Chapitre 14
Une question de survie
Son toit étagé recouvert de scanners, de senseurs et d’appareils de communication, le quartier général du Renseignement Naval jaillissait de la croûte métallique de Coruscant comme s’il avait été projeté des profondeurs de la planète par quelque force tectonique. Avec le Palais et l’arcologie byzantine du COMPORN – qui abritait le Bureau de la Sécurité Impériale, l’Ubiqtorate et d’autres organisations obscures –, le Renseignement Naval constituait le troisième sommet du triangle suprême du District Fédéral. Le fait que ce complexe blindé, cuirassé, presque dépourvu de fenêtres ressemblât davantage à une prison qu’à une forteresse avait conduit à l’hypothèse que ses murs escarpés étaient autant conçus pour empêcher les dizaines de milliers d’officiers militaires qui composaient le personnel de l’agence d’en sortir que les citoyens ordinaires de Coruscant d’y entrer.
Construit peu après la fin de la guerre par-dessus les monades qui délimitaient autrefois le centre stratégique de la République, le Renseignement Naval constituait un carrefour de collecte et d’analyse des transmissions affluant de toute l’œcuménopole et de l’ensemble des secteurs, toujours plus nombreux, de l’Empire. Et pourtant, ses opérations n’étaient pas menées dans un secret total. Pendant la phase de construction, des micro-holocams avaient été installées dans les moindres recoins du bâtiment de façon à ce que les actions et les conversations du personnel puissent être surveillées à toute heure du jour ou de la nuit ; non pas par les membres des divers comités de vigilance du Sénat, mais par l’Empereur et les membres les plus fiables du Conseil. Tous ceux qui travaillaient pour le Renseignement Naval savaient que les cams étaient là et s’étaient peu à peu habitués à leur présence. Si les officiers comme le reste du personnel ne modifiaient plus leur comportement devant ces yeux-espions comme ils l’avaient fait au début, ils vaquaient à leurs occupations avec la conscience aiguë qu’ils pouvaient à tout moment se retrouver sous les feux des projecteurs.
À l’instant, les chefs d’état-major de l’armée impériale – l’amiral Antonio Motti, le général Cassio Tagge, les contre-amiraux Ozzel et Jerjerrod ainsi que quelques autres – s’étaient rassemblés aux côtés de plusieurs têtes dirigeantes du COMPORN, parmi lesquelles figuraient le directeur Armand Isard, le directeur adjoint du BSI Harus Ison et le colonel Wullf Yularen. Le Renseignement Naval était représenté par les vice-amiraux Rancit et Screed, qui avaient sollicité la tenue de la réunion.
Tandis que la lumière vive de la fin d’après-midi se déversait à travers les grandes fenêtres de la salle située au sommet de la flèche du Palais, Sidious observait leurs hologrammes depuis son fauteuil, se servant des commandes de son accoudoir pour choisir la cam de son choix et varier les points de vue. Le droïde 11-4D se tenait debout à ses côtés, l’un de ses appendices connecté à une prise d’interface qui acheminait l’holodiffusion jusqu’au sommet grâce à un ancien dispositif de communication Jedi situé dans les fondations de la flèche.
— Opacifie les vitres, ordonna Sidious sans quitter les hologrammes des yeux.
— Bien sûr, Votre Majesté.
Une fois l’éclat de la lumière du jour atténué, les hologrammes aux reflets cyan gagnèrent en netteté. Les officiers du Renseignement avaient sollicité une audience au Palais, mais Sidious la leur avait refusée. Il avait également décliné l’invitation à participer virtuellement à la réunion. Aussi irritant qu’avait été d’apprendre que les dissidents en possession du vaisseau de Tarkin avaient perpétré un massacre dans la Bordure Extérieure, Sidious trouvait la course au prestige des chefs du Renseignement encore plus pénible à supporter. Il avait donc envoyé Mas Amedda et Ars Dangor pour le représenter.
— Je reconnais que les dissidents ont réussi à semer le chaos dans un système solaire isolé, disait Ison, mais il n’en reste pas moins qu’ils ne disposaient que d’un seul vaisseau pour attaquer notre station.
— Un vaisseau capable de se rendre invisible aux scanners, précisa Rancit, de déjouer nos chasseurs au corps à corps, de semer un Destroyer Stellaire…
— Permettez-moi de rectifier ma déclaration alors, poursuivit Ison. Un vaisseau rapide et puissant. Et pourtant, ils ne s’en sont servis que pour mener une attaque sur un avant-poste insignifiant.
— Le premier acte d’une campagne de destruction, rétorqua Screed.
Les officiers étaient groupés autour d’une grande table circulaire. Mas Amedda et Ars Dangor occupaient les sièges les plus importants. Au-dessus du centre de la table flottaient des cartes stellaires en 3D, des représentations en fil de fer et des schémas de tracés de navigation, montrant pour certains l’emplacement des bases et des installations de la Bordure Extérieure et pour d’autres la disposition des vaisseaux de la flotte, avec des symboles différents pour désigner les Destroyers Stellaires, les cuirassés, les corvettes et les frégates jusqu’aux vaisseaux de surveillance et aux canonnières.
— Rien ne prouve que ces pirates mènent une campagne, lui opposa Ison. Ils ont très bien pu prendre la station spatiale pour cible dans le simple but d’échapper au gouverneur Tarkin et au Seigneur Vador.
— En faisant diversion, vous voulez dire ? rétorqua Screed d’un air sceptique, son implant oculaire étincelant dans la lumière des hologrammes. Le gouverneur Tarkin a failli être abattu par son propre vaisseau ! Étant donné son expérience et son expertise, il faut nous rendre à l’évidence que le Pic de la Charogne se trouve entre les mains d’un groupe extrêmement compétent et dangereux.
— Je connais le gouverneur Tarkin depuis plus de vingt ans, acquiesça Rancit, et je peux vous assurer que s’il estime que ce groupe représente une menace sérieuse à l’encontre de l’Empire, alors il ne faut pas le sous-estimer.
Ison secoua la tête en soupirant.
— Redéployer nos ressources de Belderone pour fortifier deux installations d’importance mineure était une décision imprudente. On ne peut pas se permettre de restreindre nos campagnes de pacification ni de poursuivre d’anciens Séparatistes pour une stratégie de guerre de détail en bordure de l’espace civilisé.
— Et si l’offensive de ces pirates devait s’étendre à la Bordure Médiane ? demanda Rancit. Le vaisseau leur donne la possibilité de frapper à peu près n’importe où dans la galaxie.
Ison le dévisagea longuement, bouche bée.
— Est-ce donc le but de la Marine de redéployer la flotte entière au mépris des besoins des systèmes pour une poignée de dissidents ?
— Dans la majorité des systèmes stellaires, oui, répliqua Rancit. Si la situation l’exige.
L’amiral Motti prit la parole :
— Au risque de paraître cavalier, le vaisseau du gouverneur Tarkin ne dispose pas d’une puissance de feu illimitée.
Sa coupe de cheveux classique et les traits juvéniles de son visage rasé contredisaient son attitude perpétuellement sarcastique.
— Quel que soit le parti que nous prenons, la menace que représente cette corvette finira par disparaître, ajouta-t-il.
— Je suis du même avis, renchérit Ison. Il ne s’agit que d’un seul vaisseau. Je recommande que nous nous en désintéressions.
Mas Amedda bondit sur ses pieds, furieux.
— Visiblement, aucun de vous ne semble prendre la mesure du véritable danger que représente ce groupe de pirates. Ce n’est pas le sort de quelque avant-poste isolé ou même d’installations plus importantes qui nous inquiète. Ce vaisseau doit être capturé ou détruit parce qu’il remet en question le caractère inattaquable du règne de l’Empereur !
— C’est justement le point que j’allais aborder, Vizir, déclara Rancit lorsque les voix autour de la table se furent tues.
Il faisait face à Amedda, mais se tenait de telle façon qu’il semblait s’adresser directement à l’une des cams de surveillance, comme s’il était conscient que Sidious les observait.
— La Sécurité Impériale, poursuivit-il, a d’abord stipulé qu’il était probable que le dépôt secret d’outils de communication sur Murkhana serve à diffuser de la propagande anti-impériale. Et maintenant, le sous-directeur Ison peine à comprendre que l’objectif des dissidents puisse être d’utiliser le vaisseau du gouverneur Tarkin à cette même fin.
Un homme aux cheveux noir de jais, le directeur Armand Isard, était sur le point d’intervenir lorsqu’un jeune officier du Renseignement, assis devant une console comm, prit la parole :
— Messieurs, désolé de vous interrompre, mais nous recevons des rapports faisant état d’une nouvelle attaque non provoquée dans la Bordure Extérieure.
— Nam Chorios, souffla Screed. Exactement comme le gouverneur Tarkin l’avait prédit.
— Non, amiral, répliqua l’officier comm. Lucazec.
Ce fut au tour du général Tagge de bondir sur ses pieds. Rejeton d’une famille riche et influente, il était grand, puissamment bâti et son visage large était encadré de longs favoris évasés.
— TaggeCo est présent à Lucazec !
— Holodiffusion live en cours de réception, les informa le jeune officier.
Rancit avait agrandi une zone de la carte stellaire et l’observait attentivement.
— Ils ont sauté au-delà de la frontière du secteur et longé la Route Commerciale Perlemienne en direction du Noyau !
Il se tourna vers Motti et ajouta :
— Disposons-nous de ressources sur place ?
Motti étudia l’écran du datapad qu’il tenait à la main.
— Une petite garnison de troupes au sol et une escadrille de chasseurs V-wings protègent les exploitations minières de TaggeCo.
— L’holodiffusion est disponible, annonça le jeune officier.
Au-dessus du projecteur incrusté dans la table, une vidéo holographique de l’attaque apparut en vacillant, puis se stabilisa. Au centre de l’image flottait une station orbitale de la taille d’une ville – l’usine de traitement de TaggeCo –, dont toute une partie disparaissait derrière des boules de feu, le logo de la compagnie rendu illisible par le métal fondu. Des quanta d’énergie libérée retombaient en pluie sur l’installation, projetant des portions entières de la station dans l’espace alentour.
Dérivant parmi le flot ininterrompu de tirs de barrage, des morceaux de chasseurs V-wings ainsi que de vulgaires fourgons de minerai apparurent à l’image. L’un d’eux, en flammes, chutait en direction de la surface brunâtre de Lucazec, ses boucliers ablatifs d’un rouge incandescent. Plus loin en contrebas, des nuages d’épaisse fumée noire montaient en volutes à travers le ciel vicié.
— Ils ont aussi pris pour cibles nos exploitations de surface ! s’exclama Tagge, toujours debout et serrant convulsivement les poings.
Le regard d’Ison, visiblement affolé, bondit du général au jeune officier.
— Qui diffuse cette holovid ? Est-elle transmise en direct depuis une installation orbitale ? Un vaisseau situé en périphérie ?
— La transmission nous parvient via une fréquence HoloNet impériale, répondit l’officier comm.
— D’accord, grommela Ison, mais le point de vue… On dirait que c’est l’un de nos propres vaisseaux qui est l’agresseur.
Screed et Motti échangèrent un regard inquiet.
Au sommet de la flèche du Palais, Sidious s’appuya contre le dossier de son fauteuil et, tandis que des courants sinueux du Côté Obscur lui parcouraient le corps, il croisa les bras sur sa poitrine comme pour essayer de les contenir.
— As-tu compris ce qui est en train de se passer, droïde ? demanda-t-il.
— Oui, Votre Majesté, répondit 11-4D, tandis qu’au même moment, l’officier des communications apportait de plus amples informations.
— Messieurs, nous avons la confirmation que l’holovid est transmise depuis le Pic de la Charogne.
Sidious fit pivoter son siège en direction des fenêtres teintées, derrière lesquelles le ciel et Coruscant partageaient une même couleur de cendre. Il aiguisa son regard et tendit son esprit vers Dark Vador dont il pouvait sentir qu’il observait lui aussi l’holovid.
Oui, Seigneur Vador, projeta Sidious à travers la Force, vous aurez votre chasseur stellaire.
Mu par une détermination farouche, Tarkin sortit du poste de contrôle du hangar du Liberator, longea d’un pas brusque le pont d’envol postérieur, puis passa devant des chasseurs stellaires et des véhicules à coussin d’air pour rejoindre la navette qui l’attendait. Au-dessus de sa tête, les portes de l’imposant Destroyer Stellaire étaient closes, et le pont d’envol baignait dans une lumière tamisée. Le capitaine du Liberator se tenait au pied de la rampe de la navette. De petite taille, les cheveux gris et la barbe soigneusement taillée, il salua à l’approche de Tarkin.
— Désolé de n’avoir pas pu être d’une plus grande aide, gouverneur.
Le Moff chassa ses excuses d’un revers de la main.
— Vous n’y êtes pour rien, commandant. Vous êtes venu lorsqu’on vous a appelé et rien que pour cela, vous avez toute ma gratitude.
Le commandant hocha la tête.
— Merci, monsieur.
Tarkin tendit la main et le commandant la serra avec respect.
— Rentrez-vous à la base de Belderone ? demanda Tarkin.
— Non, monsieur. Coruscant nous a ordonné de nous rendre directement à Ord Cestus.
Le front de Tarkin se plissa d’étonnement.
— Pourquoi descendre aussi loin le long de la Perlemienne ?
— Redéploiements de triage, expliqua le commandant. À cause de ce qui s’est passé à Lucazec, je suppose. Même chose à Centares et Lantillies. Qui sait où votre… euh, où le vaisseau disparu se rendra la prochaine fois ?
— Possible, dit Tarkin d’un ton pensif.
N’insistant pas d’avantage, il gravit la rampe d’embarquement et se rendit à l’avant pour s’installer – en tant que seul passager de la navette de classe Thêta – dans l’un des fauteuils de la cabine principale. Loin au-dessus de sa tête, les portes du hangar du Liberator s’ouvrirent par le milieu avant de se rétracter, et la navette se souleva sous la poussée des répulseurs, déploya ses ailes et accéléra en direction de son point de rendez-vous, un transport de soutien de forme convexe dénommé le Goliath, récemment arrivé du chantier mobile d’Ord Mantell. Tandis que la navette virait pour s’éloigner du Destroyer Stellaire, Tarkin entrevit à bâbord la planète morne de Nam Chorios. Le soleil du système fournissait à peine de quoi illuminer la planète, sans parler de la chauffer selon des critères humains.
Le Moff se tourna vers l’intérieur de la cabine pour réfléchir à la remarque du commandant. Des vaisseaux capitaux redéployés depuis des bases aussi éloignées que Centares et Lantillies, tout ça pour le Pic de la Charogne… Il faisait confiance à l’Amirauté pour ne pas disperser la flotte à outrance, mais force était de reconnaître que les pirates avaient encore une fois pris tout le monde par surprise.
Cela n’aurait peut-être pas été le cas si Coruscant avait placé Lucazec en état d’alerte, mais personne, Tarkin compris, n’avait pensé que les dissidents cibleraient une exploitation minière TaggeCo si peu défendue. Après être entré dans le système stellaire avec une signature de transpondeur modifiée mais d’authentiques codes impériaux, le Pic de la Charogne avait ouvert le feu sur l’installation orbitale et les exploitations au sol avant que Lucazec puisse réagir. Jova aurait applaudi la stratégie des pirates, qui revenait à masquer son odeur dans celle de son ennemi.
Il se rappelait sans difficulté du parfum des excrétions musquées dont il devait se recouvrir lors des chasses ou des exercices d’observation sur le plateau. Le rongeur que Jova avait percuté de nuit avec l’airspeeder n’avait été que le début. Après cela, il y avait eu les effluves étourdissants et souvent écœurants de vulpins sournois, de ruminants à bois, de félins trapus… Mais dans d’innombrables situations, les excrétions leur avaient permis de prendre l’ascendant, et de tuer leur proie ou d’infiltrer des groupes selon les besoins.
Au pic excepté. Mais bien entendu, l’objectif n’était pas le même, là-bas.
À Lucazec, les pirates ne s’étaient même pas donné la peine d’activer le mode furtif du Pic de la Charogne avant d’atteindre leur cible. Peut-être faisaient-ils des expériences, en prévision de leur prochaine attaque ? Les boucliers déflecteurs avaient protégé un temps l’installation minière, mais son sort avait été rapidement scellé. Les dégâts et les victimes que le vaisseau avait laissés dans son sillage étaient comparables à ceux de Galidraan.
Quand la transmission HoloNet des pirates avait été reçue par le Liberator, Tarkin avait essayé de se convaincre qu’il s’agissait d’une nouvelle contrefaçon, que l’holovid était le résultat d’un montage d’images créées ou tirées des actualités, comme cela avait été le cas à Sentinelle ou sur Murkhana. Dans son empressement à vérifier son intuition – et à la stupéfaction de certains seconds maîtres du Liberator –, il s’était quasiment placé à l’intérieur de l’holochamp bleu pour y déceler des preuves de falsification qui auraient confirmé que la transmission était une supercherie. Mais il n’en avait trouvé aucune. Il lui avait fallu du temps pour abandonner l’idée que les pirates cherchaient délibérément à le provoquer et pour accepter qu’ils faisaient simplement usage des outils de communication sophistiqués du Pic de la Charogne pour attirer l’attention sur leur cause, tout comme le Comte Dooku était parvenu à le faire au début de la Guerre des Clones. Et comme Dooku, les pirates avaient réussi à diffuser l’holovid de Lucazec en direct via les fréquences civiles de l’HoloNet à des milliers de systèmes stellaires des Bordures Médianes et Extérieures avant que Coruscant soit capable de couper de larges portions du réseau de communication.
Néanmoins, le mal était fait. Selon les derniers rapports du Renseignement Naval, les voleurs du Pic de la Charogne attiraient déjà l’attention des médias dans plusieurs systèmes extérieurs et certains membres du Conseil s’inquiétaient d’un possible retour de flamme : que des factions marginalisées commencent à croire l’Empire vulnérable, et que des imitateurs voient le jour, convaincus de pouvoir, eux aussi, se faire entendre d’un bout à l’autre de la galaxie.
Tarkin avait aussi appris que le débat controversé opposant la Sécurité Impériale et le Renseignement Naval sur la meilleure façon de procéder n’était pas encore clos, surtout maintenant que le Pic de la Charogne était à nouveau en fuite, dissimulé dans l’hyperespace ou tapi dans quelque système stellaire isolé ou désert. Il semblait, néanmoins, que les vice-amiraux Rancit et Screed faisaient peu à peu leur chemin, car l’Amirauté avait obtenu de l’Empereur la permission de déployer des forces en direction des mondes non protégés situés le long de la Route Commercial Perlemienne et de la Voie Hydienne. C’était, en tout cas, ce qui expliquait la présence du Goliath à Nam Chorios et, apparemment, pourquoi le Liberator avait été jugé nécessaire auprès d’Ord Cestus.
À peine le transport de soutien était-il arrivé que Vador s’était fait conduire à bord car le vaisseau avait apporté son chasseur stellaire personnel depuis Coruscant.
Tarkin avait eu fort à faire depuis que Vador et lui s’étaient séparés : parler au commandant Cassel de la Base Sentinelle, avec le Renseignement de Murkhana, ainsi qu’avec les commandants des postes impériaux situés dans tout le secteur ; mais également avec Wullf Yularen, dont l’esprit était occupé à maintenir la paix entre les différentes agences du Renseignement. Tarkin avait enfin passé les dix dernières heures dans le centre de données du Liberator à examiner des cartes et des plans stellaires et à effectuer des calculs complexes.
Il manquait de sommeil, mais cela devrait attendre qu’il ait vu Vador.
Les ailes de la navette se replièrent vers le haut tandis qu’elle franchissait lentement le champ magcon du hangar principal du transport de soutien. Le commandant du vaisseau, entouré d’une douzaine de ses officiers les plus hauts gradés et de sous-officiers en uniforme noir, attendait immobile sur le pont tandis que Tarkin descendait la rampe. Le long du groupe se tenait une compagnie entière de stormtroopers, ainsi que le sergent Crest et les six derniers membres du détachement personnel de Vador.
— Bienvenu à bord, gouverneur Tarkin ! s’exclama le commandant en sortant du rang pour l’accueillir.
— Heureux de vous revoir, Ros. J’aurais préféré que ce soit en de meilleures circonstances.
— Il ne tient qu’à nous de les améliorer.
Un sourire triste étira les lèvres de Tarkin.
— Où est le Seigneur Vador ?
— Dans le hangar des chasseurs stellaires. Je vais vous y escorter.
Le commandant se retourna pour renvoyer les autres, puis, d’un geste poli, fit signe à Tarkin de le suivre à travers le pont.
Il ne leur fallut que quelques instants pour atteindre le hangar des chasseurs stellaires où le commandant laissa Tarkin vaquer à ses occupations. Le Moff n’eut pas besoin de chercher longtemps le chasseur de Vador puisqu’il s’agissait du seul Eta-2 parmi une escadrille de V-wings. Son absence de couleurs aurait pu lui apparaître comme un choix surprenant si le noir n’avait pas été la spécificité du Seigneur Sith. D’ailleurs, de nombreux pilotes avaient fait des efforts pour se démarquer des autres pendant la guerre, alors pourquoi Vador ne pourrait-il en faire autant à présent ?
Occupé à bricoler quelque chose, le Sith se tenait entre les canons de la proue fourchue du vaisseau avec, à ses côtés, un astromécano argenté branché à une unité de diagnostic portative. Avant que Tarkin ait le temps de le saluer, Vador se retourna et s’extirpa de la fourche formée par les deux canons avant.
— J’espère que votre chasseur a bien supporté le voyage depuis Ord Mantell, déclara Tarkin.
— Pas totalement, gouverneur, mais les soucis d’ordre mécanique ne sont pas ce qui m’inquiète le plus en ce moment. Quels enseignements avez-vous tirés de ces dernières heures ?
Tarkin haussa un sourcil.
— Voilà une question intéressante, Seigneur Vador.
L’humeur massacrante dont le Seigneur Noir avait fait preuve depuis l’attaque de Lucazec ne s’était pas améliorée.
— Je ne parle pas de leçons que vous auriez apprises, gouverneur. Disposez-vous de nouvelles informations ?
Tarkin acquiesça.
— Des choses dont nous devons discuter en toute confidentialité.
Vador se retourna pour répondre à une série de gazouillis pressants du droïde, puis conduisit Tarkin sans un mot jusqu’à une petite salle adjacente au hangar. La pièce se composait d’une holotable et d’une rangée de modules de communication.
— Voilà pour la confidentialité, déclara Vador. Maintenant, qu’avez-vous appris ?
— Je crois que j’ai découvert un moyen de prédire où le Pic de la Charogne émergera la prochaine fois.
— Vos prédictions ont intérêt à s’avérer plus judicieuses que notre intuition concernant Galidraan, gouverneur.
— Je suis parvenu à réduire le champ des possibles.
Vador attendit.
— Plusieurs choses avant d’aborder mes pronostics : d’abord, les numéros de série des appareils que nous avons relevés sur Murkhana indiquent que les composants faisaient à l’origine partie d’un dépôt séparatiste dont le matériel a été confisqué durant la guerre par la République, puis stocké dans un entrepôt impérial… avant de disparaître on ne sait quand au cours des trois dernières années.
— Ils ont disparu ? répéta Vador. Comme les modules de vaisseaux de guerre et les droïdes que vous avez tracés depuis la Base Sentinelle ?
— Précisément. Vendus, volés, ou même donnés, peut-être.
— Les trois possibilités impliquent l’intervention d’un conspirateur sur place.
Tarkin lui décocha un sourire entendu.
— Et il y a plus. L’attaque des dissidents contre la roue de Galidraan était particulièrement bien chronométrée, sachant qu’un Destroyer Stellaire de classe Victory avait quitté le système moins d’une heure avant l’arrivée du Pic de la Charogne.
Vador réfléchit.
— Les dissidents étaient au courant.
Tarkin hocha la tête.
— Ils pourraient travailler en tandem avec un vaisseau éclaireur. Ou alors avec le cuirassé que l’on a vu à la Base Sentinelle.
— Ou recevoir de l’aide de la part des mêmes taupes qui leur ont fourni le matériel confisqué.
Vador marqua une pause, puis poursuivit :
— L’Empereur souhaite se servir d’eux comme d’exemple, gouverneur. Mais il exige que nous les attrapions tous, pas seulement ceux qui ont volé votre vaisseau.
— Et c’est ce que nous ferons, si mes calculs sont exacts.
Une fois de plus, Vador attendit.
Tarkin extirpa un datapad de la poche de sa tunique et le brancha en interface avec l’holoprojecteur de la table. Dans les airs apparut une carte stellaire rotonde que Tarkin pouvait manipuler depuis son datapad. Les déplacements du Pic de la Charogne étaient indiqués par une ligne rouge en zigzag, annotée de mesures et de calculs.
— La consommation en carburant, déclara Vador au bout de quelques instants.
— J’aurais dû me douter que vous auriez une longueur d’avance sur moi.
— Cette méthode ne m’est pas inconnue, gouverneur.
Vador ne développa pas son propos, aussi Tarkin poursuivit-il en utilisant son index pour souligner les points marquants de sa démonstration.
— Le réservoir de la corvette était plein de carburant lorsqu’elle a quitté la Base Sentinelle. Nous ne nous sommes pas donné la peine de nous ravitailler sur Coruscant avant notre voyage pour Murkhana, parce qu’il y avait bien assez de combustible pour faire l’aller-retour. Depuis Murkhana, cependant, le vaisseau a réalisé un premier saut jusqu’à Fiai, avant de rejoindre Galidraan, puis Lucazec. Nous n’avons aucun moyen de deviner, encore moins de savoir avec certitude, où se trouve la corvette à présent – dans l’hyperespace ou stationné dans un système stellaire local –, mais dans les deux cas, elle sera bientôt à court de carburant. Et à moins que les pirates aient terminé leur mission – une hypothèse fort peu probable, selon moi –, le ravitaillement en combustible sera leur prochaine priorité.
Tarkin apporta quelques modifications à la carte stellaire pour agrandir une zone du secteur local.
— Les besoins du Pic de la Charogne en termes de carburant ne sont pas ordinaires, et les sites de ravitaillement se font rares par ici. En fait, d’après mes calculs, il ne leur reste que deux options : ici, indiqua-t-il du doigt, à Gromas, dans le Secteur Perkell, ou ici, à Phindar, dans le Secteur Mandalore.
Vador tourna deux fois autour de la carte stellaire, s’immobilisa, puis regarda Tarkin.
— Il se trouve, gouverneur, que ces deux mondes me sont familiers.
Tarkin patienta un instant, mais, là encore, le Seigneur Noir ne lui offrit aucune explication.
— Tout comme Lucazec, poursuivit le Moff, Gromas abrite une exploitation minière – de phrik, il me semble…
— Oui, confirma Vador.
— L’Empire y possède un dépôt qui comprend une gamme complète de carburants. Phindar, en revanche, a été attaquée par les Séparatistes pendant la guerre et n’héberge rien de plus qu’une grosse citerne en orbite fixe. Propriété d’un cartel criminel voilà vingt ans, elle est à présent exploitée par des sous-traitants comme poste de ravitaillement et centre de réparation pour les vaisseaux de l’Empire.
— Deux options, donc. Gromas présentant davantage de difficultés.
— Les pirates ont choisi Lucazec plutôt que Nam Chorios, ou même Belderone, et ils ont transmis leur attaque en direct sur l’HoloNet. Dès lors, si leur objectif est de semer la destruction et de faire de la propagande…
— Gromas serait le choix le plus logique, si ce n’est pour son importance relative.
Tarkin opina lentement du chef.
— C’est certainement la cible que nous devrions indiquer aux agences du Renseignement.
Vador aussi opina lentement du chef, parfaitement conscient de ce que sous-entendait Tarkin.
— Je vais en informer l’Empereur.
— Le Pic de la Charogne pourrait déjà être en route, dit Tarkin en redressant les épaules.
Comme en miroir à la posture du Moff, Vador mit les poings sur les hanches.
— Alors nous n’avons pas de temps à perdre.