lui-même ! s’exclama Tarkin. C’est très gentil de vous être joint à nous, Knotts.
Le courtier aussi regardait droit devant lui et n’offrit aucune réponse.
Tarkin fit quelques pas de plus et s’arrêta pour lever les yeux vers le visage d’un Mon Calamarien.
— Dr Artoz, peut-être ?
Il s’éloigna de la rangée en reculant pour s’adresser à tous.
— Mais où est donc Teller ?
Lorsque le silence eut duré assez longtemps, il poursuivit :
— Laissé pour mort dans un autre module ? Victime de l’explosion de son chasseur ?
Il marqua une pause et, le sourcil arqué, ajouta :
— En fuite ?
Il leur accorda de nouveau un long moment.
— Dites-moi, est-ce le défunt vice-amiral Rancit qui vous a approchés, ou est-ce vous qui l’avez contacté ? demanda Tarkin.
Il se tourna vers le courtier et poursuivit :
— Allons, Knotts, Teller et vous l’aviez pour supérieur pendant la guerre, n’est-ce pas ? Apparemment, votre trahison l’a pris par surprise, ce qui a gâché la trahison qu’il avait prévue pour vous.
Il attendit encore, puis ajouta :
— Rien à dire ? Pas d’ultimes cris de ralliement ? Pas de violence verbale à l’encontre de l’Empire ou de l’Empereur lui-même ?
— Vous tomberez de votre piédestal bien assez tôt, Tarkin, gronda Anora Fair en le transperçant soudain du regard. Et l’atterrissage ne se fera pas en douceur.
Il sourit sans montrer les dents.
— Et dire que j’attendais que vous me présentiez vos excuses pour l’état dans lequel vous avez laissé mon vaisseau.
Elle parvint à tordre ses mains menottées en un geste obscène avant que l’un des stormtroopers lui frappe l’arrière du crâne avec son fusil blaster.
— Tant de venin pour une si jolie bouche…, regretta Tarkin.
Il recula d’un pas pour balayer les prisonniers une dernière fois du regard.
— Quelqu’un d’autre ? Ou dois-je partir du principe qu’elle s’est exprimée en votre nom à tous ?
Comme personne ne répondit, il haussa les épaules.
— Eh bien, c’est sans importance. Je suis confiant qu’une fois sur Coruscant, nous trouverons un moyen de tous vous délier la langue.