Chapitre 11
Cible légitime
Tandis que la canonnière filait de nouveau vers le centre-ville, Tarkin, contemplant le paysage de dévastation étalé sous ses pieds, songea qu’il aurait pu s’agir d’Eriadu s’il n’avait pas averti les dirigeants de la planète que soutenir Dooku reviendrait à provoquer un véritable cataclysme.
Les instances dirigeantes ne l’avaient pas toutes soutenu, mais il avait finalement obtenu gain de cause, et Eriadu était restée loyale à la République. Pour Tarkin toutefois, la gouvernance de sa planète natale était arrivée à son terme. Quand le bruit qu’il ne se représenterait pas s’était répandu, son père, âgé et malade, l’avait fait venir au domaine familial pour avoir une conversation franche avec lui.
— La politique n’est plus un combat suffisant pour toi ? lui demanda son père, cloué au lit, le corps percé de sondes et de perfusions.
La large fenêtre embrassait presque toute la baie calme.
— Plus que suffisant, répondit Tarkin, assis sur une chaise à côté du lit. Mais les problèmes d’immigration sont résolus, l’économie est de nouveau sur les rails, et notre monde est désormais considéré comme un Monde du Noyau au sein de la Bordure Extérieure.
La pièce attenante à la suite parentale avait été transformée en une sorte d’unité de soins intensifs, avec une cuve à bacta et une équipe de droïdes médicaux prêts à intervenir au cas ou le vieux Tarkin aurait souhaité être réanimé.
— Je te l’accorde, reconnut son père. Mais ça ne signifie pas que ton travail soit terminé. Beaucoup de gens se sont démenés pour te faire élire.
— J’ai réalisé ce que je comptais accomplir et je les ai tous payés en retour, rétorqua Tarkin un peu plus brutalement qu’il ne le souhaitait. Certains bien plus qu’ils ne le méritaient.
Il garda le silence un moment avant d’ajouter :
— Je suis exaspéré d’avoir à composer avec tant d’intérêts divergents et d’avoir à me battre pour faire passer et appliquer des lois. La politique est pire que la guerre.
Son père renifla avec dédain.
— Venant de quelqu’un qui a toujours prêché l’importance de la loi et du règne par la terreur…
— Et ça n’a pas changé. Mais cela doit se passer selon mes conditions. De plus, les problèmes intérieurs d’Eriadu importent peu dans l’ordre actuel des choses. La dernière fois que j’ai vu Dooku, il m’a laissé entendre qu’une guerre galactique était inévitable et imminente.
— Bien évidemment. Séduction, menaces… Il ferait tout pour te convaincre de rallier le camp des Séparatistes.
Tarkin repensa à sa récente conversation avec le Comte et secoua la tête.
— Il avait quelque chose d’autre à l’esprit, mais je n’ai pu deviner de quoi il s’agissait. C’était comme s’il me proposait d’intégrer une espèce de fraternité secrète qui serait en réalité à l’origine de ce chaos.
Son père sembla réfléchir à la question.
— Que feras-tu, alors ? Attendre que la République mette une armée en place et t’engager ?
Il secoua la tête de dégoût et poursuivit :
— Tu as servi dans la Force de Sécurité et au sein du Département Judiciaire. T’engager maintenant, ce serait revenir en arrière au moment où Eriadu a le plus besoin de toi. D’autant plus si cette situation mène à la guerre. Qui pourra protéger notre planète si elle venait à tomber aux mains de Dooku ?
— C’est précisément la question. Les discours et les débats ont des limites.
— Tu vas donc « filer à la vitesse des lasers » ? N’était-ce pas ton expression favorite lorsque tu étais commandant de la Force de Sécurité ?
Son père eut un rire amer et ajouta :
— Tu pourrais tout aussi bien en faire ta devise.
— La mort ou la gloire, père. Je suis ton fils, après tout.
— En effet, répliqua son père en hochant lentement la tête. Le Chancelier Suprême s’est-il prononcé sur ta décision ?
Tarkin opina du chef.
— Palpatine est de mon côté, pour ainsi dire.
— C’est ce que je craignais.
Son père l’observa un long moment, puis reprit la parole :
— Je voudrais que tu repenses au plateau de la Charogne, Wilhuff. Lorsque le territoire d’une troupe est menacé, la bête dominante ne recule pas. Elle ne s’enfuit pas pour s’engager dans une plus grande cause. Tu dois voir Eriadu comme le Plateau.
Tarkin regarda par la fenêtre puis posa de nouveau les yeux sur son père.
— Jova m’a raconté une histoire qui a pesé dans ma décision. Bien avant ta naissance – bien avant même celle de Jova –, un groupe de promoteurs immobiliers avait des vues sur le plateau ainsi que sur toutes les terres riches en ressources que la famille Tarkin avait amassées. Nos ancêtres tentèrent au départ de résoudre le problème pacifiquement. Ils voulurent calmer les promoteurs en les payant. À un certain moment, comme le raconte Jova, ils étaient même prêts à leur proposer toutes les terres situées au nord de la rivière Orrineswa jusqu’au mont Veermok. Mais leur offre fut rejetée avec la plus grande fermeté. Pour les promoteurs, c’était le plateau et tous les territoires environnants, ou rien.
Son père sourit faiblement.
— Je sais comment finit l’histoire.
Tarkin lui sourit en retour.
— Les Tarkin comprirent que, pour tenir leurs adversaires à distance, poser un panneau « propriété privée » ou monter une clôture plasma autour du plateau de la Charogne ne suffirait jamais. Alors ils firent croire qu’ils étaient prêts à capituler et invitèrent les dirigeants du conglomérat à s’asseoir autour de la table des négociations.
— Et les assassinèrent jusqu’au dernier, conclut Tarkin à la place de son père.
— Jusqu’au dernier. Et ce fut le fin mot de l’histoire.
Son père prit une profonde inspiration et expira de façon saccadée.
— Je comprends. Mais tu es naïf si tu penses que la République a le cran de réserver le même sort à Dooku et aux autres. Retiens bien ce que je vais te dire : cette guerre se poursuivra jusqu’à ce que chaque monde en ait payé le prix. Et heureusement, je ne serai plus là pour le voir.
L’ambassadrice de Coruscant à Murkhana attendait en haut de l’escalier richement décoré situé devant le bâtiment principal de l’enceinte impériale. C’était une femme de grande taille, aux épaules larges, dont la tenue, aux yeux de Tarkin, convenait parfaitement à Murkhana. Elle portait en effet une armure de stormtrooper.
Semblant hésiter entre salut et révérence lorsque Vador et lui s’approchèrent, elle écarta simplement les bras en signe d’accueil et se fendit d’un sourire cynique. Les pluies acides et l’air pollué de Murkhana avaient abîmé ses cheveux et sa peau, mais hormis cela, elle paraissait en bonne santé.
— Bienvenue, Seigneur Vador et gouverneur Tarkin. Je savais que Coruscant dépêchaient des enquêteurs mais j’étais loin de me douter…
— L’agent est-il arrivé ? l’interrompit Vador.
Elle fit un geste en direction de la résidence, suivi d’un mouvement rapide de la tête.
— Il est à l’intérieur. Je l’ai convoqué dès que j’ai reçu votre message.
— Conduisez-nous à lui.
Elle tourna les talons et se dirigea vers les portes d’entrée renforcées. Les deux stormtroopers qui montaient la garde s’écartèrent et saluèrent Vador et Tarkin sur leur passage. Le hall d’entrée et la pièce principale de la résidence étaient peu meublés, et l’air sec artificiellement parfumé. Un Koorivar plus grand que Tarkin et vêtu d’une tunique en haillons se tenait en silence derrière un canapé en demi-lune. Sa corne crânienne était d’une taille moyenne pour un individu de son espèce, mais les stries de son visage étaient barrées de cicatrices.
D’un geste, l’ambassadrice invita Vador et Tarkin à s’asseoir, mais ils n’en firent rien.
— Puis-je au moins vous offrir quelque chose à…
— Dites-moi, ambassadrice, l’interrompit une nouvelle fois Vador, vous arrive-t-il de sortir de cette forteresse, de quitter la sécurité de ses hauts murs bardés de senseurs et de ses sentinelles armées ?
— Bien sûr.
— Alors vous avez sûrement dû voir les inscriptions et les dégradations qu’exhibe chaque immeuble entre ici et ce que cette planète appelle un spatioport ?
— Monseigneur, répondit-elle d’un air narquois, à peine les ai-je fait effacer que de nouvelles apparaissent.
— Et ces bandes de criminels qui pullulent à chaque coin de rue ? demanda Tarkin.
Elle laissa échapper un petit rire.
— Elles prolifèrent encore plus rapidement que les dégradations, gouverneur Tarkin. Le Soleil Noir avait à peine plié bagage que le Crymorah s’installait déjà.
— Le Crymorah, répéta Vador.
— Une filière locale, pour être plus précis, aux mains des Sugi.
Vador ne semblait pas intéressé par l’information.
— Vous devez vous servir de ces criminels pour faire un exemple, déclara Tarkin.
L’ambassadrice le regarda comme s’il avait perdu l’esprit.
— Vous croyez que je n’ai pas essayé ?
Tarkin haussa un sourcil.
— Pouvez-vous être plus précise ?
Elle esquissa un début de réponse, avant de soupirer et de reprendre :
— J’ai fait demande sur demande au Moff Therbon pour obtenir des renforts de stormtroopers. En vain.
— Et si nous faisions en sorte que vous obteniez les hommes supplémentaires, feriez-vous le nécessaire ?
Elle continua de regarder Tarkin avec scepticisme.
— Pardonnez-moi, gouverneur, mais je ne crois pas que vous saisissiez pleinement la situation. Être nommée ici, c’est comme purger une peine pour un crime que je n’ai pas commis. Les stormtroopers ont un dicton : « Plutôt faire l’ultime saut qu’être cantonné sur Belderone », et ici, c’est bien pire que Belderone.
Elle soupira et poursuivit :
— Oui, je peux sortir de cette enceinte, mais ma vie est en danger à chaque fois que je le fais. D’où ma belle garde-robe blanche, précisa-t-elle en regardant Tarkin et Vador tour à tour. Ça vous aura peut-être échappé, mais Murkhana n’est pas Coruscant. La population me hait. J’ai parfois l’impression que Murkhana elle-même me hait. Je suis tenue responsable pour chaque augmentation des taxes impériales et pour le moindre changement du système juridique. Les trafiquants sont les seuls à inspirer le respect car ils sont les seuls à pouvoir fournir des marchandises – même si c’est à des prix exorbitants. Quant aux barons du crime, ils sont les seuls en mesure d’offrir une certaine protection contre les voleurs et les meurtriers que cette planète a engendrés depuis la fin de la guerre.
Vador fit un pas dans sa direction.
— Je puis vous assurer que j’informerai l’Empereur de votre insatisfaction, ambassadrice.
Elle ne recula pas.
— Ça me ferait diablement plaisir qu’un autre s’en satisfasse à ma place. Je suis honorée que l’Empereur me considère digne de le servir, c’est sûr, mais cette nomination…
Vador pointa un index dans sa direction.
— Laisser une cellule de dissidents opérer sous vos yeux n’est pas ce que j’appellerais servir l’Empereur, ambassadrice.
— Des dissidents ? répéta-t-elle en secouant la tête, visiblement perplexe. Je ne comprends pas.
Au lieu de fournir une explication, Vador se tourna vers le Koorivar.
— Vous êtes l’informateur du Renseignement ?
— Je suis Bracchia, lui répondit-il dans un murmure.
Tarkin savait que ça n’était qu’un nom de code, mais c’était la seule identité que le directeur adjoint Harus Ison avait bien voulu lui donner.
— Vous étiez un agent de la République, durant la guerre.
Bracchia opina du chef.
— Oui, gouverneur Tarkin. Je vous ai assisté lors de l’opération anti-émissions-pirates menée ici même.
La méfiance se lisait sur le visage de Tarkin.
— Parlez-nous de cet immeuble de l’Alliance InterCorporation – l’ancien centre médical.
Le Koorivar hocha la tête avec déférence.
— J’ai d’abord observé le bâtiment pendant une semaine, gouverneur Tarkin. Quand j’en ai conclu qu’il était inoccupé, j’y suis entré et j’ai fait un inventaire rapide des appareils, suivant les instructions.
— Suivant les instructions ? répéta Tarkin avec étonnement.
Mais avant que Bracchia puisse répondre, Vador posa à son tour une question :
— Par où êtes-vous entré ?
Le Koorivar se tourna vers lui.
— Par des portes coulissantes, Seigneur Vador. Je n’ai pas connaissance d’une autre entrée, et les appareils se trouvaient exactement là où l’on m’avait dit qu’ils seraient.
— Comment avez-vous pu ne pas remarquer le turbo-ascenseur ? s’étonna Vador.
Le Koorivar baissa les yeux.
— Pardonnez-moi, Seigneur Vador. J’étais concentré sur l’inspection des appareils.
Tarkin se plaça délibérément entre Bracchia et le Seigneur Noir.
— Êtes-vous en train de dire que ça n’est pas vous qui avez fait cette découverte ?
— Non, gouverneur, ça n’est pas moi. On m’a simplement chargé de vérifier l’exactitude d’un rapport venant de Coruscant.
— De la Sécurité Impériale ?
Bracchia hocha la tête.
— Par mon officier traitant du BSI, oui.
Tarkin ouvrit la bouche pour poser une nouvelle question quand son comlink se mit à sonner. Il sortit l’appareil de son étui de ceinture.
— Nous sommes au bâtiment, gouverneur.
Tarkin reconnut la voix du sergent Crest.
— Quel bâtiment ?
— Celui de l’Alliance InterCorporation, monsieur.
— Vous n’êtes pas au terrain d’atterrissage ?
Crest laissa passer un instant avant de répondre :
— Monsieur, vous nous avez demandé de retourner au bâtiment une fois les appareils transférés à la corvette.
— Qui vous a demandé de faire ça ?
— Vous, monsieur.
Crest semblait aussi perdu que Tarkin.
— Je n’ai jamais donné un tel ordre, sergent.
— Pardonnez-moi, monsieur, mais vous nous avez donné l’ordre par holotransmission. Nous venions tout juste de finir le transfert des derniers appareils que vous aviez sélectionnés pour être chargés dans le vaisseau. En l’absence de la canonnière, nous avons dû réquisitionner un airspeeder au spatioport.
— Qui garde le vaisseau ? demanda Vador en s’approchant du capteur audio du comlink.
— Deux hommes de notre escouade, Seigneur Vador, en plus du capitaine et de l’officier comm de la corvette.
Tarkin blêmit.
— Sergent, retournez immédiatement au vaisseau.
— Bien, monsieur.
Vador regarda Tarkin tandis que celui-ci contactait le capitaine du Pic de la Charogne.
— Un autre montage réalisé par les auteurs de la fausse holovid transmise à la base lunaire ?
— Dans lequel je joue cette fois le rôle principal, répondit Tarkin en essayant de ne pas paraître trop troublé. Je ne parviens pas à joindre le vaisseau, ajouta-t-il en vérifiant une nouvelle fois le comlink.
— Ça se produit tout le temps, gouverneur Tarkin, intervint l’ambassadrice. Quand ça n’est pas le réseau électrique, c’est celui de communication.
Il lui jeta un coup d’œil, la bouche ouverte, une sensation désagréable dans la poitrine. Les doigts courant sur le clavier du comlink, il ouvrit un deuxième canal pour communiquer avec la corvette elle-même et saisit le code activant le système esclave du Pic de la Charogne destiné à empêcher tout individu ne serait-ce que de s’approcher du vaisseau. Mais le système ne répondit pas.
— Rien, dit-il à Vador. Aucun contact avec la cabine de commandement, ou le vaisseau lui-même.
Vador se tourna vers l’ambassadrice.
— Contactez immédiatement Coruscant par l’HoloNet.
Elle écarta les mains dans un geste d’excuse.
— Seigneur Vador, Murkhana n’a plus l’HoloNet depuis les premiers temps de la Guerre des Clones, expliqua-t-elle avant de tourner les yeux vers Tarkin. Le réseau a été détruit au cours du premier assaut de la République.
Le Moff s’en souvenait. Le relais avait été détruit afin de perturber les émissions-pirates que Dooku transmettait aux mondes situés le long de la Route Commerciale Perlemienne. Son esprit chancela.
— Envoyez une transmission subspatiale, ordonna Vador.
— Gouverneur Tarkin, dit Crest dont la voix résonna via le comlink. Nous sommes revenus au spatioport.
Il resta silencieux un long moment et lorsqu’il reprit la parole, sa voix trahissait sa stupéfaction :
— Monsieur, le Pic de la Charogne a disparu.
Tarkin regarda le comlink.
— Quoi ?
— Il n’est plus là, monsieur. Il a dû décoller.
— Impossible ! s’exclama Tarkin.
— Où sont vos hommes, sergent ? rugit Vador.
Cette fois encore, la réponse se fit attendre un long moment.
— Seigneur Vador, nous avons quatre cadavres – deux stormtroopers, le capitaine et l’officier comm.
Crest marqua une pause avant d’ajouter :
— Ils ont été abattus, Seigneur Vador.
Le Sith serra le poing.
— Vous m’avez déçu pour la dernière fois, sergent.
— Je comprends, monsieur, dit Crest d’une voix sombre.
Vador se tourna vers Tarkin.
— Nous avons contourné un petit piège uniquement pour tomber dans un plus gros, gouverneur. Au moins, nous savons maintenant pourquoi nous avons été attirés ici.
Portant la main gauche au rebord de son casque, il s’éloigna de Tarkin et de l’ambassadrice puis revint brusquement vers eux.
— Le vaisseau est toujours dans le Système Murkhana.
Tarkin ne perdit pas de temps à demander à Vador comment il savait une telle chose. Au lieu de cela, il tourna son regard vers l’un des stormtroopers.
— Le croiseur des Judiciaires sur le terrain d’atterrissage.
Le soldat secoua la tête de manière affligée.
— Il n’est pas en état de voler dans l’espace, monsieur. Voilà trois mois que nous attendons des pièces de rechange pour le motivateur d’hyperdrive.
— Je sais où trouver un vaisseau, intervint brutalement Vador. Vous tous, venez avec moi, ajouta-t-il en faisant signe aux stormtroopers, puis il se tourna et pointa Bracchia du doigt. Vous aussi.
Tarkin leur emboîta le pas tandis qu’ils se précipitaient hors de la résidence de l’ambassadrice.
Tarkin avait des doutes.
Sur Lola Sayu, lorsque Skywalker, Kenobi et Ahsoka Tano avaient aidé à le délivrer de la Citadelle, il n’avait pas approuvé la stratégie des Jedi consistant à se scinder en deux équipes. Sacrifier l’intégrité du groupe et risquer de rencontrer deux fois plus de problèmes, cela n’avait que peu de sens et c’était précisément ce qui s’était produit. Even Piell, le général de Tarkin, avait été tué et les autres avaient failli retomber entre les griffes du directeur sadique de la prison séparatiste. Aujourd’hui, après toutes ces années, Vador avait divisé leurs forces, et voilà qu’ils se retrouvaient conduits, sous la menace des armes, à l’intérieur de l’antre d’un baron du crime sugi pendant que les stormtroopers, dans un autre quartier de Murkhana City, menaient à bien la partie du plan qui leur était dévolue.
Alors Tarkin avait des doutes.
Mais avec le Pic de la Charogne apparemment aux mains de voleurs et avec son capitaine, son officier comm et deux stormtroopers morts, il n’avait pas d’autre choix que de se prêter à ce subterfuge en priant pour que cela marche.
— Je n’aime toujours pas l’idée de séparer le groupe, confia-t-il à Vador alors que l’un des Sugi le poussait en avant.
Vador lui jeta un coup d’œil, mais comme à l’accoutumée, il était impossible de dire ce qui se passait derrière les orbites noires de son masque.
L’immeuble, qui servait de quartier général aux Sugi était en meilleur état que la plupart des bâtiments de Murkhana City. Ses gracieuses torsades en corail et ses couleurs marines avaient survécu à la guerre ou avaient été restaurées depuis. Au départ, Tarkin avait pris les Sugi pour une espèce insectoïde, mais ils étaient en réalité des bipèdes de petite taille portant des combinaisons motorisées et cuirassées. Cet équipement les appareillait d’une seconde paire de jambes et d’un abdomen serti de pointes barbelées tout en leur conférant l’apparence de créatures mythologiques. Les soldats, du moins. Les autres, qui se trouvaient dans le hall froid et humide vers lequel Vador et Tarkin étaient escortés, se tenaient sur leurs deux jambes et portaient un casque qui ressemblait à une capuche, ainsi qu’une espèce de pack énergétique dans le dos. Les énormes casques et les grands yeux des Sugi rendaient leurs visages squelettiques encore plus petits qu’ils n’étaient en réalité.
Vingt soldats se joignirent à la demi-douzaine de créatures qui tenaient Vador et Tarkin en respect dans le hall et plusieurs droïdes de combat séparatistes reconditionnés vinrent encore gonfler leurs rangs. Celui qui semblait être leur chef se prélassait sur un trône en corail tape-à-l’œil et cliquetait des ordres à ses sbires.
Vador s’arrêta à cinq mètres du trône et embrassa du regard la décoration chargée du hall.
— Vous vous êtes bien débrouillé depuis la disparition de votre concurrent, baron du crime.
— Et je vous dois toute ma reconnaissance pour cela, Seigneur Vador, lui répondit le Sugi dans un basic fortement accentué. C’est la seule raison pour laquelle je vous ai laissé pénétrer vivant dans ma demeure : pour vous remercier personnellement d’avoir tué mon prédécesseur et d’avoir persuadé le Soleil Noir de quitter Murkhana pour des royaumes plus sûrs.
— Vous êtes aussi insolent qu’il l’était, baron du crime.
— Sachant que je suis en position de force, Seigneur Vador, je peux tout à fait me le permettre.
Vador croisa les bras sur sa large poitrine.
— Ne soyez pas trop sûr de vous.
Le Sugi ne tint pas compte de l’avertissement.
— Mes associés m’ont informé de vos prouesses, Seigneur Vador. Mais je doute que même vous puissiez triompher face à autant de soldats.
Vador ne répondant pas, il poursuivit :
— Quelles sont ces balivernes selon lesquelles vous voudriez réquisitionner mon vaisseau ?
Tarkin s’avança pour s’adresser à lui :
— Nous savons que nous sommes en infériorité numérique. Mais peut-être y a-t-il une façon plus raisonnable de vous convaincre d’accéder à la demande du Seigneur Vador ?
Le Sugi écarquilla ses grands yeux.
— Je n’ai pas eu le plaisir…
— Je vous présente le Moff Tarkin, baron du crime, intervint Vador, gouverneur du Secteur Seswenna et plus encore.
Le Sugi se renfonça dans son trône.
— Me voilà impressionné. Que Murkhana accueille de telles sommités de l’Empire… Même si beaucoup diraient que ce serait rendre un fier service à la galaxie de vous éliminer ici et maintenant.
Il fixa Tarkin du regard et ajouta :
— Mais vous disiez, gouverneur… ?
— Que dans ce type de négociations, il y a toujours une alternative à l’usage de la force.
— Je ne vois pas d’alternative qui puisse me convaincre de céder mon beau vaisseau, gouverneur Tarkin.
Avec des gestes lents, le Moff tira un holodisque portable d’une poche de son uniforme.
— Puis-je ?
D’un geste, le Sugi lui donna la permission.
— Sergent Crest, dit Vador vers l’appareil, êtes-vous dans l’entrepôt du baron du crime ?
— Oui, Seigneur Vador. Prêts à détruire le lieu à votre commandement.
— Alors vous voilà racheté à mes yeux, sergent.
— Merci, Seigneur Vador.
L’expression du baron du crime était empreinte d’amusement.
— Vous n’êtes pas sérieux. Croyez-vous réellement que je vais céder mon vaisseau contre un entrepôt rempli d’armes ?
— Vos associés du Crymorah sur Coruscant pourraient vous encourager dans ce sens.
— Je suis prêt à courir le risque, Seigneur Vador.
— Vous avez raison, bien sûr, rétorqua Tarkin. Mais en ce moment, votre entrepôt contient plus que des armes. Nous avons fait en sorte que vos femmes et vos rejetons s’y trouvent également.
Il fit apparaître l’image des membres de la famille du Sugi blottis les uns contre les autres et encerclés de stormtroopers, l’arme au poing.
— Nous pensons savoir que vous leur êtes très attaché. Le fruit de vos gênes, je présume.
— Vous n’oseriez pas ! glapit le Sugi.
Ses doutes concernant le plan de Vador commençant à disparaître, Tarkin haussa un sourcil d’un air arrogant.
— Croyez-vous ?
Le Sugi remua sur son trône, inquiet.
— Je pourrais vous faire abattre sur place.
— Nous sommes prêts à courir le risque, répliqua Tarkin avec un léger sourire. Votre vaisseau contre leurs vies.
Après un long moment de cliquetis effrénés et de torsions de doigts, le Sugi rompit le silence tendu qui emplissait le hall :
— Très bien, prenez le vaisseau ! J’en achèterai un autre. J’en achèterai vingt autres. Ne les tuez pas… ne les tuez pas !
Tarkin afficha un visage grave.
— Vous allez devoir nous fournir tous les codes de décollage nécessaires et ordonner à tous vos sous-fifres de quitter immédiatement l’aire d’atterrissage.
— Je le ferai, promit le Sugi. Je ferai tout ce que vous me demanderez !
Vador se pencha légèrement vers le comlink.
— Sergent Crest, amenez la famille du baron du crime au spatioport et faites-moi savoir quand vos troupes auront pris possession du vaisseau.
— Ne les tuez pas, répéta le Sugi, se levant à moitié du trône pour les supplier.
— Rassurez-vous, dit Tarkin. Il y a de grandes chances pour qu’ils vous survivent.