Chapitre 17
Zéro défaut
Ses armes rechargées, l’intérieur aussi bien rangé que possible, le Pic de la Charogne n’attendait plus que les consignes concernant l’heure du départ et le lieu du saut. Assis dans le fauteuil du copilote, Teller, de retour dans ses bottes et son pantalon de treillis, observait Salikk procéder à la vérification pré-vol des instruments et des systèmes. Lorsque la main du Gotal se tendit vers le navordinateur, elle parut en suspension, hésitante.
— Un problème ? demanda Teller.
Salikk garda les yeux rivés sur l’un des indicateurs d’état de fonctionnement.
— C’est sans doute rien d’important, mais…
Teller se redressa vivement dans le harnais de son fauteuil.
— C’est sans doute rien d’important, mais j’ai cette douleur sur le côté… C’est sans doute rien d’important, mais ma petite amie s’est montrée distante dernièrement…, égrena-t-il en secouant la tête avec agacement. À chaque fois que j’entends cette phrase…
— C’est la contenance des réservoirs de carburant, le coupa Salikk. Si on prend en compte les piles qu’on a récupérées à Phindar, il y a quelque chose qui cloche.
— Ce Phindien de malheur nous a roulés ! s’exclama Teller. Je comprends mieux pourquoi il se montrait si nonchalant !
Salikk secoua sa tête cornue de gauche à droite.
— Ce n’est pas ça.
Teller se pencha vers la console.
— Peut-être que tu n’as pas remarqué que le réservoir n’était pas complètement plein lorsqu’on s’est séparés de la citerne.
La tête du Gotal continua ses va-et-vient.
— J’ai vérifié… Enfin, je pense que je l’ai fait. Et quand bien même un détail m’aurait échappé, l’écart n’a rien de logique.
— On a dû s’extirper de ce rayon tracteur…
— Non.
Teller se tourna vers Artoz qui, tranquillement assis dans le fauteuil de l’officier comm, les observait tous les deux.
— Tu as une idée ?
Le Mon Cal réfléchit un moment en tapotant la console de sa main palmée.
— Le motivateur d’hyperdrive s’être peut-être emmêlé les pinceaux. On pourrait essayer de vérifier l’étalonnage des relais de synchronisation.
Salikk poussa un soupir.
— C’est sans doute rien d’important.
Sa main se tendit à nouveau vers les commandes du navordinateur mais Teller lui demanda d’attendre un moment et, criant en direction de l’écoutille abîmée, appela Cala.
— Il va falloir que tu réenfiles la combinaison hazmat, indiqua Teller lorsque le Koorivar débarqua du pont arrière.
Cala le dévisagea.
— Tu tiens vraiment à me surexposer aux rads, hein ? Tu as décidé que vous pouviez vous passer de moi ?
— Calme-toi, tenta de l’apaiser Teller d’un geste. J’ai simplement besoin que tu te rendes dans le réservoir de stockage du carburant pour effectuer quelques tests sur les piles à combustible qu’on a récupérées à Phindar. Tu les reconnaîtras sans peine : ce sont des Wilborg Jenssens et elles portent le logo de la citerne, une sorte de triple S.
Les épaules de Cala s’affaissèrent.
— Qu’est-ce que je suis censé chercher ?
— Avec un peu de chance, rien de plus qu’une pile vide ou défectueuse, répondit Artoz.
Cala prit un air renfrogné.
— Le Phindien nous a roulés ?
— Je l’espère, répliqua Teller avant de se libérer du harnais de son fauteuil pour se lever. Viens, je vais t’aider à enfiler ta combinaison.
Certaines écoutilles gelées ou sas déréglés les forcèrent à emprunter une voie détournée pour rejoindre le réservoir de stockage. Une fois la capuche et l’écran facial de la combinaison hazmat ajustés, Cala disparut par le sas et Teller retourna à la cabine de commandement où il retrouva Anora, assise dans le fauteuil du copilote.
— Que se passe-t-il ? demanda-t-elle sur un ton plus virulent que curieux.
— Sans doute rien d’important…, commença-t-il à dire avant de s’interrompre.
Il activa le comlink intra-vaisseau :
— Cala, tu es à l’intérieur ?
— Je suis en train de les vérifier. Les indicateurs de niveau de puissance semblent OK.
Teller se tourna vers Anora lorsque Cala ajouta :
— Attendez. Le senseur en a trouvé une. La pile affiche « vide ».
— Une pile du Phindien ?
— Elle porte le logo.
— Tu peux la transporter ?
Cala laissa échapper un juron.
— Je t’avais dit qu’on aurait dû embarquer un droïde.
— Je sais, mais pense aux migraines qu’un droïde aurait refilées à Salikk, répliqua Teller en décochant un sourire au Gotal dont l’espèce était sensible aux champs magnétiques. En attendant, vu qu’on n’en a pas, c’est toi notre meilleure option. Est-ce que le chariot à répulsion est toujours là ?
— Pile où je l’ai laissé après avoir fixé la bombe.
— Programme le chariot pour qu’il récupère la pile, indiqua Artoz en direction du capteur audio, et transfère-la dans l’aire de décontamination afin que l’unité de diagnostic puisse y jeter un œil.
— Comment veux-tu y jeter un œil ? s’étonna Cala. Le senseur indique qu’elle est vide.
— Il va falloir l’ouvrir, dit Teller.
— Vous avez perdu la tête ? Et s’il y avait une bombe à l’intérieur ?
Teller essaya de prendre la chose à la légère.
— T’inquiète, il n’y a que nous pour faire ce genre de chose ! Et puis, c’est bien pour ça que c’est l’unité de diagnostic qui va le faire à ta place. Elle va commencer par scanner la pile.
— C’est la dernière fois que j’enfile cette combinaison, grommela le Koorivar.
— Ça marche ! La prochaine fois, ça sera Anora.
D’un geste, la jeune femme fit savoir ce qu’elle pensait de l’idée.
Un long silence s’ensuivit, rompu par un nouveau juron de Cala.
— Elle n’est pas vide !
Teller échangea des regards anxieux avec Salikk et Artoz.
— Il y a quoi à l’intérieur ?
Tout le monde se tourna vers le nonciateur du centre de commandement, comme si le Koorivar était réellement présent dans la cabine.
— Une sorte d’appareil, finit par répondre Cala. Ça ne ressemble à rien que je connaisse.
— D’accord, intervint Artoz en essayant de maîtriser sa voix grave. Programme l’unité de diagnostic pour qu’elle filme l’engin, puis transmets l’image à la bibliothèque du vaisseau.
Cala soupira bruyamment.
— Bougez pas.
Le comlink intra-vaisseau se fit de nouveau silencieux, et Teller passa une main nerveuse sur son visage.
— C’est sans doute rien d’im…, commença à dire Anora, mais Teller lui fit signe de se taire.
— Bon sang, c’est une balise de repérage impériale ! s’exclama le Koorivar. D’après la base de données, ce serait un traceur paraluminique : une sorte d’émetteur-transmetteur HoloNet capable de décrypter les commandes du navordinateur du vaisseau.
Salikk pivota pour faire face aux autres, les yeux écarquillés d’étonnement.
— Tarkin sait non seulement où on se trouve, mais où on a prévu d’aller. Ce qui signifie en gros qu’on est coincés, à moins que vous ne vouliez vous y rendre en vitesse subluminique, ce qui ne nous prendra…
Il jeta un coup d’œil aux indicateurs du tableau de bord.
— … qu’une cinquantaine d’années environ.
— Peut-être qu’on en a déjà assez fait, suggéra Anora en portant une main à son crâne blessé. On pourrait dire qu’on en reste là ?
Teller secoua la tête.
— On est loin d’en avoir assez fait.
La voix lointaine de Cala intervint :
— Est-ce que je dois désactiver ce truc ?
— Non, ne fais rien pour l’instant, lui répondit Teller. Laisse ça sur place et rejoins-nous.
Il balaya la cabine de commandement du regard et ajouta :
— Essayons d’envisager la situation du point de vue de Tarkin.
— Mais oui, pourquoi pas ? grommela Anora.
— Tarkin sait que nous sommes là, commença Artoz, et il est convaincu de bien cerner nos intentions.
— À raison, précisa Salikk.
— Il sait que nous sommes là, répéta Teller en réfléchissant à voix haute, mais il n’est pas venu nous chercher, ajouta-t-il en regardant Artoz. Manifestement, il attend de voir ce que nous allons entrer dans le navordinateur pour pouvoir nous cueillir là-bas.
— Pour que lui, Vador et tous ceux qui les accompagnent – d’ici là, la totalité de la Flotte Impériale, si ça se trouve – puissent nous cueillir là-bas, précisa le Mon Cal. Nul doute qu’ils sont en train de calculer tous les points de sortie possibles à partir de ce système.
Teller acquiesça.
— Qui doivent être au nombre de plusieurs dizaines, je pense.
— Pendant ce temps, intervint Salikk, l’armée déploie ses vaisseaux dans tous les systèmes où Tarkin pense que nous pouvons aller.
Anora leva les yeux de ses mains.
— Existe-t-il un moyen d’entrer de fausses coordonnées dans un navordinateur ?
Salikk secoua la tête.
— Pas tant que ce mouchard sera activé.
Personne ne s’exprima pendant un long moment ; puis Teller prit la parole :
— Pour l’instant, nous avons surtout besoin de gagner du temps, exact ? Alors imaginez qu’on refourgue à Tarkin des coordonnées de saut correspondant à un système stellaire très animé…
Les sourcils fins d’Anora se haussèrent pour former un V.
— Je ne vois pas en quoi ça va nous aider, à moins que tu ne comptes te cacher dans les embouteillages.
— On fournit les coordonnées, répète Teller, mais on ne saute pas.
— Tu veux dire que…
— On se débrouille pour que quelqu’un d’autre le fasse à notre place.
Fièrement perché sur le pont surélevé de la passerelle de commandement du Destroyer Stellaire l’Exécutrice, Tarkin se sentait plus que jamais dans son élément. Colosse de classe Impérial en forme de biseau, le cuirassé avait émergé dans le Système Obroa-skai après un saut depuis Lantillies lorsque Tarkin avait appris que le Pic de la Charogne était en route. La vue panoramique qu’offrait la baie de la passerelle, constituée de vitres trapézoïdales, embrassait presque tous les vaisseaux de la force opérationnelle. Au loin, se détachant sur un rideau d’étoiles scintillantes, flottaient trois vaisseaux Interdictor : un Détenteur CC-2200, un modèle plus récent de frégate CC-7700 et, tout juste sorti des chantiers du Système Corellia et pas encore testé, un Immobilisateur 418. Dotés d’un blindage épais, les deux premiers présentaient une proue inclinée et des prolongements latéraux ressemblant à de petites ailes courtes abritant chacune un quatuor de projecteurs de puits gravitationnel. L’Immobilisateur, en revanche, possédait quatre projecteurs hémisphériques à l’arrière, au sommet du fuselage anguleux du vaisseau. Positionnés à mi-chemin entre les Interdictor et l’Exécutrice, figuraient des frégates, des vaisseaux de surveillance et des canonnières. Le vaisseau de surveillance le plus central transportait Vador ainsi que Crest – promu lieutenant par le Seigneur Noir – et environ deux douzaines de stormtroopers, le tout formant une équipe d’arraisonnement dans le cas peu probable où le Pic de la Charogne pourrait être récupéré sans qu’il y ait besoin de livrer bataille ou au moins mis hors-service plutôt que réduit à l’état d’épave.
Une holotable située à tribord, en contrebas du pont surélevé de commandement, projetait un chronomètre 3D qui égrenait le temps restant, en heure standard, avant le moment estimé de l’arrivée du Pic de la Charogne. Sans surprise, les dissidents avaient sauté en direction du lointain Système Thustra et, après avoir passé plusieurs heures là-bas, programmé le navordinateur pour un trajet jusqu’à Obroa-skai. L’estimation de l’heure d’arrivée avait été choisie en partant du principe que le Pic de la Charogne était passé en vitesse-lumière à cet instant précis ou peu après, et en prenant en compte la vitesse à laquelle l’hyperdrive de première classe de la corvette pouvait la propulser. Et s’il devait arriver plus tôt, le vaisseau regagnerait l’espace réel un peu plus loin dans le système où d’autres cuirassés impériaux, dont le Goliath, étaient positionnés pour l’intercepter. Une balise de repérage plus sophistiquée aurait permis à Tarkin de suivre les déplacements de la corvette à travers l’hyperespace via simutunnel, mais l’escouade de stormtroopers affectée à la citerne de Phindar n’avait eu à sa disposition qu’un appareillage de base seulement capable de communiquer avec le navordinateur du vaisseau.
Un technicien assis devant sa console dans la fosse de contrôle située la plus en avant attira l’attention de Tarkin.
— Monsieur, arrivée de la proie prévue dans T moins cent vingt secondes.
Tarkin ajusta le micro de son casque plus près de sa bouche et ouvrit le réseau de combat pour joindre l’officier de liaison de la force opérationnelle à bord de la frégate CC-7700.
— Mise sous tension des projecteurs pour atteindre puissance à gain élevé, gouverneur Tarkin, annonça le commandant. Le champ sera activé puis neutralisé, dans le but de ne pas extraire de l’hyperespace d’autres vaisseaux que la proie. Je dois vous prévenir, cependant, que cela sera sans doute inévitable étant donné la densité du trafic dans ce système.
— Je comprends, commandant, répondit Tarkin. Ordonnez à vos techniciens de se montrer judicieux, néanmoins.
— Ce sera fait, monsieur. Mais le réglage de la puissance des puits gravitationnels est conditionné, jusqu’à un certain point, à la vitesse relative du vaisseau ciblé. Or, eh bien, soyons franc, monsieur, il n’y en a pas beaucoup qui soient aussi rapides que le Pic de la Charogne.
Tarkin se pinça la lèvre inférieure, songeur. En principe, les systèmes voisins auraient dû être informés qu’Obroa-skai prenait le statut de zone interdite, mais le commandement naval avait préféré y renoncer de crainte d’alerter les dissidents. D’autres sujets le préoccupaient davantage : principalement, la raison pour laquelle les dissidents avaient choisi pour destination Obroa-skai, dépourvue de quoi que ce soit pouvant faire office de cible impériale, et essentiellement connue pour ses centres médicaux et ses bibliothèques.
— T moins trente secondes, annonça le technicien depuis la fosse de contrôle.
Rejoignant la partie avant du pont surélevé, Tarkin fixa son regard sur le trio d’Interdictor. Les bras croisés sur la poitrine, il égrena les secondes en silence quand bien même la voix du technicien en faisait autant dans son oreillette.
Le compte à rebours venait d’atteindre T moins cinq secondes lorsque Tarkin fut projeté en avant et manqua de peu d’être jeté au sol. Craignant une nouvelle secousse, il écarta vivement les bras, ce qui lui évita de foncer tête la première contre le panneau vitré le plus proche. Des alarmes se mirent à hurler à travers la passerelle agitée de secousses tandis que le vaisseau grinçait en faisant une nouvelle embardée en direction des lointains Interdictor. Luttant pour rester debout, Tarkin eut le temps d’apercevoir les frégates et les vaisseaux de surveillance être poussés en avant, comme s’ils accéléraient.
— Commandant, cria-t-il dans le micro de son casque, le champ est trop puissant !
— Nous y travaillons, monsieur ! répondit le commandant sur le même ton. C’est l’Immobilisateur. Les résistances de surintensité n’ont pas réussi à empêcher les systèmes gravitiques d’entrer dans la zone rouge…
La connexion s’interrompit.
À proximité des Interdictor, des vaisseaux commencèrent à apparaître là où ne figurait, auparavant, qu’un champ d’étoiles. Tarkin se détourna de la baie d’observation et repartit en chancelant vers la fosse de contrôle pour étudier le zoom affiché sur l’un des écrans. Le premier à émerger de l’hyperespace fut un vieux cargo YT-1000 en forme de soucoupe, suivi de deux transports à la silhouette anguleuse et d’un yacht stellaire au fuselage lustré. Puis un autre cargo fit son apparition, suivi par deux vaisseaux de tourisme.
Brusquement, Tarkin se sentit comme poussé vers l’arrière de la passerelle. Maintenant que le champ d’interdiction avait été neutralisé, les vaisseaux prisonniers jusque-là du filet invisible commencèrent à tourbillonner, hors de contrôle. Deux appareils entrèrent en collision et partirent à la dérive, hors de vue. L’écran grossissant montrait les moteurs subluminiques d’autres vaisseaux étinceler de manière intermittente, mais ils eurent à peine le temps de fuir ou de corriger leur trajectoire que le champ se réactiva et les capturèrent à nouveau. Tarkin écarta les jambes pour tenter de garder l’équilibre ; puis ses yeux, tournés vers la baie d’observation, s’écarquillèrent d’effroi : gîtant à bâbord, un énorme vaisseau à l’allure plus organique que mécanique venait de se matérialiser. Il heurta le Détenteur CC-2200 avant de partir dans une vrille qui eut pour résultat d’empaler sa face dorsale sur la proue inclinée de l’Interdictor.
— Un croiseur stellaire mon cal ! s’écria une voix dans son oreille, assez forte pour être entendue par-dessus le raffut assourdissant des alarmes. Il s’agit du Panorama Stellaire, un paquebot de luxe en provenance de Corsin. Environ dix mille personnes à bord !
Une explosion brève mais aussi lumineuse qu’une nova flamboya au loin. Son éclat était si intense que Tarkin dut cligner des yeux et se mit à voir des étoiles qui n’étaient pas là l’instant d’avant. Lorsqu’il fut de nouveau capable de regarder à travers la baie opacifiée, il vit que la poupe du vaisseau de plaisance sculptée de manière organique avait disparu et que l’Interdictor avait été projeté de sa position antérieure selon un angle de quatre-vingt-dix degrés. Presque aussitôt, des canots de sauvetage en forme de modules ainsi qu’une nuée de capsules sphériques se déversèrent du paquebot éventré.
— Le Panorama Stellaire signale qu’il est dans une situation de détresse imminente, déclara le technicien. La capitaine du vaisseau sollicite toute l’aide que nous pouvons lui apporter.
Tarkin se tourna vers les fosses de contrôle, mais répondit dans le micro de son casque :
— Ordonnez aux frégates de leur porter assistance. Donnez pour instruction aux Interdictor de neutraliser le champ gravitationnel, et déplacez-nous de façon à pouvoir utiliser les rayons tracteurs pour récupérer les canots de sauvetage.
Soudain, la voix de Vador résonna dans son oreille :
— Où est la corvette, gouverneur ? Elle ne figure sur aucun de nos scanners. L’avez-vous repérée ?
Tarkin rejoignit à la hâte le bord du pont surélevé et fit signe à l’un des sous-officiers de la fosse.
— Avez-vous localisé le Pic de la Charogne ?
Le technicien se tourna vers lui.
— Aucun signe de la corvette, monsieur. Peut-être est-elle en mode furtif ?
Tarkin serra les lèvres et secoua la tête.
— Même un dispositif de dissimulation ne pourrait l’empêcher d’être détectée dans un champ d’interdiction.
Un second technicien s’adressa à lui :
— Monsieur, le commandant de la force opérationnelle veut savoir si vous souhaitez que les Interdictor réactivent le champ. Certains transports essaient de s’enfuir.
Tarkin ouvrit la bouche pour répondre mais Vador le devança :
— Tous ces vaisseaux doivent être regroupés. Retenez-les à l’aide de rayons tracteurs si cela s’avère nécessaire, mais aucun ne doit pouvoir s’échapper !
Tarkin confirma d’un hochement de tête à l’intention des sous-officiers.
— Maintenez ces vaisseaux sur place.
— Et les canots de sauvetage, monsieur ? demanda l’un d’eux.
— Nous nous occuperons d’eux lorsque nous aurons le temps.
Mais un troisième technicien, une femme, prit la parole :
— Monsieur, l’une de nos frégates est prise pour cible.
Tarkin longea le pont surélevé pour s’arrêter au-dessus d’elle.
— Affichez-la à l’écran, ordonna-t-il.
L’image granuleuse d’un yacht Lux-400 se matérialisa. Des traits de feu laser jaillissaient de canons latéraux soigneusement dissimulés.
— Avons-nous une signature de transpondeur pour ce vaisseau ? demanda le Moff.
— Le Truand, monsieur, répondit la jeune femme. Il figure sur la liste des vaisseaux recherchés dans plusieurs secteurs pour trafic d’armes.
— Mettez-le en joue, commanda Tarkin.
La technicienne relaya l’ordre dans son casque, puis leva les yeux vers lui.
— Nos artilleurs indiquent qu’ils ont du mal à établir une ligne de mire dégagée à cause des canots de sauvetage et du champ de débris.
Tarkin fulmina.
— Qu’ils se débrouillent et ouvrent le feu !
Il tourna son attention vers les écrans lorsque les rayons turbolaser provenant des tourelles tribord du Destroyer Stellaire atteignirent le Lux-400, et le vaisseau disparut dans une boule de feu éphémère.
— Le Truand ne figure plus sur la liste des vaisseaux recherchés, monsieur. Pertes collatérales minimes.
Tarkin remonta le pont surélevé à grands pas pour rejoindre la première fosse de contrôle.
— Avez-vous regroupé le reste des vaisseaux ?
— Ils sont immobilisés, monsieur, et le vaisseau de surveillance du Seigneur Vador se dirige actuellement vers eux. Toujours aucun signe du Pic de la Charogne.
— Les senseurs ont-ils repéré le moindre signe de passage en vitesse-lumière ?
— Aucun, monsieur. Pas de radiation de Cronau détectée… mais ce serait peine perdue avec le champ d’interdiction, de toute façon.
Tarkin secoua la tête, perplexe. Les pirates auraient-ils changé d’avis au dernier moment ? Ou avaient-ils été avertis ?
— La balise de détection transmet-elle toujours ?
Le technicien étudia ses divers instruments.
— Le mouchard n’émet plus aucun signal, monsieur. Plus rien.
Ils l’avaient donc bel et bien découvert. Mais quand ?
Tarkin continua de remonter le pont pour s’arrêter tout près de la baie d’observation, au pied du chaos qui s’étalait au-delà. La voix de Vador l’arracha à son introspection :
— Quel est le premier vaisseau à avoir émergé ?
— Le cargo YT-1000, répondit Tarkin.
— Alors nous commencerons par celui-là, puisque c’est son arrivée qui correspond au plus près à celle que nous avions anticipée pour le Pic de la Charogne.
— Commencer quoi, Seigneur Vador ?
— Si la corvette n’est pas apparue, ce n’est pas dû à un changement de plan impromptu, gouverneur. Les dissidents essaient de nous lancer sur une fausse piste, et je compte bien fouiller chaque vaisseau intercepté jusqu’à ce que nous ayons obtenu des réponses.
Tarkin observa le vaisseau de surveillance accélérer en direction de l’antiquité immobilisée et ignorer le colossal paquebot en flammes comme la poignée de canots et de capsules de sauvetage éparpillés tout autour.
Le gouverneur laissa son regard divaguer, jusqu’à ce que les étoiles et les vaisseaux dispersés devant lui deviennent flous. Ses pensées le ramenèrent au plateau et aux leçons qu’il y avait apprises. Parfois, tout particulièrement quand Jova, lui et les autres n’avaient pas mangé depuis plusieurs jours – et malgré les efforts déployés pour mener une traque irréprochable –, l’absence de résultats devenait si désespérante qu’on en oubliait l’importance de réfléchir comme la proie. Vador avait raison : les dissidents n’avaient pas changé d’avis au dernier moment ; ils avaient découvert par avance le piège qui les attendait. Les animaux savent qu’ils sont plus vulnérables lorsqu’ils sont pourchassés. C’est pourquoi ils montrent alors la plus grande attention aux avertissements émis par les autres créatures. Craignant pour leur vie, ils flairent les odeurs portées par le vent ; ils aiguisent leurs sens de façon à voir ou à entendre leurs poursuivants de très loin. Ils exploitent au maximum leur connaissance accrue du terrain. Sur le plateau, la savane et la jungle se rebiffaient au passage de Jova et de sa bande parce qu’ils étaient perçus comme des intrus généralement animés de mauvaises intentions.
En dépit de la haine et de la frustration qu’il ressentait, Tarkin respectait les dissidents pour leur intelligence et leur prévoyance, mais il était clair que leur plan avait été manigancé avec l’aide de complices, et ces alliés commençaient à jouer leur rôle pour s’assurer que le Pic de la Charogne ne soit pas repris.
Tarkin n’aurait su dire depuis combien de temps il se tenait devant la baie d’observation lorsque la colère de Vador le ramena brutalement au moment présent :
— Ce cargo doit être tracté à bord de l’Exécutrice pour y subir une fouille approfondie, et l’équipage placé en détention afin que je puisse tous les interroger !